Lire et comprendre Romains 9
Définition
Romains 9 concerne-t-il l’Église ? Israël ?
Comment comprendre « J’ai aimé Jacob et j’ai haï Ésaü » de la part de Dieu ?
Résumé
Il existe plusieurs interprétations concernant Romains 9.
Certains ont affirmé que le texte ne s’applique qu’au salut collectif et non individuel.
D’autres ont suggéré que le texte se rapporte à la destinée historique et future d’Israël, Ismaël, Ésaü, Jacob et Pharaon et ils en concluent que l’exposé de Paul ne concerne pas du tout le salut des Païens, mais le rétablissement d’Israël en tant que nation élue.
Pour d’autres encore, ce texte défend l’idée qu’Israël est remplacé par l’Église en plan B pour le salut, les Juifs ayant refusé Jésus.
Enfin, Calvin a vu dans ce texte, la double prédestination, suscitant un grand débat entre Calvinistes et Arminiens sur le thème de l’élection.
Je chercherai par ce travail à entrer modestement dans les débats mentionnés plus haut, tout en cherchant à tracer une ligne théologique cohérente.
Introduction
Paul est concerné par le destin historique d’Israël. Ce destin est entremêlé avec l’histoire du salut. C’est pourquoi Paul utilise les termes : enfants d’Abraham (9.7); enfant de Dieu (9.8); enfants de la promesse (9.8); élection (9.11); appel (9.12); aimé et haï (9.13); miséricorde (9.15-16,18); mettant en parallèle le destin historique d’Israël et le salut en Jésus avec pour conclusion que «tout Israël sera sauvé» (11.26). La tristesse de Paul est due au fait que la nation d’Israël n’a pas reconnu Jésus en tant que Messie. Mais, rappelle Paul, Dieu est fidèle à sa Parole. Il reste souverain dans son plan de Salut.
Il existe plusieurs interprétations concernant Romains 9.
Certains ont affirmé que le texte ne s’applique qu’au salut collectif et non individuel. Le théologien allemand Barth a développé sa thèse sur le salut universel, principalement à partir de ce texte.
D’autres ont suggéré que le texte se rapporte à la destinée historique et future d’Israël, Ismaël, Ésaü, Jacob et Pharaon et ils en concluent que l’exposé de Paul ne concerne pas du tout le salut des Païens, mais le rétablissement d’Israël en tant que nation élue.
Pour d’autres encore, ce texte défend l’idée qu’Israël est remplacé par l’Église en plan B pour le Salut, les Juifs ayant refusé Jésus.
Enfin, Calvin a vu dans ce texte, la double prédestination, suscitant un grand débat entre Calvinistes et Arminiens sur le thème de l’élection.
Je chercherai par ce travail à entrer modestement dans les débats mentionnés plus haut, tout en cherchant à tracer une ligne théologique en accord avec ma compréhension du texte.
Après un court chapitre consacré à la compréhension historique décrivant le climat dans lequel Paul écrit cette lettre, j’ai fait une découpe du texte en débordant un peu sur les chapitres 10 et 11, en rajoutant des titres de paragraphes et j’ai relevé certaines expressions de Paul, en italique et en gras. Cette lecture, très simple, quoique un peu longue dans ce travail, a le grand avantage d’éclairer le texte par le texte.
1. Compréhension historique
Romains 9 appartient à l’ensemble de Romains 1 à 11 qui a pour thème principal le Salut apporté par Jésus. C’est la préoccupation principale de Paul. Il s’intéresse à l’histoire du salut pour Israël et pour les Païens et semble préoccupé par le refus de l’évangile par les Juifs.
La bonne nouvelle est pour le Juif premièrement, puis pour le Païen. Mais Paul dit des Juifs «qu’ils sont inexcusables» (Romains. 2.1).
Paul intervient dans un contexte sensible entre Juifs et Païens au sein de l’église de Rome. Un contexte aggravé par les persécutions. Beaucoup de responsables ont dû quitter la ville et semblent y être revenus quelques années après, provoquant quelques tensions. Paul semble être au courant de ces tensions entre Juifs et Païens et c’est probablement pour aider l’église qu’il écrit.
Paul utilise des formules particulières : «Que dirons-nous donc ?» (9.30); «alors diras-tu» (9.19), qui ont fait dire à certains commentateurs que Paul ne savait pas vraiment ce qu’il voulait dire. En fait, le sujet qu’il va évoquer est de la plus haute importance!
Paul commence par la question épineuse des Juifs et de son malaise sur la question. Ceux qui auraient dû reconnaître le Christ ne l’ont pas reconnu, (9.2) .
Il rappelle qu’Israël était tout de même soumis à l’adoption filiale, Dieu ayant appelé Israël, mon fils!
Paul rappelle que la gloire, la présence de la gloire dans le temple et l’espérance de la gloire future, appartiennent à Israël.
Il rappelle enfin qu’Israël était le seul peuple rendant un culte à Dieu, au sein d’un monde uniquement païen, et que Jésus était Juif, un vrai Juif incarné dans sa culture.
Paul appelle Jésus, Seigneur, le mettant sur un pied d’égalité avec Dieu. Mais les Juifs ne l’ont pas reconnu, Rome non plus !
Les Païens remplacent-ils les Juifs dans le plan de Salut ? (11.13) Il est fort probable qu’à Rome, les chrétiens de souche romaine le pensent sérieusement ! La situation de Paul entre les chrétiens juifs et grecs est délicate et on comprend bien son souci de ne froisser personne, lui qui est vu comme un traître aux yeux de certains Juifs car il mange avec les Païens, n’exige pas la circoncision. Il doit d’une certaine manière justifier son ministère auprès des deux parties. Les «Je ne mens pas» sont inconfortables mais bien compréhensibles dans ce contexte.
2. Proposition de découpe et de plan du texte biblique
- Élection d’Israël
- Le rejet, par Israël, du salut en Jésus-Christ et la tristesse de Paul (9.1-5)
- La Parole de Dieu serait-elle annulée ?
Le choix souverain de Dieu
L’élection concerne le véritable Israël
L’élection d’Isaac et l’histoire des patriarches (9.5-9)
L’élection de Jacob (rejet d’Ésaü 9.10-13)
- Pas d’injustice dans cette liberté et souveraineté
Dieu fait miséricorde à qui Il veut (9.15-16)
Dieu endurcit qui Il veut (exemple de Pharaon, 9.17-18)
- Il subsiste un reste que Dieu a librement choisi
La problématique : le rejet, par Israël, du salut en Jésus-Christ
9.1 Ce que je vais dire est la vérité ; j’en appelle au Christ, je ne mens pas ; ma conscience, en accord avec l’Esprit Saint, me rend ce témoignage : j’éprouve une profonde tristesse et un chagrin continuel dans mon cœur. Oui, je demanderais à Dieu d’être maudit et séparé du Christ pour le bien de mes frères, nés du même peuple que moi. Ce sont les Israélites. C’est à eux qu’appartiennent la condition de fils adoptifs de Dieu, la manifestation glorieuse de la présence divine, les alliances, le don de la Loi, le culte et les promesses ; à eux les patriarches ! Et c’est d’eux qu’est issu le Christ dans son humanité ; il est aussi au-dessus de tout, Dieu béni pour toujours. Amen !
Mais la parole de Dieu n’est pas caduque : le choix souverain de Dieu
9.6 La Parole de Dieu aurait-elle échoué ? Non ! En effet, ce ne sont pas tous ceux qui descendent du patriarche Israël qui constituent Israël ; et ceux qui descendent d’Abraham ne sont pas tous ses enfants. Car Dieu dit à Abraham : C’est la postérité d’Isaac qui sera appelée ta descendance. Cela veut dire que tous les enfants de la descendance naturelle d’Abraham ne sont pas enfants de Dieu. Seuls les enfants nés selon la promesse sont considérés comme sa descendance. Car Dieu a donné sa promesse en ces termes : Vers cette époque, je viendrai, et Sara aura un fils.
Et ce n’est pas tout : Rébecca eut des jumeaux nés d’un seul et même père, de notre ancêtre Isaac. Or, Dieu a un plan qui s’accomplit selon son libre choix et qui dépend, non des actions des hommes, mais uniquement de la volonté de celui qui appelle. Et pour que ce plan demeure, c’est avant même la naissance de ces enfants, et par conséquent avant qu’ils n’aient fait ni bien ni mal, que Dieu dit à Rébecca : L’aîné sera assujetti au cadet. Ceci s’accorde avec cet autre texte de l’Écriture : J’ai aimé Jacob et pas Ésaü.
1ère objection
Mais alors, que dire ? Dieu serait-il injuste ? Loin de là ! Car il a dit à Moïse :
Je ferai grâce à qui je veux faire grâce, J’aurai pitié de qui je veux avoir pitié.
Cela ne dépend donc ni de la volonté de l’homme, ni de ses efforts, mais de Dieu qui fait grâce. Dans l’Écriture, Dieu dit au pharaon :
Voici pourquoi je t’ai fait parvenir où tu es : pour montrer en toi ma puissance, et pour que, sur la terre entière, on proclame qui je suis.
Ainsi donc, Dieu fait grâce à qui il veut et il endurcit qui il veut.
2ème objection
Tu vas me dire : pourquoi alors Dieu fait-il encore des reproches ? Car qui a jamais pu résister à sa volonté ? Mais, qui es-tu donc toi, homme, pour critiquer Dieu ? L’ouvrage demandera-t-il à l’ouvrier : « Pourquoi m’as-tu fait ainsi ? » Le potier n’a-t-il pas le droit, à partir du même bloc d’argile, de fabriquer un pot d’usage noble et un autre pour l’usage courant ?
Et qu’as-tu à redire si Dieu a voulu montrer sa colère et faire connaître sa puissance en supportant avec une immense patience ceux qui étaient les objets de sa colère, tout prêts pour la destruction ? Oui, qu’as-tu à redire si Dieu a agi ainsi pour manifester la richesse de sa gloire en faveur de ceux qui sont les objets de sa grâce, ceux qu’il a préparés d’avance pour la gloire ?
Pour les Juifs et pour les non-Juifs…
C’est nous qui sommes les objets de sa grâce, nous qu’il a appelés non seulement d’entre les Juifs, mais aussi d’entre les non-Juifs. C’est ce qu’il dit dans le livre du prophète Osée :
Celui qui n’était pas mon peuple, je l’appellerai « mon peuple ».
Celle qui n’était pas la bien-aimée, je la nommerai « bien-aimée ».
9.27 Ésaïe, de son côté, s’écrie au sujet d’Israël
Même si les descendants d’Israël étaient aussi nombreux que les grains de sable au bord de la mer, seul un reste sera sauvé.
9.29 Et comme Ésaïe l’avait dit par avance :
Si le Seigneur des armées célestes ne nous avait laissé des descendants,
nous ressemblerions à Sodome, nous serions comme Gomorrhe.
Conclusion
Que dire maintenant ? Voici ce que nous disons : les païens qui ne cherchaient pas à être déclarés justes par Dieu ont saisi cette justice, mais il s’agit de la justice qui est reçue par la foi. Les Israélites, eux, qui cherchaient à être déclarés justes en obéissant à une loi, n’y sont pas parvenus. Pour quelle raison ? Parce qu’ils ont cherché à être déclarés justes non pas en comptant sur la foi, mais comme si la justice pouvait provenir de la pratique de la Loi. Ils ont buté contre la pierre qui fait tomber, celle dont parle l’Écriture :
Moi, je place en Sion une pierre qui fait tomber, un rocher qui fait trébucher. Celui qui met en lui sa confiance ne connaîtra jamais le déshonneur.
Le renversement de la grâce : les derniers et les premiers
Frères, je souhaite de tout cœur que les Israélites soient sauvés, et c’est ce que je demande instamment à Dieu dans mes prières. Car je leur rends ce témoignage : ils ont un zèle ardent pour Dieu, mais il leur manque le discernement. En méconnaissant la manière dont Dieu déclare les hommes justes et en cherchant à être déclarés justes par leurs propres moyens, ils ne se sont pas soumis à Dieu en acceptant le moyen par lequel il nous déclare justes. Car le Christ a mis fin au régime de la Loi pour que tous ceux qui croient soient déclarés justes. Voici, en effet, comment Moïse définit la justice qui procède de la Loi : Celui qui se soumettra aux exigences de la Loi vivra grâce à cela.
Mais voici comment s’exprime la justice reçue par la foi : Ne dis pas en toi-même; Qui montera au ciel ? Le Christ n’en est-il pas descendu? Ou bien : Qui descendra dans l’abîme ? Le Christ n’est-il pas ressuscité des morts ? Que dit-elle donc ?
La Parole de Dieu est tout près de toi, elle est dans ta bouche et dans ton cœur.
Cette Parole est celle de la foi, et c’est celle que nous annonçons.
En effet, si de ta bouche, tu déclares que Jésus est Seigneur et si dans ton cœur, tu crois que Dieu l’a ressuscité des morts, tu seras sauvé, car celui qui croit dans son cœur, Dieu le déclare juste ; celui qui affirme de sa bouche, Dieu le sauve.
En effet, l’Écriture dit :
Celui qui met en lui sa confiance ne connaîtra jamais le déshonneur.
Ainsi, il n’y a pas de différence entre Juifs et non-Juifs. Car tous ont le même Seigneur qui donne généreusement à tous ceux qui font appel à lui. En effet, il est écrit : Tous ceux qui feront appel au Seigneur seront sauvés.
Israël n’a pas eu la foi
Questions et réponses
Je demande donc : Dieu aurait-il rejeté son peuple ? Assurément pas ! En effet, ne suis-je pas moi-même Israélite, descendant d’Abraham, de la tribu de Benjamin ? Non, Dieu n’a pas rejeté son peuple qu’il s’est choisi d’avance. Rappelez-vous ce que dit l’Écriture dans le passage rapportant l’histoire d’Élie dans lequel celui-ci se plaint à Dieu au sujet d’Israël : Seigneur, ils ont tué tes prophètes, ils ont démoli tes autels. Et moi, je suis resté tout seul, et voilà qu’ils en veulent à ma vie.
il subsiste un reste que Dieu a librement choisi dans sa grâce.
Que s’est-il donc passé ? Ce que le peuple d’Israël cherchait, il ne l’a pas trouvé ; seuls ceux que Dieu a choisis l’ont obtenu. Les autres ont été rendus incapables de comprendre, conformément à ce qui est écrit :
Je demande alors : si les Israélites ont trébuché, est-ce pour tomber définitivement ? Loin de là !
3. Romains 9 et Israël
La lecture de Romains 9 a conduit à des interprétations diverses sur le statut et l’avenir d’Israël dont voici les essentiels :
- L’avenir d’Israël sera assuré par un «reste », représenté par la conversion de Juifs tout au long de l’histoire. Ces Juifs, croyants, s’intégreront à l’Église, peuple unique de Dieu. Augustin disait que: «Tous ceux qui , venant des Juifs et des Gentils, ont été appelés selon le décret divin, forment le véritable Israël que le même apôtre appelle l’Israël de Dieu (Galates. 6.16)»[1].
- Une autre interprétation reconnaît à Israël un salut universel à la fin des temps. L’Israël actuellement endurci connaîtra un salut en tant que nation parce que choisie par Dieu.
Je choisirai l’interprétation 1. C’est aussi celle préférée des Réformateurs. Mais avec nuance.
4. L’élection d’Isaac et l’histoire des patriarches (Romains 9.7-9)
Il ne suffit pas de descendre d’Abraham pour participer à l’élection. Ismaël était également issu d’Abraham, mais n’a pas été choisi.
Tous ceux qui descendent d’Israël ne sont pas Israël, et, pour la postérité d’Abraham, ils ne sont pas tous ses enfants (9.6-7).
En rappelant l’histoire des patriarches (9.5-9) que les Juifs connaissaient bien, Paul veut montrer que la promesse n’est pas forcément pour la descendance seulement, soit les enfants de la chair. La grande erreur des Juifs, au temps de Paul, a été de croire qu’ils étaient à coup sûr les héritiers des promesses de Dieu par le simple fait qu’ils étaient des descendants d’Abraham par la naissance physique (Jean 8.33; 37; 39; Romains. 2.28)
Enfin, Paul ne parle pas d’une nation particulière, mais bien d’individus précis. Isaac et Ismaël, Ésaü et Jacob. Cette précision est importante.
Certains réagissent contre l’idée d’un rejet total d’Israël, ce peuple conservant une place particulière dans le cœur de Dieu. Romains 11 semble du reste annoncer un puissant réveil spirituel futur parmi les Juifs, avant la parousie. C’est dans ce sens que vont la plupart des commentateurs: «La meilleure lecture du chapitre 11 nous paraît être celle qui y voit l’annonce d’un éveil spirituel futur d’une section vraiment représentative du peuple d’Israël se tournant vers le Christ par la foi.»[2].
Les Juifs ont-ils trébuché pour toujours ? A cause de leur faute, le salut a été donné aux non-Juifs, afin de provoquer leur jalousie, mais l’Église n’a pas l’exclusivité des promesses. Dieu n’a pas rejeté Israël. Paul montrera que les promesses demeurent aussi pour Israël et qu’elles se réalisent en Christ. Elles sont étendues aux Juifs premièrement, puis aux Grecs (Romains.1.16-17).
Mais dès lors, la promesse vise les Juifs qui ont placé leur foi en Jésus. Ils forment, avec l’Église, le véritable Israël: «(…) non pas tous ceux d’Israël, ceux-là sont Israël. Autrement dit, tous les Israélites selon la descendance naturelle, selon la race, qui peuvent à bon droit évoquer les pères, ne sont pas pour autant l’Israël visé par les promesses ». [3]
Le salut n’est donc garanti par l’appartenance à une nation ethnique. Toutefois, est-ce aller trop loin de dire que ce peuple a une place de choix sur le cœur de Dieu ?
Aujourd’hui, les statistiques montrent que de très nombreux Juifs se convertissent tous les jours. Un église messianique s’ouvre toutes les deux semaines dans le monde.
5. Juifs et Païens
L’attention de Paul se fixe sur un avenir riche de deux «plénitudes », celle de Païens gagnés au Christ et celle du salut d’Israélites (9.25-32), peut-être en grand nombre, avec comme point culminant l’union de ces deux plénitudes (v32), les deux, objet de la miséricorde de Dieu : «Les chrétiens d’origine païenne se découvrent élus comme le peuple de l’ancienne alliance, aimés depuis toujours, et les chrétiens juifs apprennent qu’ils ne sont pas coupés d’une espérance ». [4]
6. Romains 9 et le thème de l’élection
Après avoir évoqué avec tristesse l’endurcissement de son peuple, Paul cherche à montrer que les promesses de Dieu n’ont pas été mises en échec (9.6-7). Ni pour Israël, ni pour les païens auxquelles elles s’étendent.
7. L’élection de Jacob (rejet d’Ésaü 9.10-13)
Rébecca enfanta Jacob et Ésaü (Romains. 9.10). Ésaü est né d’abord, puis Jacob. (Genèse 25:19-34). Par la suite, le plus jeune hérite du droit d’aînesse, un arrangement inhabituel à cette époque. Le choix de Dieu se porte sur Jacob. Dieu ne tint pas compte du droit d’aînesse d’Ésaü. Il s’agit d’un renversement de valeur.
J’ai aimé Jacob, mais j’ai haï Ésaü.
Le verbe haïr, sortant de la bouche de Dieu, peut paraître choquant. Mais il ne doit pas être pris au sens fort: « Dans la culture sémitique on aime les oppositions nettes, du genre aimer/haïr, même lorsqu’il s’agit de degrés dans l’amour (…) aimer, haïr sont, dans la pensée de Paul, pratiquement synonymes de choisir ou laisser de côté ». [5]
Haïr, ce peut donc être simplement aimer moins ou laisser. J’ai aimé Jacob , mais j’ai laissé Ésaü.
Pourquoi ce choix ? Cela a-t-il quelque chose à voir avec le comportement des deux garçons ? Non, car le texte rappelle que : « les jumeaux n’étaient pas encore nés, et n’avaient rien fait de bon ou mauvais (9.11) ».
Si c’était le cas, cela voudrait dire que le choix de Dieu d’aimer ou de rejeter serait fondé sur quelque chose de bien ou de mal dans la vie des deux garçons ou que leurs œuvres sont bonnes ou mauvaises. Cela paraîtrait arbitraire et injuste. Il fallait donc : « Que les œuvres ne soient pas prise en compte, cette vérité éclate ici, puisque le choix est préalable, avant la naissance et la possibilité d’agir en bien ou en mal ». [6]
Dieu n’a pas regardé l’avenir des deux garçons, constaté leurs actions futures, bonnes et mauvaises, et fait son choix en conséquence, se montrant favorable à l’un et défavorable à l’autre. Son choix a été fait avant la naissance des deux garçons.
Le choix de Dieu est donc pleinement souverain. Dieu fait ce qu’Il veut. Il peut choisir qui Il veut et Il peut haïr, ou laisser, qui Il veut. Dieu ne fonde pas son amour sur le bien ou le mal, futur, d’une personne. Cela le rendrait alors injuste (9.14).
Dieu ne regarde pas, à l’avance, la vie d’une personne, ce qu’elle va décider, pour ensuite lui montrer sa miséricorde, son amour, son salut. Sinon sa liberté ne serait plus totale. Dès lors interviendrait la notion de mérite. Dieu aurait face à l’homme les mains liées.
Paul veut démontrer que tout homme, Juif ou Païen est totalement dénué de mérite. Le salut ne dépend que de la miséricorde de Dieu et cette miséricorde ne s’exerce qu’avec justice, celle du sacrifice de Jésus à la croix. Sa grâce repose uniquement sur sa volonté et non sur la nôtre, qui est une volonté rebelle, ni sur notre course aux bonnes œuvres.
Par nature, nous sommes tous des enfants de colère (Éphésiens 2:3), ne cherchant pas Dieu (Romains 3:10-11), esclaves du péché (Romains. 6:16).
8. Dieu endurcit qui Il veut (exemple de Pharaon, 9.17-18)
Ce texte semble arbitraire et difficile à comprendre. Il pourrait suggérer un choix fantaisiste et capricieux de Dieu. Mais il convient de le mettre dans le contexte de Pharaon, où son endurcissement en Exode 7 :3 a pour conséquence de rendre définitive la rupture entre l’oppression égyptienne et la nouvelle étape pour Israël. Et même dans ce contexte, dans sa colère, Dieu se révèle avec une infinie patience en accordant un délai (les 10 plaies) alors qu’une seule intervention, sévère, aurait suffit.
Il n’y a donc rien d’injuste. Dieu n’est pas responsable du péché de Pharaon.
L’endurcissement de Pharaon est l’état naturel d’endurcissement dans lequel se trouvent tous les êtres humains.
Tous les hommes ont péché et sont privés de la gloire de Dieu (Romains 3.23).
Dieu aurait pu ne sauver personne ! L’homme naturel ne comprend rien aux choses de Dieu (1 Corinthiens. 2.14).
Aussi, le choix divin d’endurcir ou de sauver n’est pas basé sur une qualité ou un défaut de l’homme. Tout est grâce. Ce choix n’est pas arbitraire mais souverain. Si Dieu endurcit ou sauve, serait-Il injuste dans son plan de salut ? Paul répond que non !
La raison du non-choix de Dieu pour certains n’est pas révélée. Elle est en Dieu.
Et pour revenir à Pharaon, rien ne l’empêchait, au fil des 10 plaies, de se repentir et de se tourner vers Dieu.
9. Barth, Romains 9 et le salut universel
Pour Barth, Romains 9 concernerait avant tout le refus de l’Évangile de la part d’Israël, et non pas d’abord le salut individuel. Les deux peuples, Juifs et païens, sont condamnés. Mais Dieu, dans sa miséricorde adresse un double appel, aux Juifs et aux païens.
L’histoire du peuple d’Israël serait à mettre sur le même pied que les nations qui se détournent de Dieu. Dieu s’intéresse aux nations, et Il réintègre Israël d’abord timidement (Romains 11.11-15), puis clairement (Romains 11.26, Tout Israël sera sauvé). Ainsi, la miséricorde de Dieu s’étend donc sur les deux peuples. Juifs et païens qu’Il réintègre totalement dans son plan de salut.
La clef de voûte de son interprétation se trouve dans Romains 11.32 : Car Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance pour faire miséricorde à tous.
Aussi, pour Karl Barth, Paul ne traite pas de l’élection, mais de la conversion des païens :
« Ainsi donc la question traitée directement par Paul n’est pas du tout celle de la prédestination et de la réprobation, mais uniquement de l’appel des gentils à la grâce de Dieu ». [7]
Commentant les passages sur le rejet par Dieu d’Ismaël, Ésaü et Pharaon, pour Barth, ces textes n’indiquent pas leur réprobation définitive. Ces personnes demeurent malgré tout concernées par l’élection, bénies de Dieu et protégées par lui: « Nous sommes toutes et tous objets de la colère de Dieu dans le temps, et de sa miséricorde dans l’éternité ». [8]
Pour Barth, c’est même là que se trouve toute la grandeur de Dieu : « De même, Dieu n’élit pas en conséquence de sa toute-puissance, mais il se montre puissant en ce qu’il élit l’humanité en sa miséricorde ». [9]
La faiblesse de la théorie
La faiblesse principale de cette interprétation tient dans le fait que le texte fait mention de peuples, certes, mais surtout d’individus précis (Ésaü, Jacob, Pharaon, etc). Des individus sont en cause en fonction d’un projet. Il est donc excessif de prétendre que le texte ne concerne pas l’élection individuelle.
Une autre lacune est que cette théorie ne rend pas compte de la gravité de l’état de péché et du refus de l’homme, sur l’exercice d’une sainte colère de Dieu qui juge et surtout sur l’œuvre du Christ comme l’unique médiateur.
Samuel Bénétreau relève que ce que Dieu fait, Il le fait dans un but précis, pour des personnes choisies : « Il y a une insistance sur le vouloir de Dieu, sur ses interventions décisives au service d’un objectif et sur sa capacité à prévoir et à préparer en vue de la réalisation de ses desseins (…) La délimitation d’un but pour les personnes choisies » .[10]
Dans le cadre du salut universel, on ne distingue plus ni le projet de Dieu sur des individus, ni la gravité du péché, ni l’excellence du sacrifice.
10. Calvin, Romains 9 et la double prédestination
Calvin définit la prédestination, dans son institution chrétienne, au volume 3 chapitre. 21.5 :
« Nous appelons prédestination le conseil éternel de Dieu par lequel il a déterminé ce qu’il voulait faire de chaque homme. Car il ne les crée pas tous en pareille condition mais il ordonne (ranger) les uns à la vie éternelle, les autres à l’éternelle damnation. Ainsi, selon la fin pour laquelle est créé l’homme, nous disons qu’il est prédestiné à la mort ou à la vie ».
Les versets clés utilisés par Calvin sont principalement Romains 9.10-13. Commentant ce passage, Calvin dit que, les choses deviennent sérieuses, car : « Car devant que les enfants fussent nés (…) et en vient à montrer la raison de cette diversité, déclarant qu’elle ne consiste qu’en la seule élection de Dieu (…) toutefois la grâce de Dieu ne montre pas son efficace en tous, et ainsi sont les enfants de la promesse ». [11]
Pour Calvin, l’illustration du récit de Paul des enfants d’Isaac, les jumeaux Jacob et Ésaü en rivalité dès le sein maternel, parle clairement de la prédestination. Dieu choisit l’un et réprouve l’autre. De cet exemple Calvin tire trois propositions :
1) Dieu choisit,
2) par pure bonté — et donc aucun mérite de la part de l’homme,
3) et souverainement.
Pour Calvin, il s’agit surtout de réfuter toute collaboration de l’homme à la grâce de Dieu: « Par cet oracle, Dieu a déclaré qu’il n’est le débiteur d’aucun homme, et que tout le bien qu’il leur fait procède d’une bienfaisance et libéralité gratuite ». [12]
Ainsi, selon Calvin l’homme ne peut que s’incliner devant le choix souverain de Dieu qui prédestine certains au salut et pas d’autres.
Que notre élection ne doit être attribuée ni à notre industrie, ni à notre pouvoir ou à aucun effort qui procède de nous , mais doit être toute rapportée au conseil de Dieu, afin que personne ne pense que ceux qui sont élus soient élus parce qu’ils l’auraient mérité, ou auraient par quelque moyen acquis la faveur de Dieu envers eux, ou pour faire court, qu’il y ait en eux une seule goutte de dignité ou de mérite qui incite Dieu à le faire. [13]
La double prédestination chez Calvin.
Calvin établit une sorte de symétrique à partir du texte. Si certains sont prédestinés à la vie éternelle, d’autres, selon la logique de Calvin, sont par conséquent prédestinés à la perdition.
J’ai choisi, j’ai haï, etc… Mais l’Écriture n’établit pas une symétrie aussi systématique. Dieu élit selon son choix et donne les moyens pour le salut à ces personnes. On peut en conclure que Romains 9 traite bel et bien de la prédestination individuelle, mais pas de la réprobation.
Pour approcher le cœur de la position calviniste, il est intéressant de l’aborder par la confession de foi de Westminster (1646) dont voici un très court extrait :
« De toute éternité et selon le très sage et saint conseil de sa propre volonté, Dieu a librement et immuablement ordonné tout ce qui arrive (Éphésiens. 1.11 ; Romains. 11.33 ; Hébreux. 6.17 ; Romains 9.15,18) ; de telle manière cependant, que Dieu n’est pas l’auteur du péché (Jacques. 1.13,17 ; 1 Jean 1.5), qu’il ne fait pas violence à la volonté des créatures, et que leur liberté ou la contingence des causes secondes sont bien plutôt établies qu’exclues (Actes. 2.23 ; Matthieu 17.12 ; Actes. 4.27 ,28 ; Jean.19.11 ; Proverbes 16.33) »
Cet article affirme qu’il y a un dessein éternel de Dieu. Dieu a librement et immuablement (sans changement possible) décidé tout ce qui arrive.
11. Paul, Romains 9 et l’élection
Paul constate que l’élection est la première, voir la plus grande de toutes les bénédictions de Dieu. Un reste sera sauvé (9.27) suggère pleinement la continuité et le triomphe de la vie. L’avenir est clairement ouvert, pour les deux peuples.
Paul rappelle le dessein que Dieu a formé, dès avant la création du monde, de créer un peuple composé d’hommes et de femmes pris d’entre les nations : Les croyants ne font pas partie de l’Église, du peuple de Dieu, grâce à leur choix ou à des événements aléatoires, imprévisibles, mais parce que, dans le mystère de son amour éternel, Dieu s’est attaché à eux. [14]
Le dessein de salut ne relève pas de l’homme, de ses performances ou de ce qu’il réalise, mais de Dieu seul. C’est une extraordinaire nouvelle tant pour Israël que pour les Païens, les deux peuples, si souvent rebelles et lamentables, que Dieu ait établi son alliance non sur les performances humaines, mais en fonction de sa grâce uniquement.
Paul n’a aucune peine à trouver dans les Écritures des passages pour fonder sa démonstration. Il ne s’agit pas pour Paul, que Dieu ait pré-connu, de façon vague et abstraite, ce que certains hommes allaient faire, pour les sauver ensuite, même si Dieu a la capacité de pouvoir annoncer longtemps à l’avance ce qui va arriver. Sa pensée va plus loin. Dieu décide lui-même de la nature des choses. Avant même de fonder le monde, Dieu s’est attaché à des gens au point de les sauver totalement.
L’élection reste un mystère et personne ne peut percer le secret des choix de Dieu. L’élection est libre, non conditionnée par les œuvres. Au fond, les seuls indices donnés ont trait à l’amour (Deutéronome. 4.37; Romains. 11.28).
Et rien ne sert de juger Dieu quant à son choix. C’est même impensable pour Paul. Dieu garde sa liberté souveraine. Ce qui «rend sans objet toute considération humaine sur sa justice et son impartialité ».[15]
Bien entendu, cela n’enlève en rien la responsabilité humaine.
Jamais, les interventions divines, qu’elles soient extérieures pour créer des conditions ou intérieures à l’homme pour l’orienter, ne suppriment sa responsabilité, ce qui suppose que son vouloir est aussi engagé (…). Pour l’homme, si la prédestination est clairement énoncée, il reste un choix à faire entre le mal et le bien. [16]
- Élire, c’est faire un choix.
- Prédestiner, c’est assigner une décision ! Prédestinés et pré-ordonnés.
12. La critique arminienne
J’aborde très brièvement cette critique, car ce n’est pas vraiment le but de ce travail.
Au centre de la position arminienne, on trouve trois grandes idées :
- La distinction voire le fractionnement opéré entre différents types d’élection.
- Le rôle attribué à la prescience (pré-connaissance) divine qui implique une élection conditionnelle. Dieu a pré-connu.
- Le rôle attribué au libre-arbitre de l’homme.
On trouve ensuite une série de critiques dont voici les plus courantes :
- Dieu choisit certains hommes pour le salut et pas d’autres.
- Dieu a décidé de punir les réprouvés pour leurs péchés.
- Dieu est injuste. L’homme n’est plus libre.
- L’élection est décourageante et conduit au désespoir.
- À quoi bon faire de l’évangélisation ?
- L’offre de salut est-elle sincère de la part de Dieu ?
- La conception calviniste est fataliste.
Pour les Arminiens, la prédestination est simplement la détermination ou le décret de Dieu de sauver par le Christ tous ceux qui répondront librement à l’offre de grâce de Dieu en se repentant de leurs péchés et en croyant en Christ. Cela inclut la pré-connaissance de Dieu mais cela n’inclut pas une sélection de certains au salut.
L’idée cardinale est la prescience que Dieu a de la réponse que l’homme va faire.
La prescience de Dieu n’exerce aucune prédestination.
Dieu sait quels sont ceux qui vont répondre à l’offre de salut en Jésus-Christ. C’est en fonction de cette pré-connaissance que Dieu prédestine au salut, choisit pour le salut.
Le choix de X ou Y de dire oui ou non à Dieu n’est pas prédestiné par Dieu.
Les Arminiens contestent la prédestination inconditionnelle. Pour eux, la prédestination est conditionnelle à la foi.
Dieu accorde à l’homme une grâce qui restaure le libre-arbitre pour que l’homme puisse répondre oui ou non à Dieu. Les Arminiens s’appuient essentiellement sur les textes bibliques qui mettent l’accent sur la liberté de l’homme (ex. crois au Seigneur Jésus et tu seras sauvé ; dans le Deutéronome. : choisis la vie, etc…). Pour eux, ces textes impliquent qu’il n’y a pas de prédétermination divine.
Mais comment les Arminiens interprètent-ils les textes « calviniens » ?
Romains 9 et Éphésiens 1 ne concernent pas l’élection d’individus au salut, pour les Arminiens, mais parlent du destin de collectivités, de nations. Pourtant, notre analyse a montré très clairement que les textes parlent bien d’individus précis.
13. Conclusion
Calvinistes et Arminiens n’ont pas la même notion de la souveraineté de Dieu. Calvinistes et Arminiens croient à la souveraineté de Dieu, mais les Arminiens diront que Dieu s’auto-limite pour laisser l’homme libre de choisir.
Il faut réfléchir à la notion de liberté: un Calviniste refuse de poser sa propre liberté « en face » de Dieu, comme une zone dans laquelle Dieu ne peut pas entrer. Pour un Calviniste, c’est une définition athée de la liberté. Même les anges n’ont pas cette liberté.
Finalement, certains pourraient dire qu’il ne s’agit là que de petits détails, sans conséquences et que les deux positions se valent.
Pourtant, de petits détails peuvent avoir de grandes conséquences !
Si Dieu ne prédétermine pas tout, alors, il y a des choses qui échapperaient à Dieu !
Notes de pied de page
Lectures complémentaires
- Samuel BENETREAU,l’Épître de Paul aux Romains, tome 2, Edifac, Vaux-sur-Seine, 1998,
- Jean CALVIN, commentaire sur le Nouveau-Testament, Tome 4ème, études aux Romains, 1539, publié par Labor et Fides, Genève, 1960
- Karl BARTH, L’Épître aux Romains, Labor et Fides, Genève, 1972
- Marie-Joseph LAGRANGE, « Épître aux Romains » Paris, Gabalda, 1931
- Karl BARTH, Traité de dogmatique, traduction par F. Ryser, Labor et Fides, Genève,1958
- Frédéric GODET, commentaire sur l’Épître aux Romains, Labor et Fides, Genève, 1968
- Paul WELLS, prédestination et élection, la revue réformée, no 259, Aix-en-Provence, juillet 2011
- Donald COBB, l’élection divine: quand et comment l’apôtre Paul en parle-t-il?, la revue réformée, no 248, Aix-en-Provence, novembre 2008
- Paul WELLS, l’élection divine: les enjeux, la revue réformée,, no 248, Aix-en-Provence, novembre 2008
- Claire-Lise DE BENOIT, l’épître aux Romains, ligue pour la lecture de la Bible, Lausanne, 1982