Dans Apocalypse 17, la vision de la grande prostituée est décrite dans un langage tellement coloré qu’elle a confondu plus d’un commentateur. Le fil conducteur est assez clair, et même les points les plus controversés ne sont pas complètement obscurs. Arrêtons-nous à trois sujets.
1° N’importe quel lecteur du Ier siècle n’aurait eu aucune peine à identifier cette prostituée. La référence aux sept collines sur lesquelles la femme est assise (v. 9) et surtout la déclaration explicite que cette femme est « la grande ville qui a la royauté sur les rois de la terre » (v. 18) ne laissaient planer aucun doute : cette ville n’était autre que Rome.
2° Il est vrai qu’elle est décrite en termes quelque peu obscurs : « Sur son front était écrit un nom, un mystère : Babylone la grande, la mère des prostituées et des abominations de la terre » (v. 5). À cette époque, la ville de Babylone n’était plus qu’une ruine, une ville considérablement réduite en taille et sans aucune influence. Mais dans l’Ancien Testament, Babylone symbolisait tout ce qui était païen, puissant, arrogant, autosuffisant et vil. Elle avait déporté les habitants de Jérusalem et de Juda (bien que le peuple de Dieu méritât ce jugement). Le nom de cette grande ville païenne d’autrefois est désormais appliqué à Rome, le nouveau centre géopolitique. Le mot « prostituée » ne s’applique pas en premier lieu aux prostitutions humaines habituelles, sur le plan sexuel, mais à la prostitution spirituelle (autre image empruntée à l’Ancien Testament). L’expression « mère de tout X » est une façon sémitique de dire : « l’archétype de tout X ». À ce moment-là, Rome était certainement la mère de toute prostitution spirituelle, la source de toutes les abominations de la terre. Ces titres lui étaient attribués non seulement à cause de son paganisme, de sa corruption politique, des violences et de la perversion commises dans la ville, de l’extraordinaire richesse des uns contrastant avec l’horrible pauvreté des autres, mais également parce qu’elle était le centre dans lequel un être humain, le César régnant, avait son effigie représentée sur les pièces de monnaie avec cette inscription : « Notre Seigneur et Dieu » ; c’était depuis Rome que la volonté politique se focalisait de plus en plus contre le peuple de Dieu.
3° L’auteur indique que les sept têtes de la prostituée ont deux sens. D’une part, elles désignent les sept collines de Rome ; d’autre part, elles s’appliquent à sept rois, dont cinq sont déjà tombés, « l’un existe, l’autre n’est pas encore venu » (v. 10). Il est difficile de faire correspondre cette liste avec les empereurs romains connus du Ier siècle. On a proposé plusieurs suites de noms, mais j’ignore quelle est la bonne. La bête sur laquelle la femme est assise correspond certainement à celle qui, au chapitre 13, monte de la mer, cette bête qui a reçu une blessure mortelle mais qui s’en est remise. Cette bête est « elle-même un huitième roi » (v. 11). Beaucoup en ont déduit (à juste titre me semble-t-il) qu’il s’agit là d’une manifestation du mal qui dépasse le cadre de l’Empire romain.