- Quels grands événements ont précédé la venue de Jésus ?
- Jésus est-il né en l’an 0 ?
- Est-ce que l’on peut dire que l’an 0 n’existe pas ?
- À quoi ressemblait le judaïsme au temps de Jésus ?
- En quoi l’histoire peut-elle informer notre lecture biblique ?
Transcription
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Bonjour, pouvez-vous vous présenter ?
Bonjour, je m’appelle Michael Girardin, je suis historien, maître de conférences à l’université du littoral Côte d’Opale, à Boulogne-sur-Mer.
Je travaille sur le monde juif au tournant de notre ère, à l’époque de Jésus, pour le dire rapidement.
Quels grands événements ont précédé la venue de Jésus ?
Les grands événements politiques qui ont précédé la venue de Jésus. Vaste question.
Les grands événements politiques qui ont précédé la venue de Jésus.
Je dirais que tout doit commencer, si on veut comprendre cette époque, avec la révolte des Macchabées.
On est en 168 avant Jésus-Christ, donc ça remonte un petit peu, mais à cette époque-là, la Judée est aux mains d’un pouvoir grec et une famille se soulève, la famille des Macchabées, et fonde une dynastie, la dynastie des Asmonéens, des rois, qui sont à la fois rois, traîtres et même prophètes, et qui changent fondamentalement la Judée et même l’identité du judaïsme.
À cette époque-là, beaucoup n’acceptent pas forcément leurs réformes, leurs changements, et c’est la naissance de différentes écoles que l’on voit dans le Nouveau Testament, les Sadducéens, les Pharisiens, et aussi les Esséniens, les auteurs des manuscrits de la Mer Morte.
Cette dynastie finit par tomber un siècle plus tard sous le protectorat romain, alors que la puissance romaine, comme une sorte de rouleau compresseur, s’étend sur tout le bassin méditerranéen.
Les Juifs sont un peuple parmi tant d’autres qui tombe sous leur puissance.
Et en 40 avant Jésus-Christ, les Romains décident de remplacer le dernier des rois grands traîtres asmonéens par Hérode.
Hérode n’est pas véritablement un Juif, c’est un Idumaien, donc pour le dire vite, on va dire qu’il est issu d’une tribu arabe du Levant Sud, et il était le fils du Premier ministre du dernier roi.
Du fait de ses compétences exceptionnelles, les Romains décident de le nommer comme roi dans une période compliquée au Proche-Orient, et Hérode fonde une nouvelle dynastie, la dynastie des Hérodiens, qui se maintient jusque dans les années 90 après Jésus-Christ.
Jésus est-il né en l’an 0 ?
C’est du temps du roi Hérode, selon l’évangile de Matthieu, que Jésus est né.
En 4 avant Jésus-Christ, d’un point de vue strictement historique, Hérode vient à mourir, et un parti juif, le parti des prêtres, demande alors à l’empereur romain Auguste d’annexer la Judée, parce que beaucoup pensent que le droit romain sera préférable à l’arbitraire d’un roi, tout juif puisse-t-il être, et ils demandent que Rome investisse dans la région.
L’empereur romain refuse, puisque la Judée est trop particulière, elle est un peu trop portée à la rébellion, elle est instable, l’empire ne voit pas d’intérêt, et c’est le fils d’Hérode, Arkelaos, que l’on voit en Matthieu 2, qui reçoit alors le royaume de son père.
Mais en 6 après Jésus-Christ, 10 ans plus tard, après un énième bain de sang, les prêtres demandent de nouveau la provincialisation, et Auguste, malgré lui, si l’on peut dire, accepte que la Judée devienne province romaine.
Donc quand Jésus exerce son ministère, il l’exerce en partie dans la province romaine, mais la Galilée, la région de son origine est encore indépendante pour une quarantaine d’années.
Est-ce que l’on peut dire que l’an 0 n’existe pas ?
Alors c’est vrai que c’est ce qu’on dit souvent, l’an 0 n’existe pas, c’est l’an 1 qu’il faudrait dire théoriquement, et en l’occurrence, non, Jésus n’est pas né en l’an 1, les Évangiles ne disent pas cela, ni Luc ni Matthieu, en fait c’est une erreur de calcul, c’est au Moyen-Âge un moine, Denis le Petit, qui a essayé de calculer les années pour créer un nouveau calendrier, et il s’est trompé, tout simplement.
Si l’on prend ce que nous disent les Évangiles, Jésus est né au temps du roi Hérode, sans doute deux ans avant la mort qui a eu lieu en 4 avant notre ère, donc sans doute que Jésus serait né vers 6 avant Jésus-Christ.
À quoi ressemblait le judaïsme au temps de Jésus ?
Ce qui frappe dans le judaïsme au temps de Jésus, c’est vraiment la diversité avant toute chose, parce qu’on a l’impression que le judaïsme c’est une religion, à l’époque non, le judaïsme c’est un peuple avant toute chose, il n’y a pas de dogme, il n’y a pas une orthodoxie et des hérétiques, non, il y a la Bible, il y a les cinq premiers livres de la Bible que l’on appelle la Torah, et il y a ensuite des interprétations.
Il y a plusieurs traditions d’interprétation de la Torah qui font que le judaïsme de cette époque est une réalité très éclatée.
Plein d’écoles, les pharisiens, les sadducéens, les sikhers, les zélotes, les esséniens, mais aussi ce qu’on appelle la diaspora, les juifs en exil, ont chacune leur interprétation de la Torah.
Ces parties sont plus ou moins rigoristes, je vais prendre deux exemples.
Si on compare les pharisiens avec les sadducéens, les pharisiens ont une tradition, ils pensent que Moïse, au Sinaï, a reçu non seulement la Torah, donc la Bible, mais en plus la Torah orale, ce qui plus tard est devenu le Talmud.
Et ils interprètent la Bible à l’aune de leur tradition orale.
Les sadducéens, de leur côté, passent leur temps à leur dire « Montrez-nous dans la Bible où se trouve ce dont vous parlez.
Toutes ces innovations que vous apportez, justifiez-les par la Bible.
Donc on peut dire que les pharisiens sont des innovateurs, et les sadducéens beaucoup plus rigoristes, beaucoup plus attachés au texte de la loi.
Les esséniens, de leur côté, sont encore plus rigoristes.
On a trouvé dans les manuscrits de la Mer Morte à Qumran, une interdiction, un jour de sabbat, de violer l’interdiction de travailler, même pour sauver son propre fils s’il était tombé dans une fosse.
On ne peut pas sauver son propre fils s’il est en danger, parce que ce serait violer l’interdit du sabbat.
Et j’oppose cela dans les Évangiles, à Jésus qui parle aux pharisiens, leur disant « Lequel d’entre vous n’irait pas sauver son âne ou son bœuf, un jour de sabbat, s’il tombait dans une fosse ?
Les esséniens estiment que la vie prime sur les commandements, que Dieu ne peut demander au peuple de mourir pour obéir, alors que les esséniens considèrent au contraire que le commandement prime sur la vie, que la première chose à faire c’est d’obéir à Dieu.
Donc il y a plein d’interprétations, et cela change drastiquement la manière de vivre le judaïsme.
Parmi ces écoles, certaines sont plus ou moins hellénisées, c’est-à-dire adoptent plus ou moins la culture dominante, la culture grecque.
Je prends l’exemple des synagogues, de ces assemblées de prières dispersées dans le monde gréco-romain.
On a trouvé dans des synagogues, par exemple, Moïse peint, représenté en toge, on a représenté également Dieu, au mépris des commandements.
Dans une catacombe à Rome, au plafond de la salle de prière, on a représenté la divinité grecque Orphée, en unité héroïque, qui couronne la catacombe, dans une salle de prière.
Donc il y a des judaïsmes qui ne sont pas gênés par les images, y compris les images païennes, qui s’adaptent très bien dans leur monde.
C’est une réalité très éclatée, très diverse.
Ce judaïsme au temps de Jésus, c’est l’histoire d’un peuple qui a perdu son indépendance depuis très longtemps, et qui s’attend à Dieu.
C’est une époque où de nombreux prophètes se lèvent pour inviter à l’insurrection.
De nombreux messies se révèlent et annoncent la libération prochaine.
Il suffit de prendre les armes et Dieu va nous donner la victoire.
Et le développement d’un brigandage, qui est socio-économique, mais aussi lié à cette espérance que Dieu va se manifester prochainement.
En quoi l’histoire peut-elle informer notre lecture biblique ?
On vient de voir que le contexte de Jésus est un contexte extrêmement tendu.
Comprendre les réalités de ces divisions sociales, c’est aussi comprendre le caractère très explosif de certaines déclarations de Jésus, de certains de ses actes.
Comprendre le contexte permet de remettre de la valeur, on va dire, à certaines actions qui peuvent nous paraître anecdotiques dans notre monde.
Quand Jésus demande, par exemple avec le denier de Tibère, « Rendez à César, ce qui est à César », il demande qui est représenté en effigie.
Rien que cela, pour certaines écoles du judaïsme, c’est un scandale, puisqu’on n’a pas le droit de regarder les images d’êtres vivants.
C’est le deuxième des dix commandements.
Donc il y a dans certaines actions, dans certaines paroles de Jésus, quelque chose de très explosif qu’il faut pouvoir comprendre pour comprendre pourquoi ça dérange ses auditeurs.
Pourquoi est-ce que certains disent qu’ils méritent la mort, alors qu’on ne comprend pas aujourd’hui ?
Je pense que l’étude historique n’est pas indispensable pour comprendre la Bible.
Je pense qu’il y a des chrétiens sincères, il y a eu pendant des millénaires des chrétiens sincères qui n’avaient pas le minimum de culture historique pour comprendre tout cela, mais je pense que l’histoire peut permettre d’affiner la compréhension, d’aller un peu plus loin pour mieux comprendre la nature réelle des déclarations évangéliques.
Prenons l’exemple des collecteurs d’impôts.
On les représente souvent comme des collabos qui travaillent pour l’occupant romain.
Il y a un substrat, disons, une seconde guerre mondiale dans notre vision de ces personnages.
On les voit aussi comme des impies qui sont cupides et qui visent l’argent au mépris de tout autre chose.
Ils trahissent les commandements divins.
Eh bien, la connaissance historique révèle qu’ils ne travaillaient pas pour les Romains, mais pour le sanhédrin.
Vous savez, ces sanhédrites, ces gens qui disent « Ah, les collecteurs d’impôts sont des pécheurs », ce sont leurs employeurs.
Donc, comprendre la réalité du métier de ces individus permet de mieux comprendre leur position sociale, de mieux comprendre aussi l’action de Jésus à leur encontre.
Ces gens ne sont pas particulièrement cupides, ils font un métier difficile qui peut être extrêmement ruineux et ils travaillent pour les autorités juives.
Donc, il faut, disons, un peu plus de prudence, peut-être, un peu plus d’humilité quand on veut essayer d’interpréter des rencontres.
Il y a de l’humain en face de Jésus.
Ou bien, si on pense à Pilate, Pilate que l’on voit aujourd’hui comme un lâche, comme un juge inique qui n’a que faire de la justice, qui s’occupe de sa propre position sociale.
Si on remet de l’humain au cœur du procès de Jésus, si l’on essaie de comprendre qui était Pilate, quels étaient les défis qui reposaient sur ses épaules, et bien en fait, c’est assez intimidant.
Il faut être honnête, je n’aurais pas aimé être à la place de Pilate.
Et il faut éviter, je pense, ces interprétations simplistes.
D’un côté le bien, Jésus, moi.
De l’autre côté, le mal, lui, eux, les autres.
On a tendance à se placer du bon côté, alors que le récit évangélique, que l’on y croit ou pas, c’est une autre question, met en scène un dieu d’amour qui s’est incarné pour sauver tous les hommes.
Tous les hommes qui étaient les pécheurs.
Et le récit évangélique, c’est que tout homme est Pilate en réalité.
Donc je pense que l’histoire n’est pas fondamentale, mais je crois qu’elle peut permettre de mieux comprendre, peut-être, de mieux s’approprier, de lire avec un peu plus d’humilité, les textes évangéliques.
Matt Moury est diplômé de la Faculté Libre de Théologie Évangélique de Vaux-sur-Seine. Il a oeuvré pour une organisation étudiante missionnaire, Friends International, en Angleterre. Missionnaire soutenu par une Église anglicane évangélique, Christ Church Cambridge, il est pasteur de l’Église protestante baptiste d’Argenteuil.
Michael Girardin, historien, maître de conférence à l‘université du littoral Côte d’Opale, Boulogne-sur-Mer