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Définition

Le sujet de cet essai est la signification théologique de la mortalité de l’homme et la question d’une existence qui se poursuit au-delà de la tombe.

Résumé

Cette étude explore la signification de la mortalité de l’homme en tant que conséquence du péché et l’idée d’une existence temporaire, désincarnée, au-delà de la tombe. L’enseignement des deux Testaments sur ce sujet est examiné de façon à mettre en évidence et à assurer quel est le soutien biblique à la question d’une certaine forme d’ « état intermédiaire » pour ceux qui sont morts et qui sera expérimenté dans l’intervalle entre leur mort et leur résurrection.

On peut dire que c’est le dernier des tabous, ­un sujet normalement évité dans une conversation polie, à l’exception peut-être lors d’un service funèbre ou commémoratif. Mais même dans ce cas, il semble préférable de célébrer la vie du défunt plutôt que de se concentrer sur sa mort ou sur le lieu où il se trouve. Et chaque fois que l’on y fait allusion, la mort est généralement considérée comme une sorte de portail qui transfère les gens dans une extension céleste de l’ici et maintenant. Cependant, ces conceptions uniformément positives de la mort et de l’au-delà sont très éloignées de la représentation biblique, où ni la mort ni l’eschatologie personnelle ne sont nécessairement des sujets de consolation.

Bildad décrit de façon tout à fait juste la mort comme « le roi des terreurs » (Job 18:14), une perspective inquiétante qui remplit le cœur humain de crainte (Héb 2:15). Cela ne doit pas nous surprendre étant donné la relation que fait la Bible entre la mort et le péché de l’homme (Gen 2:17; Rom 6:23). Alors que notre crainte naturelle peut être due en partie à une perte personnelle irrémédiable ou à la peur de l’inconnu, c’est l’aspect judiciaire de la mort qui en fait une réalité si redoutable dans l’Écriture : la corrélation entre le péché, la mort et le jugement divin (cf. Héb 9, 27-28).

La mort comme une des conséquences du péché

Quelque enjeu que cela puisse représenter pour une vision scientifique du monde, la Bible déclare que pour Adam et sa descendance la mort fut le résultat du péché de l’homme. Tandis que la nature précise d’une telle mort a suscité des débats considérables, la Genèse implique à coup sûr que la mort physique en faisait partie (cf. Gen 2:17; 3:19). Cela est, par la suite, suggéré par le refrain récurrent en Genèse 5 (« et il mourut »), et confirmé par l’enseignement de Paul dans le Nouveau Testament (Rom 5:12, 14, 17 1Cor 15:22). En conséquence, la mort a bien été décrite comme la seule certitude de la vie : on meurt tous. Cependant, l’Écriture ne présente pas la mort comme la fin de notre existence ; au-delà de la mort, la Bible atteste de la réalité d’une sorte de vie après la mort, que ce soit dans un état désincarné ou réincarné.

Une existence humaine au-delà de la tombe

Traditionnellement, le concept biblique d’une vie après la mort, a été compris comme composé de deux phases principales : un « état intermédiaire », en situation de désincarnation, situé entre la mort physique et la résurrection corporelle, et un « état éternel » en situation de réincarnation associé avec une résurrection eschatologique et le jugement final. Plus récemment, le concept d’un état intermédiaire a été remis en question par ceux qui rejettent toute idée d’une âme humaine (principalement au motif que la distinction traditionnelle entre le corps et l’âme doit davantage au platonisme grec qu’à l’Écriture chrétienne canonique). Ainsi, toute idée d’une existence post-mortem non-corporelle intrinsèquement liée au concept d’un « état intermédiaire » est souvent rejetée au motif que l’anthropologie biblique est moniste plutôt que dualiste. En conséquence, le concept biblique de vie après la mort est compris comme une expérience strictement post-résurrectionnelle ­ cette dernière étant parfois perçue comme une « résurrection » instantanée lors de la mort, qui fait sortir les gens du temps lui-même. Les représentations bibliques de la vie après la mort sont donc interprétées exclusivement en termes d’état final ou éternel. On peut toutefois se demander si toutes les données bibliques pertinentes peuvent être comprises ainsi.

Une expérience post-mortem dans l’Ancien Testament

Certes, l’Ancien Testament ne dit pas grand-chose sur la vie après la mort, mais ce qu’il dit semble plutôt significatif. Les formulations utilisées en association avec la mort, telles que : « être réuni avec son peuple » ou « dormir/reposer avec ses ancêtres » le sont particulièrement. Au contraire de ce que certains suggèrent, aucune de ces expressions n’est un simple synonyme de l’ensevelissement dans une tombe familiale ou ancestrale (par exemple : Gen 25:8–10; 49:33 [cf. 50:13] ; Nom 20:24–29 ; 27:13 ; 31:2; Deut 32:50; cf. aussi 1Rois 2:10; 2Rois 16:20; 21:18). Il semble bien plus probable que ces deux formulations fassent allusion au royaume des morts (cf. Psa. 49:19). Le terme de l’Ancien Testament le plus fréquent pour le désigner est Shéol, souvent compris comme étant la destinée commune de tous les hommes (qu’ils soient méchants ou justes). Il est intéressant toutefois, de relever que le Shéol est associé de façon prédominante avec l’impie et ceux qui se considèrent comme étant sous le jugement divin. Si les habitants du Shéol sont généralement beaucoup moins actifs que leurs homologues du Proche-Orient ancien, il est clair qu’ils ont une existence permanente. C’est ce qui ressort des interdictions de nécromancie de l’Ancien Testament (par exemple, Deut 18,11 ; És 8,19) : de telles injonctions sont tout à fait inutiles si l’on ne considère pas que les morts ont une existence post-mortem. De plus, bien qu’elle soit manifestement illicite, la « séance » téméraire de Saül avec Samuel (1Sam 28) semble confirmer que c’est bien le cas : que les esprits des morts continuent d’exister, quoique sous une forme somnolente, après leur disparition terrestre. Bien que des allusions à cette existence post-mortem puissent également être discernées dans plusieurs autres textes de l’AT (par exemple, Job 26:5 ; Psa 73:24), la discussion est beaucoup plus explicite dans la période intertestamentaire, où diverses perspectives sont immédiatement apparentes.

Une expérience post-mortem dans le Nouveau Testament

Aux alentours du premier siècle deux écoles de pensée adverses avaient ainsi émergé, représentées respectivement par les Saducéens et les Pharisiens. Alors que les Saducéens rejetaient toute idée d’esprits/anges désincarnés ou celle de la résurrection des morts, les Pharisiens ­aussi bien que la population juive au sens large (cf. Matt 14:26; Luc 24:37–39; Jean 11:24; Actes 12:15) ­défendaient ces deux concepts (Actes 23:8–9). En conséquence, Jésus s’attaque aux deux aspects du scepticisme sadducéen en Luc 20 lorsqu’il défend non seulement l’idée d’une résurrection future, mais aussi celle d’un état intermédiaire (les patriarches décédés restant en quelque sorte « vivants pour Dieu »). Le fait que l’âme humaine puisse, dans un certain sens, exister sans le corps (ou en dehors de lui) est également attesté dans plusieurs autres textes du Nouveau Testament (par exemple, Mt 10,28 ; Luc 23,43 ; cf. 2Co 12,2-3). Cependant, le soutien textuel le plus fort à l’idée d’un état intermédiaire est peut-être à rechercher dans Luc 16 et dans deux passages pauliniens en particulier (Ph 1,20-24 et 2Cor 5,6-9).

En Luc 16 Jésus nous présente la peinture la plus imagée du Nouveau Testament d’une existence qui se poursuit au-delà de la mort. Bien que la leçon de la parabole ne soit pas premièrement anthropologique ou eschatologique, il est difficile de conclure que l’auditoire de Jésus n’était pas supposé en tirer des conclusions appropriées, spécialement étant donné la corrélation entre le scénario décrit par le Seigneur et certaines des croyances eschatologiques communément acceptées au premier siècle (cf. 1 Enoch 22; 2 Esdras 7). Ainsi, tandis qu’on doit être prudent pour ne pas trop appuyer sur tous les détails contenus dans cette parabole (par exemple, le fait que le riche et Lazare sont tous deux décrits corporellement, avec chacun un doigt et une langue, et qu’ils peuvent communiquer ensemble), Jésus semble donner une caution au moins tacite à l’idée d’un état d’existence post-mortem, mais antérieur à la résurrection. Après tout, les frères de l’homme riche sont manifestement encore en vie, et le scénario se situe donc apparemment avant la résurrection générale et le jugement final du dernier jour. En outre, bien que ce ne soit pas un argument concluant, Jésus parle expressément ici de l’homme riche qui se trouve dans l’Hadès (l’équivalent grec du Shéol) et non dans la géhenne ou l’étang de feu (cf. Ap 20,14). Ainsi, le scénario dépeint dans cette parabole semble correspondre dans une certaine mesure à l’idée d’un état intermédiaire pour les justes et les injustes. Cependant, c’est le seul texte biblique qui soutient l’idée d’un tel châtiment conscient intermédiaire pour l’incroyant (contrairement à certaines traductions anglaises et à ce que disent certains commentateurs, 2 Pi 2:4, 9 parle presque certainement d’anges ou de personnes rebelles qui sont détenus pour le jugement plutôt qu’actuellement sous un tel jugement en faisant donc l’expérience d’un tourment conscient). En tant que tel, il est sans doute erroné de construire une telle doctrine sur la base d’un passage aussi discutable.

Cependant, bien qu’il y ait peu ou pas de soutien biblique définitif pour affirmer un état intermédiaire conscient pour les méchants, il y a des évidences bien plus claires en ce qui concerne les justes. Paul, parlant de la question de rester en vie ou de mourir (Phil 1:20–24 et 2Cor 5:6–9), fait une ferme distinction entre le fait d’être « dans le corps » ou « dans la chair » et celui d’être « loin du corps » ou « avec Christ ». Cette dernière expérience semble être considérée comme non-corporelle (« nu »), plutôt que de se trouver dans la « demeure céleste » ou le « corps spirituel » eschatologique sur lequel Paul fait une anticipation ailleurs (cf 1Cor 15:44). Dans le même ordre d’idées, Paul utilise ailleurs la métaphore du « sommeil » pour décrire les justes morts (1Cor 11:30 ; 15:6, 18, 20, 51 ; 1Th 4:13-15 ; 5:10 ; cf. Jean 11:11 ; Actes 7:60 ; 13:36). Il ne s’agit pas d’un simple euphémisme pour désigner la mort, mais d’une affirmation ontologique sur l’existence des morts qui se poursuit. Cette affirmation est étayée par un certain nombre de références plus obliques à l’état intermédiaire faites ailleurs, telles que « les esprits des justes rendus parfaits » (Hé 12,23) qui attendent néanmoins la résurrection « pour une vie meilleure » (Hé 11,35), et la localisation céleste des « âmes de ceux qui ont été tués pour la parole de Dieu et pour le témoignage qu’ils ont rendu » (Ap 6,9-11 ; 20,4-5) avant la résurrection et le jugement final (Ap 20,11-15). Bien que la représentation de l’Apocalypse soit clairement figurative, elle dépeint sans aucun doute un état intermédiaire, par opposition à l’état éternel final, postérieur à la résurrection (cf. Ap 20, 4-6, 7-15).

Conclusion

De ce bref aperçu des preuves bibliques pertinentes, il ressort donc que la mort, en tant que jugement de Dieu sur le péché des hommes, doit être comprise comme un état spirituel contre nature qui se termine inévitablement par la dissolution de l’unité psychosomatique constitutive des êtres humains vivants. Il ne s’agit cependant pas d’une dissolution permanente, car la séparation du corps et de l’âme par la mort physique n’est que temporaire. Le corps et l’âme seront réunis lors de la résurrection, ce qui donnera lieu à la vie éternelle et à l’immortalité pour les uns, ou à la seconde mort et à la honte éternelle pour les autres. Ainsi comprise, pour certains au moins, la Bible offre la perspective de ce qu’un auteur a appelé de façon célèbre « la vie après ‘la vie après la mort’ » (N.T. Wright, The Resurrection of the Son of God. Christian Origins and the Question of God, Vol. 3 [Minneapolis : Fortress, 2003], 215).

Lectures complémentaires

En relation avec la théologie biblique

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Cet essai fait partie de la série « Concise Theology ». Tous les points de vue exprimés dans cet essai sont ceux de l’auteur. Cet essai est gratuitement disponible sous licence Creative Commons avec Attribution Partage dans les mêmes conditions (CC BY-SA 3.0 US), ce qui permet aux utilisateurs de le partager sur d’autres supports/formats et d’en adapter/traduire le contenu à condition que figurent un lien d’attribution, les indications de changements et que la même licence Creative Commons s’applique à ce contenu. Si vous souhaitez traduire notre contenu ou rejoindre notre communauté de traducteurs, n’hésitez pas à nous contacter.