Pulsions et besoins selon l’optique biblique

La question profonde et ultime de la motivation nest pas : « Quest-ce qui me motive? », mais plutôt : « Qui est maître de ce modèle de pensée, de sentiment et de comportement? » Selon la vision biblique, nous sommes des créatures religieuses inéluctablement liées à un dieu ou à un autre. À vrai dire, nous n’éprouvons pas de réels besoins. Nous avons plutôt des maîtres, des seigneurs, des dieux : nous-mêmes, les autres, les objets auxquels nous attachons de limportance, Satan. Limage dun cœur et dune société idolâtres illustre le fait que la motivation humaine comporte forcément une relation à Dieu : qui, hors du vrai Dieu, est mon dieu? Ci-dessous, deux exemples : lun cher au cœur des béhavioristes, et lautre au cœur des psychologues humanistes.

La faim en tant quidolâtrie

Quand « lenvie de manger » gouverne totalement ou partiellement ma vie, il sagit en réalité dun comportement religieux. Moi, « la chair », je suis devenue mon propre dieu, et la nourriture est devenue lobjet de ma volonté, de mes désirs et de mes craintes. La Bible observe le même ensemble de motifs que les sciences béhaviorales appellent les « pulsions primaires ». Bien sûr, un phénomène biologique est enclenché, de même quun phénomène psychologique et sociologique. Mais la conceptualisation de la Bible diffère radicalement. Je ne suis pas « dominé par la faim ». Je suis « dominé par la faim plutôt que dominé par Dieu ».

Notre relation à la nourriture présuppose le fait de manger avec gratitude ce que nous reconnaissons avoir reçu, et à le partager généreusement. Or, les désirs normaux tendent à devenir excessifs et à nous asservir : je me livre activement à lidolâtrie lorsque la sensation normale de la faim est à la source dun problème de comportement et dattitudes. Lemprise quexerce sur mon cœur une telle idole peut se manifester par divers péchés qui en sont les conséquences logiques : la gourmandise, lanxiété, lingratitude, les obsessions alimentaires, les « troubles de lalimentation », lirritabilité quand le repas nest pas servi à lheure, convoiter la plus grosse part de la tarte, se montrer avare, manger pour se sentir bien, et ainsi de suite. La racine du comportement problématique se situe dans le cœur et a un lien avec Dieu.

Les idoles du coeur et la foire aux vanités

Les idoles du coeur et la foire aux vanités

Éditions Impact. 84 pages.

Le monde est une « foire aux vanités » qui est composée de séductions et de dangers de toutes sortes, tel que l’exprime de façon remarquable John Bunyan. Une chose ou une autre personne que Jésus-Christ peut s’emparer de notre cœur et devenir l’objet de notre confiance, de nos préoccupations, de notre loyauté, de notre service, de notre crainte et de notre joie. Lorsque c’est le cas, la Bible nous enseigne qu’il s’agit d’une idole.

Les idoles de notre cœur sont à la fois générées de l’intérieur et inspirées par l’extérieur. C’est pourquoi la Bible aborde le problème de l’idolâtrie sous deux volets : le cœur et l’environnement social. Cet essai explique le lien étroit qui existe entre nos idoles personnelles et celles de notre milieu social. Il démontre de quelle manière les motifs d’un cœur désorienté ainsi que les divers systèmes socioculturels peuvent converger vers le péché, et il nous rappelle comment l’Évangile peut nous délivrer à la fois du péché personnel et de l’emprise de faux systèmes de valeurs par lesquels nous nous laissons instinctivement berner.

Éditions Impact. 84 pages.

Toutefois, les idoles qui peuplent notre relation à la nourriture sont tout aussi sociales quelles sont biologiques et psychologiques. Il est possible que mon père ait eu des attitudes similaires. Ma mère sest peut-être tournée vers la nourriture pour recevoir de lamour et calmer son anxiété. Ils ont sans doute traversé la Grande Crise et vécu de graves privations qui ont laissé leur marque et fait de la nourriture un sujet particulier danxiété. La nourriture a peut-être toujours constitué la drogue de prédilection de ma famille : le moyen par lequel sexpriment lamour, le bonheur, la colère et le pouvoir. Je suis sans doute bombardé de publicités alimentaires évocatrices. Les variantes et les permutations sont presque infinies dans cette problématique.

Notre appartenance à la société des filles et des fils déchus dAdam atteste que nous serons tous, dune manière ou dune autre, idolâtres de la nourriture. Ladhésion à la société de consommation nord-américaine confère une image typique à cette idolâtrie. Un système complexe de valeurs idolâtres peut être relié à lalimentation. Par exemple, nous convoitons normalement une grande variété de produits alimentaires. Les aliments jouent un rôle dans limage de la beauté et de la force que nous servons, dans notre désir de santé et notre peur de la mort. La nourriture sinscrit dans la position sociale : quantités et types de mets, modes de préparation et de consommation. Ainsi, lappartenance à une société éthiopienne affamée aurait typiquement influencé cette idolâtrie générique de manière différente. Lappartenance à la microsociété que représente ma famille donne un style encore plus particulier à lidolâtrie alimentaire. Par exemple, il est possible que la faim ait justifié lirritabilité dans notre système familial et que le fait de manger se soit avéré salutaire : la nourriture a délivré notre famille de la destruction par la faim. Toutefois, à tous les niveaux de participation sociale, mon individualité est préservée. Jappose mon propre sceau idiosyncrasique sur lidolâtrie alimentaire. Par exemple, je suis sans doute particulièrement asservi aux grignotines Fritos quand je suis tendu. En même temps, cette habitude minquiète, notamment parce que je sais que les colorants alimentaires rouges sont cancérigènes!

La sécurité en tant quidolâtrie

Dune part, les béhavioristes parlent de « pulsions » et ont tendance à « réduire » leur champ dintérêt aux similitudes les plus frappantes entre lhumain et lanimal. Dautre part, les humanistes et les existentialistes parlent de « besoins » et tendent à faire des objectifs sociaux et existentiels uniques à lhomme leur point de mire. Cependant, la même critique sapplique aux uns et aux autres. Quand un « besoin de sécurité » gouverne ma vie en tout ou en partie, il sagit en réalité dun comportement religieux. Je ne sers pas le Dieu véritable. Le dieu que je sers est celui du respect et de lapprobation des autres, quils soient générés par moi-même ou par lentourage.

Je suis idolâtre. Ce nest pas « un besoin de sécurité » qui me motive. Je suis dabord « dominé par une puissante soif de sécurité plutôt que par Dieu ». Autrement dit, « je crains lhomme » au lieu de craindre Dieu et de lui faire confiance, puisque le désir et la crainte constituent des points de vue complémentaires sur la motivation humaine.

Ainsi, les théories centrées sur les besoins de même que celles centrées sur les pulsions nincluent jamais la dimension : « plutôt que Dieu ». Cependant, cette dimension est toujours intégrée à la question de la motivation humaine. Ces théories ne parviennent pas à cerner le problème fondamental de lidolâtrie : les choses qui nous régissent la plupart du temps sont en réalité des désirs démesurés de la chair qui constituent carrément des solutions de rechange au fait de se soumettre aux désirs de lEsprit.

Bien sûr, nos désirs de sécurité sont à la fois dictés et spontanés. La « foire aux vanités » opère aussi efficacement dans ce domaine quelle le fait dans le cas de la faim. Des individus puissants et persuasifs nous séduisent et nous intimident pour susciter tour à tour notre confiance ou notre crainte. Les Écritures nous offrent lalternative libératrice de la connaissance du Seigneur. Elles nous reprochent davoir accordé notre confiance à tort et nous amènent à reconnaître la force des pressions exercées sur nous.

Les idoles : un développement secondaire?

Lorsque des chrétiens adoptent les structures conceptuelles de la psychologie humaniste, ils perdent de vue les éléments fondamentaux à la base de la motivation humaine qui tentent de se substituer à Dieu.

Lorsque des chrétiens adoptent les structures conceptuelles de la psychologie humaniste, ils perdent de vue les éléments fondamentaux à la base de la motivation humaine qui tentent de se substituer à Dieu. Par exemple, plusieurs conseillers chrétiens donnent un caractère absolu au besoin ou désir damour. En fins observateurs de la nature humaine, ils conçoivent à juste titre que des êtres déchus et condamnés soient poussés à rechercher la stabilité, lamour, lacceptation, laffirmation. Ils admettent que nous cherchons de telles bénédictions dans de vaines idoles. Puisquils sont des chrétiens engagés, ils souhaitent la plupart du temps amener les gens à faire confiance à Jésus-Christ plutôt qu’à leurs idoles. Cependant, ils ont tort dutiliser la priori du besoin relationnel ardent et universel, la notion du réservoir damour qui est vide, pour décrire la réalité dun cœur partagé entre la foi et lidolâtrie.

Ils nomment cette réalité « besoin » et prétendent quelle a été créée par Dieu. Lidolâtrie devient ainsi une manière inappropriée de répondre à un besoin légitime, et notre incapacité à aimer les autres est perçue comme le résultat de besoins inassouvis. L’Évangile de Christ est redéfini comme étant la façon adéquate de répondre à ce besoin. Par conséquent, selon cette théorie, lidolâtrie ne constitue quun développement secondaire : nos idoles sont un moyen inapproprié de répondre à des besoins légitimes. Se repentir de lidolâtrie devient également secondaire, puisquelle est essentielle à la satisfaction de nos besoins. Cette satisfaction est interprétée comme étant le contenu principal de la bonne nouvelle de Dieu en Christ.

La Bible affirme cependant que lidolâtrie constitue le facteur principal de la motivation. Nous ne parvenons pas à aimer les gens parce que nous sommes des idolâtres qui naiment ni Dieu ni leur prochain. À vrai dire, notre sentiment dinsécurité vient du fait que nous demeurons sous la malédiction de Dieu et que les autres sont tout aussi égocentriques que nous le sommes. Nous sommes déconnectés à la fois de Dieu et des autres et nous créons nous-mêmes cette séparation. Lamour de Dieu nous enseigne néanmoins à nous repentir de notre
« besoin damour » et à le considérer comme de la convoitise. Il nous invite à recevoir lamour véritable et miséricordieux et à apprendre comment aimer plutôt qu’à nous laisser consumer par notre désir d’être aimés.

Les humains éprouvent de la convoitise à l’égard de toutes sortes de faux dieux et même à l’égard de bonnes choses, comme lamour. Ils tentent ainsi d’échapper à la domination de Dieu. Les divers domaines de la psychologie axés sur le besoin damour conservent intact le jardin secret de lidolâtrie qui se situe au fond du cœur. Dans les faits, la logique qui sous-tend la notion du besoin damour est analogue aux faux « évangiles de la santé et de la prospérité », où Jésus comble vos aspirations profondes sans même remettre en question ces aspirations.

Il nest pas étonnant de constater que la psychologie centrée sur le besoin damour nattire quun certain type dindividus en recherche de counseling. À l’évidence, ces individus sont particulièrement branchés sur ce quon pourrait appeler les idoles de lintimité.

En réalité, de telles théories perdent leur attrait dans un cadre « transculturel ». Elles sont moins efficaces auprès de gens pour qui les idoles dominantes ne sont pas celles de lintimité, mais plutôt des idoles relatives au pouvoir, au rang, aux plaisirs sensuels, à la réussite ou à largent, par exemple. Un système axé sur le besoin damour doit restreindre son interprétation de telles idoles. Il les considérera comme des versions indirectes et compensatoires du « vrai besoin » qui motive les gens.

La Bible est plus simple. En effet, toute idole peut exercer une emprise indépendante sur le cœur de lhomme. Les idoles peuvent également se fondre en partie lune dans lautre. Par exemple, un homme aux prises avec un problème tenace de pornographie et dimpudicité peut expérimenter une délivrance sil admet avec repentance que sa convoitise exprime sa colère et sa frustration concernant son célibat. Il navait jamais reconnu le désir de se marier comme idolâtre. À vrai dire, les idoles peuvent être composées dun amalgame didoles. Toutefois, linfluence quexerce à elle seule la convoitise sexuelle la désigne en tant que telle comme une idole.

Linterprétation biblique du thème de lidolâtrie permet de comprendre pourquoi les modèles axés sur les besoins semblent plausibles. Elle repense aussi complètement ce modèle. Selon la réalité biblique, autrement dit selon la réalité tout court (!), il ny a rien à lorigine de la motivation humaine qui se rapproche de cet a priori, de ce besoin neutre et normal damour.

Le thème biblique de lidolâtrie fournit un outil pénétrant pour comprendre à la fois les sources du comportement pécheur et ce qui lalimente. Il est possible de comprendre en profondeur les causes de certains péchés quand on les considère du point de vue de lidolâtrie : pulsions biologiques, forces psychodynamiques provenant de lintérieur, conditionnement socioculturel, ou tentations et attaques démoniaques. Cette compréhension permet au counseling chrétien d’être chrétien tant dans sa pratique que par son nom. Ainsi, le counseling devient le ministère aux multiples facettes de la bonne nouvelle de Jésus-Christ.