L’histoire révisionniste de l’Évangile

Avez-vous déjà eu le sentiment, en lisant n’importe lequel des récits bibliques où Jésus appelle ses disciples, que ce dernier ne recherchait que la « fine fleur des hommes » – c’est-à-dire les meilleurs ? Comme si Jésus (si on le replaçait dans notre contexte moderne) se précipitait constamment vers les séminaires et les synagogues dans le but d’y trouver les meilleurs étudiants en formation à l’exercice d’un ministère ?

Même après trois ans passés à marcher aux côtés de leur Messie, les disciples que Jésus s’est choisis demeurent incapables de faire ce qu’il faut. Alors que la croix se profile de plus en plus à l’horizon et que le sang coule du front de Jésus, cette bande hétéroclite de ratés s’endort à ses côtés ; ils dorment alors que Jésus saigne. Son amour pour eux doit vraiment être très fort.
Jésus, bien entendu, n’est nullement surpris par l’attitude de ses disciples. Il les a choisis en toute connaissance de cause. Il savait ce qu’il voulait.

Je trouve stupéfiant, par exemple, que Jésus, tout en sachant à l’avance tout ce que Pierre allait pouvoir dire et faire (y compris son reniement en public) ait pu lui dire malgré tout : « Et je te dis, que tu es Pierre et sur ce rocher je bâtirai mon Église. » (Matt. 16.18) Si vous comprenez vraiment ce que Jésus est en train de faire ici, alors la situation peut sembler presque risible ; mais si elle vous semble l’être totalement, alors vous n’avez pas compris l’Évangile.

Pierre est peut-être le plus impétueux de tous les Douze. Il parle avant d’avoir pensé. Il est celui qui tire avant d’avoir visé. Il saute hors du bateau, coupe des oreilles, installe des tentes au lieu d’adorer. Et pourtant dans Matthieu 16, Jésus l’appelle un « roc ». D’après N.T. Wright, qualifier Simon Pierre de « roc » revient à qualifier un gars bien gras de « mince ».
Or il y a une dynamique que nous retrouvons partout tout au long des Écritures : Dieu appelle les pécheurs « bien-aimés ».

L’histoire révisionniste de l’Évangile nous fait devenir plus que nous ne sommes.

Lorsque Gédéon est en bas dans le pressoir, caché par crainte des Madianites, l’ange du Seigneur l’appelle pourtant « Puissant homme de valeur ». Pierre lui-même dit dans 1 Pierre 3.6 que Sarah appelait Abraham « Seigneur » et que toutes les femmes chrétiennes sont ses filles si elles font le bien sans se laisser troubler par aucune crainte, ce qui est curieux parce que Sarah elle-même semblait tout le temps effrayée (et assez manipulatrice aussi).

Si vous pensez qu’il s’agit là d’intéressantes révisions de personnages, regardez comment, en Romains 8, Paul dit que vous et moi sommes « plus que vainqueurs ». Vous retrouvez-vous dans cette affirmation ?

Et voilà que Jésus appelle Pierre un « roc ».

Que se passe-t-il ici ?

C’est tout simplement l’histoire révisionniste de l’Évangile qui est à l’œuvre. Que nous pécheurs puissions être appelés « saints » signifie que la Bonne nouvelle est réellement bonne – et c’est entièrement le produit de la grâce.

L’an passé nous commémorions le 500ème anniversaire de la Réforme protestante et nous nous sommes souvenus de la restauration monumentale des principes bibliques du salut par la grâce seule, par le moyen de la foi seule. Et ce qui est si merveilleux dans cette doctrine de la « foi seule », c’est qu’elle nous rappelle que nous n’avons pas besoin d’être forts pour recevoir la force de Christ : il nous suffit juste de croire. L’Église que Christ est en train de bâtir est bâtie par la grâce seule et les pécheurs qui trouvent refuge dans cette Église y sont greffés par la grâce seule. Ils y sont greffés par la grâce seule, laquelle est reçue par la foi seule en celui qui, seul, a vaincu le péché et la mort et qui vit éternellement.

Disons-le encore une fois : ce qui est si merveilleux dans ces doctrines de la grâce seule et de la foi seule, c’est que nous n’avons pas besoin d’avoir une foi forte pour recevoir toutes les richesses de la grâce. Il suffit juste d’une foi authentique, car il est clair que le salut est entièrement obtenu par grâce.

C’est d’ailleurs pour cette raison que je pense que l’interprétation du passage de Matthieu 16 selon laquelle le « roc » en question était Jésus lui-même, n’est pas la plus raisonnable. Je pense qu’il se référait plutôt au Pierre qui confesse Jésus. On m’a toujours enseigné que le roc auquel Jésus fait référence était lui-même (et dans un sens, c’est vrai), mais ce n’est pas la seule lecture possible du texte. Jésus a en effet dit à Pierre : « Je t’appelle roc. Et sur ce roc je bâtirai mon église. »
Il est vrai que c’est en s’appuyant sur cette lecture du texte que les Catholiques romains ont fondé le système entier de la papauté, y voyant là l’établissement par Jésus de Pierre comme le premier pape. Mais pour faire signifier cela au verset, il faut arriver à exploiter un grand nombre de postulats et tout un ensemble de théologie extrabiblique. D’un autre côté, je pense que les Protestants évangéliques, en cherchant à éviter cette interprétation, ont souvent versé dans l’excès inverse en disant que le roc en question n’était absolument pas Pierre.
Pourtant, si nous comprenons bien la théologie qui se trouve derrière ce que Jésus dit ici, nous ne devrions avoir aucun problème avec cette interprétation.

En un sens, Matthieu 16 peut être mis en parallèle avec ce que Paul développe plus loin en Éphésiens 2.22 : « En lui vous aussi vous êtes édifiés ensemble comme une habitation pour Dieu en Esprit. » L’Église serait-elle ainsi bâtie sur des pécheurs ?
Oui, sur des pécheurs qui confessent Christ comme leur Seigneur et seul espoir d’échapper à l’enfer et de vaincre la mort. Avec Christ comme pierre angulaire, l’Église est construite avec toutes sortes de pécheurs partout dans le monde : des Juifs, des Grecs, des esclaves, des hommes libres, en somme de quiconque capable de confesser que Jésus est le Christ, le Fils du Dieu vivant. Car c’est avec les rachetés que Christ construit son Église.

En d’autres termes, Jésus est le Roc, mais Pierre est un roc. Et c’est aussi ce que nous sommes, vous et moi : Dieu est en train de bâtir son Église avec les matériaux que nous sommes. C’est tout simplement une autre manière de dire que nous sommes tous participants au corps de Christ, aussi bien vous que moi.

Au bout du compte, comment Jésus peut-il dire cela ? Comment peut-il dire construire son Église sur de soi-disant rocs comme Simon Pierre, vous ou moi ?
Il peut le dire parce que quiconque confesse de sa bouche que Jésus est Seigneur et croit dans son cœur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, est une personne qu’on ne peut plus ni conquérir, ni arrêter.
Je sais, je sais, vous ne vous sentez pas comme une personne qu’on ne peut plus arrêter. Moi non plus. Mais en Christ, c’est exactement ce que nous sommes. En Christ, nous sommes de nouvelles créatures : les choses anciennes sont passées et les nouvelles sont venues. Nous sommes morts avec lui et ressuscités avec lui. Nous qui sommes pécheurs, nous sommes maintenant déclarés saints, à cause de la justice de Christ mise sur notre compte comme notre propre justice. Cela n’est-il pas grand ?
Ainsi, par la foi nous sommes considérés comme justes et Dieu ne tient plus compte de notre péché. En Christ, à cause de son obéissance, c’est comme si nous n’avions jamais péché !

Grâce soit rendue à Dieu pour l’histoire révisionniste de l’Évangile.