Comme une braise

Travailler à la maison n’est pas chose facile, même s’il a une pièce où s’isoler, face à son ordinateur, et si la maison, leur maison, est grande. Les enfants font leur joie, mais ce sont des enfants, pleins de vie, pleins de leurs exigences propres et auxquels il semblera toujours normal de débarquer, sans prévenir, en plein milieu d’un échange en visioconférence : « Papa, j’ai besoin de faire pipi ! » Maxime sent alors monter une agressivité qu’il a du mal à tempérer. C’est toute son impulsivité qui remonte, en lui, et il doit aussi faire face à beaucoup d’agressivité envers son épouse : « Mais enfin ! Elle n’aurait pas pu faire attention ! » Quand le temps accordé au travail est terminé, Maxime se sent plus fatigué que lorsqu’il quitte le domicile pour se rendre au bureau. Pas de sas de décompression. Franchie la porte de la pièce où il travaille, il faut de suite faire face à l’épouse, aux enfants, alors que sa tête est encore pleine de tout ce qui le concerne, lui, et pas eux, pas du tout. Sentiment de deux mondes qui se confrontent dans le même espace.

« Je sors ! » dit-il à son épouse.

Elle est fatiguée. Pendant des heures, c’est elle qui a donné toute son attention aux trois enfants, sans compter toutes les tâches ménagères. Elle aurait besoin d’être relevée, écoutée, mais non, Maxime a décidé de sortir. Elle ne peut faire autrement que de lui répondre, sans qu’il l’entende : « Eh bien, sors ! »

La porte de la maison claque.

La première impression de Maxime est celle d’un soulagement : « Ouf ! Enfin seul. » L’air est frais, bienfaisant. En novembre, avec le décalage horaire, la nuit tombe si vite. On sent déjà, dans le ciel, le déclin de la lumière.

Maxime trouve facilement le chemin des prés, derrière chez eux. C’est le privilège d’habiter à la campagne. Il marche, vers la forêt au lointain.

Marchant, il lève au ciel les yeux. La lumière est d’or à cette heure, si douce, si belle. Il boit. Mais résonne encore en lui le bruit de la porte claquée, trop fort. Et celui de ses mots, tombés, comme un couperet : « Je sors ! » Oui : il est sorti, tout seul. Oui, il en avait besoin, mais il se sent coupable. Ce n’est pas ainsi qu’il aurait dû agir. Il suffit de quelques mots paisibles, – il le sait, – pour rendre les choses possibles.

Le ciel est étrangement de plus en plus jaune. Toute cette beauté-là, il voudrait maintenant pouvoir la partager. Mais il est tout seul.

Il avance vers le noir de la forêt.

« Non … Il faut que je rentre … »

Il fait demi-tour, lève les yeux vers le ciel, et ce qu’il voit alors le stupéfie : de jaune qu’il était, le ciel est devenu rouge, ardent comme une braise. Maxime tombe à genoux. Il commence par demander pardon, puis il rend grâces, oui, grâces, à Dieu.

Ses yeux sont dans le ciel et, en lui, une voix intérieure lui murmure : « Si tu étais brûlant pour Dieu comme ce ciel de feu … »

Matthieu 14.19
« Jésus leva les yeux vers le ciel, et il rendit grâces. »