L’unité de l’Église
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Définition
L’unité de l’Église est ce qui unit les membres du peuple de Dieu entre eux en dépit de toutes leurs particularités et leurs diverses sensibilités. Ils sont ainsi liés ensemble à Dieu par l’Évangile.
Résumé
L’unité de l’Église doit être le reflet de l’unité du seul Dieu, sur qui l’Église est bâtie. Dans la vie de l’Église, l’idéal (l’unité) et le réel (la division) ne vont pas toujours de pair. La théologie biblique de l’unité permet, d’une part, de comprendre avec davantage de substance et de profondeur ce qu’est l’unité – à savoir, quelque chose qui va bien au-delà de la simple uniformité – et d’autre part, elle clarifie également l’objectif d’unité visible à laquelle tous les chrétiens devraient aspirer. Le modèle que nous présentent les Écritures est une « unité dans la diversité » qui, d’un côté, préserve l’Église du danger d’accorder trop d’importance aux hiérarchies humaines, et qui, d’un autre côté, l’empêche de trop insister sur l’autonomie des hommes.
L’unité de l’Église et l’unité de Dieu
L’unité de l’Église doit, en premier lieu, commencer par une référence à Dieu, celui qui a raconté et incarné l’Évangile tout au long des pages de l’Écriture. L’unité de l’Église découle directement de l’unité du Dieu qu’elle est appelée à adorer. Il n’y a qu’un seul Dieu et un seul Évangile, et la dynamique profonde de l’Église doit refléter cette réalité. Ce qui lie les membres de l’Église les uns aux autres est ainsi le Dieu qu’elle est invitée à révérer. Un seul Dieu, et donc, un seul peuple de Dieu.
Yahvé rappelle constamment au peuple d’Israël de ne pas avoir d’autres dieux que lui (Ex 20). La raison sous-jacente en était que l’identité d’Israël serait, inévitablement, forgée par les dieux que le peuple adorerait. Adorer le Dieu vivant rendrait Israël « vivant », sensible à la justice et à la compassion. En adorant des idoles mortes tel que le veau d’or (Ex 32), le peuple de Dieu aurait des yeux, mais ne verrait pas, il aurait des oreilles, mais n’entendrait pas et son cœur s’endurcirait comme des pierres, insensible à la justice et à la compassion.
C’est la relation d’alliance entre le seul Dieu et son peuple qui donne lieu à l’affirmation selon laquelle l’Église doit être « une ». Son unité ne dépend pas de son emplacement culturel, de la langue qui est la sienne, des types de nourriture qu’elle aime ou de la musique qu’elle écoute. Son unité réside dans sa relation monogame universelle, partout et toujours, avec le seul vrai Dieu vivant.
L’unité dans la diversité
Le fait que l’Église universelle parle différentes langues, chante sur différents genres musicaux, agisse selon différentes habitudes culturelles, nous enseigne que son unité n’a jamais été prévue pour signifier l’uniformité – jamais. Sans jamais éluder la vérité biblique fondamentale – que l’on pourrait formuler ainsi : « un Dieu, une Église » – l’Évangile, à d’importants moments, appelle également l’Église à célébrer la diversité. Deux des passages les plus significatifs à cet égard sont Éphésiens 4 et 1 Corinthiens 12. Éphésiens 4 plaide en faveur d’une vocation : Dieu a appelé des personnes distinctes à occuper différentes fonctions dans l’Église. Comprendre les rôles divers de ceux qui accomplissent ces charges est crucial si l’on veut comprendre comment l’Église peut s’épanouir et conserver son unité. Le chapitre 12 de la première lettre aux Corinthiens attire l’attention sur la diversité des dons représentés par les membres de l’Église de sorte qu’une personne ne peut pas dire à une autre : « Je n’ai pas besoin de toi. » Ces deux lectures nous donnent l’occasion de saisir, de manière plus substantielle et plus solide, ce que signifie « l’unité dans la diversité » au cœur de l’identité de l’Église.
Nous nous rappelons, sans doute, que la métaphore la plus récurrente de la relation entre Christ et l’Église (et de la relation entre Dieu et son peuple) est celle du mariage. La dynamique « deux puis un » qui est au fondement du mariage est, en quelque sorte, une analogie conceptuelle de l’union de l’Église au Christ. Les deux deviennent un, mais les deux ne deviennent pas identiques. Même s’ils sont unis, ils restent différents. Ainsi, l’Église doit être simultanément « une et plusieurs ». Nous sommes nombreux, nos dons sont différents ; mais tous sont unis par l’Évangile et nous vivons cet Évangile par-delà d’innombrables cultures, d’innombrables langues ainsi que d’innombrables genres musicaux différents.
La nature de l’Église
Dans le Nouveau Testament, il existe trois affirmations immuables se rapportant à l’identité de l’Église :
- Elle est fondée sur Jésus-Christ.
- Le Saint-Esprit l’a fait naître.
- L’Église doit faire tomber les barrières entre les cultures, les langues, les nations, les tribus et tout regroupement ethnique.
C’est la vie, la mort, la résurrection et l’ascension de Jésus qui sont les signes précurseurs et les fondements nécessaires de l’Église. Jésus est le rocher sur lequel l’Église est fondée (Mt 16). Depuis la Pentecôte, la puissance du Saint-Esprit – grâce à laquelle l’Évangile est proclamé – est le ciment qui maintient l’Église debout et ne cesse de la pousser vers l’extérieur (Ac 2). Dès ses tout premiers jours, franchir les barrières des langues et les frontières des nations a été la clé de l’œuvre évangélique, mais aussi la raison du scandale aux yeux du monde qui l’observait (Ac 15). L’Église fondée sur Jésus-Christ est celle-là même que le Saint-Esprit a fait naître, et celle-là même qui construit des ponts entre les hommes de Jérusalem en Judée, puis en Samarie et jusqu’à Rome, tel que le décrit le récit du livre des Actes.
Diversité et dénominations
Puisqu’ainsi l’Église existe au milieu d’innombrables cultures et groupes linguistiques, puisqu’elle est faite de fonctions multiples et de dons divers, nous pouvons alors, afin de porter du fruit, nous poser cette question : à quoi ressemble, dans la pratique, l’unité de l’Église ? Autrefois, cette conception théologique était généralement élaborée dans le contexte des dénominations. Cependant, dans un monde tendant à s’en affranchir toujours plus, l’interrogation est plus pressante que jamais. Les presbytériens étaient unis par une tradition théologique commune. Les anglicans étaient unis par une tradition liturgique commune. Les méthodistes étaient unis par une pratique pieuse commune. Le problème évident que rencontrent ces dénominations, ce sont les divisions et les profondes différences qui les traversent. En Occident, en raison du grand nombre de dénominations, nous avons du mal à entrevoir l’unité de l’Église qui devrait germer de l’unité de l’Évangile. La pluralisation des étiquettes engendre la perception que l’Évangile lui-même est pluralisé. Le « dénominationnalisme » est le nom que nous attribuons souvent à ce péché récurrent. « Ah, si seulement nous pouvions dépasser le « dénominationnalisme » se lamentent aujourd’hui de nombreux évangéliques. Cela en a conduit certains à faire campagne en faveur d’une Église post-dénominationnelle, estimant que ce sont précisément ces désignations qui sont la cause des problèmes, des profondes divisions qui existent parmi les croyants.
Toutefois, penser ainsi serait rejeter trop de responsabilités sur ceux qui sont à l’origine des dénominations protestantes. Historiquement, celles-ci ne permettaient pas une plus grande indépendance ou davantage de divisions. Concrètement, à plusieurs endroits et à diverses époques, elles aidaient plutôt à prémunir les Églises des influences homogénéisantes qu’encourageaient les gouvernements – les monarchies d’Europe – et à préserver les traditions particulières et tout ce qui avait de l’importance aux yeux des croyants. En ce sens, face aux hiérarchies ecclésiastiques contrôlées par les États, les dénominations ont défendu les coutumes religieuses et soutenu une dissidence appropriée. La disparition des dénominations a, dans une certaine mesure, participé de la révolte moderne contre les traditions et exercé une influence croissante sur la démocratie et l’autonomie dans l’histoire récente du monde contemporain.
Les dénominations ont donc servi de résistance à l’hégémonie religieuse (une uniformité confessionnelle contraire à l’Évangile). Par le passé, elles ont constitué le moyen de protéger la divergence tout en restant loyales au projet social plus vaste des démocraties libérales. À de rares exceptions en Occident, aucune dénomination ne s’est jamais considérée comme la « seule véritable Église ». Elles se voyaient au contraire comme des branches de la seule véritable Église auxquelles les autorités gouvernantes avaient retiré le contrôle fondamental. Cela a permis, et parfois même encouragé, une conversation inter-dénominationnelle plus élargie entre les différentes branches des Églises protestantes. Contrairement au catholicisme romain, à l’orthodoxie orientale ou même aux Églises étatiques européennes, les protestants, dans leur contexte structurel, avaient intégré l’« unité dans la diversité ». Toutefois, il est juste d’affirmer qu’elles sont devenues récemment, avec la pluralisation croissante des étiquettes, farouchement indépendantes les unes des autres. De plus, dans les conditions d’une culture consumériste, elles ont protégé avec davantage d’acharnement leurs « parts de marché ». Le résultat en est que les croyants, assis sur leurs bancs d’églises, sont désormais incapables de discerner les contours de l’unité de l’Évangile au-delà de la congrégation.
L’unité d’une vision théologique biblique
Pour entrevoir la solution à l’unité de l’Église, nous ne devrions donc pas penser en termes d’emplacement ou de formes culturelles, mais plutôt opter pour une vision théologique stimulante, qui « voit » l’unité dans et au travers des catégories de l’Écriture. Quelles pourraient bien être ces catégories ? Comme nous l’avons vu au départ, l’unité de l’Église est enracinée dans une conviction profonde que le peuple de Dieu, malgré toutes ses différences, est uni à lui par la foi en Jésus-Christ. L’histoire de l’Église est la grande histoire de l’œuvre rédemptrice de Dieu dont le point culminant est Jésus. Cette « histoire commune » signifie ainsi que les différentes branches de l’arbre généalogique de l’Église sont toutes unies à une ascendance spirituelle identique. L’histoire de la création, de la chute, de la rédemption et de la consommation est l’histoire commune à toutes les Églises authentiques. L’histoire d’Abraham, de Moïse, de David est l’histoire commune de l’Église, peu importe sa langue ou son époque.
Au travers des âges, et en quelque lieu que ce soit sur la planète, l’Église est unie par le même Évangile, tel qu’il a été interprété et proclamé par les Apôtres. Ce fondement apostolique nécessite que l’Écriture soit le fondement constitutif de l’Église. Tout comme les États-Unis se décomposent en 50 unités diverses soudées par une constitution commune, l’Église existe en de nombreux endroits sur terre depuis de nombreuses années, mais demeure aussi soudée par une même constitution.
Unité, identité et autonomie
Nous commettons souvent deux erreurs lorsque l’on aborde la question de l’unité de l’Église. La première est de trop rapprocher l’identité de Christ à celle de l’Église, comme s’il n’y avait pas simplement une unité organique entre les deux, mais que les deux ne formaient qu’une seule et même identité.
Cela signifierait alors que l’autorité de l’Église est égale à l’autorité de Christ. Selon cette interprétation, lorsque l’Église parle (au travers de ses membres), ce serait donc Christ lui-même qui parle. Le danger que recèle cette pensée est de précisément mettre au même niveau le racheté et le racheteur ; ce serait considérer l’Église comme une monarchie au sein de laquelle la tête humaine de l’Église et Christ, la véritable tête de l’Église, sont mises sur un pied d’égalité.
La seconde erreur, à l’autre extrémité du spectre religieux, est de prétendre qu’il n’y a pas d’unité parmi des cultures et des dénominations si variées, hormis ce qui unit des personnes décidant individuellement de suivre Jésus. Pour faire une analogie politique, l’Église devient alors une sorte de démocratie ecclésiale radicale au sein de laquelle l’unité de l’Église ne consiste en rien d’autre qu’un consensus entre les gouvernés. Les croyants ne sont pas unis par l’Église, mais par ce qu’ils ont en commun : à savoir qu’ils s’intéressent à Jésus et qu’ils se préoccupent de le suivre. Ce type d’erreur laisse penser que la seule sorte d’unité possible serait, en fait, invisible et externe à l’Église.
Conclusion : des questions sans réponses
Entre ces deux extrêmes, le juste milieu est très large. Et la multiplicité des traditions d’Églises en la matière stimule d’incessants échanges théologiques sur les manières appropriées, pour les Églises, de manifester de façon visible une « unité dans la diversité » qui refléterait l’Évangile.
Tous ceux qui se trouvent dans ce territoire médian pourraient s’accorder sur le fait que l’unité de l’Église découle de ses origines. Et puisque le canon biblique a créé et continue de créer l’Église, cette unité ne peut être cantonnée dans un office historique ou dans une simple expérience personnelle. Partout où la Parole est véritablement prêchée (où l’Évangile est proclamé) et mise en pratique (où l’Évangile est signifié), à cet égard, et à cet égard seulement, l’Église se trouve unie indépendamment de son emplacement culturel, de la langue qui est la sienne ou des styles musicaux qu’elle apprécie.
Lectures complémentaires
- ALLISON, Gregg, Sojourners and Strangers: The Doctrine of the Church, Crossway, 2012.
- CLOWNEY, Edumund, The Church, InterVarsity Press, 1995.
- DEVER, Mark, The Church: The Gospel Made Visible, B&H Academic, 2012.
- HOLCOMB, Justin, « Jesus’ Church is Here to Stay».
- HORTON, Mike, People and Place: A Covenant Ecclesiology, Westminster/John Knox 2008.
- KELLER, Tim, Une Église centrée sur l’Évangile, Charols, Excelsis, 2015.
- NEWBIGIN, Leslie, The Reunion of the Church, Wipf & Stock, 2011.
- RIGNEY, Joe, « How to Weigh Doctrines for Christian Unity».
- VOLF, Miroslav, After Our Likeness: The Church as the Image of the Trinity, Eerdmans, 1997.
- WHITLOCK, Luder, Divided We Fall: Overcoming A History of Christian Disunity, P&R Publishing, 2017.
Cet essai fait partie de la série « Concise Theology ». Tous les points de vue exprimés dans cet essai sont ceux de l’auteur. Cet essai est gratuitement disponible sous licence Creative Commons avec Attribution Partage dans les mêmes conditions (CC BY-SA 4.0), ce qui permet aux utilisateurs de le partager sur d’autres supports/formats et d’en adapter/traduire le contenu à condition que figurent un lien d’attribution, les indications de changements et que la même licence Creative Commons s’applique à ce contenu. Si vous souhaitez traduire notre contenu ou rejoindre notre communauté de traducteurs, n’hésitez pas à nous contacter.