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Définition

L’interprétation théologique des Écritures est une approche de l’interprétation biblique qui aborde le texte avec des présuppositions, des questions et des attentes explicitement théologiques. Elle ne se contente pas d’écouter les pensées ou les voix de ses divers auteurs humains, mais cherche avant tout à recevoir une parole de Dieu lui-même, parole qui fonde et éclaire notre connaissance de lui avec autorité.

Résumé

L’interprétation théologique des Écritures est à la fois une pratique ancienne de la lecture chrétienne, enracinée dans l’herméneutique même des auteurs bibliques, et un courant contemporain de la recherche qui revendique cette approche face aux conceptions héritées des Lumières, prônant une exégèse prétendument neutre ou dépourvue de présupposés. Comme l’ont fait remarquer certains critiques, cette approche comporte le risque de faire disparaître la richesse propre à chaque texte biblique et la voix particulière de chaque auteur biblique, en privilégiant une lecture d’ensemble des thèmes et du récit biblique, ou en forçant les textes à s’adapter aux idées théologiques que le lecteur possède déjà. En fait, il n’existe pas d’interprétation sans idées préconçues. Lire la Bible en assumant clairement des convictions théologiques est en accord avec le contenu et les intentions du texte lui-même. Dans la mesure où le lecteur est ouvert à la possibilité que ces connaissances soient remises en question, voire renversées par la rencontre avec le texte, une démarche interprétative assumant de manière explicite sa dimension théologique constitue une approche aussi légitime que féconde des Écritures.

Interprétation théologique des Écritures : une pratique chrétienne ancienne

La Bible affirme à de nombreuses reprises que ses livres ne sont pas simplement des récits écrits par les hommes, mais qu’ils doivent être reçus comme la Parole de Dieu, insufflée par l’Esprit (par exemple 2 Timothée 3:16, 2 Pierre 1:20-21) ; que celui qu’on appelle SEIGNEUR est le seul vrai Dieu et le créateur de toutes choses (Genèse 1:1, Psaumes 33:6-9), que l’univers repose entièrement sur sa Parole, et sur celle de son Fils, le Seigneur Jésus (par exemple Colossiens 1:16-17, Hébreux 1:3) ; et que Dieu nous donne les Écritures à son peuple afin de le fortifier dans la foi, l’espérance et l’amour, de le rendre sage pour le salut et pour la vie, et de l’équiper pour jouer son rôle dans sa mission dans le monde et dans l’édification de l’Église (par exemple Romains 15:4 ; 2 Timothée 3:15-17).[1]

Les lecteurs de la Bible qui prennent au sérieux de telles affirmations ont toujours reconnu que l’interprétation de l’Écriture est, par essence une démarche profondément et nécessairement théologique ; car la Bible est, entre autres, notre source première et décisive pour connaître Dieu, comprendre sa relation avec nous ainsi qu’avec l’ensemble de la création. Depuis les origines de l’Église chrétienne, la lecture et l’enseignement des Écritures s’inscrivent dans un mouvement circulaire de la pensée, où le sens et la portée d’un passage particulier se comprennent à la lumière de l’ensemble du récit biblique, de son accomplissement dans les événements de l’Évangile, et des convictions fondamentales sur Dieu et le monde qui en sont à la fois le fondement et la conséquence.[2] Par conséquent, interpréter l’Écriture de cette manière ne consiste pas à lui imposer une grille dogmatique étrangère, mais à imiter et à participer aux pratiques d’interprétation que nous apprenons au sein même du canon de l’Écriture, auprès de Jésus, des apôtres et des auteurs du Nouveau Testament. [3]

Suivre leur exemple ne signifie pas, bien sûr, qu’il faille effacer toute distinction entre leur rôle dans l’économie de la révélation de Dieu et le nôtre. Les auteurs du Nouveau Testament (et Jésus lui-même) sont des interprètes, mais ce qu’ils écrivent et prêchent n’est jamais présenté comme une simple interprétation. Ils portent leur propre témoignage et sont eux-mêmes les porte-paroles de la révélation divine, ce que nous ne sommes pas en tant que prédicateurs et écrivains contemporains.[4]

C’est pour cette raison (entre autres) que nous aurions tort de penser que notre position envers le Nouveau Testament doit être identique à celle que Jésus et les auteurs du Nouveau Testament ont adoptée envers l’Ancien Testament. Il existe de bonnes raisons pour inclure les écrits du Nouveau Testament (ainsi que les paroles de Jésus transmises et consignées) dans la catégorie plus large des « Écritures » (voir 1 Timothée 5:18, 2 Pierre 3:16). Cependant, adhérer à ce jugement canonique ne revient pas à abolir la structure fondamentale des Écritures en deux Testaments, chacun portant sa voix propre au sein d’un unique récit de salut. La frontière canonique qui nous sépare des auteurs du Nouveau Testament tient moins à un changement d’époque qu’à une différence de degré dans l’autorité et les modalités de la parole divine. Aux yeux des auteurs néotestamentaires, la vraie rupture herméneutique ne se situe pas entre l’ère apostolique et la nôtre, mais entre « autrefois », quand « [Dieu] a parlé à nos ancêtres par les prophètes », et « dans ces jours qui sont les derniers », où « [il] nous a parlé par le Fils » (Hébreux 1.1–2). Ce qui nous est demandé, dès lors, n’est pas tant d’imiter leur lecture de l’Ancien Testament dans notre lecture du Nouveau, que de marcher à leur suite : interpréter l’Ancien Testament (et toute chose) à la lumière de Christ, et interpréter Christ (et toute chose) à la lumière de l’Ancien Testament.

Cela dit, il ne nous est pas épargné de devoir, à notre tour, interpréter le Nouveau Testament, et cette tâche engage elle aussi une forme de mouvement récursif décrit ci-dessus. Vingt siècles d’histoire chrétienne depuis les écrits du Nouveau Testament nous ont légué un immense trésor de tradition théologique : les prières, les hymnes, les symboles de foi de l’Église universelle, les confessions et les pratiques propres à nos traditions, ainsi que les écrits des Pères de l’Église et de leurs successeurs. À tout cela vient s’ajouter l’ensemble du patrimoine des discours humains sur Dieu – ou sur les dieux – produit au fil des siècles dans des contextes culturels et religieux variés. Car, comme le rappellent Tertullien et Saint Augustin, les premiers chrétiens n’ont pas inventé la catégorie « théologie » mais ils sont entrés dans une conversation déjà ancienne, que le monde païen menait bien avant eux.[5]

Bien sûr, rien de tout cela n’occupe une place comparable à celle des Écritures du Nouveau Testament dans l’économie de la révélation. Néanmoins, ces éléments façonnent inévitablement les présupposés et les engagements que nous apportons à notre lecture de la Bible. Une interprétation théologique mûre et responsable exige à la fois une certaine reconnaissance des traditions qui nous ont formés comme lecteurs, et l’humilité nécessaire pour exposer notre être tout entier – y compris nos compréhensions et convictions théologiques antérieures – afin qu’elle soit jugée et réformée par Dieu lorsque nous le rencontrons dans sa Parole (voir Hébreux 4:12-13 ; Jacques 1:22-23).

L’interprétation théologique des Écritures : un mouvement récent

Outre ce sens général dans lequel « l’interprétation théologique » a toujours constitué une dimension essentielle de l’engagement chrétien sérieux avec les Écritures, l’expression « interprétation théologique des Écritures » [TIS en anglais], a pris depuis une trentaine d’années une signification plus précise, désignant un courant contemporain.[6] Défendu par un réseau informel de théologiens et d’exégètes, ce mouvement s’emploie à réaffirmer une lecture théologiquement investie de la Bible, fidèle à la tradition chrétienne, tout en s’opposant fermement à une approche académique qui tiendrait pour seule méthode valable celle qui évacue toute question théologique et s’appuie sur un agnosticisme méthodologique radical.

Bien que les partisans de ce mouvement aient proposé différentes définitions de ce terme[7], la plupart s’accordent à reconnaître un trait fondamental : la manière dont la lecture des Écritures s’inscrit dans un dialogue constant avec les convictions théologiques et les présupposés propres à la tradition interprétative dans laquelle cette lecture prend place. Il s’agit de lire la Bible en lien avec les convictions théologiques et les idées que l’on a déjà, issues de la tradition chrétienne dans laquelle on se situe. Pour le dire simplement, comme le fait Daniel Treier, c’est lire la Bible « avec la doctrine et pour la doctrine » [8].

Les défenseurs de l’interprétation théologique des Écritures viennent d’horizons théologiques variés – orthodoxes, catholiques et protestants – et comptent parmi eux plusieurs théologiens évangéliques et spécialistes de la Bible très connus. Certaines formes d’interprétation ont, sans surprise, suscité des critiques, notamment en raison de l’autorité interprétative qu’elles accordent aux commentateurs anciens, tels que les Pères de l’Église ou les réformateurs du XVIème siècle, ou encore aux credo et confessions de foi issus de la tradition chrétienne. Un autre risque, lié à certaines approches de l’interprétation théologique, réside dans la possibilité de brouiller le sens du texte biblique en lui superposant des concepts étrangers ou anachroniques, ou encore en cherchant à tout prix une harmonisation artificielle et prématurée avec d’autres voix des Écritures ou de la tradition.

Mais lorsqu’elle est pratiquée dans le respect de l’autorité singulière et décisive des Écritures, tout en restant attentive à la diversité des voix qui composent le canon, une approche consciemment théologique de l’interprétation peut devenir un véritable enrichissement. Elle peut faire surgir des pistes de sens que l’on n’aurait pas envisagées autrement, proposer des catégories et des schémas pour relier ce que dit un texte à ce qui est affirmé ailleurs, et écarter – du moins provisoirement – certaines lectures incompatibles avec des convictions théologiques solidement établies. Il arrive aussi qu’une certaine familiarité avec la tradition théologique puisse exercer un effet salutaire d’humilité, rappelant à l’interprète trop sûr de lui qu’il n’est pas le premier à se confronter à ces versets, et que ce qui lui paraît évident ne l’est pas nécessairement pour les autres. La théologie, en ce sens, peut parfois nous apprendre à dire moins, et non davantage.

En résumé, une approche de l’interprétation de l’Écriture qui, avec sérieux et mesure, tient compte du caractère de l’Écriture en tant que discours divin, de la centralité de Dieu dans les thèmes dont elle parle et dans l’histoire qu’elle raconte, de la fonction de l’Écriture dans la mission de Dieu et de la place que nous occupons en tant que lecteurs au sein du peuple de Dieu, en s’appuyant avec gratitude (mais pas sans esprit critique) sur les idées d’autres personnes qui ont lu les mêmes textes avant nous, présente un grand intérêt.

Notes de pied de page

1Une partie du contenu des paragraphes suivants est adaptée, avec autorisation, de Hermeneutics and Preaching : Theological Interpretation and the Preaching Task [Herméneutique et prédication : l’interprétation théologique au service de la prédication] de David I. Starling issu de Doctrine of Declaration : Explorations in the Theological Foundations of Biblical Preaching [Doctrine pour la proclamation : Explorations sur les fondements théologiques de la prédication biblique], sous la direction de Chase R. Kuhn et Paul Grimmond, Bellingham : Lexham, 2020.
2Il existe bien sûr un sens dans lequel cette approche est encore plus ancienne, enracinée dans les pratiques interprétatives des auteurs et des rédacteurs de l’Ancien Testament lui-même. Ceux-ci lisaient et méditaient sur des traditions et des textes antérieurs, les reliant à l’histoire en cours de l’action salvatrice de Dieu envers Israël et le monde, ainsi qu’à son dénouement, encore à venir. Pour une sélection d’études de cas sur cette lecture théologique de l’Ancien Testament, voir Hermeneutics as Apprenticeship: How the Bible Shapes Our Interpretive Habits and Practices [L’herméneutique en tant qu’apprentissage : comment la Bible façonne nos habitudes et nos pratiques d’interprétation], David I. Starling, Grand Rapids : Baker, 2016, pages 23–91.
3Se référer à The Drama of Doctrine : A Canonical-Linguistic Approach to Christian Theology [Le théâtre de la doctrine : une approche canonique et linguistique de la théologie chrétienne], Louisville : Westminster, 2055, page 331.
4Cette affirmation est parfois formulée explicitement dans leurs discours et leurs écrits, mais ce n’est pas toujours le cas. Quoi qu’il en soit, le fait d’inclure les écrits du Nouveau Testament dans le canon des Écritures chrétiennes implique qu’ils doivent être lus par l’Église comme des vecteurs uniques et faisant autorité de la Parole divine.
5Voir La Cité de Dieu, Augustin ; Aux Nations, Tertullien
6Voir le bref aperçu de l’émergence et des précurseurs du mouvement TIS dans Introducing Theological Interpretation of Scripture : Recovering a Christian Practice [Introduction à l’interprétation théologique des Écritures : retrouver une pratique chrétienne] de Daniel J. Treier, Grand Rapids : Baker, 2008, pages 11-36.
7Voir les brèves définitions proposées dans The Word of God for the People of God : An Entryway to the Theological Interpretation of Scripture [La Parole de Dieu pour le peuple de Dieu : une introduction à l’interprétation théologique des Écritures] de J. Todd Billings, Grand Rapids : Eerdmans, 2010, page xii, et Practicing Theological Interpretation : Engaging Biblical Texts for Faith and Formation [Pratiquer l’interprétation théologique : Approcher les textes bibliques pour la foi et la formation] de Joel B. Green, Grand Rapids : Baker, 2011, pages 4-5, ainsi que les sept thèses avancées dans Hearers and Doers : A Pastor’s Guide to Making Disciples through Scripture and Doctrine [Auditeurs et praticiens : Guide pastoral pour faire des disciples par l’Écriture et la doctrine] de Kevin J. Vanhoozer, Bellingham, WA : Lexham, 2019, chapitre 4.
8Introducing Theological Interpretation of Scripture : Recovering a Christian Practice [Introduction à l’interprétation théologique des Écritures : retrouver une pratique chrétienne], Treier, Grand Rapids : Baker, 2008, page 64.

Lectures complémentaires

Introductions à l’interprétation théologique des Écritures (TIS), rédigées par les défenseurs et praticiens de cette approche de l’interprétation biblique :

  • Introduction à l’herméneutique biblique, Matthieu Sanders : Edifac
  • The Word of God for the People of God: An Entryway to the Theological Interpretation of Scripture [La Parole de Dieu pour le peuple de Dieu : une introduction à l’interprétation théologique des Écritures], J.  Todd Billings, Grand Rapids : Eerdmans, 2010.
  • “Introduction.” Pages xii-xxx dans The Theological Interpretation of Scripture: Classic and Contemporary Readings[L’interprétation théologique des Écritures : lectures classiques et contemporaines], Stephen E. Fowl, édité par Stephen E. Fowl. Oxford : Blackwell, 1997.
  • Practicing Theological Interpretation: Engaging Biblical Texts for Faith and Formation [Pratiquer l’interprétation théologique : Approcher les textes bibliques pour la foi et la formation], Joel B. Green, Grand Rapids : Baker, 2011.
  • Introducing Theological Interpretation of Scripture : Recovering a Christian Practice [Introduction à l’interprétation théologique des Écritures : retrouver une pratique chrétienne], Treier, Grand Rapids : Baker, 2008.
  • Hearers and Doers : A Pastor’s Guide to Making Disciples through Scripture and Doctrine [Auditeurs et praticiens : Guide pastoral pour faire des disciples par l’Écriture et la doctrine] de Kevin J. Vanhoozer, Bellingham, WA : Lexham, 2019
  • “Introduction : What Is Theological Interpretation of the Bible ?” [Introduction : Qu’est-ce que l’interprétation théologique de la Bible ?], pages 19-25 dans Dictionary for Theological Interpretation of the Bible [Dictionnaire de l’interprétation théologique de la Bible], édité par Kevin J. Vanhoozer. Grand Rapids : Baker Academic, 2005.

Réflexions sur la portée théologique de l’auto-interprétation des Écritures :

  • Analogy of Faith [Analogie de la foi] dans Study of Scripture : In Search of Justification and Guidelines [Étudier les Écritures : quête de fondements et de repères], Henri Blocher, Scottish Bulletin of Evangelical Theology 5 (1987) : pages 17-38.
  • Hermeneutics as Apprenticeship : How the Bible Shapes Our Interpretive Habits and Practices [L’herméneutique en tant qu’apprentissage : la manière dont la Bible forme notre manière de lire et d’interpréter], David I. Starling, Grand Rapids : Baker, 2016.
  • Nothing Beyond What Is Written ? First Corinthians and the Hermeneutics of Early Christian Theologia [Ne pas aller au-delà de ce qui est écrit ? 1 Corinthiens et l’herméneutique de la théologie chrétienne primitive], Journal of Theological Interpretation 8 (2014) : 45-62.

Analyse critique nuancée des atouts et des faiblesses de l’interprétation théologique des Écritures

  • Theological Interpretation of Scripture : An Introduction and Preliminary Evaluation [L’interprétation théologique des Écritures : Introduction et évaluation préliminaire], Gregg R. Allison, Southern Baptist Journal of Theology 14/2 (2010) : pages 28-36.
  • Theological Interpretation of Scripture: Yes, But… [L’interprétation théologique des Écritures : Oui, mais…], D. A. Carson, pages 187-207 dans Theological Commentary : Evangelical Perspectives [Commentaire théologique : Perspectives évangéliques], édité par R. Michael Allen, London : T&T Clark, 2011.
  • Evangelicals, Theology, and Biblical Interpretation : Reflections on the Theological Interpretation of Scripture [Les évangéliques, la théologie et l’interprétation biblique : Réflexions sur l’interprétation théologique des Écritures], Charlie Trimm, Bulletin for Biblical Research 20 (2010) : pages 311-330.

Cet essai fait partie de la série Théologie concise. Toutes les opinions exprimées dans cet essai sont celles de l’auteur. Cet essai est mis à disposition gratuitement sous licence Creative Commons avec attribution et partage dans les mêmes conditions (Attribution-ShareAlike), ce qui permet aux utilisateurs de le partager sur d’autres supports ou formats, ainsi que d’en adapter ou traduire le contenu, à condition d’inclure un lien d’attribution, d’indiquer les modifications apportées, et d’appliquer à leur tour la même licence Creative Commons au nouveau contenu.

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