La seconde moitié du livre des Actes est un voyage éclair. Paul parcourt environ 16 000 kilomètres pour aller prêcher en Turquie, en Syrie, en Grèce et en Israël. Il prêche dans diverses villes, dont Lystre, Philippes, Thessalonique, Corinthe, Athènes et Éphèse. Ce que l’on oublie parfois, et c’est une réalité évidente : la plupart de ces activités se déroulent sur la terre ferme.
Pourtant, en Actes 27, Luc consacre 44 versets à une description détaillée du voyage en mer de Paul. Le but de ce long récit maritime échappe parfois aux interprètes. Certains pensent qu’il s’agit simplement du récit de l’itinéraire de Paul. Mais cela n’explique guère la longueur du récit et tous les détails ajoutés par Luc.
Pour bien comprendre ce récit, nous devons avoir recours à la théologie biblique. 3 réalités théologiques bibliques nous aident à cerner le but du récit de Luc et à le considérer comme le point culminant du voyage de Paul.
1. Paul le Conquérant
Il faut d’abord comprendre que la mer est chargée de symbolique dans le récit biblique. Elle était connue pour être un lieu de résidence pour les Grecs et les autres nations. Les Juifs étaient davantage attachés à la terre ferme, et la mer représentait l’« autre ».
De plus, la mer n’était pas seulement une étendue d’eau, mais le lieu d’un chaos démoniaque que seul Yahvé pouvait maîtriser (Exode 15:1-8 ; Ésaïe 51:9-10). Bien que Dieu soit désigné comme souverain sur la mer, celle-ci engendre le mal. En Daniel 7:3, les 4 bêtes, représentant les empires, sortirent de la mer. Ésaïe 17:12-13 décrit la fureur des nations comme comparable à celle de la mer. Habakuk 3:8-15 dit que Yahweh parcourt la mer avec ses chevaux, et Ésaïe 27:1 parle du Seigneur tuant le monstre marin, le Léviathan, ce serpent tortueux.
Si, à Athènes, Paul bat les philosophes à leur propre jeu, et qu’à Éphèse il démontre la puissance de sa « magie », alors le voyage en mer de Paul représente un acte parallèle d’agression narrative. Les récits grecs et romains antiques avaient pour scène favorite le récit d’une tempête et d’un naufrage, équivalant aujourd’hui à une poursuite en voiture. Au premier siècle, les gens croyaient que le monde était caractérisé par un état de guerre cosmique. Le voyage de Paul fait parfois penser à l’Odyssée d’Homère, par son langage et son contenu, le présentant ainsi comme son ultime épopée.
Lu sous cet angle, le voyage maritime de Paul fait état de sa mission auprès des Grecs et des nations. Paul pénètre dans leur vision du monde et montre de quelle façon Yahvé est plus grand que tous leurs dieux. Paul, grâce à l’Esprit Saint, a été vainqueur sur la terre ferme, et il est maintenant sauvé de la tempête. L’apôtre marche sur les traces de Jésus, qui a également vaincu sur la mer et sur la terre (Marc 4:35-40). Le message de Paul permet de conquérir non seulement le Béhémoth [voir Job 40.10 Darby] de la terre (Job 40, 41), mais aussi le Léviathan de la mer.
2. Paul le nouveau Jonas
Deuxièmement, le voyage en mer de Paul présente de nombreux parallèles thématiques avec d’importants récits de l’Ancien Testament.
Le message de Paul permet de conquérir non seulement le Béhémoth de la terre, mais aussi le Léviathan de la mer
Les Israélites ont traversé la mer Rouge pour échapper aux Égyptiens. Aujourd’hui, Paul traverse la mer pour échapper aux accusations des Juifs. Ironiquement, Jérusalem est devenue l’Égypte et Rome est presque dépeinte comme une sorte de terre promise. Paul traverse également la mer comme les Israélites (et Josué) ont traversé le Jourdain pour entrer dans une nouvelle terre et la conquérir pour leur roi. Rome doit entendre la bonne nouvelle de Jésus.
Les échos du passé d’Israël confirment que Paul poursuit sa mission sur la mer auprès des Gentils en tant que nouveau prophète à l’image de Jonas. Cependant, contrairement à Jonas, Paul ne se soustrait pas à la volonté de Dieu, mais suit son plan et se rend dans un pays étranger pour y prêcher la Bonne Nouvelle. Les parallèles entre les histoires de Jonas et de Paul sont nombreux, même si Jonas est un exemple négatif alors que Paul est un exemple positif :
- Jonas et Paul se dirigent tous 2 vers l’ouest et affrontent de violentes tempêtes.
- Dans les 2 cas, Dieu utilise le vent et les vagues pour accomplir son dessein.
- Dans les 2 récits, on assiste à des scènes de résurrection.
- Dans les 2 histoires, Dieu terrasse ou dompte le Léviathan de la mer.
- Jonas navigue pour échapper à l’appel de Dieu à aller prêcher aux païens ; Paul navigue pour répondre à l’appel de Dieu.
- Paul est un prophète innocent et juste, contrairement à Jonas (survivre à une épreuve en mer, c’est être présenté comme juste et innocent, car la mer était parfois le moyen par lequel la méchanceté était punie).
- La présence de Jonas était la cause de la tempête, tandis que la présence de Paul était la raison de la délivrance de la tempête.
Eugene Peterson a dit à juste titre : « La tempête révèle la futilité de notre travail (comme dans le cas de Jonas) ou le confirme (comme dans le cas de Paul). Dans les deux cas, elle nous fait prendre conscience que Dieu constitue notre travail, et elle nous débarrasse de toute idée selon laquelle nous pourrions l’éviter ou le manipuler au sein même de ce travail ».
3. Paul le Prophète
Enfin, Paul demeure un prophète et un serviteur dynamique, à l’image de Jésus, répandant la vie de résurrection même sur la mer grecque. Il prophétise, fournit de la nourriture, devient source de salut physique pour ceux qui sont sur le bateau et reçoit des visions encourageantes en cours de route. En tant que prophète, il les guide à travers la mer jusqu’à la terre (promise).
Dans l’Ancien Testament, plonger dans les eaux équivaut à mourir. En être tiré, c’est la résurrection. Le terme « salut » est employé 7 fois dans le récit, bien qu’il soit souvent traduit par « sécurité » ou « sain et sauf » (27:20, 31, 34, 43, 44 ; 28:1, 4). Luc veut souligner que tous les passagers de la barque sont conduits à bon port, c’est-à-dire qu’ils sont sauvés.
Paul demeure un prophète et un serviteur dynamique, à l’image de Jésus, répandant la vie de résurrection même sur la mer grecque
Et comme lors de ses autres voyages missionnaires, Paul n’entreprend pas cette tâche seul. Il est rejoint par Aristarque et d’autres compagnons de route (27:1-8, 18-20, 37 ; 28:1-2, 7, 10). Une bonne compréhension de ce récit intègre Actes 27 aux voyages missionnaires de Paul, constituant peut-être le point culminant de sa mission auprès des Gentils avant qu’il n’arrive à Rome.
La théologie biblique nous aide à comprendre le voyage en mer de Paul. Paul ne se contente pas de voyager de Césarée à Rome ; au contraire, la théologie biblique révèle l’importance d’Actes 27 dans sa mission. Même si la tempête est inattendue, elle révèle la puissance de Yahvé sur la mer et le rôle de Paul, qui remplit la fonction des prophètes de l’Ancien Testament envoyés vers les païens. Ce récit est riche de sens canonique et ne peut être ignoré au cours de notre lecture.