Le problème du mal
Autres essais
Définition
« Le problème du mal » est l’une des objections à l’existence de Dieu les plus discutées. Il est également l’un des principaux arguments que les incroyants avancent pour justifier leur incrédulité. Ces contradicteurs soutiennent la thèse suivante : comme le monde est rempli de douleur et de grandes souffrances, et que Dieu pourrait facilement les empêcher d’advenir, alors le fait que tout ce mal ne soit pas empêché signifie qu’il est très peu probable (sinon impossible) que Dieu existe.
Résumé
« Le problème du mal » fait appel au phénomène du mal (présence significative de douleur et de souffrance) comme preuve de l’inexistence de Dieu. Cette évidence semble décisive pour un grand nombre de personnes, car si Dieu existait vraiment, il serait assez puissant pour empêcher ce mal, et aussi assez bon pour vouloir l’empêcher d’advenir. Puisque le mal existe, cet être puissant et bon n’existe pas. Au cours des deux derniers millénaires, les chrétiens ont généralement répondu à ce « problème du mal » en avançant deux arguments : la théodicée et l’inscrutabilité. Premièrement, Dieu peut très bien avoir une bonne raison d’autoriser la présence du mal ‒ une raison compatible avec son caractère saint et bon ‒ et la théodicée établit une liste de ces raisons. Deuxièmement, le fait que les incroyants ne soient pas en mesure de discerner ou de deviner correctement la raison qui pousse Dieu à autoriser le mal ne veut pas dire qu’il n’a pas de raisons de l’autoriser. Si nous prenons en considération l’étendue de l’omniscience de Dieu, la complexité de sa providence, la profondeur de sa bonté, et nos substantielles limites sur le plan cognitif, alors nous ne devrions pas nous attendre à être capables de deviner les raisons qui animent Dieu.
Qu’est-ce que le problème du mal ?
Ce fameux « problème du mal » est un argument contre l’existence de Dieu qui s’appuie sur les raisons suivantes :
(1) Un être parfaitement puissant peut empêcher toute forme de mal.
(2) Un être parfaitement bon fera tout ce qu’il pourra pour empêcher le mal d’advenir.
(3) Dieu est parfaitement puissant et parfaitement bon.
(4) Donc, s’il existe un Dieu parfaitement puissant et parfaitement bon, il n’y aura pas de mal.
(5) Le mal nous entoure.
(6) Par conséquent, Dieu n’existe pas.
Le terme de « mal » englobe ici toutes présences significatives de douleur et de souffrance dans notre monde, qu’il soit « moral » (mal intentionnellement causé par des êtres humains : meurtre, adultère, vol, viol, etc.) ou « naturel » (c’est-à-dire causé par des forces impersonnelles de la nature telles que tremblements de terre, tornades, peste, etc.).
Apporter une réponse au problème du mal
Aspects non négociables
Un chrétien doit être honnête envers lui-même et se poser sérieusement la question. On ne peut se contenter de nier que le mal existe (voir no 5 ci-dessus), car l’Évangile lui-même présuppose son existence. De même, on ne peut pas nier que Dieu aurait pu empêcher le mal (no 1 ci-dessus) ou qu’il est parfaitement puissant et bon (no 3). Nous pouvons (et nous devons) néanmoins nous interroger sur la deuxième prémisse avancée ci-dessus, celle qui affirme qu’un Dieu parfaitement bon doit empêcher toute forme de mal. En effet, le fait d’empêcher tout mal ne découle pas nécessairement de la parfaite bonté de Dieu. Ce dernier pourrait avoir de bonnes raisons de permettre le mal plutôt que de l’empêcher ; si c’est effectivement le cas, alors le mal qu’il permet est justifié et n’entre pas en contradiction avec sa bonté.
Les arguments de la théodicée et de l’inscrutabilité
Notre réponse au problème du mal peut donc prendre deux formes. Nous pouvons affirmer que la deuxième prémisse est fausse et chercher à démontrer cela en exposant les raisons pour lesquelles Dieu permet parfois la présence du mal ‒ c’est l’argument de la « théodicée ». On peut également affirmer que la deuxième prémisse n’est pas fondée sur des preuves, car les incroyants ne peuvent pas exclure le fait que Dieu ait une bonne raison de permettre le mal ‒ c’est la voie de « l’inscrutabilité ».
L’argument de la théodicée (du grec theos, « Dieu » et dikaios, « juste » ; une façon de justifier les actions de Dieu envers les hommes) cherche à démontrer les raisons pour lesquelles il arrive que Dieu permette la présence du mal. Il affirme que par ce biais, Dieu atteint une bonté plus parfaite que s’il avait éradiqué le mal. L’argument de la théodicée montre que la prémisse (2) est fausse en affirmant qu’il n’est pas dans les plans de Dieu d’empêcher toute forme de mal d’advenir.
L’argument de l’inscrutabilité affirme plus modestement que personne n’est capable de prouver la véracité de la prémisse (2), car personne ne peut en savoir assez sur Dieu pour conclure qu’il n’a pas de bonnes raisons d’autoriser le mal. Nous ne pouvons tout simplement pas avoir une idée juste de la connaissance de Dieu, de la complexité de ses plans ou de la nature profonde du bien qu’il vise dans sa providence. Et il n’existe aucune preuve que Dieu n’a pas de bonnes raisons d’autoriser le mal. Or, Dieu étant bon, nous sommes donc amenés à supposer qu’il en a. Dans ce cas de figure, nous n’avons pas à proposer de « théodicées » pour défendre Dieu contre le problème du mal. Au contraire, la voie de l’inscrutabilité nous montre qu’il est tout à fait normal que des créatures comme nous ne puissent pas trouver les raisons qui poussent Dieu à agir, compte tenu de notre nature et de celle de Dieu.
L’argument de la théodicée
Deux théodicées populaires, mais dépourvues de fondements bibliques
Parmi toutes les théodicées proposées, certaines manquent cruellement de bases bibliques solides. La théodicée du libre arbitre, par exemple, affirme que le mal moral est dû aux êtres humains et à leur abus du libre arbitre. La valeur de ce dernier est inestimable : c’est la possibilité de faire des choix moralement bons et la capacité de ressembler à Dieu à travers ces choix. Mais le libre arbitre a aussi pour triste conséquence de permettre au mal moral d’exister. Une fois ces faits établis, nous pouvons alors nous poser les questions suivantes : si ce libre arbitre est tellement utile, pourquoi Dieu en est-il dépourvu ? Pourquoi n’y aurons-nous pas accès dans les cieux ?
La théodicée de la loi naturelle affirme que le mal naturel est dû aux lois de la nature. Les lois de la nature possèdent une valeur inestimable : elles créent un environnement stable et nécessaire pour faire des choix rationnels. Mais elles ont aussi pour triste conséquence de permettre à des catastrophes naturelles (tremblements de terre, ouragans, etc.) d’advenir. Une fois ces faits établis, nous pouvons alors nous poser les questions suivantes : si un environnement stable implique la présence du mal naturel parce qu’il est régi par des lois naturelles, pourquoi n’y a-t-il pas de mal naturel dans le jardin d’Eden avant la chute ou dans les nouveaux cieux et la nouvelle terre ?
Quatre théodicées populaires qui reposent sur des fondements bibliques
Parmi toutes les théodicées proposées, on peut en citer au moins quatre qui reposent sur des fondements bibliques. La théodicée de la punition affirme que la souffrance est le résultat de la juste punition des malfaiteurs par Dieu (Ge 3.14‑19 ; Ro 1.24‑32 ; 5.12 ; 6.23 ; 8.20,21 ; És 29.5,6 ; Éz 38.19 ; Ap 6.12 ; 11.13 ; 16.18). Par ce biais, Dieu cherche à montrer la justesse de son jugement envers le péché. La théodicée du développement de l’âme soutient que la souffrance nous fait passer de l’égocentrisme au sincère souci des autres (Hé 12.5‑11 ; Ro 5.3‑5 ; 2 Co 4.17 ; Ja 1.2‑4 ; 1 Pi 1.6,7 ; voir Pr 10.13 ; 13.24 ; 22.15 ; 23.13‑24 ; 29.15). Dans sa providence, Dieu a le noble but de montrer sa bonté en façonnant notre caractère dans la douleur pour l’améliorer. La théodicée de la douleur comme mégaphone de Dieuaffirme que la douleur est le moyen non contraignant que Dieu utilise pour attirer l’attention des incroyants afin qu’ils oublient les vanités de la terre, qu’ils soient amenés à considérer les choses spirituelles, et qu’ils aient la possibilité de se repentir de leur péché (Lu 13.1‑5). En utilisant la douleur, Dieu a pour but de montrer sa miséricorde. Grâce à ses avertissements, nous avons la possibilité d’être délivrés de sa colère à venir. La théodicée du bien d’ordre supérieurdéclare que certaines bonnes actions ne peuvent exister qu’en réponse à un certain type de maux. Il n’y a pas de courage sans danger, pas de sympathie sans souffrance, pas de pardon sans péché, pas d’expiation sans épreuve, pas de compassion sans besoin, pas de patience sans adversité. Compte tenu de la manière dont ces bienfaits sont définis, Dieu doit souvent permettre à une multitude de maux d’exister afin que ces bienfaits aient leur place dans son monde (Ép 1.3‑10 ; 1 Pi 1.18‑20).
Ces théodicées s’inscrivent dans le cadre de la « théodicée du bien supérieur »
Une « théodicée du bien supérieur » (TBS) affirme que, dans le monde de Dieu, la douleur et la souffrance sont nécessaires à la production d’un bien supérieur. Ce bien supérieur ne pourrait exister sans elles. Toutefois, une question demeure : la Bible enseigne-t-elle vraiment que Dieu produit du bien à partir du mal sous ses multiples formes ?
Élaborer la « théodicée du bien supérieur » : un argument triple pour trois thèmes bibliques
Notre argument est le suivant : l’Écriture combine les arguments de la théodicée et de l’inscrutabilité. Les récits bibliques de Job, de Joseph et de Jésus nous montrent la bonté de Dieu au milieu du mal, en entrelaçant trois thèmes :
(1) Dieu cherche à susciter un bien supérieur (que ce soit pour l’humanité, pour lui-même, ou les deux).
(2) Dieu prévoit souvent que ce bien survienne par le biais de divers maux.
(3) Dieu laisse les personnes créées dans l’ignorance (dans l’ignorance du type de bien qu’il cherche à atteindre à travers le mal, ou dans l’ignorance des liens qui unissent le bien et le mal).
La Bible semble donc fortement suggérer que la TBS (Dieu qui cherche à susciter le bien par le biais de divers maux) est, dans la providence, le mode opératoire divin, la « manière de travailler » de Dieu. Mais cette TBS est tempérée par une bonne dose d’inscrutabilité divine.
Le cas de Job
Dans le cas de Job, Dieu a pour but de susciter un bien supérieur : sa propre justification. Il cherche en particulier à démontrer qu’il est digne d’être servi pour ce qu’il est et non pour les biens terrestres qu’il procure (Job 1.11 ; 2.5). Dieu veut que le bien supérieur que représente la justification de son propre nom se réalise par le biais de divers maux. Ces maux sont une combinaison de mal moral et de mal naturel (Job 1.15‑17,19,21,22 ; 2.7,10 ; 42.11). Dieu laisse également Job dans l’ignorance de ses actions, car Job n’a pas accès au prologue de l’histoire dans le chapitre 1. Et quand Dieu lui parle « au milieu de la tempête », il ne révèle jamais à Job pourquoi il a souffert. Au lieu de cela, on nous montre que Job ignore l’ensemble du spectre de la réalité créée (Job 38.4 – 39.30 ; 40.6 – 41.34), et Job confesse son ignorance au sujet de la création et de la providence (Job 40.3‑5 ; 42.1‑6).
Le cas de Joseph
Avec Joseph, nous sommes dans un cas similaire. Dieu cherche à atteindre un bien supérieur : sauver l’ensemble du monde méditerranéen d’une famine, préserver son peuple au milieu du danger, et (au bout du compte) offrir au monde un Rédempteur issu des Israélites (Mt 1.1‑17 ; Lu 3.23‑38). Dieu voulait que le bien supérieur que représentait la préservation de son peuple de la famine se réalise par le biais de divers maux (Ge 45.5,7 ; Ps 105.16,17), y compris la trahison de Joseph, vendu en esclavage et souffrant injustement après avoir été accusé et emprisonné (Ge 37,39). Joseph voyait ces maux comme étant des moyens nécessaires à la réalisation de la providence souveraine de Dieu (Ge 50.20). Mais Dieu a laissé les frères de Joseph, les commerçants madianites, la femme de Potiphar et l’échanson dans l’ignorance. Aucun d’eux n’était conscient du rôle que ses actions répréhensibles allaient jouer dans la préservation du peuple de Dieu au milieu du danger. Ils n’avaient aucune idée du type de bien qui allait résulter du mal qu’ils avaient commis. Ils ne savaient pas même que leur mal allait engendrer du bien.
Le cas de Jésus
Nous voyons le même schéma se répéter avec Jésus. Dieu cherche à atteindre un bien supérieur : la rédemption de son peuple par l’expiation de Christ et sa glorification par l’accomplissement de sa justice, de son amour, de sa grâce, de sa miséricorde, de sa sagesse et de sa puissance. Dieu veut que le bien supérieur que représente l’expiation se réalise par le biais de divers maux : les complots juifs (Mt 26.3,4 ; 14,15), les provocations de Satan (Jn 13.21‑30), la trahison de Judas (Mt 26.47‑56 ; 27.3‑10 ; Lu 22.22), l’injustice romaine (Mt 26.57‑68), la lâcheté de Pilate (Mt 27.15‑26) et la brutalité des soldats (Mt 27.27‑44). Mais Dieu laisse divers agents créés (humains et démoniaques) dans l’ignorance. En effet, il est clair que les chefs juifs, Satan, Judas, Pilate et les soldats ignoraient tous le rôle qu’ils étaient en train de jouer dans l’accomplissement de l’objectif rédempteur divinement prophétisé et manifesté par la croix de Christ (Ac 2.23 ; 3.18 ; 4.25‑29 ; Jn 13.18 ; 17.12, 19.23,24).
Adopter et limiter la TBS
Dans chacun de ces récits, les deux premiers thèmes mettent en évidence l’argument de la théodicée (Dieu qui vise un bien supérieur par le biais du mal). Le troisième thème met en évidence l’argument de l’inscrutabilité (livrés à nous-mêmes, nous ne pouvons pas discerner les raisons qui poussent Dieu à permettre le mal). À travers les deux premiers thèmes, l’Écriture soutient à plusieurs reprises l’idée que Dieu a une bonne raison de permettre au mal d’agir dans le monde. Il s’agit de la partie acceptable de la théodicée. Mais à plusieurs reprises, par le biais du troisième thème, l’Écriture nous montre bien que nous sommes incapables de deviner cette raison si le mal advient. Cela va parfaitement dans le sens de l’argument de l’inscrutabilité. Dans la philosophie contemporaine, ces deux arguments sont généralement présentés comme deux manières différentes de résoudre le problème du mal (théodicée et inscrutabilité). La Bible, elle, semble combiner ces deux arguments lorsqu’elle parle de l’implication de Dieu dans le mal du monde. Autrement dit, elle adopte la théodicée du bien supérieur comme point de vue global sur le mal, mais en la limitant avec sagesse et de manière instructive pour les chrétiens et les non-chrétiens.
Adopter la TBS : La souveraineté de Dieu sur toutes les formes de mal
La souveraineté de Dieu sur le mal naturel
C’est une chose de reconnaître la providence souveraine et efficace de Dieu face au mal moral ou naturel mentionné dans les récits de Job, Joseph et Jésus. C’en est une autre de prétendre que Dieu est souverain sur toutes formes de mal moral ou naturel. C’est pourtant ce que la Bible enseigne à plusieurs reprises. Voilà qui nous pousse très fortement à envisager l’adoption de la TBS comme approche générale du problème du mal. La Bible présente une multitude d’exemples où Dieu provoque intentionnellement un mal naturel (famine, sécheresse, attaques d’animaux sauvages, maladies, malformations congénitales telles que la cécité, la surdité, voire la mort) au lieu de se contenter de « laisser faire » la nature. Voici quelques exemples :
- Famine (De 32.23,24 ; 2 R 8.1 ; Ps 105.16 ; És 3.1 ; Éz 4.16 ; 5.16,17 ; 14.13 14.21 ; Os 2.9 ; Am 4.6 ; 9 ; Ag 2.17)
- Sécheresse (De 28.22 ; 1 R 8.35 ; És 3.1 ; Os 2.3 ; Am 4.6‑8 ; Ag 1.11)
- Attaque d’animaux sauvages (Lé 26.22 ; No 21.6 ; De 32.23-24 ; 2 R 17.25 ; Jé 8.17 ; Éz 5.17 ; 14.15 ; 14.21 ; 33.27)
- Maladie (Lé 26.16 ; 25 ; No 14.12 ; De 28.21,22 ; 28.27 ; 2 R 15.5 ; 2 Ch 21.14 ; 26.19,20)
- Malformations congénitales comme la cécité ou la surdité (Ex 4.11 ; Jn 9.1‑3)
- Mort (De 32.39 ; 1 S 2.6,7)
- Les dix plaies d’Égypte (Ex 7.14‑24 ; 8.1‑15 ; 8.16‑19 ; 8.20‑32 ; 9.1‑7 ; 9.8‑12 ; 9.13‑35 ; 10.1‑20 ; 10.21‑29 ; 11.4‑10 ; 12.12,13 ; 12.27‑30)
- Forces impersonnelles et objets (Ps 65.10‑12 ; 77.19 ; 83.14‑16 ; 97.4 ; 104.4, 104.10‑24 ; 107.25,29 ; 135.6,7 ; 147.8,16‑18 ; 148.7,8 ; Jon 1.4 ; Na 1.3,4 ; Za 7.14 ; Mt 5.45 ; Ac 14.17)
La souveraineté de Dieu sur le mal moral
De plus, et de façon assez surprenante, la Bible nous présente un Dieu qui exerce un contrôle si méticuleux sur le cours de l’histoire humaine qu’un large éventail de formes de mal moral (meurtre, adultère, désobéissance aux parents, rejet de sages conseils, voire haine) peut être considéré comme « voulu par le Seigneur ». L’intention de Dieu se situe au-dessus et derrière les choix responsables de ses créatures sans pour autant effacer ou supprimer leur volonté et leurs intentions. Cela inclut leurs délibérations, leurs raisonnements, leurs choix et les alternatives qu’ils envisagent et examinent. Encore une fois, voici des exemples qui vont dans ce sens :
- La désobéissance des fils d’Élie (1 S 2.23‑25)
- Le désir de Samson de se trouver une femme étrangère (Jg 14.1‑4)
- Absalom, Roboam, et Amatsia rejettent les sages conseils qui leur sont donnés (2 S 17.14 ; 1 R 12.15 ; 2 Ch 25.20)
- Assassinat (2 Ch 22.7,9 ; 32.21,22)
- Adultère (2 S 12.11,12 ; 16.22)
- Haine (Ps 105.23‑25 ; Ex 4.21 ; De 2.30,32 ; Jos 11.20 ; 1 R 11.23,25 ; 2 Ch 21.16,17)
La souveraineté de Dieu sur toute forme de mal
Ainsi, les passages de la Bible concernant Job, Joseph et Jésus ne sont pas des anomalies. Au contraire, ils font partie intégrante d’une vision biblique plus générale de la souveraineté de Dieu sur le mal naturel et le mal moral. En effet, en plus de cette liste de textes « particuliers » qui concernent des cas individuels de mal, il y a aussi un certain nombre de textes « universels » qui semblent démontrer que toutes les calamités, toutes les décisions humaines et tous les événements dépendent de la volonté de Dieu.
- La souveraineté de Dieu sur les calamités (Ec 7.13,14 ; És 45.7 ; La 3.37,38 ; Am 3.6)
- La souveraineté de Dieu sur l’ensemble des décisions humaines (Pr 16.9 ; 19.21 ; 20.24 ; 21.1 ; Jé 10.23)
- La souveraineté de Dieu sur tous les évènements, quels qu’ils soient (Ps 115.3 ; Pr 16.33 ; És 46.9,10 ; Ro 8.28 ; 11.36 ; Ép 1.11)
Les limites de la TBS : l’inscrutabilité des desseins de Dieu
Établir la charge de la preuve
Bien sûr, toutes les théodicées mentionnées précédemment ont des limites importantes. Par exemple, la Bible va à l’encontre de l’idée d’une théodicée punitive qui expliquerait tous les maux du monde (Job 1.1,8 ; 2.3 ; 42.7,8 ; Jn 9.1‑3 ; Ac 28.1‑6). De manière générale, les chrétiens ne peuvent jamais en savoir suffisamment sur la situation d’une personne ou sur les desseins de Dieu pour pouvoir dire qu’une de ces théodicées est la raison pour laquelle Dieu autorise le mal dans un cas ou dans un autre. D’ailleurs, il serait tout à fait présomptueux de vouloir le faire. Toutefois, si celui qui affirmait quelque chose devait établir la preuve, alors la question du problème du mal ne serait pas de savoir si les chrétiens en savent assez pour « établir » l’applicabilité d’une théodicée dans un certain cas. Elle serait plutôt de déterminer si leurs adversaires en savent assez pour « exclure » l’applicabilité de toute théodicée. Mais comment leurs adversaires pourraient-ils raisonnablement prétendre savoir qu’il n’y a aucune raison qui pourrait pousser Dieu à permettre la souffrance ? Comment pourraient-ils savoir si la prémisse (2) de l’argument d’origine est vraie ? Pourquoi les raisons, si raisons il y a, pour lesquelles Dieu autorise le mal dans certains cas seraient à portée de nos capacités cognitives ?
Analogies avec nos limites cognitives
Le fait que nous ayons des limites cognitives pour discerner les éléments et les relations dans les domaines où nous manquons d’expertise, d’expérience ou de perspective adéquate est connu et bien établi. Voici quelques exemples :
- Il ne me semble pas qu’il y ait un rocher parfaitement sphérique sur la face cachée de la lune en ce moment même, mais ce n’est pas une raison pour conclure qu’un tel rocher n’existe pas.
- Apparemment, au Moyen Âge, personne ne pensait que les théories de la relativité restreinte ou de la mécanique quantique pouvaient être vraies, mais ce n’était pas une raison pour conclure qu’elles n’étaient pas vraies.
- Pour les gens d’autres époques, il ne semblait pas que les droits fondamentaux de l’homme, quels qu’ils soient, aient pu effectivement être des droits fondamentaux, mais ce n’était pas une raison pour penser que de tels droits n’existaient pas.
- Des phrases de grec prononcées à l’oral ne semblent avoir aucun sens pour quelqu’un qui ne parle pas le grec, mais ce n’est pas une raison pour penser qu’elles n’ont effectivement aucun sens.
- Pour des oreilles non initiées à la musique, il ne semble pas que Beethoven ait fondu la « forme sonate » dans l’ensemble de la symphonie pour donner à son œuvre musicale entière une unité fondamentale qu’elle n’aurait pas pu avoir autrement. Mais leur ignorance ne doit pas pour autant nous faire conclure que Beethoven n’avait pas un tel but, et encore moins qu’il n’a pas réussi à le réaliser.
- Mon fils âgé d’un mois n’a apparemment aucun moyen de comprendre que j’ai une bonne raison de lui faire subir une série de piqûres douloureuses chez le médecin. Mais son ignorance ne doit pas pour autant lui faire conclure que je n’ai pas de bonne raison de le faire.
Dieu est omniscient, ce qui signifie qu’il sait non seulement tout ce que nous sommes susceptibles de deviner, mais aussi qu’il connaît toutes les vérités qui nous échappent. Cela veut donc dire que Dieu sait des choses que nous ne pouvons pas même concevoir. Cette hypothèse est facilement démontrable dans un grand nombre de cas, comme le suggèrent les analogies ci-dessus. Admettons que la complexité d’un plan divin et infini du déploiement de l’univers implique effectivement que Dieu reconnaisse l’existence d’un bien qui nous échappe, ou les liens nécessaires qui existent entre les diverses formes de mal et la réalisation de ce bien, voire les deux. Notre incapacité à discerner ce bien ou ces liens devrait-elle alors nous amener à penser qu’ils n’existent pas ? Sur quoi pourrait se fonder notre assurance ? Sans cette assurance, nous avons peu de raisons d’accepter la prémisse (2) concernant le problème du mal. Nous avons donc tout aussi peu de raisons d’accepter sa conclusion.
Un argument biblique pour justifier l’inscrutabilité divine
Le thème de l’inscrutabilité divine repose simplement sur un bon sens excessivement défendable. Il occupe également une place importante dans la Bible, car il a des implications à la fois pastorales et apologétiques. Il fait taire les chrétiens qui imposeraient de façon insensible « les raisons de Dieu » à ceux qui souffrent (alors qu’ils ne connaissent rien de ces raisons). Il fait également taire ses adversaires qui excluent irrationnellement toutes raisons divines à la souffrance. Imaginez un instant que nous ayons pu nous trouver avec Job (en tant qu’ami), Joseph (en tant que frère) et Jésus (en tant que bourreau). Aurions-nous pu deviner le dessein que Dieu avait prévu d’accomplir par le biais de cette souffrance ? N’aurions-nous pas plutôt été totalement ignorants de ce dessein divin ? Une grande partie du pouvoir littéraire du récit biblique et des encouragements spirituels qu’il offre ne repose-t-elle pas sur cette interaction permanente entre l’ignorance des acteurs humains et la sagesse de la providence divine ?
L’une des réflexions les plus approfondies du Nouveau Testament sur le problème du mal ‒ le mal de l’apostasie juive, dans ce cas de figure ‒ se trouve dans Romains 9 à 11. La doxologie finale de Paul mélange les deux thèmes jumeaux de la souveraineté divine sur le mal et de l’inscrutabilité divine au milieu du mal :
Ô profondeur de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont insondables, et ses voies incompréhensibles ! Car qui a connu la pensée du Seigneur, ou qui a été son conseiller ? Qui lui a donné le premier, pour qu’il ait à recevoir en retour ? C’est de lui, par lui, et pour lui que sont toutes choses. À lui la gloire dans tous les siècles ! Amen ! (Ro 11.33‑36.)
Dans la mesure où Dieu n’a pas parlé d’un événement particulier de l’histoire, nous pouvons conclure que ses jugements sont insondables et que ses voies sont impénétrables. Mais cela n’implique pas pour autant l’absence d’un bien supérieur pouvant justifier la réalisation de cet événement par la volonté divine.
Lectures complémentaires
- ALSTON, William P., « The Inductive Argument from Evil and the Human Cognitive Condition », reproduit dans HOWARD-SNYDER, Daniel, éd., The Evidential Argument From Evil, Indiana University Press, 1996, p. 97-125.
- BEGG, Alistair, The Hand of God: Finding His Care in All Circumstances, Moody, 2001.
- BRIDGES, Jerry, Puis-je lui faire confiance même dans mes épreuves ?, Europresse, 1992 [réimpr., 2016].
- CALVIN, Jean, Institution de la religion chrétienne, Excelsis/Kerygma, 2009, I, chapitres 16‑18.
- CARSON, D. A., Jusques à quand ? – Réflexions sur le mal et la souffrance, Excelsis, 2015.
- FRAME, John M., Apologetics: A Justification of Christian Belief, P&R, 2015, chapitres 7,8.
- HELM, Paul, La providence de Dieu, Excelsis, 2007, chapitres 7–8.
- HOWARD-SNYDER, Daniel, « God, Evil, and Suffering », chapitre 4, dans Michael J. Murray, éd., Reason for the Hope Within, Eerdmans, 1999.
- LEWIS, C. S., Le problème de la souffrance, Pierre Téqui, 2020.
- PIPER, John et Justin Taylor, éd., Suffering and the Sovereignty of God, Crossway, 2006.
- PLATINGA, Alvin, Warranted Christian Belief, Oxford University Press, 2000, chapitre 14.
- SWINBURNE, Richard, Providence and the Problem of Evil, Oxford University Press, 1998.
Cet essai fait partie de la série « Courts traités de théologie ». Toutes les opinions exprimées dans cet essai sont celles de l’auteur. Cet essai est disponible gratuitement sous licence Creative Commons : Attribution – Partage dans les Mêmes Conditions, permettant aux utilisateurs de le partager sur d’autres supports/formats et d’adapter/traduire le contenu à condition qu’un lien d’attribution, l’indication des changements, et la même licence Creative Commons s’appliquent à ce matériel.
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