Le livre de Ruth est une histoire brève très appréciée. L’affection qu’on lui voue tient en partie au fait qu’il contient tous les éléments d’un bon drame : une intrigue captivante, des personnages intéressants, de la tension, de la romance, des conflits, des gens qui surmontent des épreuves, et bien d’autres choses encore. Le récit émouvant se termine comme une histoire de Cendrillon, dans laquelle les deux personnages principaux trouvent l’amour, se marient et ont des enfants. Certains commentateurs s’appuient sur ce type de lecture pour expliquer l’intention du livre, en voyant dans les personnages principaux et leur amour l’un pour l’autre un modèle de l’amour que Dieu a pour nous.
Dans la même lignée, certains écrivains -peut-être même était-ce le cas des anciens lecteurs hébreux du livre- soulignent les qualités morales des personnes qui y sont présentes. Par exemple, en Ruth 3 :11, Boaz qualifie Ruth de « femme de valeur », le terme hébreu pour « de valeur » est l’un de ceux qui reflètent l’intégrité, l’habileté et l’honneur. Dans la plupart des bibles, Ruth est le huitième livre de l’Ancien Testament et il suit immédiatement le livre des Juges, mais dans la Bible hébraïque, il vient juste après le livre des Proverbes. Pourquoi en est-il ainsi ? Dans le dernier chapitre des Proverbes, l’auteur demande si quelqu’un peut trouver une « femme vertueuse » (Prov 31 :10). Le livre de Ruth répond donc à la question des Proverbes en nous proposant un exemple historique : Boaz a trouvé une femme vertueuse. En fait, le livre se réfère à Boaz comme à un « homme vertueux » (Ruth 2 :1, généralement traduit par « riche » mais utilisant le même mot que celui utilisé en Ruth 3.11). Les personnages droits de Ruth et de Boaz sont certainement dignes d’émulation, mais le thème de la vertu morale ne reflète pas encore pleinement le but du livre.
Ce livre a un projet plus grand que celui d’être seulement une histoire de la droiture humaine. L’auteur nous raconte une histoire qui a pris place au temps des juges (voir le commentaire sur les Juges pour en savoir plus sur cette période-en anglais), qui est l’une des époques où « il n’y avait pas de roi en Israël » (Jug 21 :25). Le livre de Ruth nous fournit un récit concernant les ancêtres de David, sans doute le plus grand roi de l’Israël antique. L’histoire se termine en nous dévoilant le fait que Ruth et Boaz sont les arrière-grands-parents de David. L’histoire, de ce fait, n’est pas seulement une histoire d’intégrité morale, mais elle oriente nos regards vers le roi à venir.
Mais la mention de David n’est pas le point culminant du livre. En fait, David lui-même oriente nos regards vers la venue d’un roi définitif : Jésus-Christ, le fils de David. La généalogie de David à la fin du livre de Ruth (Ruth 4 :18-22) est essentiellement la même que celle que l’on trouve dans la généalogie de Jésus (Matt 1:3-6). La seule différence entre les deux généalogies est que, dans l’ascendance de Jésus, Matthieu inclut les noms de deux femmes païennes, Rahab et Ruth. L’une des raisons de cette incorporation est de montrer la réalité de l’inclusion des païens dans le royaume de Dieu. La conclusion glorieuse du livre de Ruth est la venue du Messie, et le lecteur doit garder cela à l’esprit lorsqu’il étudie ce livre.
Le but
Le livre de Ruth décrit la rédemption et l’inclusion des Gentils dans la lignée de David et du fils de David, le Roi messianique.
Verset-clef
« Ruth répondit : Ne me pousse pas à te laisser, à repartir loin de toi ! Où tu iras j’irai, où tu habiteras j’habiterai ; ton peuple sera mon peuple et ton Dieu sera mon Dieu. »
— Ruth 1 :16
Grandes lignes
Le livre de Ruth peut être découpé assez simplement en quatre scènes, comme suit :
Scène 1 : En Moab (1 :1-18)
Un contexte d’adversité (1 :1-5)
La compassion du Seigneur (1 :6-9)
Le grand attachement (1 :10-14)
La confession de Ruth (1 :15-18)
Scène 2 : À Bethléhem (1 :19-2:23)
Arrivée à la maison (1 :19-22)
Dans les champs (2 :1-7)
La conversation (2 :8-17)
Le retour de Ruth des champs (2 :18-23)
Scène 3 : À l’aire de battage (3 :1-18)
L’éclosion d’un plan (3 :1-6)
Au tas de grains (3 :7-13)
Retour à Bethléhem (3 :14-18)
Scène 4 : À la porte (4 :1-22)
Au tribunal (4 :1-12)
Le descendant (4 :13-22)
Scène 1 : dans le pays de Moab (1 :1-18)
Un contexte d'adversité (1 :1-5)
1 :1 Les mots qui ouvrent le texte « A l’époque des juges » nous donnent le contexte dans lequel s’inscrit cette histoire. Que savons-nous de cette période ? Le livre des Juges s’achève sur la formulation suivante : « Chacun faisait ce qui lui semblait bon » (Jug 21 :25). C’était un temps de relativisme moral, de décadence et d’anarchie. Il n’existait en Israël aucune autorité politique centrale ni aucun centre spirituel. En conséquence, le livre des Juges expose la spirale descendante de l’activité morale en Israël. À la fin du livre, nous lisons l’histoire carrément lubrique et obscène des Benjaminites. Ce contexte sert de contrepoint au livre de Ruth (voir le commentaire sur les Juges pour en savoir plus sur cette période–version anglaise). Bien que de nombreux Israélites manquaient de fibre morale et agissaient comme les Cananéens impies, tout le monde ne se comportait pas ainsi. Dans cette veine, l’auteur nous invite à considérer Boaz et Ruth. Ce point lumineux dans une époque sombre témoigne de la réalité que l’apôtre Paul proclamera plus tard, à savoir que Dieu « n’a pas cessé de rendre témoignage » dans les générations passées (Actes 14 :17).
Tout en nous donnant le contexte historique général des événements du livre, l’auteur commence son récit en nous expliquant qu’une famine physique était survenue en Israël-probablement un signe du déplaisir de Dieu lié à l’infidélité d’Israël (Lév 26 :18-20). L’histoire, alors, se fait plus intime en nous parlant d’un homme et de sa famille qui ont quitté le territoire d’Israël à cause de cette catastrophe naturelle. Ironie : cet homme était de la ville de Bethléhem, un nom qui signifie « maison du pain » ! Pour le lecteur, ce nom lui rappelle aussi que cette ville fut celle du futur grand roi d’Israël, David, ainsi que le lieu de la naissance du futur roi, plus grand encore, le roi messianique, Jésus.
Le texte dit ensuite que l’homme se rendit dans le pays de Moab pour y séjourner. Les immigrants étaient de ceux qui travaillaient dans un pays étranger mais n’avaient que peu des droits et privilèges des citoyens. Ils ne possédaient pas de terre mais étaient généralement au service d’un autochtone (dans ce cas-là, un Moabite). Les Moabites étaient un peuple païen qui adorait les dieux Kemosh, Baal-Peor, et bien d’autres encore. Pendant la période des juges, ils étaient un ennemi juré d’Israël (voir Jug 3 :12-30). Ainsi, cet homme israélite avait quitté les terres ancestrales qui lui avaient été attribuées par le Seigneur, et il était allé dans le pays de Moab pour travailler sous l’autorité de païens. Il semble donc avoir mis sa famille en danger. Était-ce la bonne chose à faire ? Un point à considérer est le fait que tout le monde n’a pas réagi à la famine en recourant à l’émigration. Apparemment, beaucoup -comme Boaz- étaient restés dans la terre promise.
1 :2 Les noms des membres de la famille sont importants pour interpréter l’histoire. Le nom du chef de famille était Élimélec, ce qui veut dire « mon Dieu est roi » ; son nom est chargé d’ironie, alors qu’« il n’y avait pas de roi en Israël. Chacun faisait ce qui lui semblait bon » (Jug 21 :25). Cet homme et ses actions étaient un témoignage du relativisme qui régnait en ces temps. Le nom de sa femme était Naomi, ce qui veut dire « doux » ou « plaisant ». Plus tard dans le récit, après de nombreuses souffrances, cette femme demanda aux femmes de Bethléhem de ne pas l’appeler Naomi (« douce ») mais plutôt de s’adresser à elle en l’appelant Mara (« amère »).
La famille d’Élimélec était donc des Éphratiens. Ce clan faisait partie de la tribu de Juda qui vivait autour de Bethléhem. Cette mention est destinée à rappeler au lecteur, encore une fois, la future venue du Roi David : nous lisons dans 1 Samuel 17 :12 que David « était le fils de l’Éphratien de Bethléhem en Juda nommé Isaï qui avait huit fils ». David n’était pas seulement de la tribu de Juda et un Bethléhémite, mais il était du clan même de la famille d’Élimélec.
1 :3-5 La famille était dans une situation désespérée. Ils vécurent dans un contexte de famine, puis restèrent sous l’autorité des Moabites pendant « environ dix ans ». Ils étaient manifestement affectés par leurs circonstances, comme en témoigne le fait que les deux fils ont épousé des femmes moabites en désobéissant à la parole de Dieu (voir Deut 7 :3-4). La tragédie a ensuite frappé, car Élimélec et ses deux fils sont morts. Naomi s’est alors retrouvée dans une situation grave. En tant que veuve israélite sans fils, elle n’était pas protégée et risquait le dénuement, la pauvreté et peut-être même l’esclavage. Elle était maintenant une rejetée, de l’une des classes indésirables. Que devait-elle faire ?
La compassion du Seigneur (1 :6-9)
1 :6 Naomi décida alors de retourner vers l’héritage de sa famille en Juda pour deux raisons. Premièrement, sa vie en Moab était devenue insupportable : elle était veuve, sans moyen de subsistance dans une société païenne. Deuxièmement, elle entendit la nouvelle que Dieu avait visité son peuple et mis fin à la famine. Yahvé avait envoyé la famine et maintenant, dans sa grâce, il l’enlevait. Le texte souligne la providence de Dieu qui surpasse la nature.
Un mot-clef apparaît tout au long de Ruth 1 :6-22 : le verbe « retourner » apparaît douze fois. Bien que ce verbe soit couramment utilisé pour désigner une personne qui change de cap et retourne physiquement à un endroit, il a également une signification spirituelle dans l’Ancien Testament. L’Ancien Testament utilise ce mot pour décrire une personne qui se repent et se tourne vers Dieu (par exemple, Os 3 :5 ; Os 6 :1; Os 7 :10). Sa répétition dans le texte indique vraisemblablement que les personnages ne se contentaient pas de retourner/partir vers la terre de la promesse, mais qu’ils revenaient également/se tournaient vers Yahvé.
1 :7-9 Alors que Naomi commençait son voyage de retour vers Bethléhem, ses deux belles-filles, veuves aussi, Orpa et Ruth, l’accompagnèrent. On peut relever l’ironie de cette situation : ces deux femmes allaient arriver dans Bethléhem dans la même condition que celle où se trouvait Naomi dans le pays de Moab ; elles auraient été deux veuves sans protection masculine et des immigrantes en pays étranger. Selon les lois qui avaient cours dans le Proche-Orient ancien, ces deux femmes n’étaient pas tenues d’accompagner Naomi, mais elles avaient le droit de retourner chacune dans sa propre famille. Naomi les pressait de le faire pour qu’elles y reçoivent soin et protection. Elle prononça alors sur elles une bénédiction en invoquant le nom de Yahvé, le nom d’alliance du Dieu d’Israël. Elle invoqua Yahvé pour qu’il « agisse avec bonté » un terme fort en hébreu (chesed), qui est mieux rendu par « la loyauté dans l’alliance ». Naomi demandait que le Dieu d’alliance d’Israël voulût bien montrer sa loyauté alliancielle à ces deux femmes moabites et les confiait à ses soins.
Le grand attachement (1 :10-14)
1 :10-13a Bien qu’Orpa et Ruth aient affirmé qu’elles iraient quand même avec leur belle-mère, Naomi insista pour qu’elles ne fassent rien de tel. Elle fit valoir qu’Israël n’offrait aucune perspective à ces femmes moabites. Naomi elle-même n’aurait rien à leur offrir. Elle était indigente, veuve, et n’avait pas de fils qui pourraient épouser Orpa et Ruth. Ici, le lecteur est introduit à l’importante coutume hébraïque appelée « la loi du lévirat » (le mot lévir signifie en latin « frère du mari »). Cette loi est exposée de façon plus claire dans Deutéronome 25 :5-6 :
Lorsque des frères demeureront ensemble, et que l’un d’eux mourra sans laisser de fils, la femme du défunt ne se mariera point au-dehors avec un étranger, mais son beau-frère ira vers elle, la prendra pour femme, et accomplira ainsi son devoir de frère. Le premier-né qu’elle enfantera succédera au frère mort et portera son nom, afin que son nom ne soit pas effacé d’Israël.
Naomi précisait à Orpa et Ruth qu’elle n’avait pas de fils pour réaliser cette coutume et, de ce fait, elle cherchait à les dissuader de faire le voyage avec elle. (Soit dit en passant, cette loi jouera un rôle important plus tard dans le livre).
1 :13b-14 Naomi mit alors en avant sa propre situation désespérée pleine d’amertume qui aurait des effets négatifs sur Orpa et Ruth. Elle conclut que « l’Éternel est intervenu contre moi ». Naomi avait compris que l’adversité qui la frappait n’était pas due au hasard ou à de simples circonstances, mais que l’histoire se déroulait selon la providence de Dieu. Le plaidoyer rationnel de Naomi entraîna une divergence de réponse : Orpa embrassa Naomi pour lui dire adieu, mais Ruth s’accrocha à elle pour ne pas être séparée de sa personne.
La confession de Ruth (1 :15-18)
1 :15-16a Naomi pressa alors Ruth de suivre sa belle-sœur et de retourner dans le pays de Moab. Mais Ruth était déterminée. Elle se consacra à Naomi et se montra décidée à la suivre en Israël. Cet engagement est souligné par une série de déclarations que les grammairiens appellent de l’expression latine idem per idem (figure de style dans laquelle le même verbe ou le même nom est utilisé pour les actions de deux personnes différentes). La série de déclarations « où tu iras, j’irai », « où tu habiteras, j’habiterai », « ton peuple sera mon peuple », et ainsi de suite, souligne l’unité de but et d’action entre les deux femmes. Ruth promettait à Naomi une allégeance et une fidélité sans faille.
1 :16b-18 L’engagement de Ruth, cependant, n’était pas seulement envers Naomi. Elle affirme encore l’idem per idem« ton Dieu, mon Dieu ». Cette affirmation est une déclaration non-verbale (aucun verbe ne figure explicitement), et elle a une force toute particulière en hébreu. Cette affirmation eut l’effet d’un coup de tonnerre. Si nous revenons en arrière en Ruth 1 :15, nous voyons qu’Orpa était retournée à ses dieux. Ruth, au contraire, renonçait au polythéisme des Moabites et embrassait le monothéisme des Hébreux. Ruth 1 :17 confirme cette conversion puisque Ruth invoque le nom du Seigneur, le nom de Yahvé, le nom d’alliance du Dieu d’Israël. La conversion de Ruth et son serment firent taire Naomi.
La conversion d’une Moabite (qui fait partie des Gentils, une païenne) à la vraie foi devrait tout autant nous bouleverser. Cette conversion, de plus, pointe vers une réalité plus grande : les Gentils sont inclus dans le peuple de Dieu par la foi. Et, comme nous l’avons mentionné dans l’introduction, ceci est une des raisons importantes pour lesquelles Matthieu inclut Ruth (et Rahab) dans la généalogie de Jésus (Matt 1 :5).
Scène 2 : à Bethléhem (1 :19-2 :23)
Retour à la maison (1 :19-22)
1 :19 Rien ne nous est dit dans le texte au sujet du voyage vers Bethléhem. Il est simplement dit qu’ « elles firent ensemble le voyage jusqu’à leur arrivée à Bethléhem ». Ainsi, il y a un temps non défini entre les versets 18 et 19. Ce voyage représentait approximativement 65 à 80 kilomètres sur un terrain rude, principalement fait de collines. Cela devrait leur avoir pris des bien des jours pour arriver au bout de ce voyage. Cet intervalle de temps nous rappelle qu’il nous faut aller lentement quand nous lisons et qu’il nous faut réaliser que certains événements prennent longtemps avant leur dénouement.
Lorsque les femmes arrivèrent à Bethléem, toute la ville fut « émue ». Ce mot dans l’original porte l’idée d’ « être en émoi », et ainsi la ville était dans l’agitation et la confusion à cause de leur arrivée inattendue. Les commérages allaient bon train, et les femmes de la ville demandaient : « Est-ce Naomi ? » Cette question pouvait avoir une orientation malveillante, ou elle pouvait être posée par simple curiosité.
1 :20-21 Naomi répondit directement en faisant un jeu de mots sur son propre nom. Auparavant en Ruth 1 :2, son nom avait été défini comme voulant dire « douce » ou « plaisante ». Elle dit aux femmes de Bethléhem de ne pas l’appeler ainsi, mais elle les invitait, plutôt, à la nommer Mara, ce qui signifie « amère ». Naomi avait utilisé ce terme auparavant en Ruth 1 :13 quand elle avait déclaré à Orpa et Ruth : « Je suis dans une grande amertume parce que l’Éternel est intervenu contre moi ». Son changement de nom reflétait sa compréhension de la providence de Dieu. Elle déclara en Ruth 1 :20-21 que Dieu avait fait quatre choses envers elle : il l’avait remplie d’amertume, il l’avait ramenée les mains vides, il avait témoigné contre elle (le verbe « témoigner » peut signifier « affliger » dans l’original), et il avait apporté le trouble dans sa vie. Toutes ces choses sont des providences bien amères. Toutefois Naomi ne faisait pas de reproche à Dieu au sujet de sa propre situation. Elle ne faisait que reconnaître la main de Dieu dans les événements de la vie et répondait avec patience et persévérance à chacun d’eux.
1 :22 Cette section s’achève en mentionnant que Naomi et Ruth étaient arrivées à Bethléhem « au début de la moisson de l’orge ». La moisson de l’orge était la première moisson des céréales dans l’année agricole et elle était rapidement suivie par celle du blé. Cette année-là, la moisson était abondante (Ruth 1 :6) et bon nombre de travailleurs étaient nécessaires dans les champs. Ruth, de ce fait, allait être en mesure de trouver du travail, de nourrir la famille et de rencontrer Boaz. Il s’agissait assurément du temps de Dieu et c’était une douce providence.
Dans les champs (2 :1-7)
2:1 Le verset qui ouvre cette section est une parenthèse qui interrompt le cours de l’histoire. C’est à ce moment-là que l’auteur fait connaître au lecteur un homme nommé Boaz. Boaz était un « parent » du mari de Naomi, Elimélec. Dans l’hébreu ancien, ce terme avait une large gamme de significations et, de ce fait, le lecteur reste dans l’incertitude quant à la relation exacte entre les deux hommes. Le verset nous dit aussi que Boaz faisait partie du « clan » d’Elimélec, lequel représentait une famille élargie fondée sur la consanguinité (une relation de sang multi-générationnelle). Pourtant, le drame va s’intensifier dans cette histoire car nous ne savons pas encore à quel point la relation entre les deux hommes est étroite.
Boaz était « un homme riche » ; le mot hébreu traduit par « riche » peut faire référence à la richesse, mais il peut souvent signifier intégrité, valeur et honneur. Le caractère de Boaz est confirmé par la signification de son nom : « en lui est la force ». Plus tard, lorsque Salomon, l’arrière-arrière-petit-fils de Boaz, a construit le temple de Jérusalem, il a appelé « Boaz » l’une des colonnes principales de l’édifice (1Rois 7 :21). L’homme Boaz et la colonne du même nom partageaient des caractéristiques similaires : l’un était une colonne à Bethléhem, soutenant la communauté, et l’autre était une colonne dans le temple, soutenant l’imposante structure.
2 :2-3 L’auteur revient ici à l’histoire de Ruth. Selon la loi hébraïque, le fermier ne devait glaner et moissonner ses champs qu’une seule fois pendant la récolte ; il ne devait pas dépouiller ses champs (Lév 19 :9–10). Il devait laisser les bords non récoltés de ses champs, et ce qui restait dans les champs devait être laissé aux défavorisés d’Israël. Ruth a demandé à Naomi si elle pouvait aller aux champs et glaner après les moissonneurs, comme l’une des indigentes du pays.
Après avoir reçu la permission de sa belle-mère, elle s’en est allée travailler dans les champs et « il se trouva » qu’elle vint dans le champ qui appartenait à Boaz. Comment le lecteur doit-il comprendre ce commentaire qui semble dire qu’elle est venue dans ce champ par hasard ? Peut-être s’agissait-il d’une formule ironique de l’auteur, conscient de la providence de Dieu qui guide l’histoire. Ou peut-être, du point de vue de Ruth, cela semblait être un hasard ; elle ne l’avait pas prévu. La déclaration populaire attribuée à John Flavel est utile pour comprendre la perspective de l’auteur dans ce passage : « La providence de Dieu est comme l’hébreu, elle doit être lue à l’envers ».
2 :4-7 Ruth 2 :4 commence par le mot « Or » ; ceci est une formule emphatique pour exprimer la surprise. Notre nouveau personnage est ici réintroduit. Le timing de Boaz était parfait parce qu’il s’agissait du timing de Dieu. Voici l’homme « riche », industrieux et qui travaille dur, qui vient pour surveiller l’ouvrage ; ce n’est pas un riche propriétaire absentéiste. En inspectant le travail, Boaz remarque une personne qu’il ne connaît pas et, discrètement, il demande au chef des moissonneurs des renseignements sur cette dernière. La réputation de Ruth d’être une femme droite l’a précédée dans les champs ; le soin qu’elle prend de sa belle-mère lui a valu une excellente réputation parmi les habitants de Bethléhem. De plus, son travail dans les champs témoigne de son caractère honorable et diligent. Le chef des moissonneurs explique à Boaz que Ruth a travaillé dans les champs toute la journée « et ne s’est reposée qu’un moment ». Une lecture précise et littérale de l’affirmation du chef des moissonneurs est la suivante : « Ce (champ) est sa demeure, la maison est petite ». En d’autres termes, le champ a été la demeure de Ruth toute la journée, et sa maison en ville ne signifiait pas grand-chose pour elle. C’était une personne industrieuse et courageuse ; en fait, elle ressemblait beaucoup à Boaz !
La conversation (2 :8-17)
2 :8–9a Après avoir entendu ces informations, Boaz alla parler directement à Ruth. Il lui parla avec bonté et respect. Puis il lui fournit deux types d’assistance. Premièrement il lui assura sa protection. Il lui dit de ne glaner que dans son champ et de rester à proximité de ses « servantes ». Ces femmes n’étaient vraisemblablement pas des esclaves ou des servantes mais de jeunes femmes du clan de Boaz, encore célibataires -et qu’on protégeait bien, du fait du lien de parenté. Il ordonne aussi aux jeunes hommes qui travaillaient dans le champ de ne pas l’importuner. Ruth, en tant qu’étrangère indigente, était vulnérable et ainsi Boaz sauvegardait son bien-être.
2 :9b–16 Deuxièmement, Boaz a pourvu à la subsistance de Ruth. Il lui dit de se servir de l’eau mise à disposition des travailleurs dans le champ. Il l’a ensuite invitée à un repas préparé pour les moissonneurs et qui comprenait du grain rôti. Quand ils sont retournés au travail, Boaz a dit aux moissonneurs de laisser Ruth glaner juste dans les secteurs où ils travaillaient ; là, elle n’allait pas trouver que des restes mais le meilleur de la récolte. De plus, il ordonna à ses ouvriers de laisser des tiges de céréales qu’elle pourrait facilement ramasser et mettre en bottes.
Ruth répondit aux propositions de Boaz avec une grande humilité et un soupçon de surprise. Ruth fait ici usage d’un jeu de mots (le verbe « s’intéresser à » et le nom commun « étrangère » sont liés), exprimant ainsi son émerveillement face à la générosité de Boaz. Les étrangers étaient les personnes qui, habituellement, vivaient sans qu’on fasse attention à elles ni qu’on les reconnaisse : aussi Ruth se demandait-elle pourquoi Boaz l’avait remarquée. De plus elle était encore plus surprise qu’il lui parle avec tant de gentillesse et la réconforte alors qu’elle n’était qu’une « servante » et pas « comme l’une de tes servantes ». Ici encore, l’humilité et l’honnêteté de Ruth ont brillé.
Enfin, Boaz prononça la bénédiction de Yahvé sur Ruth, appelant le Seigneur à faire fructifier les actes et la conduite de Ruth. Dans cette bénédiction, il reconnaît pleinement la conversion de Ruth, puisqu’il décrit sa relation au Seigneur comme « sous les ailes duquel tu es venue te réfugier ». Boaz dépeint Dieu comme une mère oiseau qui protège ses petits ; c’est une métaphore utilisée dans l’Ancien Testament pour parler du fait que le peuple de Dieu lui appartient et se trouve sous ses soins (par exemple, Deut 32 :11; Exode 19:4).
2 :17 Ruth a continué à glaner jusqu’au soir. Alors elle est allée battre ce qu’elle avait glané, séparant le bon grain du son. Après ce dur labeur, Ruth repartit avec environ un épha d’orge (un épha représente environ deux tiers d’un boisseau ou 8 litres de volume et 30 livres ou 14 kilogrammes, capables de donner 672 tranches de pain complet). C’était une quantité généreuse pour récompense de son dur labeur.
Le retour de Ruth des champs (2 :18-23)
2 :18 Après ses travaux, Ruth retourna auprès de Naomi et lui montra l’abondante quantité de grain qu’elle avait glanée. Elle donna ensuite à Naomi les restes de repas qu’elle avait gardés après avoir été rassasiée. Les mêmes termes sont apparus plus tôt en Ruth 2 :14 ; en d’autres mots, Ruth pourvut Naomi d’une partie des grains rôtis qu’elle avait reçus de Boaz lors du repas de midi dans les champs. Elle n’a pas seulement traîné 14 kilos d’orge des champs à la maison, mais elle aussi rapporté un repas pour Naomi. Ruth était une personne qui faisait passer les autres avant elle-même.
2 :19-20 Naomi lui répondit en invoquant deux bénédictions sur Boaz. L’excitation de Naomi transparaît particulièrement lorsqu’elle décrit l’homme comme « l’un de nos rédempteurs ». Le terme hébreu « rédempteur » est go’el, et il joue un rôle important dans le livre de Ruth.
Qu’est-ce qu’un² rédempteur de sa propre parenté ?
Un go’el était quelqu’un qui délivrait les membres de sa parenté de circonstances difficiles, les rachetant du danger. Dans l’Israël antique, le go’el avait quatre devoirs principaux :
Il devait racheter son parent de l’esclavage, qui survenait généralement lorsque quelqu’un s’endettait et s’engageait envers un autre Hébreu (Lév 25:47–49; Deut 15:12–17) ;
Il avait le devoir de racheter les terres du clan qu’un de ses parents avait vendues (Lév 25:23–25) ;
Il devait accomplir la loi du lévirat en épousant une veuve de la famille qui n’avait pas d’héritier mâle et produire une descendance pour le mari décédé (Deut 25:5–6 ; voir le commentaire qui est fait en Ruth 1:11) ;
Il devait venger le sang d’un parent (Nom 35 :16-19).
Le concept de la rédemption par un go’el était, dans l’Écriture, une merveilleuse image de l’œuvre de Dieu en faveur de son peuple. Tout au long de l’Ancien Testament, le terme go’el a été utilisé pour parler de Dieu qui intercède en faveur de son peuple (Job 19 :25–26 ; Psa 19:14). L’exode hors de l’Égypte a été le grand acte rédempteur de l’Ancien Testament par lequel Dieu a racheté son peuple de l’esclavage (Exode 6:6–8). Dans le Nouveau Testament, Jésus est le go’el qui apporte la liberté à son peuple (Luc 4:16–21). Il délivrait sa parenté de la servitude (Rom 8:29), il revendiquait un héritage pour son peuple (1Pi 1:3–4), il suscitait une postérité en son nom (Éph 1:5), et il faisait fonction de vengeur du sang (voir le livre de l’Apocalypse). Jésus, le vrai go’el est venu !
2:21–23 Pour finir, observons la façon dont Ruth est décrite comme « la Moabite ». La référence faite à ce statut en Ruth 2:2 fait fonction d’inclusio, rappelant au lecteur, du début à la fin du chapitre, que Ruth était une étrangère qui avait besoin de rédemption.
Scène 3 : À l’aire de battage (3:1-18)
L'éclosion d'un plan (3 :1-6)
Ruth avait travaillé dans les champs de Boaz pendant environ trois mois, jusqu’à la fin de la moisson du blé (Ruth 2 :23). Aucune action rédemptrice de la part de Boaz n’avait eu lieu durant cette période, aussi Naomi décida d’agir et de mettre le processus en route.
3 :1 Certains commentateurs soutiennent que les actions de Naomi étaient manipulatrices voire trompeuses dans le but d’obtenir ce qu’elle voulait. De tels agissements sournois sont peu concevables, car Naomi se souciait beaucoup du bien-être de Ruth, et elle était préoccupée par le secours temporel qu’un rédempteur apporterait. En effet, toutes deux vivaient tant bien que mal, mais Naomi était sur le point de devoir vendre sa terre pour survivre (Ruth 4 :3). En outre, en tant que Moabite, Ruth ne connaissait peut-être pas le fonctionnement des lois israélites sur le rachat et, par conséquent, Naomi la guidait.
3 :2 Naomi dit à Ruth de se rendre dans l’aire de battage le soir même où Boaz allait superviser le vannage de sa récolte. Il allait être là toute la nuit afin de garder sa récolte. Naomi a ensuite expliqué à Ruth ce qu’elle devait faire : elle devait se laver, s’oindre et changer de vêtements. Certains commentateurs pensent que Naomi a demandé à Ruth d’être séduisante ou attirante. Plus probablement, ses actions ont démontré à Boaz que le temps de deuil de Ruth était terminé. Dans 2 Samuel 12:20, David a fait les trois mêmes choses pour indiquer qu’il avait terminé le deuil de son enfant mort.
3 :3-6 Ruth devait attendre que Boaz soit seul pour l’approcher. Encore une fois, il ne s’agit pas d’un piège scandaleux. Elle l’approchait en privé afin que la réputation de Ruth soit préservée au cas où Boaz rejetterait sa proposition. C’était un homme pieux qui n’aurait pas profité d’elle, mais qui aurait géré les choses de manière appropriée. Mais il aurait bien semblé que l’ordre de Naomi à Ruth de « découvrir ses pieds et de se coucher » à côté de Boaz était un leurre pour une activité sexuelle. Au contraire, il s’agissait d’un acte hautement symbolique. En entrant et en se couchant aux pieds de Boaz sous le bord de la couverture, Ruth venait à la place réservée à une épouse. Elle disait, en fait, qu’elle voulait être sa femme par la rédemption. Son acte était un acte de soumission et non de scandale. La section suivante du livre fournit un autre témoignage de l’activité vertueuse de Ruth et de Boaz.
Au tas de grains (3 :7-13)
3 :7 L’intrigue se poursuit tandis que Boaz finit de manger et de boire et s’allonge pour dormir. Son « cœur était joyeux » – qui signifie « être satisfait ou content » et ne parle pas d’ivresse ou de la susceptibilité d’être séduit. Ruth s’est donc approchée de lui « doucement », traduction qui suggère, à tort, une attitude aguicheuse de la part de Ruth. Ce mot, cependant, signifie qu’elle est venue vers Boaz dans le « secret » et l’« intimité » (voir son utilisation en 1Sam 18:22). Il ne s’agit pas là d’une scène de séduction.
Ruth « découvrit ses pieds » et s’allongea. Là encore, certains auteurs considèrent cet acte comme indiquant une activité sexuelle. Pour être juste, il faut dire que le verbe « découvrir » peut être utilisé de cette façon dans l’Ancien Testament (voir, par exemple, Lév 20:11, Lév 19-21). En revanche, l’expression utilisée ailleurs est « découvrir sa nudité » et non « découvrir ses pieds ». Nous devons prendre l’action de Ruth au pied de la lettre : elle a découvert les pieds de Boaz en soulevant la couverture, en se couchant à côté de ses pieds et en se couvrant avec la couverture. Ruth expliquera plus tard son intention métaphorique en demandant à Boaz « d’étendre tes ailes [le pan de ton manteau] sur ta servante, car tu es un rédempteur [tu as le droit de rachat]». En plaçant la couverture sur elle, Ruth a montré qu’elle voulait être protégée et prise en charge par Boaz. À l’appui de cette idée, dans Ruth 2:12, Boaz avait dit à Ruth qu’elle était sous les « ailes » (c’est-à-dire la protection) de Yahvé.
3 :8-13 Boaz s’éveilla « effrayé » et demanda à la femme de s’identifier. Si les deux avaient été au milieu d’une rencontre sexuelle, cette question n’aurait eu aucun sens. La scène entière n’était que la requête humble et vertueuse que Ruth adressait à Boaz d’agir comme un rédempteur. Boaz reconnut son caractère irréprochable, en précisant que toute la ville de Bethléhem reconnaissait en Ruth une « femme digne » (similaire à la description de Boaz dans Ruth 2 :1). Ils étaient tous deux des personnes intègres et honorables, et le fait de considérer cette scène comme un événement miteux et lié à la séduction porte atteinte à la droiture de leur caractère.
Boaz promet d’agir, mais il annonce qu’il existe un obstacle possible à ses plans : un autre go’el est plus proche dans la parenté et a le premier droit de refuser de réaliser ce rachat. Cela signifiait que Boaz devait trouver un moyen pour encourager le racheteur (le rédempteur) le plus proche à décider de l’affaire dans ce sens. Quoi qu’il en soit, Boaz prête serment à Ruth et le scelle en utilisant le nom d’alliance de Yahvé. Son serment est basé sur l’existence même du Dieu d’Israël.
Retour à Bethléhem (3 :14-18)
3 :14 Ruth resta à l’aire de battage durant tout le reste de la nuit, reposant aux pieds de Boaz. C’était une place de protection pour elle sans qu’on y voie un quelconque caractère inapproprié. La scène respire la retenue et la prudence. Ruth se leva alors avant l’aube : Boaz s’inquiétait de la réputation de Ruth et s’assura qu’elle partirait tôt et sans être reconnue.
3 :15 Avant qu’elle ne s’en aille, Boaz lui donna six mesures d’orge. Certains commentateurs croient que c’était quelque type de paiement pour des faveurs sexuelles (cf. Gen 38, où Juda a rémunéré Tamar pour s’être prostituée à lui). Une telle interprétation est inconvenante. Bien au contraire, le grain servait de promesse de Boaz à Ruth et Naomi : il allait tenir parole. Il fournissait un gage en guise de promesse qu’il chercherait à la racheter le jour même. La dernière ligne du verset confirme les intentions de Boaz : « Puis il entra dans la ville ». L’intérêt du sujet masculin dans le texte est que Boaz était sérieux quant à sa promesse, et il est allé à Bethléem immédiatement pour faire son devoir.
3:16-18 Ruth retourna chez elle et raconta à Naomi tout ce qui s’était passé. Elle conclut son récit en citant Boaz qui avait déclaré qu’il ne serait pas juste que Ruth retourne chez Naomi « les mains vides ». C’est le même mot utilisé dans Ruth 1:21, où Naomi avait déclaré que Yahvé l’avait ramenée de Moab « à vide ». Au contraire, Naomi n’allait plus être vide, mais elle sera pleine grâce à la promesse de rachat par Boaz.
Scène 4 : À la porte (4:1-22)
Au tribunal (4:1-12)
4:1 Le cadre de l’histoire se déplace maintenant, et Boaz apparaît à la porte principale de Bethléhem. La porte centrale d’une ville antique servait de lieu de rassemblement pour les anciens de la ville, et les affaires juridiques y étaient tranchées : c’était le lieu du tribunal de cette époque ancienne. Le temps choisi par Boaz était parfait, car celui qui était le potentiel rédempteur le plus proche passait par la porte. Boaz l’appela : « Approche-toi, assieds-toi ici, toi [ami]». Le mot « ami » en hébreu est constitué, en fait, de deux mots qui signifient communément « quiconque, un tel et un tel ». L’homme n’était pas appelé par son nom, et cela était significatif. Peut-être que l’omission de son nom était une marque de honte parce qu’il finira par ne pas faire son devoir en matière de rédemption (voir Deut 25:9-10). En d’autres termes, il a déshonoré son propre nom.
4:2-4 Maintenant, en présence du plus proche parent susceptible de racheter, Boaz rassembla les anciens de la ville afin que le quorum judiciaire soit atteint. Puis il leur exposa la situation. Nous apprenons que Naomi envisageait de vendre la terre d’Elimélec afin de subvenir à ses besoins ; elle était confrontée à l’indigence. La terre, cependant, ne pouvait pas être vendue à perpétuité mais devait être rachetée par le clan (Lév 25:23-24). Boaz obligeait ainsi le go’el le plus proche à prendre sa décision, et il répondit : « Je la rachèterai ».
4:5-6 Boaz donne alors un coup de théâtre : si le go’el le plus proche rachète Naomi, il devra aussi agir selon la loi du lévirat, à savoir épouser Ruth et susciter des descendants au parent défunt. Le premier qui pouvait racheter parvint alors à une conclusion bien différente : « Je ne peux pas la racheter ». Il savait que s’il agissait pour le rachat, cela sèmerait la discorde dans sa famille car son propre héritage devrait être partagé entre sa progéniture et celle de Ruth. De plus, s’il n’avait pas d’autres fils, l’intégralité de son patrimoine passerait au fils issu de l’union contractée selon la loi du lévirat. Il décida donc de protéger ses propres intérêts.
4:7-11a Ainsi Boaz reçut le droit de rachat et le scella selon l’ancienne coutume qui consistait à donner sa propre chaussure à un autre. C’était un acte qui attestait la transaction. Les anciens du peuple réunis à la porte validèrent celle-ci en se portant témoins devant le tribunal. Leur attestation dans la langue originale ne consistait qu’en un mot : « Témoins ! » Tous parlèrent à l’unisson et avec un plein accord.
4:11b-12 Pour finir, le peuple, prononça sur Ruth et Boaz une bénédiction divisée en trois parties. Tout d’abord, il demanda à Yahvé de rendre Ruth semblable à Rachel et Léa. Ces deux dernières, épouses de Jacob, ont donné naissance, avec leurs servantes, aux douze fils de Jacob et ont ainsi « bâti la maison d’Israël ». Ensuite, il demanda que Boaz continue d’agir « dignement » (même mot utilisé pour Boaz en 2:1 et Ruth en 3:11), et il demanda qu’on se souvienne de son nom à Bethléhem. Et enfin, le peuple pria pour que la maison de Boaz soit comme « la famille de Pérets que Tamar a donnée à Juda ». Cette demande fait référence à Genèse 38, passage dans lequel Tamar, une femme étrangère, a eu recours à la loi du lévirat pour perpétuer les lignées familiales de la tribu de Juda. Les habitants de Bethléhem étaient issus de cette tribu, et ils avaient donc bon espoir que la descendance de Ruth et de Boaz perpétue également la lignée de Juda.
Le descendant (4:13-22)
4:13 En Ruth 4:13-17 nous voyons l’histoire du livre arriver à un premier point culminant. L’histoire de Ruth s’est déroulée en arc de cercle : elle est arrivée à Bethléhem comme « n’étant pas une des servantes de Boaz » (Ruth 2:13), elle a fini par annoncer à Boaz : « Je suis ta servante » (Ruth 3 :9), et maintenant, dans le passage en question, elle devient sa femme. Elle conçoit alors un enfant ; la souveraineté de Dieu est évidente dans cet événement : il ouvrit sa matrice et elle donna naissance à un fils. Voici l’héritier mâle qui perpétuera le nom et l’héritage de la famille !
4:14-16 Les femmes de la ville se sont manifestées et ont prononcé une bénédiction sur Naomi. Elles étaient apparues pour la première fois dans le récit en Ruth 1:9, où elles avaient peut-être dénigré Naomi en demandant : « Est-ce bien Naomi ? » Maintenant, elles bénissent Yahvé pour lui avoir accordé un rédempteur. Les deux discours des femmes de la ville servent d’inclusio, encadrant les événements de Bethléhem. Les femmes, en un sens, fonctionnent comme un chœur qui commente le mouvement de l’histoire, de l’amer au doux.
4:17 Les femmes de Bethléhem nommèrent l’enfant « Obed », ce qui signifie « celui qui sert ». Le nom d’Obed était approprié car il servait, en préservant la lignée d’Elimélec et l’héritage foncier de la famille. L’auteur donne maintenant une signification encore plus grande à la transmission de la lignée par Obed en indiquant qu’il est devenu le père de Jessé et le grand-père de David, le grand roi d’Israël. Ainsi, le lecteur commence à voir une image plus large : nous voyons Dieu à l’œuvre pour établir la lignée royale d’Israël à travers ce couple inattendu de Ruth et Boaz.
4:18–22 Le livre de Ruth s’achève sur une généalogie plus large qui retrace la lignée depuis Pérets, le fils de Juda, jusqu’à David. Cette généalogie plus étendue existe afin de relier David à Juda, auquel avait été promis une lignée royale et la royauté (voir Gen 49:8-10). Observez le fait que la généalogie est sélective ; elle ne donne pas la liste de chaque génération depuis Pérets jusqu’à David. La généalogie donne une liste de dix noms et, dans la culture hébraïque le nombre dix signifie souvent la plénitude. L’idée qui se trouve derrière cette généalogie n’est pas de nous donner une liste historiquement exhaustive, mais de montrer que la généalogie atteint son point culminant et sa plénitude dans la personne de David.
Cette généalogie sélective, toutefois, ne regarde pas seulement en arrière : elle regarde aussi en avant. La liste de dix descendants, de Pérets à David, est exactement celle que Matthieu reprend dans sa généalogie de Jésus (Matt 1:3-6), en y ajoutant les trois femmes Tamar, Rahab et Ruth. Cela démontre que la généalogie que l’on trouve à la fin du livre de Ruth trouve son point culminant dans la venue de Jésus, le fils de David, et le dernier roi d’Israël. Observez comment les personnages principaux de l’histoire de Ruth – Naomi, Boaz et Ruth - ont disparu du récit. Leur histoire n’est pas l’histoire principale. La venue du Messie est l’Alpha et l’Oméga du livre de Ruth.
1 A l’époque des juges, il y eut une famine dans le pays. Un homme de Bethléhem de Juda partit avec sa femme et ses deux fils s’installer dans le pays de Moab. 2Le nom de cet homme était Elimélec, celui de sa femme Naomi, et ses deux fils s’appelaient Machlon et Kiljon; ils étaient éphratiens, de Bethléhem en Juda. Arrivés au pays de Moab, ils s’y établirent. 3Elimélec, le mari de Naomi, mourut et elle resta avec ses deux fils. 4Ils prirent des femmes moabites – l’une s’appelait Orpa et l’autre Ruth – et ils habitèrent là environ 10 ans. 5Machlon et Kiljon moururent aussi tous les deux et Naomi resta privée de ses deux fils et de son mari.
6Alors elle se leva, elle et ses belles-filles, afin de quitter le pays de Moab. En effet, elle y avait appris que l’Eternel était intervenu en faveur de son peuple et lui avait donné du pain. 7Elle partit de l’endroit où elle habitait, accompagnée de ses deux belles-filles, et elle se mit en route pour retourner dans le pays de Juda.
8Naomi dit à ses deux belles-filles: «Allez-y, retournez chacune dans la famille de votre mère! Que l’Eternel agisse avec bonté envers vous, comme vous l’avez fait envers ceux qui sont morts et envers moi! 9Que l’Eternel fasse trouver à chacune du repos dans la maison d’un mari!» Puis elle les embrassa. Elles se mirent à pleurer tout haut 10et lui dirent: «Non, nous irons avec toi vers ton peuple.» 11Naomi dit: «Retournez chez vous, mes filles! Pourquoi viendriez-vous avec moi? Suis-je encore en état d’avoir des fils qui puissent devenir vos maris? 12Retournez chez vous, mes filles, allez-y! Je suis trop vieille pour me remarier. Et même si je disais: ‘J’ai de l’espérance’, même si cette nuit j’étais avec un homme et que je mette au monde des fils, 13attendriez-vous pour cela qu’ils aient grandi, refuseriez-vous pour cela de vous marier? Non, mes filles, car à cause de vous je suis dans une grande amertume parce que l’Eternel est intervenu contre moi.» 14Elles se remirent à pleurer tout haut. Orpa embrassa sa belle-mère, mais Ruth lui resta attachée.
15Naomi dit à Ruth: «Tu vois, ta belle-sœur est retournée vers son peuple et vers ses dieux; retourne chez toi comme elle!» 16Ruth répondit: «Ne me pousse pas à te laisser, à repartir loin de toi! Où tu iras j’irai, où tu habiteras j’habiterai; ton peuple sera mon peuple et ton Dieu sera mon Dieu; 17où tu mourras je mourrai et j’y serai enterrée. Que l’Eternel me traite avec la plus grande sévérité si autre chose que la mort me sépare de toi!» 18La voyant décidée à l’accompagner, Naomi cessa d’insister auprès d’elle.
19Elles firent ensemble le voyage jusqu’à leur arrivée à Bethléhem. Lorsqu’elles entrèrent dans Bethléhem, toute la ville fut dans l’agitation à cause d’elles. Les femmes disaient: «Est-ce bien Naomi?» 20Elle leur dit: «Ne m’appelez pas Naomi, appelez-moi Mara, car le Tout-Puissant m’a remplie d’amertume. 21J’étais dans l’abondance à mon départ et l’Eternel me ramène les mains vides. Pourquoi m’appelleriez-vous Naomi, après que l’Eternel s’est prononcé contre moi, après que le Tout-Puissant a provoqué mon malheur?»
22C’est ainsi que Naomi et sa belle-fille, Ruth la Moabite, revinrent du pays de Moab. Elles arrivèrent à Bethléhem au début de la moisson de l’orge.
Ruth
Éléments d’introduction
Le livre de Ruth est une histoire brève très appréciée. L’affection qu’on lui voue tient en partie au fait qu’il contient tous les éléments d’un bon drame : une intrigue captivante, des personnages intéressants, de la tension, de la romance, des conflits, des gens qui surmontent des épreuves, et bien d’autres choses encore. Le récit émouvant se termine comme une histoire de Cendrillon, dans laquelle les deux personnages principaux trouvent l’amour, se marient et ont des enfants. Certains commentateurs s’appuient sur ce type de lecture pour expliquer l’intention du livre, en voyant dans les personnages principaux et leur amour l’un pour l’autre un modèle de l’amour que Dieu a pour nous.
Dans la même lignée, certains écrivains -peut-être même était-ce le cas des anciens lecteurs hébreux du livre- soulignent les qualités morales des personnes qui y sont présentes. Par exemple, en Ruth 3 :11, Boaz qualifie Ruth de « femme de valeur », le terme hébreu pour « de valeur » est l’un de ceux qui reflètent l’intégrité, l’habileté et l’honneur. Dans la plupart des bibles, Ruth est le huitième livre de l’Ancien Testament et il suit immédiatement le livre des Juges, mais dans la Bible hébraïque, il vient juste après le livre des Proverbes. Pourquoi en est-il ainsi ? Dans le dernier chapitre des Proverbes, l’auteur demande si quelqu’un peut trouver une « femme vertueuse » (Prov 31 :10). Le livre de Ruth répond donc à la question des Proverbes en nous proposant un exemple historique : Boaz a trouvé une femme vertueuse. En fait, le livre se réfère à Boaz comme à un « homme vertueux » (Ruth 2 :1, généralement traduit par « riche » mais utilisant le même mot que celui utilisé en Ruth 3.11). Les personnages droits de Ruth et de Boaz sont certainement dignes d’émulation, mais le thème de la vertu morale ne reflète pas encore pleinement le but du livre.
Ce livre a un projet plus grand que celui d’être seulement une histoire de la droiture humaine. L’auteur nous raconte une histoire qui a pris place au temps des juges (voir le commentaire sur les Juges pour en savoir plus sur cette période-en anglais), qui est l’une des époques où « il n’y avait pas de roi en Israël » (Jug 21 :25). Le livre de Ruth nous fournit un récit concernant les ancêtres de David, sans doute le plus grand roi de l’Israël antique. L’histoire se termine en nous dévoilant le fait que Ruth et Boaz sont les arrière-grands-parents de David. L’histoire, de ce fait, n’est pas seulement une histoire d’intégrité morale, mais elle oriente nos regards vers le roi à venir.
Mais la mention de David n’est pas le point culminant du livre. En fait, David lui-même oriente nos regards vers la venue d’un roi définitif : Jésus-Christ, le fils de David. La généalogie de David à la fin du livre de Ruth (Ruth 4 :18-22) est essentiellement la même que celle que l’on trouve dans la généalogie de Jésus (Matt 1:3-6). La seule différence entre les deux généalogies est que, dans l’ascendance de Jésus, Matthieu inclut les noms de deux femmes païennes, Rahab et Ruth. L’une des raisons de cette incorporation est de montrer la réalité de l’inclusion des païens dans le royaume de Dieu. La conclusion glorieuse du livre de Ruth est la venue du Messie, et le lecteur doit garder cela à l’esprit lorsqu’il étudie ce livre.
Le but
Le livre de Ruth décrit la rédemption et l’inclusion des Gentils dans la lignée de David et du fils de David, le Roi messianique.
Verset-clef
« Ruth répondit : Ne me pousse pas à te laisser, à repartir loin de toi ! Où tu iras j’irai, où tu habiteras j’habiterai ; ton peuple sera mon peuple et ton Dieu sera mon Dieu. »
— Ruth 1 :16
Grandes lignes
Le livre de Ruth peut être découpé assez simplement en quatre scènes, comme suit :
Scène 1 : En Moab (1 :1-18)
Un contexte d’adversité (1 :1-5)
La compassion du Seigneur (1 :6-9)
Le grand attachement (1 :10-14)
La confession de Ruth (1 :15-18)
Scène 2 : À Bethléhem (1 :19-2:23)
Arrivée à la maison (1 :19-22)
Dans les champs (2 :1-7)
La conversation (2 :8-17)
Le retour de Ruth des champs (2 :18-23)
Scène 3 : À l’aire de battage (3 :1-18)
L’éclosion d’un plan (3 :1-6)
Au tas de grains (3 :7-13)
Retour à Bethléhem (3 :14-18)
Scène 4 : À la porte (4 :1-22)
Au tribunal (4 :1-12)
Le descendant (4 :13-22)
Scène 1 : dans le pays de Moab (1 :1-18)
Un contexte d'adversité (1 :1-5)
1 :1 Les mots qui ouvrent le texte « A l’époque des juges » nous donnent le contexte dans lequel s’inscrit cette histoire. Que savons-nous de cette période ? Le livre des Juges s’achève sur la formulation suivante : « Chacun faisait ce qui lui semblait bon » (Jug 21 :25). C’était un temps de relativisme moral, de décadence et d’anarchie. Il n’existait en Israël aucune autorité politique centrale ni aucun centre spirituel. En conséquence, le livre des Juges expose la spirale descendante de l’activité morale en Israël. À la fin du livre, nous lisons l’histoire carrément lubrique et obscène des Benjaminites. Ce contexte sert de contrepoint au livre de Ruth (voir le commentaire sur les Juges pour en savoir plus sur cette période–version anglaise). Bien que de nombreux Israélites manquaient de fibre morale et agissaient comme les Cananéens impies, tout le monde ne se comportait pas ainsi. Dans cette veine, l’auteur nous invite à considérer Boaz et Ruth. Ce point lumineux dans une époque sombre témoigne de la réalité que l’apôtre Paul proclamera plus tard, à savoir que Dieu « n’a pas cessé de rendre témoignage » dans les générations passées (Actes 14 :17).
Tout en nous donnant le contexte historique général des événements du livre, l’auteur commence son récit en nous expliquant qu’une famine physique était survenue en Israël-probablement un signe du déplaisir de Dieu lié à l’infidélité d’Israël (Lév 26 :18-20). L’histoire, alors, se fait plus intime en nous parlant d’un homme et de sa famille qui ont quitté le territoire d’Israël à cause de cette catastrophe naturelle. Ironie : cet homme était de la ville de Bethléhem, un nom qui signifie « maison du pain » ! Pour le lecteur, ce nom lui rappelle aussi que cette ville fut celle du futur grand roi d’Israël, David, ainsi que le lieu de la naissance du futur roi, plus grand encore, le roi messianique, Jésus.
Le texte dit ensuite que l’homme se rendit dans le pays de Moab pour y séjourner. Les immigrants étaient de ceux qui travaillaient dans un pays étranger mais n’avaient que peu des droits et privilèges des citoyens. Ils ne possédaient pas de terre mais étaient généralement au service d’un autochtone (dans ce cas-là, un Moabite). Les Moabites étaient un peuple païen qui adorait les dieux Kemosh, Baal-Peor, et bien d’autres encore. Pendant la période des juges, ils étaient un ennemi juré d’Israël (voir Jug 3 :12-30). Ainsi, cet homme israélite avait quitté les terres ancestrales qui lui avaient été attribuées par le Seigneur, et il était allé dans le pays de Moab pour travailler sous l’autorité de païens. Il semble donc avoir mis sa famille en danger. Était-ce la bonne chose à faire ? Un point à considérer est le fait que tout le monde n’a pas réagi à la famine en recourant à l’émigration. Apparemment, beaucoup -comme Boaz- étaient restés dans la terre promise.
1 :2 Les noms des membres de la famille sont importants pour interpréter l’histoire. Le nom du chef de famille était Élimélec, ce qui veut dire « mon Dieu est roi » ; son nom est chargé d’ironie, alors qu’« il n’y avait pas de roi en Israël. Chacun faisait ce qui lui semblait bon » (Jug 21 :25). Cet homme et ses actions étaient un témoignage du relativisme qui régnait en ces temps. Le nom de sa femme était Naomi, ce qui veut dire « doux » ou « plaisant ». Plus tard dans le récit, après de nombreuses souffrances, cette femme demanda aux femmes de Bethléhem de ne pas l’appeler Naomi (« douce ») mais plutôt de s’adresser à elle en l’appelant Mara (« amère »).
La famille d’Élimélec était donc des Éphratiens. Ce clan faisait partie de la tribu de Juda qui vivait autour de Bethléhem. Cette mention est destinée à rappeler au lecteur, encore une fois, la future venue du Roi David : nous lisons dans 1 Samuel 17 :12 que David « était le fils de l’Éphratien de Bethléhem en Juda nommé Isaï qui avait huit fils ». David n’était pas seulement de la tribu de Juda et un Bethléhémite, mais il était du clan même de la famille d’Élimélec.
1 :3-5 La famille était dans une situation désespérée. Ils vécurent dans un contexte de famine, puis restèrent sous l’autorité des Moabites pendant « environ dix ans ». Ils étaient manifestement affectés par leurs circonstances, comme en témoigne le fait que les deux fils ont épousé des femmes moabites en désobéissant à la parole de Dieu (voir Deut 7 :3-4). La tragédie a ensuite frappé, car Élimélec et ses deux fils sont morts. Naomi s’est alors retrouvée dans une situation grave. En tant que veuve israélite sans fils, elle n’était pas protégée et risquait le dénuement, la pauvreté et peut-être même l’esclavage. Elle était maintenant une rejetée, de l’une des classes indésirables. Que devait-elle faire ?
La compassion du Seigneur (1 :6-9)
1 :6 Naomi décida alors de retourner vers l’héritage de sa famille en Juda pour deux raisons. Premièrement, sa vie en Moab était devenue insupportable : elle était veuve, sans moyen de subsistance dans une société païenne. Deuxièmement, elle entendit la nouvelle que Dieu avait visité son peuple et mis fin à la famine. Yahvé avait envoyé la famine et maintenant, dans sa grâce, il l’enlevait. Le texte souligne la providence de Dieu qui surpasse la nature.
Un mot-clef apparaît tout au long de Ruth 1 :6-22 : le verbe « retourner » apparaît douze fois. Bien que ce verbe soit couramment utilisé pour désigner une personne qui change de cap et retourne physiquement à un endroit, il a également une signification spirituelle dans l’Ancien Testament. L’Ancien Testament utilise ce mot pour décrire une personne qui se repent et se tourne vers Dieu (par exemple, Os 3 :5 ; Os 6 :1; Os 7 :10). Sa répétition dans le texte indique vraisemblablement que les personnages ne se contentaient pas de retourner/partir vers la terre de la promesse, mais qu’ils revenaient également/se tournaient vers Yahvé.
1 :7-9 Alors que Naomi commençait son voyage de retour vers Bethléhem, ses deux belles-filles, veuves aussi, Orpa et Ruth, l’accompagnèrent. On peut relever l’ironie de cette situation : ces deux femmes allaient arriver dans Bethléhem dans la même condition que celle où se trouvait Naomi dans le pays de Moab ; elles auraient été deux veuves sans protection masculine et des immigrantes en pays étranger. Selon les lois qui avaient cours dans le Proche-Orient ancien, ces deux femmes n’étaient pas tenues d’accompagner Naomi, mais elles avaient le droit de retourner chacune dans sa propre famille. Naomi les pressait de le faire pour qu’elles y reçoivent soin et protection. Elle prononça alors sur elles une bénédiction en invoquant le nom de Yahvé, le nom d’alliance du Dieu d’Israël. Elle invoqua Yahvé pour qu’il « agisse avec bonté » un terme fort en hébreu (chesed), qui est mieux rendu par « la loyauté dans l’alliance ». Naomi demandait que le Dieu d’alliance d’Israël voulût bien montrer sa loyauté alliancielle à ces deux femmes moabites et les confiait à ses soins.
Le grand attachement (1 :10-14)
1 :10-13a Bien qu’Orpa et Ruth aient affirmé qu’elles iraient quand même avec leur belle-mère, Naomi insista pour qu’elles ne fassent rien de tel. Elle fit valoir qu’Israël n’offrait aucune perspective à ces femmes moabites. Naomi elle-même n’aurait rien à leur offrir. Elle était indigente, veuve, et n’avait pas de fils qui pourraient épouser Orpa et Ruth. Ici, le lecteur est introduit à l’importante coutume hébraïque appelée « la loi du lévirat » (le mot lévir signifie en latin « frère du mari »). Cette loi est exposée de façon plus claire dans Deutéronome 25 :5-6 :
Lorsque des frères demeureront ensemble, et que l’un d’eux mourra sans laisser de fils, la femme du défunt ne se mariera point au-dehors avec un étranger, mais son beau-frère ira vers elle, la prendra pour femme, et accomplira ainsi son devoir de frère. Le premier-né qu’elle enfantera succédera au frère mort et portera son nom, afin que son nom ne soit pas effacé d’Israël.
Naomi précisait à Orpa et Ruth qu’elle n’avait pas de fils pour réaliser cette coutume et, de ce fait, elle cherchait à les dissuader de faire le voyage avec elle. (Soit dit en passant, cette loi jouera un rôle important plus tard dans le livre).
1 :13b-14 Naomi mit alors en avant sa propre situation désespérée pleine d’amertume qui aurait des effets négatifs sur Orpa et Ruth. Elle conclut que « l’Éternel est intervenu contre moi ». Naomi avait compris que l’adversité qui la frappait n’était pas due au hasard ou à de simples circonstances, mais que l’histoire se déroulait selon la providence de Dieu. Le plaidoyer rationnel de Naomi entraîna une divergence de réponse : Orpa embrassa Naomi pour lui dire adieu, mais Ruth s’accrocha à elle pour ne pas être séparée de sa personne.
La confession de Ruth (1 :15-18)
1 :15-16a Naomi pressa alors Ruth de suivre sa belle-sœur et de retourner dans le pays de Moab. Mais Ruth était déterminée. Elle se consacra à Naomi et se montra décidée à la suivre en Israël. Cet engagement est souligné par une série de déclarations que les grammairiens appellent de l’expression latine idem per idem (figure de style dans laquelle le même verbe ou le même nom est utilisé pour les actions de deux personnes différentes). La série de déclarations « où tu iras, j’irai », « où tu habiteras, j’habiterai », « ton peuple sera mon peuple », et ainsi de suite, souligne l’unité de but et d’action entre les deux femmes. Ruth promettait à Naomi une allégeance et une fidélité sans faille.
1 :16b-18 L’engagement de Ruth, cependant, n’était pas seulement envers Naomi. Elle affirme encore l’idem per idem« ton Dieu, mon Dieu ». Cette affirmation est une déclaration non-verbale (aucun verbe ne figure explicitement), et elle a une force toute particulière en hébreu. Cette affirmation eut l’effet d’un coup de tonnerre. Si nous revenons en arrière en Ruth 1 :15, nous voyons qu’Orpa était retournée à ses dieux. Ruth, au contraire, renonçait au polythéisme des Moabites et embrassait le monothéisme des Hébreux. Ruth 1 :17 confirme cette conversion puisque Ruth invoque le nom du Seigneur, le nom de Yahvé, le nom d’alliance du Dieu d’Israël. La conversion de Ruth et son serment firent taire Naomi.
La conversion d’une Moabite (qui fait partie des Gentils, une païenne) à la vraie foi devrait tout autant nous bouleverser. Cette conversion, de plus, pointe vers une réalité plus grande : les Gentils sont inclus dans le peuple de Dieu par la foi. Et, comme nous l’avons mentionné dans l’introduction, ceci est une des raisons importantes pour lesquelles Matthieu inclut Ruth (et Rahab) dans la généalogie de Jésus (Matt 1 :5).
Scène 2 : à Bethléhem (1 :19-2 :23)
Retour à la maison (1 :19-22)
1 :19 Rien ne nous est dit dans le texte au sujet du voyage vers Bethléhem. Il est simplement dit qu’ « elles firent ensemble le voyage jusqu’à leur arrivée à Bethléhem ». Ainsi, il y a un temps non défini entre les versets 18 et 19. Ce voyage représentait approximativement 65 à 80 kilomètres sur un terrain rude, principalement fait de collines. Cela devrait leur avoir pris des bien des jours pour arriver au bout de ce voyage. Cet intervalle de temps nous rappelle qu’il nous faut aller lentement quand nous lisons et qu’il nous faut réaliser que certains événements prennent longtemps avant leur dénouement.
Lorsque les femmes arrivèrent à Bethléem, toute la ville fut « émue ». Ce mot dans l’original porte l’idée d’ « être en émoi », et ainsi la ville était dans l’agitation et la confusion à cause de leur arrivée inattendue. Les commérages allaient bon train, et les femmes de la ville demandaient : « Est-ce Naomi ? » Cette question pouvait avoir une orientation malveillante, ou elle pouvait être posée par simple curiosité.
1 :20-21 Naomi répondit directement en faisant un jeu de mots sur son propre nom. Auparavant en Ruth 1 :2, son nom avait été défini comme voulant dire « douce » ou « plaisante ». Elle dit aux femmes de Bethléhem de ne pas l’appeler ainsi, mais elle les invitait, plutôt, à la nommer Mara, ce qui signifie « amère ». Naomi avait utilisé ce terme auparavant en Ruth 1 :13 quand elle avait déclaré à Orpa et Ruth : « Je suis dans une grande amertume parce que l’Éternel est intervenu contre moi ». Son changement de nom reflétait sa compréhension de la providence de Dieu. Elle déclara en Ruth 1 :20-21 que Dieu avait fait quatre choses envers elle : il l’avait remplie d’amertume, il l’avait ramenée les mains vides, il avait témoigné contre elle (le verbe « témoigner » peut signifier « affliger » dans l’original), et il avait apporté le trouble dans sa vie. Toutes ces choses sont des providences bien amères. Toutefois Naomi ne faisait pas de reproche à Dieu au sujet de sa propre situation. Elle ne faisait que reconnaître la main de Dieu dans les événements de la vie et répondait avec patience et persévérance à chacun d’eux.
1 :22 Cette section s’achève en mentionnant que Naomi et Ruth étaient arrivées à Bethléhem « au début de la moisson de l’orge ». La moisson de l’orge était la première moisson des céréales dans l’année agricole et elle était rapidement suivie par celle du blé. Cette année-là, la moisson était abondante (Ruth 1 :6) et bon nombre de travailleurs étaient nécessaires dans les champs. Ruth, de ce fait, allait être en mesure de trouver du travail, de nourrir la famille et de rencontrer Boaz. Il s’agissait assurément du temps de Dieu et c’était une douce providence.
Dans les champs (2 :1-7)
2:1 Le verset qui ouvre cette section est une parenthèse qui interrompt le cours de l’histoire. C’est à ce moment-là que l’auteur fait connaître au lecteur un homme nommé Boaz. Boaz était un « parent » du mari de Naomi, Elimélec. Dans l’hébreu ancien, ce terme avait une large gamme de significations et, de ce fait, le lecteur reste dans l’incertitude quant à la relation exacte entre les deux hommes. Le verset nous dit aussi que Boaz faisait partie du « clan » d’Elimélec, lequel représentait une famille élargie fondée sur la consanguinité (une relation de sang multi-générationnelle). Pourtant, le drame va s’intensifier dans cette histoire car nous ne savons pas encore à quel point la relation entre les deux hommes est étroite.
Boaz était « un homme riche » ; le mot hébreu traduit par « riche » peut faire référence à la richesse, mais il peut souvent signifier intégrité, valeur et honneur. Le caractère de Boaz est confirmé par la signification de son nom : « en lui est la force ». Plus tard, lorsque Salomon, l’arrière-arrière-petit-fils de Boaz, a construit le temple de Jérusalem, il a appelé « Boaz » l’une des colonnes principales de l’édifice (1Rois 7 :21). L’homme Boaz et la colonne du même nom partageaient des caractéristiques similaires : l’un était une colonne à Bethléhem, soutenant la communauté, et l’autre était une colonne dans le temple, soutenant l’imposante structure.
2 :2-3 L’auteur revient ici à l’histoire de Ruth. Selon la loi hébraïque, le fermier ne devait glaner et moissonner ses champs qu’une seule fois pendant la récolte ; il ne devait pas dépouiller ses champs (Lév 19 :9–10). Il devait laisser les bords non récoltés de ses champs, et ce qui restait dans les champs devait être laissé aux défavorisés d’Israël. Ruth a demandé à Naomi si elle pouvait aller aux champs et glaner après les moissonneurs, comme l’une des indigentes du pays.
Après avoir reçu la permission de sa belle-mère, elle s’en est allée travailler dans les champs et « il se trouva » qu’elle vint dans le champ qui appartenait à Boaz. Comment le lecteur doit-il comprendre ce commentaire qui semble dire qu’elle est venue dans ce champ par hasard ? Peut-être s’agissait-il d’une formule ironique de l’auteur, conscient de la providence de Dieu qui guide l’histoire. Ou peut-être, du point de vue de Ruth, cela semblait être un hasard ; elle ne l’avait pas prévu. La déclaration populaire attribuée à John Flavel est utile pour comprendre la perspective de l’auteur dans ce passage : « La providence de Dieu est comme l’hébreu, elle doit être lue à l’envers ».
2 :4-7 Ruth 2 :4 commence par le mot « Or » ; ceci est une formule emphatique pour exprimer la surprise. Notre nouveau personnage est ici réintroduit. Le timing de Boaz était parfait parce qu’il s’agissait du timing de Dieu. Voici l’homme « riche », industrieux et qui travaille dur, qui vient pour surveiller l’ouvrage ; ce n’est pas un riche propriétaire absentéiste. En inspectant le travail, Boaz remarque une personne qu’il ne connaît pas et, discrètement, il demande au chef des moissonneurs des renseignements sur cette dernière. La réputation de Ruth d’être une femme droite l’a précédée dans les champs ; le soin qu’elle prend de sa belle-mère lui a valu une excellente réputation parmi les habitants de Bethléhem. De plus, son travail dans les champs témoigne de son caractère honorable et diligent. Le chef des moissonneurs explique à Boaz que Ruth a travaillé dans les champs toute la journée « et ne s’est reposée qu’un moment ». Une lecture précise et littérale de l’affirmation du chef des moissonneurs est la suivante : « Ce (champ) est sa demeure, la maison est petite ». En d’autres termes, le champ a été la demeure de Ruth toute la journée, et sa maison en ville ne signifiait pas grand-chose pour elle. C’était une personne industrieuse et courageuse ; en fait, elle ressemblait beaucoup à Boaz !
La conversation (2 :8-17)
2 :8–9a Après avoir entendu ces informations, Boaz alla parler directement à Ruth. Il lui parla avec bonté et respect. Puis il lui fournit deux types d’assistance. Premièrement il lui assura sa protection. Il lui dit de ne glaner que dans son champ et de rester à proximité de ses « servantes ». Ces femmes n’étaient vraisemblablement pas des esclaves ou des servantes mais de jeunes femmes du clan de Boaz, encore célibataires -et qu’on protégeait bien, du fait du lien de parenté. Il ordonne aussi aux jeunes hommes qui travaillaient dans le champ de ne pas l’importuner. Ruth, en tant qu’étrangère indigente, était vulnérable et ainsi Boaz sauvegardait son bien-être.
2 :9b–16 Deuxièmement, Boaz a pourvu à la subsistance de Ruth. Il lui dit de se servir de l’eau mise à disposition des travailleurs dans le champ. Il l’a ensuite invitée à un repas préparé pour les moissonneurs et qui comprenait du grain rôti. Quand ils sont retournés au travail, Boaz a dit aux moissonneurs de laisser Ruth glaner juste dans les secteurs où ils travaillaient ; là, elle n’allait pas trouver que des restes mais le meilleur de la récolte. De plus, il ordonna à ses ouvriers de laisser des tiges de céréales qu’elle pourrait facilement ramasser et mettre en bottes.
Ruth répondit aux propositions de Boaz avec une grande humilité et un soupçon de surprise. Ruth fait ici usage d’un jeu de mots (le verbe « s’intéresser à » et le nom commun « étrangère » sont liés), exprimant ainsi son émerveillement face à la générosité de Boaz. Les étrangers étaient les personnes qui, habituellement, vivaient sans qu’on fasse attention à elles ni qu’on les reconnaisse : aussi Ruth se demandait-elle pourquoi Boaz l’avait remarquée. De plus elle était encore plus surprise qu’il lui parle avec tant de gentillesse et la réconforte alors qu’elle n’était qu’une « servante » et pas « comme l’une de tes servantes ». Ici encore, l’humilité et l’honnêteté de Ruth ont brillé.
Enfin, Boaz prononça la bénédiction de Yahvé sur Ruth, appelant le Seigneur à faire fructifier les actes et la conduite de Ruth. Dans cette bénédiction, il reconnaît pleinement la conversion de Ruth, puisqu’il décrit sa relation au Seigneur comme « sous les ailes duquel tu es venue te réfugier ». Boaz dépeint Dieu comme une mère oiseau qui protège ses petits ; c’est une métaphore utilisée dans l’Ancien Testament pour parler du fait que le peuple de Dieu lui appartient et se trouve sous ses soins (par exemple, Deut 32 :11; Exode 19:4).
2 :17 Ruth a continué à glaner jusqu’au soir. Alors elle est allée battre ce qu’elle avait glané, séparant le bon grain du son. Après ce dur labeur, Ruth repartit avec environ un épha d’orge (un épha représente environ deux tiers d’un boisseau ou 8 litres de volume et 30 livres ou 14 kilogrammes, capables de donner 672 tranches de pain complet). C’était une quantité généreuse pour récompense de son dur labeur.
Le retour de Ruth des champs (2 :18-23)
2 :18 Après ses travaux, Ruth retourna auprès de Naomi et lui montra l’abondante quantité de grain qu’elle avait glanée. Elle donna ensuite à Naomi les restes de repas qu’elle avait gardés après avoir été rassasiée. Les mêmes termes sont apparus plus tôt en Ruth 2 :14 ; en d’autres mots, Ruth pourvut Naomi d’une partie des grains rôtis qu’elle avait reçus de Boaz lors du repas de midi dans les champs. Elle n’a pas seulement traîné 14 kilos d’orge des champs à la maison, mais elle aussi rapporté un repas pour Naomi. Ruth était une personne qui faisait passer les autres avant elle-même.
2 :19-20 Naomi lui répondit en invoquant deux bénédictions sur Boaz. L’excitation de Naomi transparaît particulièrement lorsqu’elle décrit l’homme comme « l’un de nos rédempteurs ». Le terme hébreu « rédempteur » est go’el, et il joue un rôle important dans le livre de Ruth.
Qu’est-ce qu’un² rédempteur de sa propre parenté ?
Un go’el était quelqu’un qui délivrait les membres de sa parenté de circonstances difficiles, les rachetant du danger. Dans l’Israël antique, le go’el avait quatre devoirs principaux :
Le concept de la rédemption par un go’el était, dans l’Écriture, une merveilleuse image de l’œuvre de Dieu en faveur de son peuple. Tout au long de l’Ancien Testament, le terme go’el a été utilisé pour parler de Dieu qui intercède en faveur de son peuple (Job 19 :25–26 ; Psa 19:14). L’exode hors de l’Égypte a été le grand acte rédempteur de l’Ancien Testament par lequel Dieu a racheté son peuple de l’esclavage (Exode 6:6–8). Dans le Nouveau Testament, Jésus est le go’el qui apporte la liberté à son peuple (Luc 4:16–21). Il délivrait sa parenté de la servitude (Rom 8:29), il revendiquait un héritage pour son peuple (1Pi 1:3–4), il suscitait une postérité en son nom (Éph 1:5), et il faisait fonction de vengeur du sang (voir le livre de l’Apocalypse). Jésus, le vrai go’el est venu !
2:21–23 Pour finir, observons la façon dont Ruth est décrite comme « la Moabite ». La référence faite à ce statut en Ruth 2:2 fait fonction d’inclusio, rappelant au lecteur, du début à la fin du chapitre, que Ruth était une étrangère qui avait besoin de rédemption.
Scène 3 : À l’aire de battage (3:1-18)
L'éclosion d'un plan (3 :1-6)
Ruth avait travaillé dans les champs de Boaz pendant environ trois mois, jusqu’à la fin de la moisson du blé (Ruth 2 :23). Aucune action rédemptrice de la part de Boaz n’avait eu lieu durant cette période, aussi Naomi décida d’agir et de mettre le processus en route.
3 :1 Certains commentateurs soutiennent que les actions de Naomi étaient manipulatrices voire trompeuses dans le but d’obtenir ce qu’elle voulait. De tels agissements sournois sont peu concevables, car Naomi se souciait beaucoup du bien-être de Ruth, et elle était préoccupée par le secours temporel qu’un rédempteur apporterait. En effet, toutes deux vivaient tant bien que mal, mais Naomi était sur le point de devoir vendre sa terre pour survivre (Ruth 4 :3). En outre, en tant que Moabite, Ruth ne connaissait peut-être pas le fonctionnement des lois israélites sur le rachat et, par conséquent, Naomi la guidait.
3 :2 Naomi dit à Ruth de se rendre dans l’aire de battage le soir même où Boaz allait superviser le vannage de sa récolte. Il allait être là toute la nuit afin de garder sa récolte. Naomi a ensuite expliqué à Ruth ce qu’elle devait faire : elle devait se laver, s’oindre et changer de vêtements. Certains commentateurs pensent que Naomi a demandé à Ruth d’être séduisante ou attirante. Plus probablement, ses actions ont démontré à Boaz que le temps de deuil de Ruth était terminé. Dans 2 Samuel 12:20, David a fait les trois mêmes choses pour indiquer qu’il avait terminé le deuil de son enfant mort.
3 :3-6 Ruth devait attendre que Boaz soit seul pour l’approcher. Encore une fois, il ne s’agit pas d’un piège scandaleux. Elle l’approchait en privé afin que la réputation de Ruth soit préservée au cas où Boaz rejetterait sa proposition. C’était un homme pieux qui n’aurait pas profité d’elle, mais qui aurait géré les choses de manière appropriée. Mais il aurait bien semblé que l’ordre de Naomi à Ruth de « découvrir ses pieds et de se coucher » à côté de Boaz était un leurre pour une activité sexuelle. Au contraire, il s’agissait d’un acte hautement symbolique. En entrant et en se couchant aux pieds de Boaz sous le bord de la couverture, Ruth venait à la place réservée à une épouse. Elle disait, en fait, qu’elle voulait être sa femme par la rédemption. Son acte était un acte de soumission et non de scandale. La section suivante du livre fournit un autre témoignage de l’activité vertueuse de Ruth et de Boaz.
Au tas de grains (3 :7-13)
3 :7 L’intrigue se poursuit tandis que Boaz finit de manger et de boire et s’allonge pour dormir. Son « cœur était joyeux » – qui signifie « être satisfait ou content » et ne parle pas d’ivresse ou de la susceptibilité d’être séduit. Ruth s’est donc approchée de lui « doucement », traduction qui suggère, à tort, une attitude aguicheuse de la part de Ruth. Ce mot, cependant, signifie qu’elle est venue vers Boaz dans le « secret » et l’« intimité » (voir son utilisation en 1Sam 18:22). Il ne s’agit pas là d’une scène de séduction.
Ruth « découvrit ses pieds » et s’allongea. Là encore, certains auteurs considèrent cet acte comme indiquant une activité sexuelle. Pour être juste, il faut dire que le verbe « découvrir » peut être utilisé de cette façon dans l’Ancien Testament (voir, par exemple, Lév 20:11, Lév 19-21). En revanche, l’expression utilisée ailleurs est « découvrir sa nudité » et non « découvrir ses pieds ». Nous devons prendre l’action de Ruth au pied de la lettre : elle a découvert les pieds de Boaz en soulevant la couverture, en se couchant à côté de ses pieds et en se couvrant avec la couverture. Ruth expliquera plus tard son intention métaphorique en demandant à Boaz « d’étendre tes ailes [le pan de ton manteau] sur ta servante, car tu es un rédempteur [tu as le droit de rachat]». En plaçant la couverture sur elle, Ruth a montré qu’elle voulait être protégée et prise en charge par Boaz. À l’appui de cette idée, dans Ruth 2:12, Boaz avait dit à Ruth qu’elle était sous les « ailes » (c’est-à-dire la protection) de Yahvé.
3 :8-13 Boaz s’éveilla « effrayé » et demanda à la femme de s’identifier. Si les deux avaient été au milieu d’une rencontre sexuelle, cette question n’aurait eu aucun sens. La scène entière n’était que la requête humble et vertueuse que Ruth adressait à Boaz d’agir comme un rédempteur. Boaz reconnut son caractère irréprochable, en précisant que toute la ville de Bethléhem reconnaissait en Ruth une « femme digne » (similaire à la description de Boaz dans Ruth 2 :1). Ils étaient tous deux des personnes intègres et honorables, et le fait de considérer cette scène comme un événement miteux et lié à la séduction porte atteinte à la droiture de leur caractère.
Boaz promet d’agir, mais il annonce qu’il existe un obstacle possible à ses plans : un autre go’el est plus proche dans la parenté et a le premier droit de refuser de réaliser ce rachat. Cela signifiait que Boaz devait trouver un moyen pour encourager le racheteur (le rédempteur) le plus proche à décider de l’affaire dans ce sens. Quoi qu’il en soit, Boaz prête serment à Ruth et le scelle en utilisant le nom d’alliance de Yahvé. Son serment est basé sur l’existence même du Dieu d’Israël.
Retour à Bethléhem (3 :14-18)
3 :14 Ruth resta à l’aire de battage durant tout le reste de la nuit, reposant aux pieds de Boaz. C’était une place de protection pour elle sans qu’on y voie un quelconque caractère inapproprié. La scène respire la retenue et la prudence. Ruth se leva alors avant l’aube : Boaz s’inquiétait de la réputation de Ruth et s’assura qu’elle partirait tôt et sans être reconnue.
3 :15 Avant qu’elle ne s’en aille, Boaz lui donna six mesures d’orge. Certains commentateurs croient que c’était quelque type de paiement pour des faveurs sexuelles (cf. Gen 38, où Juda a rémunéré Tamar pour s’être prostituée à lui). Une telle interprétation est inconvenante. Bien au contraire, le grain servait de promesse de Boaz à Ruth et Naomi : il allait tenir parole. Il fournissait un gage en guise de promesse qu’il chercherait à la racheter le jour même. La dernière ligne du verset confirme les intentions de Boaz : « Puis il entra dans la ville ». L’intérêt du sujet masculin dans le texte est que Boaz était sérieux quant à sa promesse, et il est allé à Bethléem immédiatement pour faire son devoir.
3:16-18 Ruth retourna chez elle et raconta à Naomi tout ce qui s’était passé. Elle conclut son récit en citant Boaz qui avait déclaré qu’il ne serait pas juste que Ruth retourne chez Naomi « les mains vides ». C’est le même mot utilisé dans Ruth 1:21, où Naomi avait déclaré que Yahvé l’avait ramenée de Moab « à vide ». Au contraire, Naomi n’allait plus être vide, mais elle sera pleine grâce à la promesse de rachat par Boaz.
Scène 4 : À la porte (4:1-22)
Au tribunal (4:1-12)
4:1 Le cadre de l’histoire se déplace maintenant, et Boaz apparaît à la porte principale de Bethléhem. La porte centrale d’une ville antique servait de lieu de rassemblement pour les anciens de la ville, et les affaires juridiques y étaient tranchées : c’était le lieu du tribunal de cette époque ancienne. Le temps choisi par Boaz était parfait, car celui qui était le potentiel rédempteur le plus proche passait par la porte. Boaz l’appela : « Approche-toi, assieds-toi ici, toi [ami]». Le mot « ami » en hébreu est constitué, en fait, de deux mots qui signifient communément « quiconque, un tel et un tel ». L’homme n’était pas appelé par son nom, et cela était significatif. Peut-être que l’omission de son nom était une marque de honte parce qu’il finira par ne pas faire son devoir en matière de rédemption (voir Deut 25:9-10). En d’autres termes, il a déshonoré son propre nom.
4:2-4 Maintenant, en présence du plus proche parent susceptible de racheter, Boaz rassembla les anciens de la ville afin que le quorum judiciaire soit atteint. Puis il leur exposa la situation. Nous apprenons que Naomi envisageait de vendre la terre d’Elimélec afin de subvenir à ses besoins ; elle était confrontée à l’indigence. La terre, cependant, ne pouvait pas être vendue à perpétuité mais devait être rachetée par le clan (Lév 25:23-24). Boaz obligeait ainsi le go’el le plus proche à prendre sa décision, et il répondit : « Je la rachèterai ».
4:5-6 Boaz donne alors un coup de théâtre : si le go’el le plus proche rachète Naomi, il devra aussi agir selon la loi du lévirat, à savoir épouser Ruth et susciter des descendants au parent défunt. Le premier qui pouvait racheter parvint alors à une conclusion bien différente : « Je ne peux pas la racheter ». Il savait que s’il agissait pour le rachat, cela sèmerait la discorde dans sa famille car son propre héritage devrait être partagé entre sa progéniture et celle de Ruth. De plus, s’il n’avait pas d’autres fils, l’intégralité de son patrimoine passerait au fils issu de l’union contractée selon la loi du lévirat. Il décida donc de protéger ses propres intérêts.
4:7-11a Ainsi Boaz reçut le droit de rachat et le scella selon l’ancienne coutume qui consistait à donner sa propre chaussure à un autre. C’était un acte qui attestait la transaction. Les anciens du peuple réunis à la porte validèrent celle-ci en se portant témoins devant le tribunal. Leur attestation dans la langue originale ne consistait qu’en un mot : « Témoins ! » Tous parlèrent à l’unisson et avec un plein accord.
4:11b-12 Pour finir, le peuple, prononça sur Ruth et Boaz une bénédiction divisée en trois parties. Tout d’abord, il demanda à Yahvé de rendre Ruth semblable à Rachel et Léa. Ces deux dernières, épouses de Jacob, ont donné naissance, avec leurs servantes, aux douze fils de Jacob et ont ainsi « bâti la maison d’Israël ». Ensuite, il demanda que Boaz continue d’agir « dignement » (même mot utilisé pour Boaz en 2:1 et Ruth en 3:11), et il demanda qu’on se souvienne de son nom à Bethléhem. Et enfin, le peuple pria pour que la maison de Boaz soit comme « la famille de Pérets que Tamar a donnée à Juda ». Cette demande fait référence à Genèse 38, passage dans lequel Tamar, une femme étrangère, a eu recours à la loi du lévirat pour perpétuer les lignées familiales de la tribu de Juda. Les habitants de Bethléhem étaient issus de cette tribu, et ils avaient donc bon espoir que la descendance de Ruth et de Boaz perpétue également la lignée de Juda.
Le descendant (4:13-22)
4:13 En Ruth 4:13-17 nous voyons l’histoire du livre arriver à un premier point culminant. L’histoire de Ruth s’est déroulée en arc de cercle : elle est arrivée à Bethléhem comme « n’étant pas une des servantes de Boaz » (Ruth 2:13), elle a fini par annoncer à Boaz : « Je suis ta servante » (Ruth 3 :9), et maintenant, dans le passage en question, elle devient sa femme. Elle conçoit alors un enfant ; la souveraineté de Dieu est évidente dans cet événement : il ouvrit sa matrice et elle donna naissance à un fils. Voici l’héritier mâle qui perpétuera le nom et l’héritage de la famille !
4:14-16 Les femmes de la ville se sont manifestées et ont prononcé une bénédiction sur Naomi. Elles étaient apparues pour la première fois dans le récit en Ruth 1:9, où elles avaient peut-être dénigré Naomi en demandant : « Est-ce bien Naomi ? » Maintenant, elles bénissent Yahvé pour lui avoir accordé un rédempteur. Les deux discours des femmes de la ville servent d’inclusio, encadrant les événements de Bethléhem. Les femmes, en un sens, fonctionnent comme un chœur qui commente le mouvement de l’histoire, de l’amer au doux.
4:17 Les femmes de Bethléhem nommèrent l’enfant « Obed », ce qui signifie « celui qui sert ». Le nom d’Obed était approprié car il servait, en préservant la lignée d’Elimélec et l’héritage foncier de la famille. L’auteur donne maintenant une signification encore plus grande à la transmission de la lignée par Obed en indiquant qu’il est devenu le père de Jessé et le grand-père de David, le grand roi d’Israël. Ainsi, le lecteur commence à voir une image plus large : nous voyons Dieu à l’œuvre pour établir la lignée royale d’Israël à travers ce couple inattendu de Ruth et Boaz.
4:18–22 Le livre de Ruth s’achève sur une généalogie plus large qui retrace la lignée depuis Pérets, le fils de Juda, jusqu’à David. Cette généalogie plus étendue existe afin de relier David à Juda, auquel avait été promis une lignée royale et la royauté (voir Gen 49:8-10). Observez le fait que la généalogie est sélective ; elle ne donne pas la liste de chaque génération depuis Pérets jusqu’à David. La généalogie donne une liste de dix noms et, dans la culture hébraïque le nombre dix signifie souvent la plénitude. L’idée qui se trouve derrière cette généalogie n’est pas de nous donner une liste historiquement exhaustive, mais de montrer que la généalogie atteint son point culminant et sa plénitude dans la personne de David.
Cette généalogie sélective, toutefois, ne regarde pas seulement en arrière : elle regarde aussi en avant. La liste de dix descendants, de Pérets à David, est exactement celle que Matthieu reprend dans sa généalogie de Jésus (Matt 1:3-6), en y ajoutant les trois femmes Tamar, Rahab et Ruth. Cela démontre que la généalogie que l’on trouve à la fin du livre de Ruth trouve son point culminant dans la venue de Jésus, le fils de David, et le dernier roi d’Israël. Observez comment les personnages principaux de l’histoire de Ruth – Naomi, Boaz et Ruth - ont disparu du récit. Leur histoire n’est pas l’histoire principale. La venue du Messie est l’Alpha et l’Oméga du livre de Ruth.
Bibliographie
En anglais :
Autorisations
Le texte de Ruth, à l’exclusion de toutes les citations de la Bible, est la propriété de The Gospel Coalition, © 2025. TGC Evangile21 vous donne la permission de reproduire intégralement cet ouvrage, sans y apporter aucune modification, en français, à des fins de distribution non commerciale dans le monde entier.
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Si vous souhaitez traduire cet ouvrage dans une autre langue, merci de vous reporter à l’original : Ruth
Ruth 1
1 A l’époque des juges, il y eut une famine dans le pays. Un homme de Bethléhem de Juda partit avec sa femme et ses deux fils s’installer dans le pays de Moab. 2Le nom de cet homme était Elimélec, celui de sa femme Naomi, et ses deux fils s’appelaient Machlon et Kiljon; ils étaient éphratiens, de Bethléhem en Juda. Arrivés au pays de Moab, ils s’y établirent. 3Elimélec, le mari de Naomi, mourut et elle resta avec ses deux fils. 4Ils prirent des femmes moabites – l’une s’appelait Orpa et l’autre Ruth – et ils habitèrent là environ 10 ans. 5Machlon et Kiljon moururent aussi tous les deux et Naomi resta privée de ses deux fils et de son mari.
6Alors elle se leva, elle et ses belles-filles, afin de quitter le pays de Moab. En effet, elle y avait appris que l’Eternel était intervenu en faveur de son peuple et lui avait donné du pain. 7Elle partit de l’endroit où elle habitait, accompagnée de ses deux belles-filles, et elle se mit en route pour retourner dans le pays de Juda.
8Naomi dit à ses deux belles-filles: «Allez-y, retournez chacune dans la famille de votre mère! Que l’Eternel agisse avec bonté envers vous, comme vous l’avez fait envers ceux qui sont morts et envers moi! 9Que l’Eternel fasse trouver à chacune du repos dans la maison d’un mari!» Puis elle les embrassa. Elles se mirent à pleurer tout haut 10et lui dirent: «Non, nous irons avec toi vers ton peuple.» 11Naomi dit: «Retournez chez vous, mes filles! Pourquoi viendriez-vous avec moi? Suis-je encore en état d’avoir des fils qui puissent devenir vos maris? 12Retournez chez vous, mes filles, allez-y! Je suis trop vieille pour me remarier. Et même si je disais: ‘J’ai de l’espérance’, même si cette nuit j’étais avec un homme et que je mette au monde des fils, 13attendriez-vous pour cela qu’ils aient grandi, refuseriez-vous pour cela de vous marier? Non, mes filles, car à cause de vous je suis dans une grande amertume parce que l’Eternel est intervenu contre moi.» 14Elles se remirent à pleurer tout haut. Orpa embrassa sa belle-mère, mais Ruth lui resta attachée.
15Naomi dit à Ruth: «Tu vois, ta belle-sœur est retournée vers son peuple et vers ses dieux; retourne chez toi comme elle!» 16Ruth répondit: «Ne me pousse pas à te laisser, à repartir loin de toi! Où tu iras j’irai, où tu habiteras j’habiterai; ton peuple sera mon peuple et ton Dieu sera mon Dieu; 17où tu mourras je mourrai et j’y serai enterrée. Que l’Eternel me traite avec la plus grande sévérité si autre chose que la mort me sépare de toi!» 18La voyant décidée à l’accompagner, Naomi cessa d’insister auprès d’elle.
19Elles firent ensemble le voyage jusqu’à leur arrivée à Bethléhem. Lorsqu’elles entrèrent dans Bethléhem, toute la ville fut dans l’agitation à cause d’elles. Les femmes disaient: «Est-ce bien Naomi?» 20Elle leur dit: «Ne m’appelez pas Naomi, appelez-moi Mara, car le Tout-Puissant m’a remplie d’amertume. 21J’étais dans l’abondance à mon départ et l’Eternel me ramène les mains vides. Pourquoi m’appelleriez-vous Naomi, après que l’Eternel s’est prononcé contre moi, après que le Tout-Puissant a provoqué mon malheur?»
22C’est ainsi que Naomi et sa belle-fille, Ruth la Moabite, revinrent du pays de Moab. Elles arrivèrent à Bethléhem au début de la moisson de l’orge.
Société Biblique de Genève, éd. (2007). La Bible Segond 21 (Rt 1.1–22).