Peu après la destruction du temple d’Hérode en 70 apr. J.-C., l’apôtre Matthieu raconte l’histoire du Messie juif à des lecteurs majoritairement judéo-chrétiens. Il annonce que Jésus de Nazareth est le « Christ », l’oint de l’Éternel, le roi issu de la lignée de David (« fils de David », 1:1) qui avait été promis. Ce souverain envoyé par Dieu, “Emmanuel, ce qui signifie « Dieu avec nous »” (1:23), est venu sur terre pour établir le royaume des cieux, le règne éternel promis à David et à sa descendance (2 S 7). Or, ce royaume davidique a des racines abrahamiques qui s’étendent dans le monde entier et offrent la bénédiction abondante de Dieu aussi bien aux Juifs qu’aux païens.
Jésus, qui est le « Christ » et « fils de David », est également « fils d’Abraham » (1:1). En tant que tel, il apporte la bénédiction du salut promise par Dieu à toutes les « nations » (Gn 17:4 ; Mt 24:14 ; 28:19). Après la naissance de Jésus, « des mages venus d’Orient » (2:1) se rendent à Bethléhem pour se prosterner devant le roi et, après la mort de Jésus, un soldat romain déclare, « Cet homme était vraiment le Fils de Dieu. » (27:54). Au moment de sa mort, le voile du temple se déchire en deux et, avant ce point culminant, l’accès à Dieu est offert aux pécheurs, Juifs comme païens (par exemple les collecteurs d’impôts juifs ou une femme cananéenne) par la foi en Jésus. Pour l’apôtre Matthieu, comme pour l’apôtre Paul, « l’Évangile de Dieu » est « la puissance de Dieu pour le salut de tout homme qui croit, du Juif d’abord, mais aussi du non-Juif », Rm 1:1, 16). Du reste, il considère la foi qui sauve comme une foi agissante (« l’obéissance de la foi parmi toutes les nations », Rm 1:5, version Darby).
Si le premier des évangiles était une symphonie, les trois notes principales de la ligne mélodique seraient « tout pouvoir », « toutes les nations », et « tout mettre en pratique ». « Jésus a tout pouvoir afin que toutes les nations puissent obéir à tout ce qu’il a prescrit. »1
Tout pouvoir
Jésus règne sur toutes les autorités, sur la terre comme dans les cieux.
Toutes les nations
Ainsi, Juifs et païens doivent s’incliner devant lui, et
Tout mettre en pratique
démontrer leur allégeance aux commandements éthiques de Jésus et à son ordre d’évangéliser les peuples partout dans le monde.
Concernant le thème de l’allégeance, les disciples chrétiens sont appelés à donner la première place à Jésus (« Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi »), à suivre ses enseignements sur l’adultère et l’idolâtrie, l’aumône et l’anxiété, la colère et l’évangélisation, le jeûne et le pardon, la luxure et l’amour, l’argent et le mariage, la pureté et la prière, et à supporter les conséquences de leur choix de suivre Jésus (« Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi ») sans perdre de vue la récompense éternelle (« Celui qui conservera sa vie la perdra, et celui qui perdra sa vie à cause de moi la retrouvera », 10:37–39).
Objectif
L’évangile de Matthieu a été écrit pour présenter aux gens de toutes nations le Roi Jésus, à qui tout pouvoir a été remis dans les cieux et sur la terre et qui invite ceux qui sont appelés par Dieu à porter leur croix et à le suivre.
Verset clé
““Jésus s’approcha et leur dit : «Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre. Allez [donc], faites de toutes les nations des disciples, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit et enseignez-leur à mettre en pratique tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. »”
— Matthieu 28:18–20 S21
Plan
I. La « genèse » de Jésus (1:1–1:25)
II. Tout cela arriva afin que s’accomplisse ce que le Seigneur avait annoncé (2:1–2:23)
III. Baptêmes dans le désert (3:1–17)
IV. La tentation dans le désert (4:1–11)
V. La lumière en Galilée (4:12–25)
VI. Le sermon sur la montagne (5:1–7:29)
A. Les béatitudes (5:1–12)
B. Sel et lumière (5:13–48)
C. Vus et récompensés par Dieu (6:1–18)
D. Trésor et confiance (6:19–34)
E. Mises en garde (7:1–29)
VII. Le Fils de Dieu s’est chargé de nos maladies (8:1–9:34)
A. La purification du lépreux (8:1–4)
B. La guérison du serviteur de l’officier romain (8:5–13)
C. La fièvre guérie (8:14–17)
D. Le prix à payer pour vivre en disciple (8:18–22)
E. Deux exorcismes (8:23–34)
F. La guérison du paralytique (9:1–8)
G. L’appel de Matthieu (9:9–17)
H. Deux filles (9:18–26)
I. Les aveugles voient (9:27–31)
J. Les muets parlent (9:32–34)
VIII. La moisson est grande (9:35–10:42)
IX. La réponse à ses prodiges (11:1–30)
X. Seigneur du sabbat (12:1–50)
XI. Les paraboles de Jésus (13:1–53)
XII. Le rejet de Jésus et la décapitation de Jean (13:54–14:12)
XIII. L’adoration de JE SUIS (14:13–36)
XIV. L’absence de foi, le peu de foi, la grande foi (15:1–16:28)
A. La « grande foi » de la femme cananéenne (15:21–28)
B. 4 000 personnes nourries (15:29–39)
C. « C’est faussement qu’ils m’honorent » (16:1–12, voir 15:1–20)
D. « Tu es le Messie » (16:13–28)
XV. Qui était présent à la croix ? (17:1–23)
XVI. Leçons sur la vie de disciple (17:24–20:34)
A. Le paiement de l’impôt du temple (17:24–27)
B. Qui est le plus grand ? (18-1–6)
C. Se séparer du péché (18:7–9)
D. La parabole de la brebis perdue (18:10–14)
E. La discipline d’église (18:15–20)
F. La parabole du serviteur impitoyable (18:21–35)
G. Le divorce (19:1–12)
H. Les derniers seront les premiers (19:13–20:19)
I. La véritable grandeur dans le royaume (20:20–28)
J. « Seigneur, Fils de David ! » (20:29–34)
XVII. Ô Jérusalem ! (21:1–46)
A. L’entrée triomphale (21:1–11)
B. Jésus purifie le temple (21:12–16)
C. Jésus maudit un figuier stérile (21:17–22)
D. Par quelle autorité ? (21:23–27)
E. La parabole des deux fils (21:28–32)
F. La parabole des vignerons (21:33–46)
XVIII. Nouvelles questions posées à Jésus (22:1–46)
A. La parabole du festin des noces (22:1–14)
B. Rendez à Dieu (22:15–21)
C. Le mariage et la résurrection (22:22–33)
D. Le plus grand commandement (22:34–40)
E. « Le Seigneur a dit à mon Seigneur » (22:41–46)
XIX. Malheur aux spécialistes de la loi et aux pharisiens (23:1–39)
XX. Le discours sur le mont des Oliviers (24:1–25:46)
A. La chute de Jérusalem (24:1–26, 32–35)
B. Le retour de Christ (24:27–31, 36–51)
C. La parabole des dix jeunes filles (25:1–13)
D. La parabole des récompenses (25:14–30)
E. La parabole des brebis et des boucs (25:31–46)
XXI. « Le Fils de l’homme est livré entre les mains des pécheurs » (26:1–56)
A. Jésus oint à Béthanie (26:1–16)
B. Le dernier repas (26:17–29)
C. En route pour Gethsémané (26:30–56)
XXII. Jésus arrêté et jugé (26:57–27:26)
XXIII. La passion et la mort du Christ (27:27–54)
A. Le Roi ridiculisé (27:27–31)
B. La crucifixion du Fils de Dieu (27:32–44)
C. La vie en sa mort (27:45–54)
XXIV. « Lui qui a été crucifié » (27:55–28:20)
A. La mise au tombeau de Jésus (27:57–61)
B. Les gardes devant le tombeau (27:62–66)
C. La résurrection : la réaction des femmes qui croient (28:1–10)
D. La résurrection : la réaction des hommes qui ne croient pas (28:11–15)
E. Le Mandat Missionnaire (28:16–20)
La « genèse » de Jésus (1:1–1:25)
Les quatre Évangiles mettent l’accent sur la même personne (Jésus en tant que Dieu le Fils venu pour sauver les pécheurs), racontent la même histoire (des enseignements et des miracles de Jésus, suivis de sa passion, de sa mort et de sa résurrection), et partagent le même objectif global (inviter les gens à croire en Jésus-Christ). Cependant, les deux premiers chapitres de Matthieu sont les seuls qui nous présentent la généalogie de Jésus, l’annonce de sa naissance faite à Joseph, la visite des mages et le début du ministère de Jésus accomplissant les prophéties de l’Ancien Testament. Marc, Luc et Jean contiennent de nombreuses références et allusions aux Écrits hébraïques et à l’histoire d’Israël auxquels ils font écho, mais l’évangile de Matthieu en est rempli.
Matthieu commence par une généalogie. Le mot grec traduit par « généalogie » en français est genesis (genèse). Avec cette nouvelle genèse en Jésus, Matthieu ne fait pas qu’introduire la trame du récit de son évangile, il apporte également une emphase théologique, à savoir que Dieu offre à sa création, en Jésus, une re-création sous la forme du pardon des péchés.
Par ailleurs, avec les trois titres suivants donnés à Jésus – « le livre de la généalogie de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham », Matthieu souligne le fait que Jésus de Nazareth est le Messie promis aux Juifs (le « Christ »), et qu’il est venu pour accomplir les promesses faites à David et à Abraham (« fils de David, fils d’Abraham », 1:1). Même si, d’un point de vue chronologique, Abraham est venu avant David, David est probablement mentionné en premier pour renforcer le thème de la royauté. Jésus est plus qu’un Juif (un fils d’Abraham, 1:2) issu de la tribu de Juda (1:2–3 ; voir 2:6), il est, par Joseph (« Joseph, descendant de David », 1:20), un descendant royal du roi David (1:6). Il est « le roi des Juifs qui vient de naître » (2:2), envoyé pour accomplir la promesse divine d’un règne éternel (« le royaume des cieux », 4:17 ; voir « et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son ancêtre. Il régnera sur la famille de Jacob éternellement, son règne n’aura pas de fin. » Luc 1:32–33 ; 2S 7).
Le récit de la naissance (Mt 1:18–25) devrait plutôt être rebaptisé « la conception de Christ ». En effet, l’accent est placé non pas sur le travail et l’accouchement de Marie, mais sur le rôle de l’Esprit dans la conception (« car l’enfant qu’elle porte vient du Saint-Esprit », 1:20 ; « elle se trouva enceinte par l’action du Saint-Esprit », 1:18) et sur la compréhension qu’a Joseph de l’identité de l’enfant dans le ventre de Marie. Grâce à sa rencontre avec un ange, Joseph n’envisage plus de répudier Marie à cause de ce qu’il considérait comme de la fornication, mais il décide de l’épouser (« il prit sa femme [Marie] chez lui », 1:24) et donne un nom à l’enfant (« auquel il donna le nom de Jésus », 1:25). De ce fait, il accorde au fils de Marie le statut de descendant de David. Au verset 23, le lecteur (ou l’auditeur) apprend que tout ceci arriva afin que s’accomplisse Ésaïe 7:14 : « La vierge sera enceinte, elle mettra au monde un fils et l’appellera Emmanuel. » Cette prophétie, donnée à la « dynastie de David » (Es 7:13), est accomplie parfaitement en Jésus, qui affermit « le trône de David » et continue de le « soutenir par le droit et par la justice, dès maintenant et pour toujours » (Es 9:6–7).
Après avoir présenté à ses lecteurs Jésus comme le « Christ » et le « Fils de David », Matthieu le décrit ensuite comme le « Fils d’Abraham » (Mt 1:1). Il associe ainsi la venue de Jésus à l’alliance abrahamique. La « bonne nouvelle du royaume » (4:23; 9:35; 24:14) sera une bénédiction pour toutes les nations (Gn 12:1–3 ; 17:4 ; 18:18 ; 22:18). Cette bénédiction, qui a été répandue en partie durant l’histoire de la rédemption sous l’ancienne alliance (au moins trois païens sont mentionnés dans la généalogie de Jésus), arrive maintenant à son apogée avec la venue de Jésus-Christ. Les premiers à s’incliner devant lui et à le reconnaître comme roi sont des païens, « des mages venus d’Orient » (Mt 2:1). Jésus commence son ministère dans la « Galilée à la population étrangère » (4:15), et la lumière du royaume de Dieu arrive jusqu’à une multitude d’autres païens (« Le peuple assis dans les ténèbres a vu une grande lumière », 4:16), dont une femme cananéenne et un officier romain.
Dans Matthieu 1:1 (« Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham »), l’évangéliste souligne le lien entre l’ascendance messianique de Jésus et deux des principales promesses de l’Ancien Testament. De par la structure de la généalogie (« Il y a donc en tout 14 générations depuis Abraham jusqu’à David, 14 générations depuis David jusqu’à la déportation à Babylone et 14 générations depuis la déportation à Babylone jusqu’au Christ », 1:17), il établit probablement un lien symbolique entre le moment de la naissance de Jésus et David (en hébreu, chaque lettre à une valeur numérique, et le total des trois lettres du nom David est égal à quatorze), et assurément un lien entre la venue de Jésus et la fin de l’exil. Les mages étaient des païens originaires d’Arabie, de Perse ou de Babylone. S’il s’agit de Babylone, un lieu qui était connu pour ses « sages » (magos, Dn 2:2, 10 LXX), alors l’exil babylonien est assurément terminé.
Le peuple ne sera cependant pas délivré d’une puissance militaire telle que Babylone ou Rome, mais de la puissance infiniment supérieure du péché. Joseph doit donner à son fils le nom de « Jésus » « car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés » (Mt 1:21). « Son peuple » comprendra même les pécheurs notoires figurant dans sa généalogie (comme Rahab, la prostituée) ainsi que tous ceux qui viennent à lui par la foi tout au long du récit évangélique (comme Matthieu, le collecteur d’impôts). « Jésus » signifie « Yahvé sauve ». La mission de Jésus est décrite sobrement, mais avec une grande profondeur, de la manière suivante : « appeler … des pécheurs » (9:13) au salut.
Tout cela arriva afin que s'accomplisse ce que le Seigneur avait annoncé (2:1–2:23)
2:1–3 Après avoir souligné le lien entre la naissance de Jésus et l’Ancien Testament, Matthieu 2 poursuit le thème de la continuité des Écritures en mettant en lumière comment l’enfance de Jésus accomplit cinq prophéties. Les deux premières concernent le récit de la visite des mages (2:1–12). Lorsque « des mages venus d’Orient » arrivent à Jérusalem, ils se renseignent dans la ville : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? » (2:1–2). Ils posent cette question car ils ont suivi une étoile qui les a conduits vers la ville sainte (« En effet, nous avons vu son étoile en Orient et nous sommes venus pour l’adorer 2:2). La mention de l’étoile comme « son étoile » est une référence à l’oracle de Balaam (« un astre sort de Jacob, un sceptre s’élève d’Israël », Nb 24:17), prophétie d’un roi parfait venu d’entre les juifs pour le monde. Hérode découvre ce que recherchent les mages et il est « troublé » (Mt 2:3). Il est troublé car un roi juif idéal ne serait pas idéal pour sa domination impie. Matthieu appelle Hérode le tétrarque « le roi » à trois reprises. Le lecteur peut déceler l’ironie et comprendre en filigrane que le nouveau-né issu de la lignée du « roi David » (1:6) est le vrai roi d’Israël, celui qui allait bientôt renverser tous les royaumes iniques.
2:4–6 La manière dont Matthieu introduit le deuxième accomplissement des prophéties est également pleine d’ironie. Constatant son ignorance sur le sujet, Hérode rassemble « tous les chefs des prêtres et spécialistes de la loi que comptait le peuple » pour savoir « où le Messie devait naître » (2:4). La hiérarchie religieuse indifférente déclare : « A Bethléhem en Judée, car voici ce qui a été écrit par le prophète : Et toi, Bethléhem, terre de Juda, tu n’es certes pas la plus petite parmi les principales villes de Juda, car de toi sortira un chef qui prendra soin d’Israël, mon peuple » (2:5–6 ; citant Mi 5:2, 4). De la ville de David viendra un autre « berger-roi » qui régnera sur le peuple de Dieu avec amour (2S 5:2 ; Ez 34).
Intérieur de la grotte de l’Église de la Nativité, une église du 4e siècle construite au-dessus d’une grotte à Bethléhem, qui marque l’emplacement traditionnel du lieu de naissance de Jésus
2:7–18 Hérode n’est assurément pas ce roi, comme il le démontre par la suite. En effet, il cherche à éliminer l’enfant Jésus en massacrant nourrissons et enfants en bas-âge dans Bethléhem et sa banlieue. Après que les mages ont découvert l’endroit où se trouvait Jésus (« ils virent l’étoile » et « étant entrés dans la maison »), là où ils « virent le petit enfant » et se sont mis à l’adorer (« se prosternant, ils lui rendirent hommage » et « ils lui offrirent des dons », 2:11, version Darby), Hérode réalise qu’il s’est fait berner. Les sages ne sont pas revenus dire à Hérode où se trouvait l’enfant. Il a donc ordonné de « tuer tous les enfants de deux ans et au-dessous qui étaient à Bethléhem et dans tout son territoire » (2:16). Ce « massacre des innocents », comme il est souvent appelé, a eu lieu, selon Matthieu, pour accomplir « ce que le prophète Jérémie avait annoncé : « On a entendu des cris à Rama, des pleurs et de grandes lamentations : c’est Rachel qui pleure ses enfants et n’a pas voulu être consolée, parce qu’ils ne sont plus là. » Dans Jérémie 31:15, Rachel, qui symbolise la mère de tout Israël, est décrite en train de pleurer devant le tombeau familial à Rama lorsque les enfants d’Israël ont été exilés à Babylone. Ici, elle pleure à nouveau avec les mères de Bethléhem à cause de cette grande tragédie. Dans son contexte original toutefois, cette expression de chagrin est suivie d’un impératif : « Retiens tes pleurs ainsi que les larmes de tes yeux. » (Jr 31:16). La raison pour laquelle les déportés peuvent sécher leurs larmes, c’est que l’exil va bientôt se terminer. Les membres du peuple de Dieu « reviendront du pays de l’ennemi » (Jr 31:16), et « serviront l’Eternel, leur Dieu, et David, leur roi » (Jr 30:9). Avec cette allusion à la situation en vigueur du temps de Jérémie, Matthieu veut souligner que, avec Jésus comme roi, l’exil prend fin et une nouvelle alliance est inaugurée (Jr 31:33–34 ; voir Mt 26:28).
Matthieu nous raconte comment Jésus a pu échapper au plan du Roi Hérode. Il a eu la vie sauve parce que Joseph a obéi à l’avertissement qu’il a reçu en songe : « « Lève-toi, prends le petit enfant et sa mère, fuis en Egypte et restes-y jusqu’à ce que je te parle, car Hérode va rechercher le petit enfant pour le faire mourir.» Joseph se leva, prit de nuit le petit enfant et sa mère et se retira en Egypte. Il y resta jusqu’à la mort d’Hérode. » Matthieu cite ensuite Osée 11:1, affirmant que l’exode de Jésus en Égypte, puis son retour, accomplissent ce qui avait été annoncé : « j’ai appelé mon fils à sortir d’Égypte ». Ici, Jésus est à la fois l’incarnation d’Israël (il est le « Fils bien-aimé » du Père (Mt 3:17 ; 17:5) et un résumé de l’exode d’Israël. Jésus descend en Égypte puis sort d’Égypte. Un motif important apparaît ici. A l’instar de la nation d’Israël qui, nouvellement constituée, a souffert hors de la Terre promise sous la férule d’un Pharaon au cœur endurci, le bébé Jésus a dû lui aussi s’enfuir en Égypte à cause de la domination tyrannique d’Hérode Antipas.
2:19–23 Matthieu 2 s’achève avec le retour de la sainte famille en Terre promise, événement qui accomplit la cinquième et dernière prophétie du chapitre. Encore une fois, Joseph écoute l’Éternel et conduit sa famille en lieu sûr jusqu’à la destination désignée par Dieu. Un ange vient à lui dans un rêve, l’informe de la mort d’Hérode et lui ordonne : « va dans le pays d’Israël » (2:20). Sur le chemin, encore une fois, un ange l’informe pendant son sommeil qu’il lui faut éviter la Judée en raison de l’hostilité d’Archélaüs, le fils d’Hérode. Ils arrivent dans la région de Galilée, dans la ville de Nazareth. C’est là que Jésus va vivre durant toute son enfance. Le lecteur de Matthieu comprend que c’est « afin que s’accomplisse ce que les prophètes avaient annoncé : « Il sera appelé nazaréen. » » (2:23). Nazareth a reçu ce nom suite à la promesse d’Esaïe 11:1, « Puis un rameau sortira du tronc d’Isaï, [le père de David] et un rejeton [neser] naîtra de ses racines. » Jésus naîtrait dans la ville de David et serait élevé dans la ville appelée ainsi en raison de la promesse de son royaume éternel (neser/eth). Jésus est le rameau, une longue pousse qui s’étend jusqu’aux nations (« les nations la rechercheront », Es 11:10, Darby). Ce qu’Esaïe annonce, c’est précisément ce que Matthieu veut souligner ! Deux notions se recoupent sous l’inspiration divine. Collectivement, « les prophètes » combinent l’accomplissement de l’alliance davidique (tout pouvoir, pour toutes les époques) avec celui de l’alliance abrahamique (pour toutes les nations qui se confient dans le Messie d’Israël).
Baptêmes dans le désert (3:1–17)
Dans les deux premiers chapitres, Matthieu souligne le lien entre la naissance et les premières années de la vie de Jésus et bon nombre des principaux événements et des principales promesses de l’Ancien Testament : l’appel d’Abraham et l’alliance abrahamique, l’autorité de David et l’alliance davidique, l’exode, l’exil et le retour de l’exil. Dans 3:1–17, il poursuit sur ce thème de la continuité entre les deux testaments incarnée par Jésus. Le ministère de Jean-Baptiste -qui prépare « le chemin de l’Eternel »- accomplit Esaïe 40:3, et le baptême de Jésus, d’après les paroles de Jésus lui-même, accomplit « tout ce qui est juste » (Mt 3:15). Cette section se termine par la déclaration d’inspiration divine selon laquelle Jésus n’est pas seulement « fils de David » et « fils d’Abraham » (1:1), mais également le bien-aimé du Père (« Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute mon approbation. » 3:17).
L’identité de Jésus et la réponse initiale d’Israël à l’annonce du royaume à venir sont les deux principaux thèmes abordés en 3:1–17. Comme indiqué ci-dessus, le début et la fin du texte mettent l’accent sur l’identité divine de Jésus (« Seigneur »//« Fils bien-aimé » de Dieu, 3:3, 17). Jean-Baptiste, qui a annoncé le royaume à venir en Jésus, lui qui « prêchait dans le désert de Judée » le message « Changez d’attitude, car le royaume des cieux est proche », est décrit comme « la voix de celui qui crie dans le désert » et qui prépare « le chemin du Seigneur » (3:1–3 ; citant Es 40:3). Le mot grec traduit par « Seigneur » est kurios, désignation habituelle de YHWH dans la Septante [traduction grecque de la Bible]. Le témoignage de Jean est confirmé plus loin par la comparaison qu’il établit entre lui et son baptême, d’une part, et la personne et l’œuvre de Jésus, d’autre part. Jean, au sujet duquel Jésus affirmera par la suite que « parmi ceux qui sont nés de femmes, il n’est venu personne de plus grand que Jean-Baptiste » (Mt 11:11), dit de lui-même qu’il n’est pas « digne de porter » les sandales de Jésus. Plus tard, lorsque Jésus souhaite être baptisé, Jean répond : « C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par toi » (3:14).
Jean considère Jésus comme absolument saint et se voit donc entièrement indigne au regard de la justice incomparable de Christ. Jean considère également Jésus comme quelqu’un de puissant. Le baptême de Jean est un baptême d’eau (« Moi, je vous baptise d’eau en vue de la repentance ») alors que le baptême de Jésus implique une conversion spirituelle (« Lui, il vous baptisera du Saint-Esprit », voir Jean 3:5–8 ; Actes 2:2–3, 38). Pour certains, le baptême « de feu » désigne la régénération ; pour d’autres, il représente le jugement. Ce Jésus qui est puissant pour sauver (Jean déclare « celui qui vient après moi est plus puissant que moi », Mt 3:11), est également le juge tout-puissant : « Il a sa pelle à la main; il nettoiera son aire de battage et il amassera son blé dans le grenier, mais il brûlera la paille dans un feu qui ne s’éteint pas » (3:12).
Plus loin, le Père et l’Esprit vont confirmer le témoignage de Jean quant à la personne de Jésus et à sa mission après son baptême. « Dès qu’il fut baptisé » (3:16), Matthieu veut que ses lecteurs « contemplent » (2x) le témoignage céleste : « Alors le ciel s’ouvrit [pour lui] et il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Au même instant, une voix fit entendre du ciel ces paroles : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute mon approbation.» » Les mots du Père reprennent à la fois Psaume 2:7 et Esaïe 42:1. Psaume 2 met l’accent sur le Fils de Dieu, qui est le Roi davidique du royaume éternel de Dieu. Esaïe 42 commence ainsi : « Voici mon serviteur, celui. . .qui a toute mon approbation. J’ai mis mon Esprit sur lui ; il révélera le droit aux nations. » (Esaïe 42:1). Plus tard dans Esaïe, le prophète déclare que son serviteur bien-aimé est également un serviteur souffrant, et que, par ses souffrances, les transgressions seraient expiées : « Après tant de trouble, il verra la lumière et sera satisfait. Par sa connaissance, mon serviteur justeprocurera la justice, à beaucoup d’hommes ; c’est lui qui portera leurs fautes. » (Es 53:11).
Le Jourdain | Crédit photo : Phil Thompson, CC BY-SA 4.0
Dans le désert, le baptême de Jésus préfigure la croix. Jésus convainc Jean de le baptiser « car il est convenable que nous accomplissions ainsi tout ce qui est juste » (Mt 3:15). Jésus accomplit non seulement certaines des alliances et des prophéties de l’Ancien Testament, mais il remplit également toutes les exigences de justice contenues dans la Loi en ce que, de par son baptême, le premier de ses actes de substitution salvateurs, Jésus s’identifie aux pécheurs (il est né pour les sauver) et à leurs besoins les plus profonds. Cette identification est le moyen par lequel Dieu sauve « son peuple de ses péchés » (1:21) par le sacrifice incarné de Jésus. Comme je l’ai écrit ailleurs,
Cela nous amène au-delà du thème essentiel d’un second exode dans Matthieu 1–4, à savoir que, tout comme Israël a été conduit hors d’Égypte à travers la mer Rouge puis dans le désert, Jésus est lui aussi conduit hors d’Égypte, baptisé dans les eaux, puis conduit dans le désert. À la différence du peuple d’Israël impie, Jésus, en tant que « véritable Israël », accomplit tout ce qui est juste dans cet acte en trois parties (hors d’Égypte, à travers les eaux, dans le désert). Mais ce n’est pas tout. À travers son baptême, il guide son peuple inique mais repentant à travers le nouvel exode, une libération finale et définitive de l’esclavage du péché ! En clair, Jésus a été baptisé non pas pour lui-même mais pour nous (cf. Galates 3:13 ; 2 Corinthiens 5:21). L’immersion dans les eaux du baptême est un symbole de la purification de nos péchés. Comme l’eau est répandue sur notre tête, nous sommes rendus purs aux yeux de Dieu. Lorsque Jésus est descendu dans les eaux du Jourdain, c’est l’inverse qui s’est produit. Il a commencé à prendre notre péché, notre saleté, toute la pourriture de tous les baptisés. Chaque goutte d’eau qui a pu entrer dans sa bouche était un avant-goût de la coupe de la colère divine, qu’il boirait entièrement à la croix. Jésus, le Fils et le Serviteur, a été baptisé pour accomplir « tout ce qui est juste », afin de réaliser le plan divin de substitution pour les péchés.2
Ainsi, dans son baptême, Jésus « accomplit pleinement » les exigences de justice divines dans « le motif récurrent et les prophéties de l’Ancien Testament au sujet du Messie ».3 En tant que Serviteur souffrant, il satisfait le Père en obéissant parfaitement à sa volonté (Es 53:11) et en s’associant également au besoin de repentance du peuple de Dieu et à son besoin d’un Sauveur parfaitement juste (Es 53:12). Dans son baptême, Jésus est reconnu comme le Messie Davidique, le Fils bien-aimé et le Serviteur souffrant, honoré par l’Esprit.
Jésus accomplit non seulement certaines des alliances et des prophéties de l’Ancien Testament, mais il remplit également toutes les exigences de justice contenues dans la Loi en ce que, de par son baptême, le premier de ses actes de substitution salvateurs, Jésus s’identifie aux pécheurs (ill est né pour les sauver) et à leurs besoins les plus profonds.
Le thème de la réponse initiale d’Israël à l’annonce du royaume à venir précède le baptême de Jésus, et pourtant il préfigure la réponse qui reviendra tout au long de l’Évangile. À l’image d’Élie (voir Mt 11:14 ; cf. 2R 1:8 ; Mal 4:5), l’accoutrement de Jean (« un vêtement en poil de chameau et une ceinture de cuir autour de la taille »), le lieu où il officiait (« dans le désert »), son régime alimentaire (« Il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage ») et son message (« Changez d’attitude » Mt 3:1–2, 4) l’identifient clairement comme un prophète. Son message concernant le royaume à venir rencontre un succès sans précédent (« Les habitants de Jérusalem, de toute la Judée et de toute la région du Jourdain se rendaient vers lui. Reconnaissant publiquement leurs péchés, ils se faisaient baptiser par lui dans les eaux du Jourdain. » 3:5–6). Même les chefs religieux venaient à lui (« beaucoup de pharisiens et de sadducéens venir se faire baptiser par lui » 3:7). Toutefois, les reproches que Jean leur adresse (« Races de vipères, qui vous a appris à fuir la colère à venir ? Produisez donc du fruit qui confirme votre changement d’attitude », 3:8), introduit le thème de l’hypocrisie au sein de l’ordre religieux en place. L’idée qu’ils se font d’eux-mêmes les aveugle sur le jugement de Dieu à venir, ainsi que sur l’invitation pleine de grâce qu’il adresse aux laissés pour compte (« et ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes : ‘Nous avons Abraham pour ancêtre !’ En effet, je vous déclare que de ces pierres Dieu peut faire naître des descendants à Abraham. Déjà la hache est mise à la racine des arbres ; tout arbre qui ne produit pas de bons fruits sera donc coupé et jeté au feu. » 3:9–10). Dans les chapitres suivants, le lecteur de Matthieu sera témoin du désintérêt croissant de la foule et de l’hostilité des chefs religieux envers Jésus, mais il verra aussi comment des laissés pour compte juifs et des pécheurs d’entre les païens ouvrent sincèrement leur cœur à Jésus.
La tentation dans le désert (4:1–11)
S’il subsistait quelques doutes quant au fait que Jésus est le « Fils bien-aimé » du Père qui a toute son approbation, le récit de la tentation, dans lequel Jésus résiste sans fléchir aux séductions du diable, prouve qu’il est bien « le Fils de Dieu » (4:3, 5) qui continuera de recevoir son approbation en remplissant fidèlement la mission que Dieu lui a confiée par l’obéissance à la Parole écrite de Dieu. L’annonce du Fils puissant, saint, juste et obéissant en 3:1–17 est suivie d’une démonstration irréfutable de cette filiation divine à travers son triomphe sur le mal. Contrairement à Adam dans le Jardin et à Israël tout au long de son histoire, Jésus sort victorieux de toutes les épreuves qu’il doit affronter.
Contrairement à Adam dans le Jardin et à Israël tout au long de son histoire, Jésus sort victorieux de toutes les épreuves qu’il doit affronter.
La tentation de Jésus a été ordonnée par Dieu (« emmené par l’Esprit dans le désert », 4:1; « l’Esprit poussa Jésus dans le désert » Marc 1:12). Cependant, ce ne sont pas le Père et l’Esprit qui tentent le Fils, mais Satan (« pour être tenté par le diable », Mt 4:1b). Ceci dit, le Seigneur reste souverain sur la tentation de son serviteur, et il utilise Satan pour accomplir ses desseins.
De même que Matthieu 1–3, le passage de Matthieu 4:1–11 est étroitement lié à l’Ancien Testament. Les parallèles sont nombreux : le décor (« dans le désert », 4:1 ; où Israël a été éprouvé, voir Dt 6–8), la durée (« 40 jours », Mt 4:2, l’allusion à l’errance d’Israël dans le désert pendant quarante ans, Dt 8:2), et le type de tentation. Ils ont pour but de montrer que Jésus, en tant qu’incarnation par excellence du peuple de Dieu (« mon Fils », Mt 2:15), réussit là où Israël a échoué.
Les tentations sont à la fois des « épreuves » et des « tentations » en ce que Jésus est éprouvé afin de démontrer qu’il est le Fils fidèle à Dieu et fidèle au plan de salut du Père, et tenté de faire valoir ses droits, de céder aux convoitises de la chair et à l’orgueil (voir 1Jn 2:16) et de coiffer la couronne sans endurer d’abord la croix.
4:3–4 La première tentation vise à inciter Jésus à utiliser son statut divin (en tant que Fils de Dieu) et sa puissance (sa capacité à transformer les pierres en pain) pour se servir lui-même plutôt que de servir la mission. La tentation du tentateur devait être extrêmement séduisante pour un homme qui « eut faim » après avoir survécu aux températures extrêmes et aux bêtes sauvages du désert sans aucune nourriture aussi longtemps qu’un homme peut survivre (« Après avoir jeûné 40 jours et 40 nuits », 4:2). Mais Jésus a résisté aux paroles du diable « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains » en se souvenant des priorités de sa mission qui puise sa source dans la primauté de la révélation écrite de Dieu : « Il est écrit : L’homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » (4:4). Sa réponse vient de Deutéronome 8:3. Dans le désert, Israël ne s’est pas souvenu que Dieu pourvoit jour après jour mais Jésus, lui, se souvient que Dieu pourvoit d’une manière encore plus grande, par sa Parole même. Les êtres humains ont besoin de pain pour vivre, mais nos besoins les plus profonds sont satisfaits lorsque nous assimilons les commandements et les promesses de Dieu.
4:5–7 Le premier round a été remporté par Jésus. Mais le combat n’est pas terminé. « Le diable le transporta alors dans la ville sainte [Jérusalem], le plaça au sommet du temple [peut-être l’angle sud-est qui fait face à la vallée du Cédron] » et, faisant encore une fois référence à la filiation divine de Jésus (« Si tu es le Fils de Dieu »), lui demanda de démontrer la protection aimante de son Père envers lui-même (« jette-toi en bas ! », 4:5–6). Tordant les Écritures pour tenter le Fils, il cite le Psaume 91:11–12 : « Il donnera ordre à ses anges… Ils te porteront sur les mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. » L’image est incroyable : Jésus qui saute du sommet du temple et, alors qu’il est sur le point de se briser le crâne contre une pierre dans la vallée, une myriade de créatures célestes descendent du ciel, le saisissent et l’emmènent en lieu sûr. Lors de cette deuxième tentation, Jésus répond à l’eiségèse du tentateur par une exégèse simple et correcte de Deutéronome 6:16 : « Il est aussi écrit: Tu ne provoqueras pas le Seigneur, ton Dieu » (Mt 4:7). Contrairement à Israël qui a « provoqué… Dieu » à Massa en lui demandant de l’eau pour voir s’il était parmi eux ou non, Jésus refuse de mordre à l’appât. Le Fils remporte le deuxième round.
4:8–11 Avec la troisième tentation, Satan essaie de récupérer de sa défaite. Il conduit Jésus peut-être jusqu’au mont Hermon au nord (« le transporta encore sur une montagne très élevée ») pour lui montrer que la puissance et la gloire de sa domination terrestre pourraient revenir à Jésus (« lui montra tous les royaumes du monde et leur gloire ») si Jésus s’incline devant lui (« si tu te prosternes pour m’adorer », 4:9). Jésus rejette cette proposition effrontée, impudente et blasphématoire. Il choisit au contraire la gloire éternelle de l’alliance davidique promise (voir Ps 2:8) : c’est le « Fils de l’homme » qui peut affirmer « Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre » (Dn 7:13–14 ; Mt 28:18). À l’inverse d’Israël dans le désert ou même du Roi Salomon dans toute sa gloire, Jésus n’est pas un idolâtre. Bien au contraire, il est le Serviteur Souffrant, le Fils puissant, saint, juste et obéissant.
Pour l’instant, le diable est sonné. Bientôt, même très bientôt, il sera terrassé. Jésus reprend les choses en main avec un ordre aux notes d’exorcisme (« Retire-toi, Satan ! » 4:10a), puis il cite pour la troisième et dernière fois le cinquième livre de la Bible (« C’est le Seigneur, ton Dieu, que tu adoreras et c’est lui seul que tu serviras. » 4:10b, Dt 6:13). Le serpent repart en rampant (« Alors le diable le laissa »), et l’armée des anges de Dieu descend alors pour venir en aide à Jésus (« des anges s’approchèrent de Jésus et le servirent » Mt 4:11).
Jérôme, un des pères de l’église, dit de la triple réponse de Jésus à la triple attaque de Satan : « Les flèches mensongères du diable tirées des Écritures se brisent sur le bouclier véritable des Écritures. »4 Ou, pour reprendre les mots de Paul, Jésus tient le « bouclier de la foi » pour éteindre « les flèches enflammées du mal » (Ep 6:16). Lorsqu’il est tenté de se nourrir de la bonne création de Dieu, de sauter du sommet du lieu saint de Dieu, et qu’il entend les Saintes paroles de Dieu tordues par le diable, le Fils se protège contre chaque attaque satanique au moyen des Écritures (« Il est écrit », 4:4, 7, 10). Jésus, qui a accompli les Écritures les unes après les autres (Mt 1–3), s’appuie sur les Écritures pour s’assurer de l’amour de son Père et être gardé dans la course pour accomplir les plans de son Père.
La lumière en Galilée (4:12–25)
4:12–17 Les préparatifs au ministère de Jésus sont terminés (1:1–4:11). Il se rend ensuite en Galilée, un lieu qui revêt une grande importance. La structure géographique de l’Évangile est la suivante : ministère de Jésus en Galilée (4:12–16:21), voyage de Jésus à Jérusalem (16:21–20:34) et ministère à Jérusalem (21:1–28:10), puis retour de Jésus en Galilée (28:16–20). L’Évangile de Matthieu se termine en Galilée ! « Les onze disciples allèrent en Galilée… Jésus s’approcha et leur dit : « Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre. Allez [donc], faites de toutes les nations des disciples » » (28:16–19). Et le premier aperçu de l’accomplissement du Mandat Missionnaire se trouve dans le premier ministère public de Jésus. Après l’arrestation de Jean, Jésus se retire dans la région de Galilée (4:12) et installe son quartier général « à Capernaüm, ville située près du lac, dans le territoire de Zabulon et de Nephthali » (4:13). Il ne s’agissait pas d’une manœuvre militaire ou politique astucieuse, mais, encore une fois, d’un acte divinement orchestré accomplissant le plan annoncé par Dieu. Esaïe a écrit au sujet des anciennes tribus de Nazareth et de Capernaüm, et Jésus a repris ces paroles à son compte :
« Territoire de Zabulon et de Nephthali, route de la mer, région située de l’autre côté du Jourdain, Galilée à la population étrangère ! Le peuple assis dans les ténèbres a vu une grande lumière, et sur ceux qui se trouvaient dans le pays de l’ombre de la mort une lumière s’est levée. » (4:15–16 ; citant Es 9:1–2)
Jésus s’est peut-être enfui dans les régions du nord de la Palestine pour échapper au danger (Jean venait d’être mis à mort pour avoir dit la vérité et annoncé le royaume) ou parce qu’il pensait que son message serait mieux reçu dans cette contrée que dans la capitale. Mais surtout, s’il s’est installé à Capernaüm, une ville apparemment sans importance, c’est parce qu’il devait commencer à accomplir la promesse tant attendue faite à Abraham, celle d’amener la lumière de Dieu aux nations qui étaient autrefois dans l’obscurité (voir Es 42:6 ; 49:6 ; 52:10 ; 60:3). Il était également là pour prêcher ce que Jean avait prêché (« Dès ce moment5 Jésus commença à prêcher, et à dire : « Changez d’attitude, car le royaume des cieux est proche.» » Mt 4:17) et à apporter la lumière de la bonne nouvelle de son règne à ses premiers disciples.
Ruines de Capernaüm
4:18–22 Jésus appelle de façon souveraine deux paires de frères : Simon et André, puis Jacques et Jean. Même si Matthieu a déjà dit clairement, et il le dira encore plus clairement par la suite (Mt 8:5–13, 28–34 ; 15:21–31, 24:14 ; 28:19), que la mission de Jésus vise les Juifs et les païens (« Galilée à la population étrangère », 4:15), il commence par appeler quatre pêcheurs juifs pour qu’ils prennent part à sa mission : devenir des pêcheurs d’hommes. Les deux courts récits des appels de ces quatre pêcheurs suivent une trame similaire.
Jésus voit deux frères qui pêchent
« il vit deux frères, Simon, appelé Pierre, et son frère André, qui jetaient un filet dans le lac » (4:18)
« et vit deux autres frères, Jacques, fils de Zébédée, et son frère Jean, qui étaient dans une barque avec leur père Zébédée et qui réparaient leurs filets » (4:21)
Jésus les appelle
« Suivez-moi et je ferai de vous des pêcheurs d’hommes » (4:19)
« Il les appela » (4:21)
Ils répondent de façon positive et sans hésiter
« Aussitôt, ils laissèrent les filets et le suivirent. » (4:20)
« … aussitôt ils laissèrent la barque et leur père et le suivirent » (4:22)
Le seul détail qui diffère dans leurs réponses, c’est que Jacques et Jean « laissèrent. . . leur père » (4:22). Cette réponse met en évidence l’engagement radical qu’ils ont tous pris sur le plan financier et familial. Parce que Jésus les a choisis, ils l’ont choisi en priorité par rapport à leur père et à leur mère (10:37) et par rapport à la sécurité financière que leur apportait leur métier de classe moyenne (6:24). Ce faisant, ils représentent un exemple de ce qu’est un disciple. Ils prêtent entièrement allégeance à Jésus. En quittant le commerce de la pêche qu’ils ont toujours exercé (en mourant à soi pour que d’autres puissent vivre), ils ont accepté d’être des apôtres annonçant l’Évangile (en sauvant des vies au moyen de la proclamation du royaume des cieux).
Cette barque est un bateau de pêche du premier siècle en Galilée. Elle a été préservée sur le rivage du lac de Galilée et est désormais abritée au Musée Yigal Allon. | Crédit photo : Travellers & Tinkers, CC BY-SA 4.0
4:23–25 Cette section se termine en soulignant les deux éléments récurrents du ministère itinérant de Jésus avant sa passion : « Jésus parcourait toute la Galilée ; il enseignait dans les synagogues, proclamait la bonne nouvelle du royaume et guérissait toute maladie et toute infirmité parmi le peuple » (4:23) ; et « tous ceux qui souffraient de maladies et de douleurs de divers genres, des démoniaques, des épileptiques, des paralysés » qu’on lui emmenait, « il les guérissait » (4:24). En tout et pour tout, c’était un jour magnifique. Le royaume des cieux n’était plus seulement proche, il était là !
Conséquence de la puissance extraordinaire de Jésus -son ministère du ciel-maintenant-descendu-sur terre- sa popularité grandit (« Sa réputation gagna toute la Syrie », 4:24 ; « De grandes foules le suivirent, venues de la Galilée, de la Décapole [des contrées majoritairement païennes], de Jérusalem, de la Judée [les épicentres juifs], et de l’autre côté du Jourdain [jusqu’aux extrémités de la terre !] » 4:25).
Le sermon sur la montagne (5:1–7:29)
Matthieu 1–4 est rempli de parallèles entre les débuts de la vie et du ministère de Jésus et l’Ancien Testament. Par exemple, John Stott le résume ainsi : « De même qu’Israël a été opprimé en Égypte sous la férule de Pharaon, de même l’enfant Jésus est devenu un réfugié en Égypte sous le règne tyrannique d’Hérode. De même qu’Israël est passé à travers les eaux de la mer Rouge, de même Jésus est passé par les eaux du baptême de Jean dans le Jourdain. De même qu’Israël a été éprouvé dans le désert de Tsin pendant quarante ans, Jésus a été éprouvé dans le désert de Judée pendant quarante jours. » Il existe un autre parallèle évident entre Moïse et Jésus, le nouveau législateur et bien plus grand libérateur : « De même que Moïse a donné à Israël la loi depuis le mont Sinaï, de même Jésus a révélé à ses disciples depuis le mont des Béatitudes la véritable interprétation de la loi, élargissant au passage sa portée. »6
Vue aérienne du monastère des Béatitudes, l’emplacement traditionnel du Sermon sur la montagne de Jésus
On pourrait parler d’un serre-livres au sein de l’évangile de Matthieu : nous avons au début Jésus présenté comme roi des Juifs (1:17 ; 2:2) puis Jésus revêtu de l’autorité divine sur toutes les nations (28:18) d’une part, et concernant le thème de l’autorité, on le voit particulièrement présent au début du Sermon sur la montagne puis à la fin. Jésus se tient dans une position d’autorité (« Il s’assit ») et dans un lieu associé dans les Écritures à l’autorité (« Jésus monta sur la montagne », 5:1). À sept reprises dans Matthieu, les moments-clés du ministère de Jésus se déroulent au sommet d’une montagne (4:8 ; 5:1 ; 14:23 ; 15:29 ; 17:1 ; 24:3 ; 28:16). La réponse donnée au message de Jésus depuis le sommet de la montagne renforce également ce thème prédominant de l’autorité : « les foules restèrent frappées par son enseignement, car il enseignait avec autorité » (7:28–29a).
Les béatitudes (5:1–12)
Le thème de l’autorité revient tout au long du Sermon, par exemple quand Jésus déclare « je suis venu. . . pour accomplir » la loi et les prophètes (5:17) ; « Ceux qui me disent: ‘Seigneur, Seigneur!’ n’entreront pas tous dans le royaume des cieux, mais seulement celui qui fait la volonté de mon Père céleste » (7:21). Ce même thème apparaît dans les Béatitudes notamment en lien avec l’entrée dans le royaume. Par exemple, dans la première béatitude (« Heureux ceux qui reconnaissent leur pauvreté spirituelle, car le royaume des cieux leur appartient ! » 5:3) Jésus fixe les conditions pour entrer dans le royaume ; dans la dernière béatitude, il promet une récompense future à ceux qui souffrent à cause de son nom (« Heureux serez-vous lorsqu’on vous insultera, qu’on vous persécutera et qu’on dira faussement de vous toute sorte de mal à cause de moi. Réjouissez-vous et soyez dans l’allégresse, parce que votre récompense sera grande au ciel » 5:11–12a).
Les huit béatitudes présentent la même structure de type déjà/pas encore. Jésus déclare qu’une personne qui est « bénie » par Dieu maintenant (« Heureux ceux qui sont doux ») seront bénis dans la fin des temps (« car ils hériteront la terre ! » 5:5). La promesse d’entrée dans le royaume (« le royaume des cieux leur appartient »), de consolation (« ils seront consolés »), de domination (« ils hériteront la terre »), et de contentement (« ils seront rassasiés », 5:4–6) s’adresse à ceux qui admettent leur dénuement spirituel (« ceux qui reconnaissent leur pauvreté spirituelle », 5:3) avec humilité de cœur (« ceux qui sont doux », 5:5), qui pleurent sur leurs péchés et sur les péchés du monde déchu (« ceux qui pleurent », 5:4) et qui désirent ardemment que la volonté de Dieu soit faite sur la terre et aspirent à la vivre bientôt dans le ciel (« ceux qui ont faim et soif de la justice » 5:5). En effet, ceux qui aiment les autres (« ceux qui font preuve de bonté. . . ceux qui procurent la paix »), alors que certaines personnes leur livrent une guerre sans merci (« persécutés pour la justice »), recevront de Dieu « la bonté », la filiation (« appelés fils de Dieu ») et l’accès au royaume (« le royaume des cieux leur appartient »), et jouiront de la vision béatifique (« verront Dieu », 5:7–12).
Les promesses d’entrée dans le royaume de Dieu, de consolation, de domination et de contentement s’adressent à ceux qui admettent leur dénuement spirituel avec humilité de cœur, qui pleurent sur leurs péchés et sur les péchés du monde déchu et qui désirent ardemment que la volonté de Dieu soit faite sur la terre tout comme ils aspirent à la vivre bientôt dans le ciel.
Sel et lumière (5:13–48)
Jésus a décrit l’attitude et les actions envers Dieu et les autres qui caractérisent ses disciples (les Béatitudes). Maintenant, Jésus affirme clairement que ses disciples auront une présence visible dans le monde entier. À l’aide de deux métaphores tirées du quotidien, Jésus les appelle « le sel de la terre » et « la lumière du monde » (5:13–14). Par leur « belle manière d’agir » (les nombreuses attitudes et actions ordonnées tout au long du Sermon), les disciples de Jésus sont appelés à rendre le royaume visible afin que les autres puissent être attirés à lui (« célèbrent la gloire de votre Père céleste », 5:16).
Intérieur de l’une des grottes de sel du mont Sodome, près de la mer Morte | Crédit photo : Phil Thompson, CC BY-SA 4.0
Jésus revient ensuite sur le thème de l’autorité et de l’accomplissement des Écritures et déclare « Ne croyez pas que je sois venu pour abolir la loi ou les prophètes [l’Ancien Testament] ; je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir. » (5:17). À la différence des spécialistes de la loi et des pharisiens, qui enfreignent les commandements de Dieu, les disciples de Jésus incarnent une justice (« si votre justice ne dépasse pas celle des spécialistes de la loi et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux », 5:20) qui s’attache à la Parole (qui ne prend pas à la légère « l’un de ces plus petits commandements », 5:19) et qui comprend que Jésus seul est l’interprète final et infaillible de la révélation de Dieu et qu’il en personnifie les promesses.
En Matthieu 5:17–20, et tout au long de 5:18–48, Jésus utilise l’expression « je vous le dis » (5:18, 22, 26, 28, 32, 34, 39, 44), expression qui renforce le thème de l’autorité. Jésus n’enseigne pas comme les chefs religieux juifs (qui étaient prompts à citer leur tradition orale pour défendre un point d’interprétation scripturaire ; « Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens », 5:21 ; cf. 5:27, 31, 33, 38, 43). Fort de son autorité divine, il appelle les disciples à imiter l’amour parfait (« Soyez donc parfaits comme votre Père céleste est parfait », 5:48). Ici, la perfection ne signifie pas une perfection morale absolue, mais un amour pour tous les gens sans distinction. Dieu prend soin du « juste comme du méchant » (« il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons », 5:45), et les disciples sont eux aussi appelés à aimer « ceux qui vous aiment » (5:46, cf. « Tu aimeras ton prochain » 5:43) mais également les autres (« Aimez vos ennemis », 5:44).
En Matthieu 5:21–42, Jésus donne cinq exemples d’un tel amour en action. Haïr quelqu’un alors que vous adorez Dieu, ce n’est pas de l’amour (5:21–26). Avoir des relation sexuelles avec quelqu’un qui n’est pas votre époux ou votre épouse, ce n’est pas de l’amour (5:27–30). Demander un divorce simple et rapide parce que c’est à votre seul avantage, ce n’est pas de l’amour (5:31–32). Faire de faux serments, ce n’est pas de l’amour (5:33–37). Rendre le mal pour le mal, ce n’est pas de l’amour (5:38–42).
Au lieu de vous mettre en colère et de traiter d’« imbécile » la personne à côté de laquelle vous vous tenez dans le temple (5:22), Jésus vous commande ceci : quittez l’office religieux (« laisse ton offrande devant l’autel et va d’abord te réconcilier avec ton frère » (5:24–25). Les vrais disciples ne peuvent aimer Dieu qu’en aimant les autres. Un tel amour se manifeste au-delà, par la pureté sexuelle, en prenant les mesures les plus radicales (« Si ton œil droit est pour toi une occasion de chute, arrache-le », 5:29) afin de ne pas regarder « une femme pour la convoiter », ce qui constitue un adultère intérieur (il « a déjà commis un adultère », 5:28) avec des conséquences accablantes (« jeté dans la géhenne », 5:29, 30). Les cas de divorce illicite lorsqu’un homme donne à sa femme (pour quelque raison que ce soit) « une lettre de divorce » (5:31) amènent également à commettre l’adultère. S’il le fait pour des raisons illégitimes (autres que l’« infidélité »[l’immoralité sexuelle]), il la force à devenir adultère si elle se remarie (« l’expose à devenir adultère ») et lui aussi le devient s’il se remarie (« celui qui épouse une femme répudiée commet un adultère », 5:32). Dans le royaume des cieux, Jésus proscrit ce genre de comportements immoraux.
Il bannit également les serments illicites et les représailles inutiles. Les chrétiens sont des personnes qui disent la vérité et qui ne jurent pas par le trône de Dieu sur terre, qui est son marchepied (5:34–35). Lorsqu’ils disent « oui » à quelque chose ou affirment qu’ils feront quelque chose, on peut être certain que leur parole est digne de confiance (5:36). Ils sont en outre des artisans de paix (« Heureux ceux qui procurent la paix », 5:9) qui s’acquittent de leurs responsabilités contre-culturelles. Au lieu de se livrer à la vengeance (« œil pour œil », 5:38), ils s’attachent à « ne pas résister au méchant » (5:39). Si on les frappe sur la « joue droite », ils lui tendent « aussi l’autre [joue] » (5:39) ; si on leur demande leur vêtement (« chemise »), ils offrent tout ce qu’ils portent sur eux (« encore ton manteau », 5:40) ; si on les force à « faire un kilomètre », ils en feront deux (5:41). Ils donnent au mendiant et prêtent au nécessiteux (5:41). Ils sont sel et lumière. Leur justice dépasse de loin celle de leurs contemporains religieux. Ils font preuve d’un amour parfait, semblable à celui de Dieu à l’égard des autres.
Vus et récompensés par Dieu (6:1–18)
Dans la seconde moitié de Matthieu 5, les six antithèses de Jésus (« Vous avez entendu qu’il a été dit. . .. Mais moi, je vous dis ») soulignent à la fois le non-respect des critères éthiques de l’Ancien Testament de la part des scribes et des pharisiens et l’accent que Jésus place sur « ce qu’il y a de plus important dans la loi : la justice, la bonté et la fidélité » (23:23). Dans la première moitié de Matthieu 6, il démontre par ailleurs leur hypocrisie par le biais de ses réprimandes divines. Il commence par un avertissement : « Gardez-vous bien de faire des dons devant les hommes pour qu’ils vous regardent » (6:1). S’appuyant sur ce que les scribes et les pharisiens considéraient comme les actes de piété les plus importants -l’aumône, la prière et le jeûne- Jésus enseigne que les œuvres caractérisées par un amour parfait sont accomplies pour être vues et récompensées par Dieu, et non par des hommes.
Le type d’aumône que Dieu agrée et récompense n’a rien à voir avec une mise en scène égocentrique et qui vise à l’auto-justification (les hypocrites qui donnent de l’argent aux nécessiteux sur les places publiques afin que les hommes les louent pour leur générosité, 6:2). Dieu est glorifié (5:16) quand celui qui donne s’oublie lui-même et oublie ce qu’il a fait l’instant d’après. Le don désintéressé fait partie de son ADN spirituel. Il ne peut pas faire autrement. C’est aussi naturel que lorsqu’un pianiste appuie sur les touches sans réfléchir aux notes.
Après l’aumône, Jésus passe à la prière et au jeûne. Comme pour l’aumône, il commence par un petit enseignement sur « Comment il ne faut pas prier » et « Comment il ne faut pas jeûner ». Les disciples ne doivent pas prier comme les scribes et les pharisiens, qui feignent la piété en se tenant au centre de la scène dans les lieux saints (« dans les synagogues ») et sur les marchés animés (« aux coins des rues ») cherchant « leur récompense », à savoir l’admiration des autres (« ils aiment prier debout. . . pour être vus des hommes », 6:5). Les disciples ne doivent pas non plus jeûner « comme les hypocrites » qui modifient délibérément leur apparence (« présentent un visage tout défait », 6:16) afin que les autres puissent être impressionnés par leur piété. Au lieu de rechercher l’estime des hommes, les disciples s’efforcent de plaire à leur Père céleste afin de recevoir humblement ses louanges (« et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra », 6:18). Ainsi, le jeûne, tout comme l’aumône, se fait en secret. Seul Dieu connaît les sacrifices réalisés.
De même, la prière ne doit pas avoir pour but de recevoir les louanges des autres (« Lorsque tu pries », ne prie pas pour « être vus des hommes », 6:5). Le mieux, c’est de se tenir dans un lieu de solitude, où Dieu seul peut voir (« entre dans ta chambre, ferme ta porte et prie ton Père », 6:6). En outre, la prière d’un disciple de Jésus ne doit pas ressembler à celle d’un païen, qui est sous-tendue par la théologie selon laquelle plus la prière est longue, plus il existe des chances que Dieu l’écoute. Au lieu de répéter de vaines prières (en multipliant « les paroles comme les membres des autres peuples », 6:7), les chrétiens font des prières, longues ou courtes (le ‘Notre Père’ est assez court !), parce qu’ils savent que rien n’est caché aux yeux de Dieu (« votre Père sait de quoi vous avez besoin avant que vous le lui demandiez », 6:8). L’instruction de Jésus concernant la prière (la seule instruction explicite de la Bible sur ce sujet !-« Voici donc comment vous devez prier », 6:9) suit immédiatement :
Notre Père céleste !
Que la sainteté de ton nom soit respectée,
que ton règne vienne,
que ta volonté soit faite
sur la terre comme au ciel.
Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien ;
pardonne-nous nos offenses,
comme nous aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ;
ne nous expose pas à la tentation,
mais délivre-nous du mal, [car c’est à toi qu’appartiennent, dans tous les siècles, le règne, la puissance et la gloire. Amen !]
Si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera aussi ; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos fautes. (6:9–15).
Les six demandes ci-dessus peuvent être résumées en sept observations.
Matthieu place le ‘Notre Père’ au centre du Sermon sur la montagne.
Les six demandes peuvent se décomposer en deux parties : les trois premières mettent l’accent sur Dieu (« Que la sainteté de ton nom soit respectée », « que ton règne vienne », « que ta volonté soit faite ») et les trois dernières sur les besoins de l’homme (« Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien », « pardonne-nous nos offenses », et « ne nous expose pas à la tentation, mais délivre-nous du mal »).
Les termes « nous », « notre », « nos », et le pluriel « vous », montrent qu’il s’agit d’une prière collective.
Jésus confère le statut d’enfant à tous ses disciples qui prient son Père. Son Père (« mon Père », 7:21, expression utilisée par Jésus à quinze reprises) est également « Notre Père » (6:9 ; cf. « votre Père », 6:8, 14–15, 32 ; 7:11).
Le Dieu qui est proche des disciples de Jésus (« notre Père ») est également juste et transcendant (« céleste », 6:9).
Le Dieu invisible qui vit dans les cieux élevés s’occupe des besoins concrets des humains sur la terre. Par conséquent, pour Jésus, il est juste de prier aussi bien pour les enjeux spirituels les plus grands (ceux qui ont trait au nom, au règne et à la volonté de Dieu) que pour les besoins physiques et spirituels quotidiens (sa provision, son pardon et sa protection).
Le postscriptum évoquant le pardon à accorder aux autres, (6:14–15 ; cf. 6:12) montre encore une fois le lien entre la nécessité d’aimer les autres et d’aimer Dieu. Ceux qui ont vu leur dette astronomique remise par Dieu (voir 18:24) parce que Jésus a donné « sa vie en rançon » (un paiement intégral, 20:28), remettent naturellement aux autres les dettes qu’ils leur doivent. Ceux qui sont pardonnés pardonnent à leur tour (voir 18:21–35 ; Ep 4:32).
Le trésor et la confiance (6:19–34)
Ensuite, dans Matthieu 6:19–34, Jésus, qui développe la question de la providence quotidienne de Dieu (« Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien », 6:11), fait un lien entre le thème du trésor et celui de la confiance. Ceux qui appellent Dieu leur « Père céleste » (6:26, 32) se confieront en lui plus qu’en n’importe qui ou en n’importe quoi d’autre, en particulier en l’argent (6:19–24), afin qu’il pourvoie à leurs besoins physiques (6:25–34). Les disciples de Jésus écoutent les corrections que Jésus apporte par le biais de deux commandements. Premièrement, « Ne vous amassez pas des trésors sur la terre, . . . mais amassez-vous des trésors dans le ciel » (6:19–20). C’est Dieu, et non pas l’argent, qui doit être le maître car lui seul est éternel et digne de foi. Deuxièmement, « Ne vous inquiétez pas de ce que vous mangerez [et boirez] pour vivre » (6:25, cf. 6:31, 34), mais « Recherchez d’abord le royaume et la justice de Dieu » (6:33). Jésus donne trois raisons de ne pas s’inquiéter : l’anxiété est improductive (« Qui de vous, par ses inquiétudes, peut ajouter un instant à la durée de sa vie ? » 6:27), inutile (« Regardez les oiseaux du ciel », « votre Père céleste les nourrit » 6:26) et n’en vaut pas la peine (« La vie n’est-elle pas plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement? », 6:25). Pourquoi s’inquiéter si l’on sait que Dieu pourvoira ? Le chrétien se soucie avant tout d’étendre le règne de Christ sur la terre.
Fleurs situées à côté du site traditionnel du Sermon sur la montagne de Jésus | Crédit photo : Phil Thompson, CC BY-SA 4.0
Mises en garde (7:1–29)
Au chapitre 7, Jésus termine avec plusieurs commandements, notamment « Ne jugez pas » (7:1), « enlève d’abord la poutre de ton œil » (7:5), « Ne donnez pas les choses saintes aux chiens » (7:6), « Demandez et l’on vous donnera » (7:7), « Tout ce que vous voudriez que les hommes fassent pour vous, vous aussi, faites-le de même pour eux » (7:12), « Entrez par la porte étroite » (7:13), « Méfiez-vous des prétendus prophètes » (7:15), qui sont suivis d’une exhortation finale à écouter et mettre en pratique ses paroles (« toute personne qui entend ces paroles que je dis et les met en pratique, je la comparerai à un homme prudent qui a construit sa maison sur le rocher », 7:24).
7:1–12 De prime abord, les thèmes abordés en 7:1–12 semblent n’avoir aucun rapport entre eux. À y regarder de plus près, cependant, des liens thématiques apparaissent entre les disciples et d’autres disciples (7:1–5), entre les disciples et des incroyants hostiles (7:6) et entre les disciples et Dieu (7:7–11). Ce qui est souvent appelée la Règle d’Or (7:12) vient résumer ce qui précède. Ces fils conducteurs ont plus de sens si l’on retourne quelques versets en arrière. Matthieu 7:7–11 se concentre sur la prière. Parce que les disciples de Christ croient que le « Père céleste donnera […] de bonnes choses » à ceux qui les lui demandent (7:11), ses enfants doivent « demander » (le verbe revient cinq fois, ou « frapper » [deux fois] à la porte des cieux) pour obtenir du secours. Pourquoi se tourner urgemment et constamment vers Dieu dans la prière ? La réponse se trouve directement dans les questions abordées dans le contexte précédent. Un cœur plein d’amour pour les autres (7:12) et un discernement juste à l’égard des autres (7:1–6) figurent en bonne place parmi les « bonnes choses » que Dieu donne « à ceux qui les lui demandent » (7:11).
La Règle d’Or (le résumé que Jésus fait de la loi de l’Ancien Testament, à savoir : « Tout ce que vous voudriez que les hommes fassent pour vous, vous aussi, faites-le de même pour eux, car c’est ce qu’enseignent la loi et les prophètes », 7:12) s’applique en particulier à l’art d’ôter la paille de l’œil son prochain. La première partie de ce commandement pointe vers soi. Qui voudrait vraiment que quelqu’un fasse pour lui ce qui est écrit aux versets 3 et 4, c’est-à-dire qu’une personne hypocrite, fière de sa propre justice et moralisatrice, ayant elle-même un gros problème avec le péché (symbolisé par une « poutre » dans l’œil), juge de loin (les poutres sont plutôt allongées) le moindre petit péché (la « paille qui est dans l’œil de [s]on frère ») ? Personne ne souhaite bénéficier de ce genre d’attitude dépourvue d’amour. Agir avec amour, c’est d’abord demander à Dieu d’avoir une bonne vision de soi pour voir la poutre dans notre œil avant de s’occuper de la paille dans l’œil de notre frère. Cela ne signifie pas qu’un autre croyant (« un frère ») ne puisse exercer un jugement, mais voici la manière de procéder : « Ne jugez pas afin de ne pas être jugés, car on vous jugera de la même manière que vous aurez jugé et on utilisera pour vous la mesure dont vous vous serez servis » (7:1). Dit différemment : ne critiquez pas les autres avant d’avoir en premier soigneusement examiné vos défauts.
Dans un chapitre où Jésus met l’accent sur le jugement de Dieu (et plus particulièrement sur le fait que Jésus soit lui-même juge, voir 7:19, 21–23, 24–27), ici, au début, Jésus enseigne à ses disciples de garder le Jour du jugement à l’esprit chaque fois qu’ils veulent porter un jugement sur un frère ou sur une sœur. Il veut également que ses disciples gardent les priorités du royaume à l’esprit (« Recherchez d’abord le royaume et la justice de Dieu », 6:33) lorsqu’ils rencontrent de l’adversité. Le commandement donné en 7:6 peut sembler déroutant : « Ne donnez pas les choses saintes aux chiens et ne jetez pas vos perles devant les porcs, de peur qu’ils ne les piétinent et qu’ils ne se retournent pour vous déchirer. » Encore une fois, il est question ici de discernement dans l’amour. Les disciples doivent discerner qui est un « frère » (un autre croyant) et qui est un « chien » ou un « porc » (un incroyant hostile et impur qui rejette catégoriquement la « perle » à la valeur inestimable de l’Évangile). Le propos est simple. Les disciples ne doivent pas perdre leur temps à présenter ce précieux Évangile à des ennemis du royaume de Dieu qui ont le cœur endurci. Ils doivent, comme les apôtres l’ont montré plus tard « secoue[r] la poussière » (10:14 ; Actes 13:46 ; 18:6) de leurs pieds lorsque les gens restent « endurcis et incrédules » (Actes 19:9). Ils doivent « porte[r] un jugement juste » (Jean 7:24).
7:13–28 Ce thème du jugement juste reste présent dans la seconde moitié de Matthieu 7. Toutefois, l’accent est mis non plus sur les disciples de Jésus qui jugent les autres (le croyant pécheur et l’incroyant hostile) mais sur Jésus qui juge tous les peuples. Il donne trois avertissements.
Premièrement, il adresse de vifs reproches à ceux qui veulent mener une vie d’aisance. « Entrez par la porte étroite » (7:13). Le chemin qui mène au royaume est réservé à « ceux qui reconnaissent leur pauvreté spirituelle » et à ceux qui sont prêts à être injuriés parce qu’ils encouragent et mettent en pratique les valeurs du royaume (5:3, 10–11), et non pas aux orgueilleux qui ne veulent pas porter leur croix et suivre Jésus.
Le deuxième avertissement concerne les enseignants trompeurs (« Méfiez-vous des prétendus prophètes »), des dirigeants d’église (« Ils viennent à vous en vêtements de brebis ») qui sont à la fois dangereux (« au-dedans ce sont des loups voraces », 7:15) et impies (« Vous les reconnaîtrez à leurs fruit », 7:16, 20), plus précisément leurs « mauvais fruits » venant d’un cœur mauvais (7:17). L’orthodoxie et l’orthopraxie doivent aller de pair. Même ceux qui font une confession christologique et étalent leurs références charismatiques (« N’avons-nous pas chassé des démons en ton nom » et « N’avons-nous pas fait beaucoup de miracles en ton nom ? »7 :22) n’ont pas une place garantie dans le royaume : « Ceux qui me disent : ‘Seigneur, Seigneur !’ n’entreront pas tous dans le royaume des cieux, mais seulement celui qui fait la volonté de mon Père céleste » (7:21).
Le troisième avertissement s’appuie sur le deuxième. Au lieu d’écouter les faux enseignants et d’imiter leur vie d’aisance et d’immoralité (en choisissant le chemin « spacieux », 7:13 et en commettant le mal, 7:23), le chrétien authentique écoute Jésus et obéit à ses commandements (« entend ces paroles que je dis et les met en pratique », 7:24), ce qui représente le seul fondement sûr au Jour du jugement.
Le Sermon sur la montagne, qui se rapporte au thème du jugement, se termine sur une note négative. La personne qui écoute et obéit ressemble à « un homme prudent qui a construit sa maison sur le rocher », de sorte que lorsqu’une tempête a éclaté (« La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont déchaînés contre cette maison »), elle a résisté à la tempête (« elle ne s’est pas écroulée ») parce que ses fondements étaient sûrs, posés sur les enseignements de Jésus (« elle était fondée sur le rocher », 7:25). Il n’en va pas de même de l’insensé, qui a compris ce que Jésus a enseigné mais n’a pas tenu compte de ses commandements. Il ressemble « à un fou qui a construit sa maison sur le sable ». Quand la tempête a éclaté, sa maison « s’est écroulée et sa ruine a été grande » (7:27).
« [L]es foules restèrent frappées par son enseignement » (7:28). Pourquoi ? L’une des raisons, c’est que Jésus termine son sermon par la question du jugement ; une autre raison, c’est qu’il affirme de manière retentissante que l’acceptation ou le rejet de sa seigneurie conditionnera la destinée finale de chacun. Dans Esaïe 33:22, le prophète déclare : « l’Eternel est notre juge, l’Eternel est notre législateur, l’Eternel est notre roi, c’est lui qui nous sauve. » Cette prophétie est accomplie en Jésus, qui est le juge (« Alors je leur dirai ouvertement : ‘Je ne vous ai jamais connus. Eloignez-vous de moi, vous qui commettez le mal!’» Mt 7:23), le législateur (« je vous dis »), le roi (il est qualifié à juste titre de « Seigneur »), et le sauveur (la maison a été préservée de la tempête, 7:25 ; voir 1:21 ; 8:17).
Le Fils de Dieu s’est chargé de nos maladies (8:1–9:34)
Après son sermon sur la montagne (« A la vue de ces foules, Jésus monta sur la montagne », 5:1),7 Jésus redescend (« Lorsque Jésus fut descendu de la montagne »). Encore une fois, « une grande foule le suivit » (8:1). Cependant, Matthieu met l’accent non pas sur la foule mais sur quelques visages en particulier, sur ceux et celles que Jésus guérira miraculeusement. Dans Mattieu 8:1–9:34, l’évangéliste enchaîne dix récits miraculeux. Un grand thème se dégage de ces récits : l’autorité de Jésus. Celui qui enseigne dans les synagogues et proclame la bonne nouvelle du royaume guérit également « toute maladie et toute infirmité » (4:23; 9:35). Ce que la foule a déclaré après le dernier miracle, la guérison du muet par Jésus, résume bien le sentiment général à propos de ces miracles in toto : « On n’a jamais rien vu de pareil en Israël » (9:33). Ces miracles démontrent également l’identité et la mission de Jésus, ainsi que la nature de la vie de disciple. L’identité de Jésus nous est révélée par la suite : il est « Seigneur » (7x), « Fils de Dieu » (8:29), « le Fils de l’homme » (8:20 ; 9:6), et « le marié » (9:15). Sa mission consiste à détruire les œuvres du diable (8:29–32) en se chargeant des « faiblesses » et des « maladies » de l’humanité (8:17) afin de sauver les gens de la mort (8:25–26 ; 9:25) et de les pardonner et les purifier de leurs péchés (9:6 ; 8:3). Cette offre de salut exclusive est inclusive. Comme l’illustrent ces chapitres, Jésus est « venu appeler. . . des pécheurs » (9:13), qu’il s’agisse de laissés-pour-compte juifs, d’un soldat romain, du chef d’une synagogue, d’une femme cananéenne, de riches collecteurs d’impôts ou de mendiants aveugles. Ces disciples manifestent tous la nature de la vie de disciple : la foi en Jésus et la volonté de le suivre et de prendre part à sa mission.
La purification du lépreux (8:1–4)
En 8:1–17, Matthieu décrit trois miracles remarquables qui se sont produits le même jour : la purification du lépreux, la guérison du serviteur de l’officier, et celle de la fièvre de la belle-mère de Pierre. A la fin de la journée, il souligne également que Jésus a accompli des miracles durant toute la journée : « Le soir venu, on amena vers Jésus de nombreux démoniaques. Il chassa les esprits par sa parole et guérit tous les malades » (8:16). Matthieu affirme en 8:17 que le but de ces nombreux miracles était d’accomplir Esaïe 53:4, « ce sont nos souffrances qu’il a portées, c’est de nos douleurs qu’il s’est chargé ». Pour Matthieu, ces miracles pointent vers la croix où Jésus se chargera de toutes les maladies inhérentes au péché de son peuple (voir 1P 2:24).
Le premier miracle qui pointe parfaitement vers ce symbole, c’est la purification du lépreux par Jésus. D’après Nombres 5:2, les lépreux devaient vivre à l’écart et, d’après Lévitique 13:45–46, s’ils rencontraient quelqu’un, ils devaient crier « Impur ! Impur ! » C’est peut-être ce que le lépreux a fait lorsqu’il s’est approché de Jésus, ou peut-être qu’il n’était pas versé dans la loi de l’Ancien Testament. Dans tous les cas, il est venu à Jésus avec audace, il « se prosterna devant lui », l’appela « Seigneur », et a demandé humblement, « si tu le veux, tu peux me rendre pur » (Mt 8:2). Notez l’expression de sa confiance absolue dans les capacités de Jésus. Il ne dit pas « si tu le peux, rends-moi pur » mais « si tu le veux, tu peux me rendre pur ». En guise de réponse, Jésus le touche et le guérit. « Jésus tendit la main, le toucha et dit : « Je le veux, sois pur ». Aussitôt il fut purifié de sa lèpre. » (8:3). En touchant le lépreux, Jésus incarne le message de l’Évangile, démontrant à la fois sa compassion et son rôle de substitut pour le péché. D’après Lévitique 5:3, le fait de toucher un lépreux le rendait impur. Pourtant, Jésus, qui est venu pour accomplir la loi, transcende la loi sans l’abolir. En touchant le lépreux, Jésus n’est pas devenu impur, mais c’est le lépreux qui est devenu pur. Il préfigure ainsi son œuvre à la croix, où il prendra toutes les impuretés de son peuple et le rendra parfaitement pur aux yeux de Dieu. Cependant, puisque la mort expiatoire de Jésus n’a pas encore eu lieu, et puisqu’il désire à la fois respecter la loi et ne pas être mal compris, le récit se termine par deux impératifs : garde le silence (« Fais bien attention de n’en parler à personne ») et obéis (« mais va te montrer au prêtre et présente l’offrande que Moïse a prescrite, afin que cela leur serve de témoignage. » Mt 8:4).
La guérison du serviteur de l’officier romain (8:5–13)
Le deuxième miracle est aussi extraordinaire que le premier. Alors que Jésus entre dans Capernaüm, un autre étranger aux promesses s’approche de lui. Un officier romain ! Le récit est surprenant à plus d’un titre. Il est surprenant qu’un homme puissant qui commande une centaine de soldats et est revêtu de l’autorité de César vienne demander de l’aide à Jésus et l’appelle « Seigneur ». Il est surprenant que cet homme fasse appel à Jésus au nom de son jeune serviteur. Un tel altruisme en faveur d’un esclave domestique est étonnant car la plupart des maîtres dans le monde gréco-romain n’avaient que peu d’égard envers leurs travailleurs forcés. Il est également surprenant que Jésus, un Juif, accepte d’aider deux païens. Jésus répond « J’irai et je le guérirai. » (8:7). Remarquez à la fois la confiance de Jésus dans ses capacités (« Je le guérirai ») et son empressement à dépasser les barrières sociales. L’officier répond en manifestant la même confiance dans les capacités de Jésus et en reconnaissant que lui, un pécheur païen, n’est pas digne de recevoir un rabbin pieux dans sa maison : « Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, mais dis seulement un mot et mon serviteur sera guéri » (8:8). Quelle confiance absolue dans l’autorité de Jésus ! L’officier qui commande à ses soldats d’obéir à ses ordres (« je dis à l’un : ‘Pars !’ et il part, à un autre: ‘Viens!’ et il vient, et à mon esclave: ‘Fais ceci!’ et il le fait » 8:9) est tout aussi convaincu que Jésus a le pouvoir de guérir son serviteur à distance par une simple parole.
Pas étonnant que cette foi incroyable impressionne Jésus : « Après l’avoir entendu, Jésus fut dans l’admiration, et il dit à ceux qui le suivaient : « Je vous le dis en vérité, même en Israël je n’ai pas trouvé une aussi grande foi. » » (8:10). On pourrait même dire que la foi de cet homme a surpris Jésus ! Jésus annonce ensuite quelque chose d’extraordinaire : des païens croyants qui reçoivent Jésus et des Juifs incroyants (« les fils », version Darby) qui rejettent Jésus. Cette déclaration a dû surprendre ses premiers auditeurs : « Or, je vous le déclare, beaucoup viendront de l’est et de l’ouest et seront à table avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux. Mais ceux à qui le royaume était destiné seront jetés dans les ténèbres extérieures, où il y aura des pleurs et des grincements de dents. » (8:11–12). Bien entendu, le lecteur de l’évangile de Matthieu comprend déjà l’importance de l’inclusion des païens dans le ministère de Jésus ; et le lecteur versé dans les Saintes Écritures réalise à nouveau que le Messie accomplit tout simplement sa mission.
Après toutes ces surprises, peut-être que le miracle en lui-même constitue le détail le moins surprenant. « Puis Jésus dit à l’officier : « Vas-y [et] sois traité conformément à ta foi. » Et au moment même le serviteur fut guéri. » (8:13). Matthieu résume en un verset l’un des plus grands miracles de l’histoire du monde !
La fièvre est guérie (8:14–17)
Le dernier des trois premiers miracles nous présente une autre personne en difficulté. Jésus arrive dans la maison de Pierre et voit que la belle-mère de Pierre est tellement malade qu’elle ne peut pas le saluer ni l’accueillir comme il se doit (elle était « couchée, avec de la fièvre », 8:14). Aussitôt, il s’occupe d’elle (« Il lui toucha la main et la fièvre la quitta »). La guérison a été si rapide et efficace qu’elle « se leva et le servit » (8:15). Ce miracle est significatif en ce qu’il souligne à nouveau l’incroyable autorité de Jésus. Il présente également un aspect important de sa mission, à savoir que Jésus est venu pour rassembler « les exilés d’Israël » (Ps 147:2) dans son royaume : un lépreux, une femme, et bientôt un collecteur d’impôts, une femme qui perdait du sang, et un homme aveugle et muet. Même si la belle-mère de Pierre n’était pas étrangère aux promesses destinées à Israël, à l’époque de Jésus, bon nombre d’hommes l’auraient considérée comme une citoyenne de seconde classe. Dans certaines traditions juives, toucher la main d’une femme, comme l’a fait Jésus, rendait un homme impur. Autrefois, les hommes juifs pieux priaient chaque jour les dix-huit bénédictions. Voici l’une d’entre elles : « Seigneur, je te loue que je ne suis pas né esclave, païen ou femme. » Dans le royaume des cieux, comme Paul le déclarera plus tard et comme Matthieu l’illustre ici, « Il n’y a plus ni Juif ni non-Juif, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme, car vous êtes tous un en Jésus-Christ » (Ga 3:28).
Emplacement traditionnel de la maison de Pierre à Capernaüm
Le prix à payer pour vivre en disciple (8:18–22)
Dans Matthieu 8:18–22, l’évangéliste introduit le thème du discipulat dans le récit de ces dix miracles. Il le fait même à deux reprises. En 9:9–13, une personne a priori peu encline à le faire (Matthieu, le collecteur d’impôts qui est assis à son bureau des taxes) répond à l’appel souverain de Christ (« Suis-moi ») et obéit immédiatement et sans hésiter (« Cet homme se leva et le suivit. », 9:9). Alors que le collecteur d’impôts était prêt à tout quitter (voir Luc 5:28) pour suivre Jésus, les deux hommes qui rencontrent Jésus au chapitre 8 ont des réticences importantes à surmonter.
Le premier disciple, un scribe, dont on ne comprend le problème qu’après la réponse de Jésus à l’engagement fort qu’il a pris (« Maître, je te suivrai partout où tu iras. » Mt 8:19), doit renoncer à sa vie d’aisance. Jésus, qui n’est pas un simple « maître » (8:19) mais « le Fils de l’homme » (8:20, ou le « Seigneur », comme l’appellent le lépreux et l’officier romain !) l’enseigne au moyen d’une analogie étrange : « Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids, mais le Fils de l’homme n’a pas un endroit où il puisse reposer sa tête. » (8:20). L’idée principale est que, si quelqu’un veut suivre Jésus, le chemin ne sera pas simple. Cela peut impliquer de se retrouver sans domicile fixe pendant quelque temps, d’affronter une tempête sur la mer en pleine nuit (Mt 8:23–24a) ou de subir la persécution verbale et physique. Lisez à nouveau les Béatitudes. Lisez à nouveau les Actes des apôtres. « Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi » (10:38).
Le deuxième homme, qui est décrit comme « Un autre, parmi les disciples » (8:21), a également besoin d’être enseigné sur ce qu’est la vie de disciple. Il désirait lui aussi suivre Jésus partout où il irait, mais il a commencé par demander une faveur, « Seigneur, permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père » (8:21). Cet homme appelle Jésus « Seigneur » à juste titre, mais il place ses priorités au mauvais endroit. Jésus lui adresse alors un reproche sévère : « Suis-moi et laisse les morts enterrer leurs morts » (8:22). L’expression « enterrer mon père » renvoie à la question des responsabilités familiales et de la sécurité financière. Cet homme doit continuer d’aider son père à gérer l’entreprise familiale afin qu’il ne perde pas son héritage à la mort de son père. Les termes « d’abord » dans la requête de l’homme (« permets-moi d’aller d’abord » m’occuper de questions d’ordre financier) se heurtent précisément au thème que Jésus a abordé lors du Sermon sur la montagne : « Vous ne pouvez pas servir Dieu et l’argent » (6:24). Comme Jésus l’enseignera plus tard (10:37), ils se heurtent également à un autre thème : Dieu d’abord, la famille ensuite. Les morts spirituels s’assureront que l’héritage soit établi et transmis aux descendants (« laisse les morts enterrer leurs morts », 8:22). Choisis la vie maintenant. Le Christ et son royaume doivent avoir la première place.
Deux exorcismes (8:23–34)
Les deux scènes suivantes, dans lesquelles Jésus calme la tempête (8:23–27) et chasse des démons de deux hommes (8:28–34), mêlent de manière remarquable les thèmes de l’identité de Jésus et de la vie de disciple. En sauvant ses disciples sur le bateau après avoir calmé une tempête en pleine mer et en sauvant deux hommes après avoir chassé dans la mer les démons qui les tourmentaient, Jésus dompte la mer, qui représente Satan, et les créatures conduites par Satan, confirmant ainsi sa filiation divine. Après ce premier miracle où il domine sur la nature, la question est posée : « Quel genre d’homme est-ce ? Même les vents et la mer lui obéissent ! » Ce sont les démons eux-mêmes qui y répondent : Jésus est le « Fils de Dieu » (8:29). Il est le « Seigneur » qui sauve des pécheurs (8:25) et juge le mal (8:29–32).
La leçon principale à retenir sur ce thème du discipulat concerne la nature de la foi. Les gardiens des troupeaux de cochons réagissent à l’exorcisme exercé par Jésus en le laissant et en allant à la ville raconter tout ce qui s’est passé (8:33). Ensuite, les gens de la ville répondent en priant Jésus « de quitter leur territoire » (8:34), probablement parce qu’il menaçait leur sécurité financière. À l’inverse, les disciples sur le bateau qui ont tout quitté pour suivre Jésus ont continué à le suivre lors de son voyage de Capernaüm jusqu’au pays des Gadaréniens (« Il monta dans la barque et ses disciples le suivirent », 8:23). Même s’ils se confiaient en lui pour leurs besoins de chaque jour (ils ont tout quitté pour le suivre), il voulait leur enseigner une autre leçon sur la vie de disciple, à savoir qu’ils pouvaient lui confier leur vie entière.
Le même jour, sur la mer, « il s’éleva […] une si grande tempête que la barque était recouverte par les vagues » (8:24). Comme Jésus dormait pendant que la tempête se déchaînait (« Et lui, il dormait », 8:24), épuisé par la journée et assuré que Dieu, dans sa souveraineté, veillait sur eux, « ils s’approchèrent et le réveillèrent en disant: «Seigneur, sauve-nous, nous allons mourir!» » (8:25). Ils pensaient qu’ils allaient mourir. Ils savaient que lui seul pouvait les aider. Mais il leur a reproché leur foi incomplète, « Pourquoi êtes-vous si craintifs, hommes de peu de foi ? » (8:26). Remarquez comment Jésus, au beau milieu de cette tempête qui menace la vie de ses disciples, calme d’abord leur angoisse avant d’apaiser la mer agitée. Remarquez également que la foi est le contraire de la peur (« peu de foi » fait écho à « craintifs »). Et Jésus de calmer la tempête en mer (« Alors il se leva, menaça les vents du lac et il y eut un grand calme », 8:26), et les disciples, de s’émerveiller à juste titre devant l’autorité exercée par Jésus sur la création (« Ces hommes furent très étonnés et dirent: «Quel genre d’homme est-ce? Même les vents et la mer lui obéissent !» » 8:27). Mais Jésus leur enseigne d’abord une leçon sur la vie de disciple. Les chrétiens qui se placent sous l’autorité d’« un seul chef […], le Christ » (23:10) doivent apprendre les leçons suivantes : le Christ sauvera ceux qui crient à lui par la foi (« Seigneur, sauve-nous, nous allons mourir! », 8:25) mais il appelle également les disciples à avoir une confiance ferme en lui et à croire que, même quand il dort, la création est sous son contrôle.
La guérison du paralytique (9:1–8)
Après avoir chassé des démons parmi les païens, Jésus, accompagné de ses disciples les plus proches, traverse le lac de Galilée jusqu’à Capernaüm, le quartier général de son ministère, que Matthieu appelle « sa ville » (9:1). Encore une fois, la structure « récit d’un miracle puis discours sur la vie de disciple » est énoncée.
Dans son récit de la guérison du paralytique (9:2–8), Matthieu ne mentionne pas les détails bien connus qui figurent dans Marc (alors que Jésus prêche dans une maison bondée, quatre hommes portent leur ami paralytique sur le toit, découvrent le toit et descendent l’homme, Marc 2:1–4). Matthieu va droit au but théologique qu’il tient à souligner : le pardon des péchés en Jésus. Parce que ces hommes, tout comme le lépreux et l’officier, croyaient que Jésus peut guérir (« Voyant leur foi »), il a voulu combler les besoins les plus profonds de cet homme : « Jésus dit au paralysé : « Prends courage, mon enfant, tes péchés te sont pardonnés.» » (Mt 9:2). Cette phrase en apparence choquante a précisément pour objectif de susciter la controverse. Certains scribes se disent en eux-mêmes, « Cet homme blasphème » (9:3). Pour eux, seul Dieu peut pardonner les péchés de la manière qu’il a lui-même ordonnée, à savoir un sacrifice expiatoire offert par le prêtre dans le temple. Pour eux, Jésus était un homme, et non pas Dieu. Pour eux, son affirmation était donc blasphématoire, et c’est pour ce crime passible de la peine capitale (voir Lv 24:10–16) qu’il sera condamné à mort par le Sanhédrin (« Vous venez d’entendre son blasphème. Qu’en pensez-vous ?» Ils répondirent : « Il mérite la mort. » »Mt 26:65–66).
Pour Jésus, cependant, cette affirmation lors de son procès et dans cette maison à Capernaüm n’est pas blasphématoire en raison de qui il est et de ce qu’il peut faire. Après avoir reproché à ces personnes atteintes de paralysie spirituelle leurs mauvaises pensées (« Pourquoi avez-vous de mauvaises pensées en vous-mêmes ? » 9:4), Jésus démontre qu’en tant que « Fils de l’homme » il a reçu « sur la terre le pouvoir de pardonner les péchés » (9:6a) en guérissant cet homme : « « lève-toi – dit-il alors au paralysé –, prends ta civière et retourne chez toi.» L’homme se leva et rentra chez lui » (9:6b–7). Comme il le dira clairement dans son discours sur le mont des Oliviers et au Calvaire, plus aucun temple sur terre ne sera nécessaire. Le pardon vient maintenant en Jésus, l’incarnation ultime du sacrifice, du prêtre et du temple.
L’appel de Matthieu (9:9–17)
Contrairement à ce que la réponse de la foule laisse entendre (elle « célébra la gloire de Dieu, qui a donné un tel pouvoir aux hommes », 9:8), Jésus démontre à nouveau qu’il possède l’autorité divine pour pardonner les péchés en appelant un pécheur notoire et ses amis. En passant à côté du bureau des taxes de Matthieu, il a appelé ce traître indifférent à le suivre. L’appel du Seigneur « Suis-moi » fait écho à un autre miracle, une résurrection de ceux qui sont spirituellement morts ! (« Cet homme se leva et le suivit », 9:9). Après sa conversion, Matthieu est devenu un évangéliste. Il a servi à Jésus « un grand festin dans sa maison » (Luc 5:29) et a invité tous les moins que rien de Capernaüm du premier siècle de notre ère à rencontrer son nouveau Sauveur. Mais « Comme Jésus était à table » avec « beaucoup de collecteurs d’impôts et de pécheurs » (Mt 9:10), la police des mœurs a protesté (« Pourquoi votre maître mange-t-il avec les collecteurs d’impôts et les pécheurs? » 9:11). Jésus répond à leur objection par un autre enseignement. Citant Osée 6:6, il déclare, « Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades.Allez apprendre ce que signifie : Je désire la bonté, et non les sacrifices. En effet, je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs » (Mt 9:12–13). Comme l’illustre parfaitement l’appel de Matthieu, Jésus avait pour mission de sauver des pécheurs (1Tm 1:15).
Vraisemblablement, au cours de ce même repas dans la maison de Matthieu, les disciples de Jean-Baptiste se sont approchés de lui. Les pharisiens ont remis en cause la compagnie de Jésus ; les disciples de Jean remettent en cause l’acte même de manger : « Pourquoi nous et les pharisiens jeûnons-nous [souvent], tandis que tes disciples ne jeûnent pas ? » (Mt 9:14). Le jeûne dont ils parlent ne reposait pas sur un commandement biblique, mais sur une tradition rabbinique du premier siècle. Les Juifs pieux jeûnaient le lundi et le jeudi. Jésus n’est pas contre le jeûne (6:16–18) et il ne s’oppose pas frontalement à leur tradition (« Vous avez appris qu’il a été dit, mais moi je vous dis »). Il déclare au contraire que ses disciples ont parfaitement le droit de manger un bon repas un jour de jeûne à cause de qui il est. Jésus répond à leur question par une autre question (« Les invités à la noce peuvent-ils être tristes tant que le marié est avec eux ? ») suivie d’une affirmation concernant le moment où il conviendra de jeûner (« Les jours viendront où le marié leur sera enlevé [probablement une allusion à l’ascension de Jésus], et alors ils jeûneront », 9:15). Pour dire les choses simplement, personne ne jeûne lors d’un mariage. De même, il n’est pas approprié de jeûner pendant le ministère de Jésus.
À deux reprises, Jésus parle de lui comme du « marié », un titre utilisé par Jean pour décrire Jésus (« l’ami du marié [Jean], qui se tient là et qui l’entend [Jésus], éprouve une grande joie à cause de la voix du marié », Jean 3:29), et un titre réservé à YHAWH dans l’Ancien Testament (Ez 16:7–8 ; Jr 2:2 ; Es 54:5–8 ; cf. Os 2:14–20) et utilisé pour désigner Christ dans le Nouveau Testament (Ep 5:23 ; 2Co 11:2 ; Ap 19:7 ; 22:17). Ce titre revêt à n’en pas douter un caractère christologique ! Encore une fois, miracles après miracles, et discours après discours, Jésus révèle son identité.
Jésus poursuit sa réponse avec une autre comparaison. Il déclare : « Personne ne coud un morceau de tissu neuf sur un vieil habit, car la pièce ajoutée arrache une partie de l’habit et la déchirure devient pire. On ne met pas non plus du vin nouveau dans de vieilles outres, sinon les outres éclatent, le vin coule et les outres sont perdues ; mais on met le vin nouveau dans des outres neuves, et le vin et les outres se conservent » (9:16–17). Le « vin nouveau » symbolise la bonne nouvelle du royaume qui est venu en Jésus. Les « vieilles outres » représentent les traditions du judaïsme pharisaïque qui contredit ou remplace les enseignements bibliques et le royaume à venir. Quand il entre en contact avec les vieilles outres des pratiques religieuses d’origine humaine, le vin nouveau de l’Évangile révèle la fragilité de ces vielles outres et finit par les étirer et les craquer, les rendant inutilisables et permettant à l’Évangile de s’écouler dans des vases réceptifs.
Deux filles (9:18–26)
Matthieu 9:18–31 présente les quatre derniers miracles des chapitres 8 et 9 qui concernent deux femmes et trois hommes. Aux versets 18 à 26, l’évangéliste entremêle l’histoire de deux filles (le terme « fille » est employé pour désigner la fillette morte, 9:18, et la femme mourante, 9:22). Le père de la fillette, qui est le chef d’une synagogue, s’approche de Jésus. Son attitude et sa requête témoignent d’une foi extraordinaire : « Ma fille est morte il y a un instant ; mais viens, pose ta main sur elle et elle vivra » (9:18). Il croit que Jésus peut ressusciter les morts simplement en les touchant de la main ! Jésus relève le défi. Accompagné de ses disciples, il se rend vers la fillette.
Mais sa mission est interrompue : « C’est alors qu’une femme » (9:20). Matthieu fait état de son problème (elle « souffrait d’hémorragies depuis 12 ans ») et de son espérance pleine de foi en un miracle. Cette espérance est mise en pratique par des moyens peu orthodoxes (elle « s’approcha par-derrière et toucha le bord de son vêtement », car elle se disait : « Si je peux seulement toucher son vêtement, je serai guérie » 9:20–21). Même si certains érudits considèrent sa volonté de toucher le vêtement de Jésus comme de la superstition, Jésus loue le courage de la femme et sa confiance en son pouvoir (« Prends courage, ma fille, ta foi t’a guérie », version Louis Segond), établissant un lien direct entre sa foi et sa guérison (« Et cette femme fut guérie dès ce moment », 9:22). À noter qu’il ne dit pas « Je t’ai guérie ». Il fait plutôt l’éloge de sa foi, « ta foi t’a guérie », ou sauvée, (version Segond 21). Elle est sauvée de l’impureté rituelle (voir Lv 15:19–33) mais aussi d’une mort lente. Sa foi peut sembler puérile, mais Jésus la considère plutôt comme la foi d’un enfant (Mt 19:14).
Le récit se poursuit dans la maison du chef de la synagogue et décrit les sombres réalités de la mort de sa fille. La femme a reçu une vie nouvelle (9:22), mais la fillette, elle, est toujours morte. Cependant, pour Jésus, la situation n’est pas désespérée. Il dit aux pleureuses professionnelles de se retirer car « la jeune fille n’est pas morte, mais elle dort » (9:24). En réalité, elle est vraiment morte mais, pour lui, la mort de la fillette est comme un sommeil profond. Alors que la foule n’a eu que du mépris pour lui (« ils se moquaient de lui », 9:25), il a accompli l’un des plus grands miracles consignés dans les Saintes écritures. Il « prit la main de la jeune fille, et la jeune fille se leva » (9:25). Encore une fois, par un simple toucher, Jésus donne la vie. Jésus aurait dû être rendu doublement impur, après avoir été touché par la femme qui perdait du sang et après avoir touché la fillette morte, mais il transcende à nouveau la loi. Il purifie les impurs. Il triomphe de la malédiction. Il ressuscite les morts.
Les aveugles voient (9:27–31)
Le neuvième miracle est un autre miracle fantastique et sans précédent. Jésus guérit deux aveugles. Matthieu les décrit comme persévérants. Jésus est passé devant eux sur la route et ils l’ont suivi (9:27a). Puis ils se sont mis à crier, « Aie pitié de nous, Fils de David » (9:27b). À ce moment-là, Jésus ne s’est pas arrêté. Finalement, quand il est retourné à la maison de Pierre, « les aveugles s’approchèrent de lui » (9:28a). Ils illustraient ce que Jésus avait enseigné sur la prière : « Demandez et l’on vous donnera, cherchez et vous trouverez, frappez et l’on vous ouvrira » (7:7). Jésus mettait l’accent sur la confiance dans la prière. À sa question, « Croyez-vous que je puisse faire cela ? », ils ont répondu aussitôt, « Oui, Seigneur » (9:28). Ils croyaient sincèrement qu’il était « Seigneur » (« l’Eternel ouvre les yeux des aveugles », Ps 146:8) et ils ont été les premiers dans le premier évangile à le reconnaître comme le roi promis issu de la lignée royale de David (« Fils de David », voir Mt 1:1). Encore une fois, Jésus touche les intouchables (« il toucha leurs yeux », 9:29a), guérissant immédiatement leur cécité (« et leurs yeux s’ouvrirent », 9:30) et louant leur foi (« Soyez traités conformément à votre foi », 9:29b). Le récit s’achève sur l’avertissement sévère qui leur est adressé (« Faites bien attention que personne ne le sache ! », 9:30), suivi de leur acte de désobéissance (« mais, à peine sortis, ils parlèrent de lui dans toute la région », 9:31). Même s’il était favorable à ce qu’ils partagent la bonne nouvelle, Jésus les a sérieusement mis en garde car il ne voulait pas que le peuple se méprenne sur la nature de sa domination. Il est venu comme un agneau sacrificiel, non pas comme un guerrier. Il est le « Fils de David », mais aussi le Serviteur souffrant.
Les muets parlent (9:32–34)
Le dernier miracle, la guérison du sourd-muet (« on amena à Jésus un démoniaque muet. Il chassa le démon et le muet se mit à parler », 9:32–33) met davantage en lumière les réactions au miracle que le miracle lui-même. D’abord, « La foule disait, émerveillée : « On n’a jamais rien vu de pareil en Israël» » (9:33). Étaient-ils émerveillés à la vue de ce dernier miracle ou de tous les miracles ? Probablement de tous les miracles. Mais leur émerveillement illustre bien quelle est l’intention probable de Matthieu envers ses lecteurs ou ses auditeurs quand il écrit ces deux chapitres.
Les pharisiens, eux, ne manifestent aucune admiration. Ils sont outrés et prétendent que « c’est par le prince des démons qu’il chasse les démons » (9:34). Voilà leur réponse ! Ils accusent Jésus d’œuvrer pour Satan ! Les pauvres aveugles voient, mais ces élites religieuses sont aveugles. Peut-être que l’apôtre Jean, réfléchissant plus tard au témoignage de Matthieu, a bien résumé cette scène, à savoir les malédictions adressées ensuite par Jésus aux scribes et aux pharisiens (« Espèces de fous aveugles! », Mt 23:17, cf. 23:16, 19, 24, 26) et sa propre description des chefs religieux endurcis, en utilisant les mots de Jésus lui-même : « Je suis venu dans ce monde pour un jugement, pour que ceux qui ne voient pas voient et pour que ceux qui voient deviennent aveugles » (Jean 9:39).
La moisson est grande (9:35–10:42)
Matthieu 9:35–38 récapitule les chapitres 8 et 9 et présente la mission que Jésus confie aux douze. Comme « Jésus parcourait toutes les villes et les villages ; il enseignait dans les synagogues, proclamait la bonne nouvelle du royaume et guérissait toute maladie et toute infirmité » (9:35), il accorde ensuite aux apôtres qu’il a choisis « le pouvoir de chasser les esprits impurs et de guérir toute maladie et toute infirmité » (10:1). Ils doivent suivre le Seigneur dans son double ministère de prédication (« En chemin, prêchez en disant : ‘Le royaume des cieux est proche.’ » 10:7) et de guérison (« Guérissez les malades, [ressuscitez les morts,] purifiez les lépreux, chassez les démons », 10:8). Ils doivent également être animés des mêmes sentiments que lui pour la mission (« A la vue des foules, il fut rempli de compassion pour elles », 9:36) et cultiver de la même manière que Jésus leur dépendance envers Dieu. Leur dépendance sera démontrée par la prière (« La moisson est grande, mais il y a peu d’ouvriers. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers dans sa moisson », 9:37–38) et par la providence accordée par le biais du peuple de Dieu (« Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement. Ne prenez ni or, ni argent, ni monnaie dans vos ceintures, ni sac pour le voyage, ni deux chemises, ni sandales, ni bâton, car l’ouvrier mérite sa nourriture. Dans chaque ville ou village où vous arrivez, informez-vous pour savoir qui est digne de vous accueillir et restez chez lui jusqu’à votre départ », 10:8b–11).
Parce que les chefs religieux d’Israël n’ont pas pris soin du peuple de Dieu (« car elles étaient blessées et abattues, comme des brebis qui n’ont pas de berger », 9:36 ; cf. 23:4 ; Ez 34:4), Pierre, André, Jacques, Jean, Philippe, Barthélémy, Thomas, Matthieu, Jacques, fils d’Alphée, Thaddée, Simon le Cananite et Judas l’Iscariot (Mt 10:2–3) sont mandatés pour aller « vers les brebis perdues de la communauté d’Israël » (10:6 ; tiré de Jr 50:6) en leur offrant le repos en Jésus (Mt 11:28). À ce moment de l’histoire du salut, l’étendue de leur mission était limitée (« N’allez pas vers les non-Juifs et n’entrez pas dans les villes des Samaritains, 10:5). Plus tard, onze de ces hommes (tous sauf Judas, « qui trahit » Jésus, 10:4) seront envoyés pour porter l’Évangile à « toutes les nations » (28:19).
Cette mission dans les nombreuses villes d’Israël avant la mort de Jésus (10:23) recevra un accueil mitigé. Certains recevront les messagers et leur message (10:12–13), d’autres non. Le jugement à l’encontre de ces derniers est sévère (« Lorsqu’on ne vous accueillera pas et qu’on n’écoutera pas vos paroles, sortez de cette maison ou de cette ville et secouez la poussière de vos pieds. Je vous le dis en vérité, le jour du jugement, le pays de Sodome et de Gomorrhe sera traité moins sévèrement que cette ville-là. », 10:14–15).
La mission est dangereuse (« Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups »), aussi les disciples doivent-ils être sages (« Soyez donc prudents comme les serpents ») et irréprochables (« et purs comme les colombes », 10:16). La persécution sera importante (« ils vous livreront aux tribunaux et vous fouetteront dans leurs synagogues », 10:17), mais la prédication suivie de persécution entraînera des occasions uniques de témoigner de la vérité (« vous serez conduits devant des gouverneurs et devant des rois pour leur apporter votre témoignage, à eux et aux non-Juifs », 10:18), des témoignages que Dieu lui-même inspirera et suscitera (« Mais, quand on vous fera arrêter, ne vous inquiétez ni de la manière dont vous parlerez ni de ce que vous direz: ce que vous aurez à dire vous sera donné au moment même. En effet, ce n’est pas vous qui parlerez, c’est l’Esprit de votre Père qui parlera en vous », 10:19–20).
La mission sera à la fois dangereuse et clivante (« Vous serez détestés de tous à cause de mon nom », 10:22 ; « on vous persécutera dans une ville », 10:23), y compris au sein d’une famille : « Le frère livrera son frère à la mort et le père son enfant; les enfants se soulèveront contre leurs parents et les feront mourir » (10:21) ; « l’on aura pour ennemis les membres de sa famille » (10:36). Mais tout cela fait partie du plan. Jésus n’est pas venu « apporter la paix, mais l’épée ». Il est venu « mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère » (10:34–35). Israël doit choisir entre son véritable Messie et ses allégeances familiales (« Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi, et celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi », 10:37). Les disciples doivent choisir de se consacrer entièrement au royaume de Christ qui passe par la croix avant la couronne (« Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi », 10:38) mais qui promet la vie éternelle (« Celui qui conservera sa vie la perdra, et celui qui perdra sa vie à cause de moi la retrouvera », 10:39). Christ appelle ses disciples à une vie de conformité à la croix (« Le disciple n’est pas supérieur au maître, ni le serviteur supérieur à son seigneur », 10:24). S’il a été calomnié, ils le seront aussi (« S’ils ont appelé le maître de la maison Béelzébul, ils appelleront d’autant plus volontiers ainsi les gens de sa maison ! », 10:25b).
Les disciples doivent choisir de se consacrer entièrement au royaume de Christ qui passe par la croix avant la couronne mais qui promet la vie éternelle.
Bien que la mission des douze soit dangereuse et clivante, Jésus leur rappelle qu’ils ne doivent pas craindre les ennemis de l’Évangile (« N’ayez donc pas peur d’eux », 10:26 ; « Ne redoutez pas ceux qui tuent le corps mais qui ne peuvent pas tuer l’âme », 10:28), car la méchanceté de leur opposition sera manifestée au grand jour (10:26). Ils doivent craindre Dieu (10:28), ce qui implique notamment de se confier en ses soins providentiels. Si « deux moineaux » qui sont vendus « pour une petite pièce » ne tombent pas par terre en dehors de la volonté de Dieu, et si les disciples de Christ valent « plus que beaucoup de moineaux » (10:31, « Même vos cheveux sont tous comptés » par le Père, 10:30), « N’ayez donc pas peur » (10:31) de ce qui peut se passer. Une récompense attend la personne qui se déclare publiquement pour Jésus (« je me déclarerai moi aussi pour elle devant mon Père céleste », 10:32). Du reste, cette moisson est associée au Père et au Fils (« celui qui m’accueille accueille celui qui m’a envoyé »), au Fils et à ses apôtres (« Si quelqu’un vous accueille, c’est moi qu’il accueille », 10:40) et aux douze et à ceux qui les accueillent (« celui qui accueille » les disciples « ne perdra pas sa récompense », 10:41–42).
La réponse à ses prodiges (11:1–30)
11:1–6 « Lorsque Jésus eut fini de donner ses instructions à ses douze disciples », il a continué son ministère d’enseignement itinérant (« il partit de là pour enseigner et prêcher dans leurs villes », 11:1). Pendant ce temps, Jean-Baptiste, qui est en prison, entend parler de ce que « faisait » (11:2) Jésus et fait demander à Jésus, « Es-tu celui qui doit venir [« Christ », 11:2], ou devons-nous en attendre un autre? » (11:3). D’un côté, il est surprenant que Jean ait des doutes concernant la messianité de Jésus compte tenu de ce qu’il a dit de Jésus avant son baptême (« celui qui vient après moi est plus puissant que moi ») et a peut-être entendu de Jésus après le baptême (« Celui-ci est mon Fils bien-aimé », 3:11, 17). D’un autre côté, cela n’est pas surprenant car Jean s’attendait à ce que le Messie juge les méchants (« il vous baptisera … de feu », « Il a sa pelle à la main ; il nettoiera son aire de battage », et « il brûlera la paille dans un feu qui ne s’éteint pas », 3:12 ; cf. 3:7–10). Ceci explique pourquoi Jean appelle le Christ « celui qui doit venir », une référence à Ésaïe 35:4 et au jugement de Dieu à venir (« Voici votre Dieu: elle viendra, la vengeance »).
Jésus répond en restant dans Ésaïe 35. Dieu déclare au prophète, « Dites à ceux qui ont le cœur battant : « Fortifiez-vous, n’ayez pas peur ! Voici votre Dieu : elle viendra, la vengeance… Il viendra lui-même pour vous sauver. » » En tant que Fils de Dieu, Jésus jugera et sauvera. C’est le salut qui vient en premier, et Jésus explique les signes de ce salut : « Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et ce que vous voyez: les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent et la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres » (Mt 11:4–5, citant Es 35:5–6a).
11:7–19 Tandis que les disciples de Jean retournent pour rapporter à Jean la réponse de Jésus à ses doutes et réserves sincères, Jésus juge « cette génération » de Juifs, dont certains ont probablement été baptisés par Jean (« Qu’êtes-vous allés voir au désert? » Mt 11:7). Ces personnes considéraient à juste titre Jean comme un prophète (« Qu’êtes-vous donc allés voir ? Un prophète ? Oui », 11:9a). Pour parler de Jean, Jésus utilise cependant l’expression « plus qu’un prophète » (11:9b). En effet, en tant que précurseur du Messie, il faisait lui-même l’objet d’une prophétie : « c’est celui à propos duquel il est écrit : Voici, j’envoie mon messager devant toi pour te préparer le chemin », 11:10, citant Ml 3:1). De plus, Jean qui est venu « avec l’esprit et la puissance d’Elie » (Luc 1:17 ; « c’est lui l’Elie qui devait venir », Matt 11:14 ; 17:12 ; Jean 1:21 ; Ml 4:5) et qui est plus grand que Moïse et Élie (« Je vous le dis en vérité, parmi ceux qui sont nés de femmes, il n’est venu personne de plus grand que Jean-Baptiste », Mt 11:11) a fait équipe avec Jésus pour inaugurer une ère nouvelle et encore plus belle de l’histoire du salut (« le royaume des cieux », 11:11, 12). Pourtant, cette génération rejettera à la fois Jean et Jésus : « En effet, Jean est venu, il ne mange pas et ne boit pas, et l’on dit : ‘Il a un démon.’ Le Fils de l’homme est venu, il mange et il boit, et l’on dit : C’est un glouton et un buveur, un ami des collecteurs d’impôts et des pécheurs’ » (11:18–19).
11:20–24 Jean et Jésus ont prêché la repentance. Et même après avoir assisté aux « miracles » que Jésus avait faits à Chorazin, Bethsaïda et Capernaüm, ces villes « n’avaient pas changé d’attitude » (11:20). Pour cette raison, Jésus accuse ces villes et leurs habitants, déclarant à propos de Tyr et de Sidon que, si elles avaient assisté aux miracles de Jésus, « il y a longtemps que leurs habitants se seraient repentis, habillés d’un sac et assis dans la cendre » (11:21). C’est pourquoi, « le jour du jugement, Tyr et Sidon seront traitées moins sévèrement que vous » (11:22, cf. 11:24). Les prophètes ont prononcé des oracles de jugement contre les nations (Es 13–20 ; Jr 46–51 ; Ez 25–32) ; Jésus annonce le malheur à venir sur le peuple élu de Dieu (les Juifs) et sur la Terre sainte de Dieu (Israël).
Les ruines de Chorazin
11:25–30 Jésus passe ensuite (« A ce moment-là », Mt 11:25) d’une condamnation à une invitation. La foule qui écoute (11:7) ainsi que les lecteurs de Matthieu sont invités à venir à Jésus pour trouver « du repos » (11:28). Nous sommes en présence d’un double paradoxe. Les seules personnes qui viendront à Jésus sont celles à qui le Dieu souverain (« Père, Seigneur du ciel et de la terre », 11:25), par sa seule volonté (11:26), accorde une compréhension et une révélation qui proviennent de Jésus seul (« Mon Père m’a tout donné, et personne ne connaît le Fils, si ce n’est le Père; personne non plus ne connaît le Père, si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler », 11:27). L’invitation est valable pour tous (« vous tous qui êtes fatigués et courbés sous un fardeau ») et implique une responsabilité humaine (il faut venir, 11:28). Cependant, le Père et le Fils prennent seuls l’initiative du point de vue de l’élection. Le second paradoxe, c’est que ceux qui sont souverainement attirés, et qui trouveront du repos, reçoivent du travail ! C’est en venant à Jésus en prenant son « joug » (11:29, version Louis Segond) que l’on trouve le repos. Le joug se rapporte aux enseignements (« Prenez mon joug sur vous et recevez mes instructions », version Louis Segond) de ce maître « doux et humble de cœur » (11:29). À la différence des « fardeaux pesants » (23:4) des scribes et des pharisiens, mettre en pratique tout ce que Jésus a prescrit (28:20) ne représente pas un véritable fardeau (1Jn 5:3). Ses exigences sont « bonnes » et son fardeau « léger » (Mt 11:30).
Le Seigneur du sabbat (12:1–50)
12:1–2 Le chapitre 11 se termine par l’invitation de Jésus à venir à lui pour trouver du repos. Le chapitre 12 commence par un enseignement de Jésus, qui se proclame lui-même Seigneur du Sabbat. Un samedi, alors que Jésus et ses disciples traversaient « des champs de blé » pour se rendre à la synagogue voisine, les disciples ont assouvi leur faim en arrachant et en mangeant « des épis » (12:1). Ils avaient le droit de le faire. En effet, d’après Lévitique 19:9 et Deutéronome 23:25, le cultivateur ne devait pas moissonner les bords de son champ afin que les pauvres et les voyageurs puissent se nourrir. Pour les pharisiens, cependant, un tel comportement était interdit et ils n’ont pas tardé à le faire savoir : « Regarde, tes disciples font ce qu’il n’est pas permis de faire pendant le sabbat » (12:2). Le quatrième commandement (Ex 20:8–11) interdit tout « travail », et d’autres passages définissent comme travail le fait d’allumer du feu (35:3), de porter des fardeaux (Jr 17:21–27), et d’acheter et de vendre (Ne 10:31 ; 13:15–17). Mais entre cette période et l’époque de Jésus, les rabbins juifs avaient ajouté trente-neuf catégories de travaux qui profanaient le sabbat, parmi lesquels faire ou défaire des nœuds, faire plusieurs points de couture, et récolter, vanner, battre ou préparer un repas (voir m. Sabb. 7.2).
12:3–8 Jésus répond à leur accusation en s’appuyant sur quatre textes de l’Ancien Testament (« N’avez-vous pas lu », Mt 12:3, 5), des exemples provenant de la Loi et des Prophètes. Il défend les agissements de ses disciples par une illustration tirée de la vie du roi David (quand David « est entré dans la maison de Dieu et a mangé les pains consacrés » accompagné de ses hommes, 12:4, ils ont mangé le pain de proposition parce qu’ils étaient affamés, 1S 21:1–6). Ensuite, il rappelle que le travail dans le temple l’emporte sur le repos du Sabbat (quand ils exercent leur sacerdoce, « les prêtres violent le sabbat dans le temple sans se rendre coupables », Mt 12:5). L’argument de Jésus n’est valable que s’il est lui-même un roi plus grand que David et, comme il le dira lui-même plus tard, s’il est « plus grand que le temple » (12:6). « Si ce qu’a fait le roi David profane le temple, et si le temple profane le repos du Sabbat, il s’ensuit de manière logique que si quelqu’un de plus grand que David (cf. 1:1) et de plus grand que le temple est là, incarné en la personne de Jésus, alors les disciples de Jésus peuvent se faire un petit casse-croûte à base de blé le jour du Sabbat. »8Jésus peut affirmer ce qu’il affirme non seulement parce que l’idée derrière la loi sur le Sabbat, c’est d’apporter la miséricorde aux hommes (« Si vous saviez ce que signifie: Je désire la bonté, et non les sacrifices[Os 6:6], vous n’auriez pas condamné des innocents », Mt 12:7) mais également parce que Jésus, en tant que « Fils de l’homme », est le « Seigneur du sabbat » auto-proclamé (12:8). Celui à qui Dieu confère un royaume glorieux et éternel (« On lui [le Fils de l’homme] a donné la domination, la gloire et le règne, et tous les peuples, les nations et les hommes de toute langue l’ont servi. Sa domination est une domination éternelle » Dn 7:14) a le pouvoir de dénoncer la malveillance de l’enseignement des pharisiens concernant le Sabbat et de déclarer légitimes les actions de ses disciples.
12:9–14 Jésus va mettre en pratique ce qu’il a prêché. Il entre dans la synagogue. On lui présente un homme « qui avait la main paralysée ». Les pharisiens demandent, « Est-il permis de faire une guérison le jour du sabbat ? » (12:10a). En réalité, ils lui tendent un piège. Ils demandent cela « afin de pouvoir l’accuser » d’enfreindre leur loi sur le Sabbat (12:10b). Jésus qui connaît, se concentre sur et obéit aux questions les plus importantes de la Loi, parle de miséricorde : « Il leur répondit : « Lequel de vous, s’il n’a qu’une brebis et qu’elle tombe dans un trou le jour du sabbat, n’ira pas [travailler !] la retirer de là ? Or, un homme vaut beaucoup plus qu’une brebis ! Il est donc permis de faire du bien les jours de sabbat. » (12:11–12). Parce que l’amour de son prochain l’emporte sur toutes les lois d’origine humaine sur le Sabbat, Jésus saute à pieds joints dans leur piège théologique. Il invite le pauvre homme à croire en lui : « Tends la main » (12:13a). L’homme s’exécute. Il « la tendit » et sa main droite est devenue aussi saine que sa main gauche (« elle devint saine [comme l’autre], 12:13). La vie de cet homme n’était pas menacée. Jésus aurait pu attendre de le guérir en privé après l’office. Il aurait pu attendre le lendemain. Cet homme n’avait même pas demandé à être guéri. Ici, Jésus provoque donc délibérément les pharisiens. Son incroyable autorité (il ne prononce que quelques mots !) et sa miséricorde suscitent leur indignation : « Les pharisiens sortirent et tinrent conseil sur les moyens de le faire mourir » (12:14). Leur réaction est à la fois terrible et impitoyable, car le seul « travail » que Jésus ait fait en ce jour de Sabbat, c’est de prononcer trois mots.
12:15–21 Jésus, qui « sut » quels étaient leurs projets malveillants à son égard, « s’éloigna de là » (12:15a). L’heure de sa mort n’était pas encore venue. Ensuite, il manifeste encore sa bonté (« Une grande foule le suivit. Il guérit tous les malades », 12:15b) puis encourage à la prudence à son encontre (« et leur recommanda sévèrement de ne pas le faire connaître », 12:16). Et encore une fois,9 les actes de Jésus rappellent à Matthieu ce qui est écrit dans Ésaïe 42:1–4, 9 :
Cela a eu lieu « afin que s’accomplisse ce que le prophète Esaïe avait annoncé :
« Voici mon serviteur que j’ai choisi, mon bien-aimé qui a toute mon approbation. Je mettrai mon Esprit sur lui, et il annoncera la justice aux nations. Il ne contestera pas, il ne criera pas, et personne n’entendra sa voix dans les rues. Il ne cassera pas le roseau abîmé et n’éteindra pas la mèche qui fume encore, jusqu’à ce qu’il ait fait triompher la justice. Les nations espéreront en son nom. »
Il s’agit de la plus longue citation de l’Ancien Testament contenue dans l’évangile de Matthieu. Elle résume parfaitement la théologie du livre. Jésus est à la fois le Serviteur souffrant (« mon serviteur ») et le Fils « bien-aimé » du Père (Mt 3:17 ; 17:5). Le Saint-Esprit (« Je mettrai mon Esprit sur lui », 12:18), qui est descendu sur Jésus lors de son baptême, l’aide à persévérer dans sa mission. Cette mission vise non seulement « les brebis perdues de la communauté d’Israël » (10:6 ; 15:24) mais également les nations (« il annoncera la justice aux nations », 12:18). Matthieu 12:18 est une affirmation choquante pour ceux qui ne sont pas imprégnés des promesses faites à Abraham, aussi choquante que la dernière phrase : « Les nations espéreront en son nom » (12:21). Oui, Jésus met en lumière la thématique de l’incorporation des païens après la controverse sur le Sabbat dans la synagogue.
Ceci dit, Jésus n’est pas venu comme un révolutionnaire politique (« Il ne contestera pas, il ne criera pas, et personne n’entendra sa voix dans les rues », 12:19), mais pour rassembler les exclus dans son royaume. Le Serviteur servira le marginalisé. Il ramènera à la vie ceux dont l’existence ressemble à un « roseau abîmé » ou une « mèche qui fume encore ». Il fera « triompher la justice ». Ce Fils du roi David règne avec humilité et en faveur des humbles. Il apporte repos et justice.
12:22–24 Dans la péricope suivante, Jésus continue de corriger les pharisiens et de condamner l’incrédulité. Jésus fait recouvrer la parole et la vue à « un démoniaque aveugle et muet » (12:22), ce qui provoque deux types de réaction. « Toute la foule » était si étonnée par ce spectacle qu’elle considérait l’idée que Jésus soit le Messie, « N’est-ce pas là le Fils de David ? » (12:23). La réponse à leur question est « Oui ». Les laissés-pour-compte comprennent : les aveugles le savent (9:27 ; 20:30, 31), tout comme la femme cananéenne (15:22) ! Les spécialistes religieux juifs, quant à eux, sont aveugles : « Lorsque les pharisiens entendirent cela, ils dirent : «Cet homme ne chasse les démons que par Béelzébul, le prince des démons.» » (12:24). Parce que Jésus faisait le contraire de ce qu’ils attendaient du Messie (par exemple, il n’a pas milité pour que le peuple soit libéré de la domination romaine et a même reçu des soldats romains dans le royaume !), ils en ont déduit que ses pouvoirs surnaturels étaient sataniques.
12:25–29 Jésus réfute leur affirmation de manière logique, au moyen d’un raisonnement par l’absurde (reduction ad absurdum) : « Tout royaume confronté à des luttes internes est dévasté, et aucune ville ou famille confrontée à des luttes internes ne peut subsister. Si Satan chasse Satan, il lutte contre lui-même. Comment donc son royaume subsistera-t-il ? » (12:25–26). Leur logique est absurde. Pensent-ils que leurs propres disciples « chasse[nt] les démons par Béelzébul » (12:27) ? Bien sûr que non. Mais alors comment Jésus pourrait-il le faire ? Au contraire, comme s’il pillait la maison d’un homme fort en l’attachant à une chaise (12:29), Jésus chasse les démons « par l’Esprit de Dieu » (12:28). À n’en pas douter, « le royaume de Dieu » est arrivé (12:28). Le Fils de David est là !
12:30–37 Il s’ensuit que quiconque n’est pas avec Jésus est son adversaire (« Celui qui n’est pas avec moi est contre moi », 12:30). Et ceux, à l’image des pharisiens, qui attribuent à Satan ce que le Père a accompli en Jésus au moyen de l’Esprit, commettent le péché impardonnable (« le blasphème contre l’Esprit ne leur sera pas pardonné… celui qui parlera contre le Saint-Esprit, le pardon ne lui sera accordé ni dans le monde présent ni dans le monde à venir », 12:31–32). Même si cette condamnation aura lieu au « jour du jugement » (12:36), Jésus annonce déjà leur sort futur. Il qualifie la descendance de Satan de « Races de vipères » (12:34) et les maudit en raison du mauvais « fruit » (12:33) qui sort de leur bouche mais vient des profondeurs de leur cœur (12:35). Leurs paroles mauvaises (12:35) et inutiles seront suffisantes pour les condamner à la peine éternelle (« d’après tes paroles tu seras condamné », 12:37).
12:38–45 Le reproche de Jésus n’est pas bien passé auprès des élites religieuses juives. « Alors quelques-uns des spécialistes de la loi et des pharisiens » l’ont interrompu en lui demandant d’attester de ses compétences afin de confirmer ses enseignements, « Maître, nous voudrions voir un signe miraculeux de ta part » (12:38). Un démon chassé, une main paralysée guérie ou un lépreux purifié, tout cela ne leur suffit pas. Ils veulent un signe, un miracle venu du ciel comme une colonne de feu dans le désert. Le seul signe incontestable que Jésus donnera pour confirmer sa messianité, c’est le signe « du prophète Jonas » (12:39), c’est-à-dire sa mort et sa résurrection : « En effet, de même que Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre d’un grand poisson », puis a été régurgité sur le rivage, « de même » Jésus (« le Fils de l’homme ! ») sera enseveli pendant une courte période (« trois jours et trois nuits dans la terre ») avant de revenir à la vie (12:40). Seule une « génération mauvaise et adultère réclame » (12:39) plus que ce signe perpétuel et suffisant.
Jésus insiste sur la condamnation de cette « génération mauvaise » (12:45) en livrant ce témoignage qui les accable : les païens, eux, répondent de manière positive aux œuvres de Dieu. Les méchants Assyriens (« les habitants de Ninive ») qui « ont changé d’attitude à la prédication de Jonas » (12:41) et la Reine du Midi qui a rendu visite au roi Salomon et s’est délectée de sa sagesse (« elle est venue des extrémités de la terre pour entendre la sagesse de Salomon ») « se lèveront » ensemble lors du jugement et « condamneront » la « génération » qui a rejeté Jésus, le prophète (« il y a ici plus que Jonas »), le roi (« il y a ici plus que Salomon », 12:42), et le prêtre (il a affirmé plus tôt à son propre sujet « il y a ici plus grand que le temple », 12:6). Jésus est également juge et clôt à ce titre son conflit avec les scribes et les pharisiens par un jugement. Il compare cette génération à un homme possédé duquel le démon sort pendant quelques temps pour mieux revenir avec « sept autres esprits plus mauvais que lui » (12:45). Ils entrent dans la demeure vide, y établissent domicile, « et la dernière condition de cet homme est pire que la première » (12:45).
12:46–50 Ce chapitre se termine avec une autre illustration de l’affirmation de Jésus « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi, et celui qui ne rassemble pas avec moi disperse » (12:30). À ce moment-là de son ministère, même sa propre famille s’oppose à lui : « Comme Jésus parlait encore à la foule, sa mère et ses frères, qui étaient dehors, cherchaient à lui parler » (12:46). D’après les récits de Marc et de Jean (Marc 3:20–21 ; Jean 7:1–5), il est clair que la famille de Jésus ne comprend pas le but de sa mission (« ses frères non plus ne croyaient pas en lui », Jean 7:5). Ils veulent lui parler afin de le dissuader de se heurter aux autorités. Voilà pourquoi il a répondu, « Qui est ma mère et qui sont mes frères ? » (Mt 12:48). Il ne renie ni Marie ni ses frères et sœurs (13:55–56). Il redéfinit les priorités et indique sans détour que la relation avec Dieu à travers lui l’emporte sur toutes les autres : « Puis il tendit la main vers ses disciples et dit : « Voici ma mère et mes frères. En effet, celui qui fait la volonté de mon Père céleste, celui-là est mon frère, ma sœur, ma mère. » » (12:49–50). Dans le contexte immédiat des chapitres 8 à 12, la volonté de Dieu équivaut à suivre Jésus, croire en lui, l’écouter, se reposer en lui et reconnaître son autorité.
Nous arrivons à la fin du chapitre 12. Comme Michael Green l’a bien résumé, pour le lecteur de Matthieu, « l’importance de prendre une décision quant à son propre rapport à Jésus atteint son apogée. Il est tout à fait possible d’être religieux comme les pharisiens mais de ne pas faire partie du royaume de Dieu. Il est tout à fait possible d’avoir des liens de parenté avec le Messie lui-même mais de ne pas faire partie du royaume de Dieu. Les pratiques religieuses ainsi que le pédigrée religieux sont complètement insuffisants pour faire entrer quiconque dans le royaume. Il faut reconnaître qui est Jésus et se décider résolument à le suivre. »10
Les paraboles de Jésus (13:1–53)
« Ce jour-là », Jésus s’est déplacé (il « sortit de la maison et s’assit au bord du lac », 13:1). La foule qui « se rassembla autour de lui » était « si nombreuse qu’il monta dans une barque » et s’éloigna vers le large (13:2). Assis dans le bateau, il enseignait la foule restée sur le rivage, prêchant en paraboles. La première parabole était « la parabole du semeur » (13:18). Un semeur sema sur quatre types de sols : « le long du chemin… dans un sol pierreux… parmi les ronces… [et] dans la bonne terre (13:4–7). Seul le dernier sol a été fertile ; la semence « donna du fruit avec un rapport de 100, 60 ou 30 pour 1 » (13:8). La semence semée dans les autres sols n’a rien produit parce que « les oiseaux vinrent et la mangèrent » (13:4), parce qu’elle « ne trouva pas un terrain profond » pour que des racines se développent (13:5), et parce que les ronces « poussèrent et l’étouffèrent » (13:7).
Avant d’interpréter cette parabole, Jésus invite premièrement la foule à écouter (« Que celui qui a des oreilles [pour entendre] entende », 13:9). Ses disciples sont perplexes. Ils s’approchent du bateau et demandent, peut-être en chuchotant, « Pourquoi leur parles-tu en paraboles ? » (13:10). Il leur répond, peut-être en chuchotant également car sa voix risquerait d’être portée par les eaux, « Parce qu’il vous a été donné, à vous, de connaître les mystères du royaume des cieux, mais qu’à eux cela n’a pas été donné. En effet, on donnera à celui qui a et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on enlèvera même ce qu’il a.C’est pourquoi je leur parle en paraboles, parce qu’en voyant ils ne voient pas et qu’en entendant ils n’entendent pas et ne comprennent pas » (13:11–13). Pour appuyer son affirmation, il cite une prophétie d’Ésaïe et déclare qu’elle est en train de s’accomplir (voir 13:14–15 ; Es 6:9–10). Plus tard, après avoir analysé la façon dont Jésus enseignait, Matthieu précisera que « Jésus dit toutes ces choses en paraboles à la foule, et il ne lui parlait pas sans parabole » (13:34) pour accomplir le Psaume 78:2 : « afin que s’accomplisse ce que le prophète avait annoncé: J’ouvrirai ma bouche pour parler en paraboles, je proclamerai des choses cachées depuis la création [du monde] » (Mt 13:35).
Pour les disciples, cependant, les paraboles servent un objectif différent. Les paraboles dissimulent et révèlent. Pour ceux qui persistent dans l’incrédulité, le mystère de la bonne nouvelle du royaume est caché. Mais pour ceux qui sont réceptifs à ce que Dieu accomplit en Jésus, les paraboles sont comme le soleil qui inonde de lumière la nef d’une église à travers ses vitraux. Jésus réaffirme les privilèges spirituels uniques des douze : « Mais heureux sont vos yeux parce qu’ils voient, et vos oreilles parce qu’elles entendent ! Je vous le dis en vérité, beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l’ont pas entendu » (13:16–17).
Pour ceux qui persistent dans l’incrédulité, le mystère de la bonne nouvelle du royaume est caché. Mais pour ceux qui sont réceptifs à ce que Dieu accomplit en Jésus, les paraboles sont comme le soleil qui inonde de lumière la nef d’une église à travers ses vitraux.
« Vous donc, écoutez » (13:18), déclare Jésus aux disciples afin que, par la grâce souveraine de Dieu, « ils voient de leurs yeux, qu’ils entendent de leurs oreilles et que leur cœur comprenne » (13:15). En effet, quand Jésus termine son enseignement sur le bateau, il retourne vers les douze et leur demande, « Avez-vous compris tout cela ? » et ils répondent, « Oui » (13:51). Ils ont été choisis pour être des spécialistes de la loi « formés » par Jésus pour se saisir du « trésor » du « royaume des cieux » et le partager autour d’eux (13:52).
Aux versets 18 à 23, Jésus explique la parabole du semeur. Lorsque celui qui prêche l’Évangile (« le semeur ») prêche « la parole du royaume » (« ce qui a été semé », 13:18–19), les gens répondent de quatre manières différentes. Les trois premiers groupes de personnes (représentés par trois types de sols) ont une réponse à l’Évangile immédiatement négative, ou qui se révélera négative au final. Intérieurement, la semence ne prend pas racine parce qu’ils sont endurcis, superficiels ou aiment trop leur propre confort ; extérieurement, elle ne pousse pas à cause de Satan, des persécutions, des épreuves et des tentations. ²
Les pharisiens représenteraient bien le premier type de sol (la semence semée « le long du chemin »), celui où la parole est clairement enseignée et expliquée, et pourtant « le mauvais vient et enlève ce qui a été semé dans son cœur », (13:19). Beaucoup d’auditeurs parmi la foule sont comme le second type de sol (« un sol pierreux », 13:20). Ils entendent avec joie la parole jusqu’à ce que le prix à payer pour vivre en disciple devienne trop important (« mais il n’a pas de racines en lui-même, il est l’homme d’un moment et, dès que surviennent les difficultés ou la persécution à cause de la parole, il trébuche », 13:21). Judas représente parfaitement le troisième type de sol (« qui a reçu la semence parmi les ronces »). En effet, il a entendu la parole (et l’a même prêchée lui-même !) et pourtant « les préoccupations de ce monde et l’attrait trompeur des richesses étouffent cette parole et la rendent infructueuse » (13:22).
Toutefois, la parabole de Jésus se termine sur une note incroyablement positive. On peut conclure que le dernier type de sol (« la bonne terre ») constitue l’apogée de la parabole et vise à encourager les douze dans leur mission auprès d’Israël et dans un second temps auprès de toutes les nations. Certains entendront et comprendront la parole, et les fruits seront surabondants (« porte du fruit avec un rapport de 100, 60 ou 30 pour 1 », 13:23). « Le bon auditeur, qui n’est ni endurci, ni superficiel, ni trop soucieux de son propre confort, reçoit la parole immédiatement afin que Satan ne puisse pas l’enlever, en profondeur afin qu’elle ne puisse pas être atrophiée par la persécution, et de manière exclusive afin que les autres préoccupations ne l’étouffent pas. »11
Jésus continue d’enseigner en paraboles, mais maintenant il le fait à la fois aux disciples et à la foule (« leur », 13:24 ; cf. 13:10, 34). Il cite six paraboles supplémentaires qui portent sur trois thèmes : la progression de l’Évangile, le jugement inhérent à l’Évangile et le gain que procure l’Évangile.
On retrouve le thème de la progression de l’Évangile aux versets 8, 12, 23, et probablement 47–48, où le royaume est comparé à un énorme filet jeté dans la mer et qui en ressort « rempli ». Les paraboles du grain de moutarde et du levain (13:31–33) se rapportent clairement à ce thème. Au départ, « le royaume des cieux » sera insignifiant (comme « la plus petite de toutes les semences » plantée dans un champ). Puis, « quand elle a poussé, elle est plus grande que les légumes » (13:32). Sur cet « arbre », des personnes de toutes les nations se rassembleront avec Israël (« les oiseaux du ciel vien[dro]nt habiter dans ses branches », 13:32). Par ailleurs, comme une petite dose de levain qui passe inaperçue dans une grande quantité de farine (« trois mesures », 13:33), le royaume s’étendra bien au-delà des projections initiales. Malgré le rejet, les hérésies, les apostasies et l’opposition, l’Évangile se répandra de Jérusalem à la Judée et jusqu’aux extrémités de la terre (Actes 1:8). Ce que le semeur sème dans la bonne terre produira « une foule immense que personne ne pouvait compter » (Ap 7:9).
Le jugement inhérent à l’Évangile est le deuxième thème de ces six paraboles. Jésus a dit qu’il était venu apporter l’épée (Mt 10:34). Dans ses paraboles, l’épée agit de deux manières opposées : soit pour donner la joie à ceux qui croient en l’Évangile, soit pour apporter la tristesse à ceux qui ne croient pas. La parabole de la mauvaise herbe et du bon grain et celle du filet se terminent toutes deux par cette déclaration de Jésus : « et les jetteront [« les enfants du mal », 13:38, « ceux qui commettent le mal », 13:41] dans la fournaise de feu, où il y aura des pleurs [du chagrin] et des grincements de dents [des regrets] » (13:42, 50). Dans la première parabole, les « moissonneurs » (les anges) arracheront « la mauvaise herbe », la lieront en gerbes, et la brûleront ; dans la seconde, tout comme les bons poissons sont préservés (placés « dans des paniers »), et les poissons gâtés sont rejetés dans la mer ou mis à la poubelle (« ce qui est mauvais » est jeté, 13:48), lors du jugement dernier (« à la fin du monde », 13:39, 40, 49) les anges « viendront séparer les méchants d’avec les justes » et jeter les méchants « dans la fournaise de feu » (13:49–50). Lorsque le Fils de l’homme reviendra avec ses anges (16:27 ; 24:30 ; 26:64), son jugement à l’encontre des méchants sera une bonne nouvelle pour les justes qui, dès ce jour et à jamais, « resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père » (13:43).
Le troisième thème, le gain que procure l’Évangile, ressort clairement des paraboles du trésor caché et de la perle de grande valeur. Elles commencent toutes deux par l’expression « Le royaume des cieux ressemble » (13:44, 45) et se terminent par deux actions radicales liées à la valeur inestimable de l’Évangile. L’homme pour lequel découvrir l’Évangile est comme trouver un « trésor caché dans un champ » et le marchand qui trouve « une perle de grande valeur » (13:44–45) ont une réaction naturelle : tout sacrifier pour s’approprier cette joyeuse découverte (« dans sa joie, il va vendre tout ce qu’il possède et achète ce champ », 13:44, « il est allé vendre tout ce qu’il possédait et l’a achetée », 13:45). Se saisir de l’Évangile a bien plus de valeur que le prix à payer pour vivre en disciple.
Rejet de Jésus et décapitation de Jean (13:54–14:12)
13:54–58 Ici, Matthieu nous raconte comment Jésus est rejeté à Nazareth, ce que Witherington résume en ces termes « Renié par les siens ».12 Après le discours de Jésus dans leur synagogue, les habitants de sa ville natale étaient « étonnés ». À travers six questions rhétoriques qui présentent une structure en chiasme, ils expriment leur étonnement (13:54–56) :
« D’où lui viennent cette sagesse et ces miracles ? »
« N’est-il pas le fils du charpentier ? »
« N’est-ce pas Marie qui est sa mère ? Jacques, Joseph, Simon et Jude ne sont-ils pas ses frères ? »
« Et ses sœurs ne sont-elles pas toutes parmi nous ? »
« D’où lui vient donc tout cela ? »
Par leurs questions, ils confirment les réalités historiques et reconnaissent explicitement la sagesse et les pouvoirs extraordinaires de Jésus. Mais ces questions traduisent également leur scepticisme. Ils refusent de croire qu’un homme qu’ils connaissaient comme étant le fils de Marie d’un point de vue biologique et le fils de Joseph d’un point de vue légal (Mt 1:18–25) puisse être le Messie. Évidemment, les lecteurs de Matthieu comprennent que Jésus est bien plus qu’un quelconque « fils de charpentier » né d’une femme. Il est le « Fils bien-aimé » (3:17 ; 17:5) du Père céleste. Il est essentiel de savoir d’où vient Jésus.
La semence semée dans la synagogue a été rapidement enlevée, étant donné que leur étonnement n’a pas tardé à se transformer en indignation : « Et il représentait un obstacle pour eux » (13:57a). Ils ne faisaient pas que refuser de reconnaître l’identité réelle de Jésus révélée par ses paroles et ses actes, mais le fait qu’il partage avec eux des liens familiaux a également suscité leur mépris.
Leur « incrédulité » hostile leur a valu un jugement de la part de Jésus : « Il ne fit pas beaucoup de miracles à cet endroit » (13:58). Dans ce lieu, et pour la première fois, Jésus limite sa puissance. La foi est la réponse humaine qui laisse l’autorité divine de Jésus s’exercer. En revanche, l’incrédulité constitue une véritable offense à son égard. En 11:20–24, Jésus a accusé Chorazin, Bethsaïda et Capernaüm et a annoncé leur jugement futur : « le jour du jugement » (11:22, 24), ces villes incrédules seront « abaissée[s] jusqu’au séjour des morts » (11:23). Nazareth fait déjà l’expérience d’un jugement : son refus de connaître la guérison. Pris dans leur contexte, « les mots prononcés par l’officier romain, « je ne suis pas digne » et « dis seulement un mot » (8:8), sont aux antipodes de l’opprobre et de l’incrédulité collectives de Nazareth. Par ailleurs, comme nous le verrons, « la confession pleine de foi que la femme cananéenne adresse à Jésus (« Fils de David » et « Seigneur ») semble aussi éloignée de la question rhétorique que les habitants de Nazareth posent à propos de Jésus (« N’est-il pas le fils du charpentier ? ») que le ciel l’est de l’enfer. »13
La foi est la réponse humaine qui laisse l’autorité divine de Jésus s’exercer. En revanche, l’incrédulité constitue une véritable offense à son égard.
14:1–12 Au chapitre 14, Matthieu passe du rejet de Jésus dans sa ville natale à la décapitation de Jean-Baptiste par Hérode. « Hérode avait fait arrêter Jean… et mis en prison à cause d’Hérodiade, la femme de son frère Philippe, car Jean lui disait: «Il ne t’est pas permis de l’avoir pour femme» »(14:3–4). Jean a prévenu courageusement le tétrarque qu’il enfreignait Lévitique 18:16 et 20:21, ainsi que d’autres lois de l’Ancien Testament. Hérode était coupable d’inceste (c’était à la fois sa belle-sœur et sa nièce) et de polygamie (il avait déjà une femme). Depuis quelques temps déjà, Hérode « voulait le faire mourir », mais à cause du peuple juif qui « considérait Jean comme un prophète » (14:5), il a repoussé ce moment jusqu’à ce qu’il n’ait plus le choix.
Après une danse séductrice lors de sa fête d’anniversaire (« la fille d’Hérodiade dansa au milieu des invités »), elle « plut à Hérode » au point que ce dernier fit un serment complètement irréfléchi : « … il promit avec serment de lui donner ce qu’elle demanderait » (14:6–7). « A l’instigation de sa mère », la tête pensante derrière le complot destiné à tuer Jean cette nuit-là, elle n’a pas hésité à faire une demande pour le moins macabre, « Donne-moi ici, sur un plat, la tête de Jean-Baptiste » (14:8). Hérode a été « attristé » (14:9) parce que, comme Marc le précise dans son récit, il savait que Jean était « un homme juste et saint », qu’il « protégeait » afin de pouvoir l’écouter prêcher (« c’était avec plaisir qu’il l’écoutait », Marc 6:20). Pourtant, parce qu’il a plus craint les hommes que Dieu (« à cause de ses serments et des invités »), il a péché au mépris du bon sens : il a ordonné de faire « décapiter Jean dans la prison » et a vu la « tête » de Jean « apportée sur un plat et donnée à la jeune fille, qui l’apporta à sa mère » (Mt 14:9–11). Étouffé par les préoccupations de ce monde, Hérode choisit de conserver son pouvoir temporel plutôt que de se soumettre au message du prophète concernant le royaume.
Machéronte, la forteresse d’Hérode bâtie sur une montagne, lieu de la danse devant Hérode Antipas, de l’emprisonnement de Jean-Batiste et de l’exécution de Jean
Adoration de JE SUIS (14:13–36)
14:13–21 Lors de ce retour en arrière sur la mort de Jean, Matthieu souligne que la conscience d’Hérode était troublée, ou, du moins, que son esprit était relativement embrumé : « A cette époque-là, Hérode le tétrarque entendit parler de Jésus, et il dit à ses serviteurs: «C’est Jean-Baptiste! Il est ressuscité, et c’est pour cela qu’il a le pouvoir de faire des miracles. » » (14:1–2). Matthieu nous place également dans l’intimité de Christ : « A cette nouvelle, Jésus partit de là dans une barque pour se retirer à l’écart dans un endroit désert » (14:13a). Peut-être que le mot « intimité » est un peu exagéré. Pourtant, ce moment est empreint d’humanité. Après avoir appris la mort horrible de Jean (14:12), Jésus veut être seul. Et on peut se demander si, quand il arrive dans « un endroit désert », il pleure la mort d’un ami cher (Jean 11:35) et s’il songe à la mort horrible qui l’attend (Mt 26:36–46). À n’en pas douter, si Matthieu fait ce retour en arrière sur le meurtre infâme de Jean, c’est afin que son auditoire comprenne qu’il préfigure la passion ignominieuse du Christ. Jean a été arrêté, lié et condamné à mort par un dirigeant dépourvu de courage ; la même scène se déroulera dans la vie de Jésus.
Cette compassion qui a poussé Jésus sur la croix l’anime également pour nourrir les 5 000 hommes. Alors que Jésus veut passer du temps seul, il est interrompu encore une fois. Lorsque « la foule » (le mot « foule» apparaît à sept reprises en 14:13–23) apprit où se trouvait Jésus (sur le rivage situé au nord-ouest du lac de Galilée, à « Bethsaïda », Luc 9:10), elle « sortit des villes et le suivit à pied » (Mt 14:13). Les seuls moments qu’il a pu passer seul, c’est sur le bateau ! Pourtant, il a renoncé à lui-même et a sacrifié ses propres besoins. En effet, « Quand Jésus sortit de la barque, il vit une grande foule et fut rempli de compassion pour elle, et il guérit les malades » (14:14). Non seulement son cœur s’est ouvert pour eux (il « fut rempli de compassion », cf. 9:36 ; 15:32 ; 20:34), mais ses mains aimantes ont aussi guéri leurs corps malades et rempli leurs estomacs vides.
La célèbre mosaïque de l’Église de la Multiplication à Tabgha, représentant les poissons et les pains, env. 480 apr. J.-C. | Crédit photo : Phil Thompson, CC BY-SA 4.0
Dans ce lieu isolé (« désert », 14:15), Jésus prend « cinq pains et deux poissons » et réussit à créer suffisamment de nourriture pour « 5000 hommes, sans compter les femmes et les enfants ». Tous les estomacs ont été remplis (« Tous mangèrent et furent rassasiés »), et il y avait encore des restes (« et l’on emporta douze paniers pleins des morceaux qui restaient », 14:17–21). Bien entendu, ce miracle fait écho à la provision divine de la manne et de la viande dans le désert (Ex 16 ; Nb 11 ; voir les « restes » laissés par cent hommes qu’Élisée a nourris avec seulement vingt pains, 2R 4:42–44). Matthieu ne cherche pas seulement à faire comprendre que Jésus est plus grand que Moïse et Élisée. Cette confirmation tangible de l’identité de Jésus par le biais de la nourriture indique sa souveraineté sur toute la création.
Cette confirmation tangible de l’identité de Jésus par le biais de la nourriture indique sa souveraineté sur toute la création.
C’est aussi le cas du miracle suivant. Matthieu a relaté de nombreux miracles jusqu’ici. Entre autres, Jésus a purifié un lépreux (8:3), guéri le serviteur d’un officier romain (8:13), calmé une tempête en mer (8:26), guéri un paralysé (9:7–8), ressuscité une personne (9:25), ouvert les yeux d’un aveugle muet possédé par un démon (12:22) et nourri plus de 5 000 personnes avec cinq pains et deux poissons (14:19). Ces miracles -et le comment, quand et où ils ont été accomplis et qui en a bénéficié- nous éclairent en quelque sorte sur la nature du royaume des cieux, à savoir que quiconque (Juif ou païen, spécialiste religieux ou personne sans instruction, riche ou pauvre, homme ou femme, adulte ou enfant) reconnaît sa pauvreté spirituelle et vient à Christ par la foi pour être sauvé de la maladie, des démons et de la mort trouvera le repos auquel il aspire.
Ces miracles nous éclairent sur la nature du royaume des cieux. Quiconque reconnaît sa pauvreté spirituelle et vient à Christ par la foi pour être sauvé de la maladie, des démons et de la mort trouvera le repos auquel il aspire.
Ces miracles révèlent également l’identité de Jésus en tant que Messie promis (11:4–5) ayant l’autorité divine sur toute maladie et toute infirmité (Mt 4:23–24 ; 8:16 ; 9:35 ; 14:34–36 ; 15:29–31) et le pouvoir de pardonner les péchés (9:2, 6). Ce pardon sera obtenu en définitive à la croix (« ce sont nos souffrances qu’il a portées, c’est de nos douleurs qu’il s’est chargé », Es 53:4 cité dans Mt 8:17). En outre, ces miracles, en particulier ceux où Jésus nourrit les 5 000 hommes et marche sur l’eau, indiquent la nature divine de Jésus.
14:22–33 Jésus démontre et déclare qu’il est Dieu venu en chair. Dans Matthieu, le miracle de Jésus qui marche sur l’eau se décompose en deux parties qui se terminent chacune par des confessions christologiques frappantes (« c’est moi [qui suis] » prononcé par Jésus lui-même, 14:27 ; « Tu es vraiment le Fils de Dieu » prononcé par les disciples, 14:33b) et par l’adoration (« Ceux qui étaient dans la barque vinrent se prosterner », 14:33a).
Après être redescendu de la montagne, où il avait enfin pu passer le moment seul qu’il désirait, « A la fin de la nuit, Jésus alla vers eux en marchant sur le lac » (14:23–25). Les disciples étaient « affolés », et ils « poussèrent des cris », pensant que Jésus était « un fantôme ! » (14:26). Jésus s’écrie, vraisemblablement à travers le grondement des vagues, « Rassurez-vous, c’est moi. N’ayez pas peur ! » (14:27). « C’est moi » (ego eimi) peut-être traduit « C’est moi QUI SUIS », allusion intentionnelle à la déclaration du Seigneur au moment de l’épisode du buisson ardent (Ex 3:14 traduction Septante LXX), mais également allusion probable à la déclaration du Seigneur dans la première section sur le Serviteur en Esaïe 43:1–3, où « je suis l’Eternel, ton Dieu » dit à Israël « N’aie pas peur » parce qu’il l’a sauvé (« je t’ai racheté… Si tu traverses de l’eau, je serai moi-même avec toi »). À noter que l’affirmation de Jésus, « Je suis », se trouve en plein cœur de ce récit.
Jésus ne se contente pas de déclarer qu’il est le divin Fils de Dieu ; il le démontre de quatre manières. Premièrement, alors qu’il a passé la moitié de la journée sur une montagne, il sait exactement où se trouvent les disciples secoués par la tempête, « au milieu du lac » (14:24 ; à environ « cinq kilomètres » du rivage, Jean 6:19). Quelle vue et quel sens de la navigation surnaturels ! Deuxièmement, il marche sur l’eau pour aller vers eux (« en marchant sur le lac », Mt 14:25, 26). Seul Dieu peut dompter les eaux, qui symbolisent souvent dans les Écritures le chaos diabolique de ce monde déchu (« C’est toi qui maîtrises l’orgueil de la mer; quand ses vagues se soulèvent, c’est toi qui les calmes », Ps 89:10 ; « Tout seul, il déploie le ciel, il marche sur les hauteurs de la mer », Job 9:8). Troisièmement, Jésus a permis à Pierre de le rejoindre par le même moyen, en marchant sur l’eau. « Pierre [animé de sa foi éphémère, mais courageuse] lui répondit : « Seigneur, si c’est toi, ordonne-moi d’aller vers toi sur l’eau. »Jésus lui dit : « Viens !» Pierre sortit de la barque et marcha sur l’eau pour aller vers Jésus » (Mt 14:28–29). Quatrièmement, Jésus démontre son pouvoir divin en sauvant un homme de la noyade et en calmant la mer déchaînée. Dès que Pierre a détourné ses yeux de Jésus (« voyant que le vent était fort »), il a eu peur pour sa vie (« il eut peur », 14:30). Il avait des raisons d’avoir peur ! Pierre a commencé à couler. Il s’est écrié, « Seigneur, sauve-moi ! » (14:30). C’est ce que Jésus a fait de bonne grâce et sans tarder : « Aussitôt Jésus tendit la main, l’empoigna et lui dit : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté?» Ils montèrent dans la barque, et le vent tomba » (14:31–32).14
Ces douze versets sont un condensé de l’histoire du salut. En communion avec son Père céleste, Jésus répond aux besoins de son peuple qui périt en descendant des hauteurs les plus élevées jusqu’aux ténèbres les plus profondes. Ainsi, lorsque la lumière du matin apparaît (« alors qu’il faisait encore [partiellement] sombre », comme le matin de Pâques, Jean 20:1), il peut secourir les pécheurs qui s’écrient, « Seigneur, sauve-moi! » (14:30) (Mt 14:30).
14:34–36 La conclusion éclatante de ce chapitre peut sembler décevante à première vue. Mais il s’agit en réalité du point culminant (d’un point de vue spirituel) de l’évangile de Matthieu !
« Après avoir traversé le lac, ils arrivèrent dans la région de Génésareth. Les habitants de cet endroit reconnurent Jésus ; ils envoyèrent des messagers dans tous les environs et on lui amena tous les malades. Ils le suppliaient de leur permettre seulement de toucher le bord de son vêtement, et tous ceux qui le touchèrent furent guéris. » (14:34–36)
Regardez la foi de cette région. Et quelle foi ! Une foi en action. Les patriarches de cet endroit (« les habitants ») savaient qui était Jésus (ils « reconnurent Jésus »), et ils ont répondu en aimant leur prochain, et même leurs ennemis. Les verbes employés à propos de ces chefs sont évocateurs : « ils envoyèrent des messagers dans tous les environs et on lui amena [ce sont eux qui ont fait le travail, comme les amis du paralysé] tous les malades. Ils le suppliaient [après s’être donné de la peine et avoir réussi à atteindre Jésus] de leur permettre seulement de toucher le bord de son vêtement. » Est-ce une foi superstitieuse ? Non ! C’est une foi authentique, la même que celle de la femme qui souffrait d’hémorragies depuis douze ans. Comment le savons-nous ? C’est Jésus qui le dit, et qui le prouve. « … et tous ceux qui le touchèrent furent guéris. »
Absence de foi, petite foi et grande foi (15:1–16:28)
La section suivante décrit de nouveaux miracles accomplis par Jésus et différentes réactions en fonction des régions. Ces réactions peuvent se résumer avec les expressions suivantes : absence de foi, petite foi et grande foi. Les scribes et les pharisiens font preuve d’une absence de foi totale en Jésus. Ils remettent à nouveau en cause le ministère de Jésus et demandent un signe. Les douze continuent de manifester certains aspects d’une foi authentique (ils suivent Jésus, apprennent de lui et Pierre fait une confession magnifique quant à l’identité de Jésus -« Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant », 16:16). Les disciples, en revanche, ne comprennent toujours pas la mission de Jésus (aller jusqu’à la croix) ni la leur (porter leur propre croix). À l’inverse, les gens de la foule, en particulier une femme cananéenne, font preuve d’une foi extraordinaire.
La « grande foi » de la femme cananéenne (15:21–28)
En 15:21–28, Matthieu parle de la « grande foi » d’une femme cananéenne du territoire de Tyr et de Sidon.15 Sa « grande » foi se manifeste de quatre façons différentes. Premièrement, elle reconnaît à juste titre que Jésus est « Fils de David » (15:22) et « Seigneur » (15:22, 25, 27). Deuxièmement, elle a une entière confiance dans la puissance de Jésus pour guérir sa fille, qui est « cruellement tourmentée par un démon » (15:22). Elle croit que Jésus peut vaincre les forces du mal et déverser sa miséricorde sur ceux qui se confient en lui. Troisièmement, elle croit que la mission du Messie juif doit s’étendre aux païens. Et donc, quatrièmement, elle persévère. Elle n’est ni découragée par le mécontentement des disciples (« Renvoie-la », 15:23) ni par le silence initial de Jésus. Face à ce silence de Jésus (« Il ne lui répondit pas un mot », 15:23), elle persévère dans sa prière (« Mais elle vint se prosterner devant lui et dit: «Seigneur, secours-moi!» », 15:25). Et quand Jésus lui répond « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la communauté d’Israël » (15:24) et « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants [Israël] et de le jeter aux petits chiens [les païens] (15:26), elle lui demande de commencer à exécuter le Mandat Missionnaire sans plus tarder : « Oui, Seigneur, dit-elle, mais les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres » (15:27). Jésus partage son avis. Après avoir fait l’éloge de cette femme païenne (que Matthieu décrit comme une « cananéenne », terme archaïque employé pour désigner les anciens ennemis d’Israël), il répond à sa requête («« Femme, ta foi est grande ! Sois traitée conformément à ton désir ». A partir de ce moment, sa fille fut guérie », 15:28). Elle reçoit des « miettes » impressionnantes !
La ville romaine de Tyr
4 000 personnes nourries (15:29–39)
Dans la scène suivante, la guérison des malades et les 4 000 personnes nourries, Matthieu associe le motif récurrent du pain et le thème de l’incorporation des païens. Jésus est monté sur une montagne près du lac de Galilée (15:29–31) puis « s’y assit ». Une foule ayant fait le voyage avec lui a amené « aux pieds » de Jésus ceux qui avaient besoin d’être guéris : « des boiteux, des aveugles, des muets, des estropiés et beaucoup d’autres malades », et « il les guérit » tous (15:30). La réaction des gens semble tout à fait normale. À l’étonnement (« la foule était émerveillée ») a succédé l’adoration (« elle célébrait la gloire du Dieu d’Israël », 15:31).
Ensuite, voyant leur faim, Jésus leur ouvre à nouveau ses entrailles : « Jésus appela ses disciples et leur dit : « Je suis rempli de compassion pour cette foule, car voilà trois jours qu’ils sont près de moi et ils n’ont rien à manger. Je ne veux pas les renvoyer à jeun, de peur que les forces ne leur manquent en chemin. » » (15:32). Les disciples doutent du fait que « dans cet endroit désert », leurs rations (« Sept [pains] et quelques petits poissons »), ajoutées à celles d’autres personnes, puissent suffire à « rassasier une si grande foule » (15:33–34), pas moins de « 4000 hommes, sans compter les femmes et les enfants » (15:38). Jésus prend les choses en main. Il fait asseoir la foule, prend la nourriture et demande aux disciples de la distribuer. Et miraculeusement, la nourriture ne manque pas. La foule est repue (« Tous mangèrent et furent rassasiés ») et, comme la fois où Jésus a nourri les 5 000 hommes, il y a même des restes (« sept corbeilles pleines des morceaux qui restaient », 15:37).
La plupart des commentateurs considèrent que cette foule se composait essentiellement de païens en raison de l’endroit où ce miracle a eu lieu (« la région de la Décapole », Marc 7:31), du contexte littéraire (Jésus vient de « nourrir » la femme cananéenne et sa fille), de cette affirmation unique (« elle célébrait la gloire du Dieu d’Israël », Mt 15:31), et de l’étude des nombres (de même que les douze paniers de restes pour les 5 000 Juifs étaient symboliques de la merveilleuse providence de Dieu envers les tribus d’Israël, les sept paniers de restes pour les 4 000 païens symbolisaient la portée élargie de la mission de Christ). Comme la femme cananéenne l’a déclaré, Jésus est le Messie (« Fils de David ») et sa mission consiste à accomplir la promesse faite à Abraham (« fils d’Abraham », 1:1).
« C'est faussement qu'ils m'honorent » (16:1–12, voir 15:1–20)
Ensuite, Jésus « renvoya la foule, monta dans la barque et se rendit dans la région de Magdala » (15:39). Il y rencontre les pharisiens et les sadducéens (16:1–12). Ici comme en 15:1–20, où il fait face aux chefs religieux juifs, Jésus condamne leur manque de foi et met ses disciples en garde vis-à-vis d’eux.
Magdala (Magadan), ville natale de Marie Madeleine, photo datée d’env. 1890–1900 | Crédit photo : Bibliothèque du Congrès des États-Unis, domaine publique
15:1–20 Les pharisiens et les scribes de Jérusalem interrogent Jésus, « Pourquoi tes disciples transgressent-ils la tradition des anciens? En effet, ils ne se lavent pas les mains quand ils prennent leur repas » (15:2). Replacée dans son contexte, cette question est grotesque. Au lieu de demander à Jésus quelle est l’origine de sa sagesse et de ses prodiges (qui sont manifestés au grand jour dans Matthieu 8 à 14), ou de lui demander humblement, « Qui es-tu ? » ou « Que dois-je faire pour avoir part à ton royaume » ? », ils lui posent une question sur le lavage des mains. Marc donne plus de détails sur leur tradition : « Or, les pharisiens et tous les Juifs ne mangent pas sans s’être lavé soigneusement les mains… Et quand ils reviennent de la place publique, ils ne mangent pas avant de s’être purifiés. Ils tiennent encore à beaucoup d’autres traditions comme le lavage des coupes, des cruches et des vases de bronze » (Marc 7:3–4). Jésus connaît leurs traditions humaines, et elles lui inspirent du dégoût. Il répond en posant lui aussi une question : « Et vous, pourquoi transgressez-vous le commandement de Dieu au profit de votre tradition ? » (Mt 15:3).
Jésus prend ensuite en exemple le lavage des mains pour leur expliquer qu’ils n’observent pas la loi. Il aurait pu leur dire que le commandement relatif au lavage des mains concernait seulement les prêtres avant qu’ils ne s’acquittent de leurs fonctions (Lv 22), mais ne concernait pas le lavage des mains de tout un chacun avant chaque repas. Mais il choisit de se référer à Exode et Ésaïe. Dans Exode 20:12, « Dieu a dit: Honore ton père et ta mère », et dans Exode 21:17 il a déclaré, « Celui qui maudira son père ou sa mère sera puni de mort » (Mt 15:4). Ainsi, Jésus affirme qu’ils annulent « la parole de Dieu » en enseignant que « celui qui dira à son père ou à sa mère : ‘Ce dont j’aurais pu t’assister est une offrande à Dieu’ n’est pas tenu d’honorer son père » (15:5–6). Ici, Jésus fait référence à la tradition du Corban, tradition selon laquelle quelqu’un s’engage à verser au temple de l’argent qui ne peut plus être utilisé pour un usage personnel (comme aider ses parents dans leurs vieux jours). Parce que Jésus avait en horreur la manière dont ils enfreignaient la loi de Dieu ainsi que le commandement d’aimer son prochain (y compris leurs propres parents), Jésus s’est insurgé contre eux : « Hypocrites, Esaïe a bien prophétisé sur vous, quand il a dit : Ce peuple [prétend s’approcher de moi et] m’honore des lèvres, mais son cœur est éloigné de moi. C’est faussement qu’ils m’honorent en donnant des enseignements qui sont des commandements humains » (Mt 15:7–9, citant Es 29:13).
Jésus poursuit en s’adressant non plus aux enseignants des traditions, hommes hypocrites qui enfreignent la loi, mais à « la foule » (Mt 15:10), et notamment à « ses disciples » (15:12), à qui il donne une leçon sur la vraie pureté. En s’appuyant sur les commandements de la deuxième moitié du Décalogue, Jésus enseigne que « ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur, mais ce qui sort de la bouche. Voilà ce qui rend l’homme impur » (15:11). Il prononce un jugement terrible contre les pharisiens et les scribes : « … ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles ». De ce fait, eux et ceux qu’ils conduisent courent à leur ruine (« … si un aveugle conduit un aveugle, ils tomberont tous les deux dans un fossé », 15:14). Il dit aux disciples « Laissez-les » car Dieu les jugera bientôt : « Toute plante que n’a pas plantée mon Père céleste sera déracinée » (15:13–14). Ensuite, Jésus explique « la parabole » de la bouche sale, en déclarant que « manger sans s’être lavé les mains, cela ne rend pas l’homme impur » (15:20). L’impureté vient du cœur et sort de la bouche. Ce n’est pas au niveau des mains et du ventre qu’il faut rechercher l’impureté, mais bien du cœur et de la bouche : « Mais ce qui sort de la bouche vient du cœur, et c’est ce qui rend l’homme impur. En effet, c’est du cœur que viennent les mauvaises pensées, les meurtres, les adultères, l’immoralité sexuelle, les vols, les faux témoignages, les calomnies » (15:18–19).
16:1–12 Matthieu 16:1–4 relate d’autres escarmouches entre Jésus et les chefs religieux juifs. Les pharisiens et les saducéens se liguent pour éprouver Jésus, formant une alliance quelque peu incongrue. En effet, les deux groupes ont des avis divergents sur un grand nombre de points théologiques. « Les pharisiens et les sadducéens abordèrent Jésus et, pour le mettre à l’épreuve, lui demandèrent de leur faire voir un signe venant du ciel » (16:1). La multiplication des pains ne leur suffit pas. Ils veulent que ses prétentions divines (voir Mt 7:21–23 ; 9:2 ; 11:4–6, 27 ; 12:28) soient attestées par quelque miracle céleste, comme la manne venant du ciel ou une nuée qui descendrait sur eux pendant qu’ils parlent. Bien sûr, ce qu’ils demandent est d’inspiration satanique car cela va à l’encontre de la mission de Jésus, à savoir la croix.
La réponse de Jésus est remarquable. Alors qu’ils savent prédire le temps qu’il fera (« [Le soir, vous dites : ‘Il fera beau, car le ciel est rouge’, et le matin : ‘Il y aura de l’orage aujourd’hui, car le ciel est d’un rouge sombre.’), ils ne peuvent pas « discerner les signes des temps »] (16:2–3). Rechercher des signes de la sorte est satanique ! « Une génération mauvaise et adultère réclame un signe [céleste], il ne lui sera pas donné d’autre signe que celui [terrestre] de Jonas » (16:4 ; cf. 12:39). Le modèle du prophète est celui qu’ils devraient rechercher dans le Messie. Le Fils du Père céleste qui vient sur terre, voilà le signe venant du ciel qui leur est donné. Le signe de Jonas évoque certainement la mort, la mise au tombeau et la résurrection de Jésus (Jonas était enfoui dans les profondeurs, comme mort, jusqu’à ce que le grand poisson le délivre de la mort). Il peut également représenter le sacrifice personnel (Jonas voulait être jeté par-dessus bord pour que le bateau soit sauvé) et la mission auprès des païens (malgré ses réticences, Jonas a prêché aux Assyriens et ils se sont repentis). Les disciples de Jésus sont rassasiés par le pain vivant descendu du ciel- la mort sacrificielle et la résurrection extraordinaire du Fils de David qui est venu pour accomplir l’alliance abrahamique.
Dans Matthieu 15 à 16, l’évangéliste rapporte les différentes réactions suscitées par Jésus. Les foules et la femme cananéenne font preuve de foi envers lui. Elles croient qu’il peut sauver, et il sauve. Les chefs religieux, eux, ne manifestent aucune foi. Aussi remettent-ils en cause la personne et la puissance de Jésus. Parfois, les disciples manifestent une foi authentique ; parfois, ils font preuve de ce que Jésus qualifie de « peu de foi ». Dans ces chapitres, trois incompréhensions nous renseignent sur la nature de ce « peu de foi ».
Premièrement, ils ne comprennent pas la puissance de Jésus. « En passant sur l’autre rive », les disciples se sont aperçus qu’ils avaient oublié de prendre du pain (« nous n’avons pas pris de pains », 16:7 ; « les disciples avaient oublié de prendre des pains », 16:5 ; ils raisonnaient en eux-mêmes « sur le fait [qu’ils n’avaient] pas pris de pains », 16:8). Cette discussion est risible car Jésus, « sachant » la teneur de leur conversation, déclare, « Hommes de peu de foi, pourquoi raisonnez-vous en vous-mêmes sur le fait que vous n’avez pas pris de pains ? Ne comprenez-vous pas encore et ne vous rappelez-vous plus les cinq pains des 5000 hommes et combien de paniers vous avez emportés, ni les sept pains des 4000 hommes et combien de corbeilles vous avez emportées ? » (16:8–10). Quel oubli teinté d’incrédulité ! Avaient-ils réellement oublié ce qui s’était passé deux fois quelques jours plus tôt quand ils se trouvaient dans un endroit désert sans avoir assez de nourriture pour eux-mêmes et pour la foule ? Jésus a nourri plus de 5 000 hommes et il y a eu douze paniers de restes, (14:13–21) puis plus de 4 000 hommes et il y a eu sept paniers de restes (15:32–38). Pour Jésus, leur préoccupation (« les disciples avaient oublié de prendre des pains 16:5) ne devait pas être un problème. S’il a nourri 4 000 hommes avec sept pains et 5 000 hommes avec cinq pains, imaginez ce qu’il pouvait faire avec zéro pain.
Deuxièmement, ils ne voient pas les dangers des faux enseignements (15:12). Ce point est particulièrement évident en 16:5–12, où Jésus les avertit à trois reprises : « Méfiez-vous du levain des pharisiens et des sadducéens » (16:6, 11, 12). Comme le levain, leur enseignement peut passer inaperçu, mais ses conséquences sont manifestes : il annule la Parole de Dieu et place des fardeaux insupportables sur le dos des gens. Soit ils ajoutent leur propre enseignement aux Écritures (les rituels du lavage des mains des spécialistes de la loi et des pharisiens, 15:2), soit ils retranchent quelque chose des Écritures (les sadducéens nient la résurrection, 22:23).
Troisièmement, ils ne comprennent pas la mission de Christ. Plus tôt, ils se sont mépris sur l’étendue de la mission de Jésus. Ceci explique en partie pourquoi ils « prièrent » Jésus de renvoyer la femme cananéenne (15:23, version Darby). En 16:13–28, ils ne comprennent pas que la crucifixion de Christ est nécessaire et qu’eux-mêmes doivent mener une vie de conformité à la croix.
« Tu es le Messie » (16:13–28)
16:13–16 Cette péricope, qui se déroule dans « le territoire de Césarée de Philippe », commence par une question de Jésus à propos de son identité, « Qui suis-je, d’après les hommes, moi le Fils de l’homme? » (16:13). Les disciples répondent, « Les uns disent que tu es Jean-Baptiste ; les autres, Elie; les autres, Jérémie ou l’un des prophètes. » (16:14). Qu’il soit l’Élie tant attendu, Jean-Baptiste qui a été exécuté peu de temps auparavant, ou Jérémie, prophète tenu en haute estime par le peuple, revenu d’entre les morts, il est entendu qu’il est plus qu’un simple prophète. Il s’adresse directement à ses disciples à travers une question, « Et d’après vous, qui suis-je ? » (16:15). Simon Pierre donne la bonne réponse, « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant. » (16:16). Jésus se présente comme « le Fils de l’homme », le souverain céleste dont la domination s’étendra sur toutes les nations et sera sans fin. Pierre l’appelle « le Christ » (LSG), c’est-à-dire l’oint qui avait été promis, le roi issu de la lignée de David qui règnera sur le peuple de Dieu (2S 7).
16:17–20 Il s’agit à la fois d’un point culminant (la grande confession !) et d’un tournant (Jésus se dirige maintenant vers Jérusalem) de l’Évangile. Jésus répond en révélant à Pierre la grâce de Dieu envers lui : « Tu es heureux, Simon, fils de Jonas, car ce n’est pas une pensée humaine qui t’a révélé cela, mais c’est mon Père céleste » (Mt 16:17). Mais il ne s’arrête pas là. « Et moi, je te dis que tu es Pierre et que sur ce rocher je construirai mon Église, et les portes du séjour des morts ne l’emporteront pas sur elle. Je te donnerai les clés du royaume des cieux : ce que tu lieras sur la terre aura été lié au ciel et ce que tu délieras sur la terre aura été délié au ciel » (16:18–19).
L’expression « ce rocher » peut faire référence à la confession de Pierre, à Pierre lui-même ou à Jésus. D’un point de vue linguistique, il semble logique que Pierre soit le rocher, étant donné que Jésus est le sujet de la phrase (« je construirai »), que « mon Eglise » soit le complément d’objet, et « sur ce rocher », le lieu de la construction. C’est sur l’autorité apostolique de Pierre que l’Église sera bâtie (voir Actes 1–15, où il est mentionné à 56 reprises). Le jeu de mots de Jésus entre « rocher » (petra) et « Pierre » (Petros) soutient cette hypothèse. Toutefois, il est plus probable que Jésus soit le rocher. Les propos rapportés à la fois dans Matthieu (où Jésus compare ses « paroles » au fait de construire sur un « rocher », 7:24, 25, et se présente comme « La pierre qu’ont rejetée ceux qui construisaient », 21:42) et ailleurs dans le Nouveau Testament confortent cette thèse. Les mots « rocher » et « pierre » sont employés en référence à une seule personne : Jésus (par exemple, « et ce rocher était Christ », 1Co 10:4 ; « une pierre qui fait obstacle, un rocher propre à faire trébucher », Rm 9:33). Même si les apôtres font partie de la « fondation » du projet de construction de Jésus, « Jésus-Christ lui-même », et lui seul, est la « pierre angulaire » (Ep 2:19–22).
Même s’il ne peut pas être qualifié de « rocher », Pierre (tout comme les autres disciples, car le terme « vous » est employé, cf. 18:18) reçoit un rôle unique au sein du royaume. « [L]es clés du royaume des cieux » sont données aux douze, de sorte que ce qu’ils lieront « sur la terre aura été lié au ciel » et ce qu’ils délieront « sur la terre aura été délié au ciel » (16:19). Comme le dit Zwingli, les clés « sont la prédication … de l’Évangile ». Les verbes lier et délier signifient que « celui qui croit cet [Évangile] sera libéré de ses péchés et sauvé » et « celui qui ne croit pas … sera condamné. »16 On ne peut entrer dans le royaume que par le témoignage que les apôtres donnent à propos de Jésus.
16:21–28 Matthieu revient sur la compréhension erronée qu’ont les disciples de la mission de Jésus et de leur propre mission. Il conclut ce chapitre important par les paroles de Jésus, qui annonce sa passion, sa mort et sa résurrection futures, et souligne que ses disciples devront le suivre sur le chemin de la souffrance. Après la confession de Pierre et le mandat conféré par Jésus (lier et délier), « Dès ce moment » (il s’agit du premier des onze passages où Jésus parle de sa mission à Jérusalem)17 Matthieu écrit, « Jésus commença à montrer à ses disciples qu’il devait aller à Jérusalem, beaucoup souffrir de la part des anciens, des chefs des prêtres et des spécialistes de la loi, être mis à mort et ressusciter le troisième jour » (16:21). Voilà où réside la mauvaise compréhension. Lorsque Pierre pense au « Christ », il pense au « Christ conquérant », pas au « Christ crucifié ». Il imagine une guerre sainte et une victoire sainte dans la ville sainte. Alors Pierre prend Jésus à part et le reprend, « Que Dieu t’en garde, Seigneur ! Cela ne t’arrivera pas » (16:22). Mais Jésus le reprend plus fortement encore, « Arrière, Satan, tu es un piège pour moi, car tes pensées ne sont pas les pensées de Dieu, mais celles des hommes » (16:23). Comme Satan, Pierre incitait Jésus à renoncer à Gethsémané et à Golgotha et à choisir directement la gloire. Mais Jésus a refusé de porter la couronne avant la croix. Il a aussi indiqué clairement à ses disciples que sa passion serait aussi la leur : « Alors Jésus dit à ses disciples : «Si quelqu’un veut être mon disciple, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive! En effet, celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui la perdra à cause de moi la retrouvera. Que servira-t-il à un homme de gagner le monde entier, s’il perd son âme ? Ou que pourra donner un homme en échange de son âme ?» » (16:24–26).
Pour obtenir la victoire finale, le chrétien fait face à ce paradoxe : il doit perdre sa vie pour trouver la vie éternelle.
Dans son excellent commentaire, Frederick Dale Bruner répond à la question, « Quelles sont les caractéristiques d’un chrétien ? » par deux critères : 1) confesser Jésus en tant que Christ (christocentrisme) et 2) suivre Jésus en tant que Christ souffrant (crucio-christocentrisme).18 Pour obtenir la victoire finale, le chrétien fait face à ce paradoxe : il doit perdre sa vie (renoncer à lui-même et se charger de sa croix) pour trouver la vie éternelle. Pourquoi vivre une vie centrée sur la croix ? À la fin, ceux qui se sont unis à Christ dans cette vie célébreront la victoire quand il viendra pour juger (« le Fils de l’homme va venir dans la gloire de son Père, avec ses anges, et alors il traitera chacun conformément à sa manière d’agir », 16:27). Ceux qui ont sacrifié leur temps, leur argent, leurs avantages, leur confort et leur sécurité pour servir de manière désintéressée la cause de Christ et son peuple souffrant, par exemple en donnant à manger à ceux qui avaient faim, en donnant à boire à ceux qui avaient soif, en accueillant les étrangers, en habillant ceux qui étaient nus, en rendant visite aux malades et en allant vers ceux qui étaient en prison (voir 25:31–46), recevront la gloire éternelle, une gloire manifestée lors du retour de Christ mais également lors de la transfiguration (« Je vous le dis en vérité, quelques-uns de ceux qui sont ici ne mourront pas avant d’avoir vu le Fils de l’homme venir dans son règne [sa gloire] », 16:28).
Ceux qui ont sacrifié leur temps, leur argent, leurs avantages, leur confort et leur sécurité pour servir de manière désintéressée la cause de Christ et son peuple souffrant recevront la gloire éternelle.
Qui était présent à la croix ? (17:1–23)
La section suivante se termine par la détresse des disciples (« Ils furent profondément attristés », 17:23b). Ils étaient troublés car Jésus leur a annoncé sa mort prochaine (« Le Fils de l’homme doit être livré entre les mains des hommes ; ils le feront mourir et le troisième jour il ressuscitera », 17:22–23a). Remarquez à nouveau la façon dont Jésus se présente. Trente fois dans Matthieu, il se présente comme « Fils de l’homme ». C’est le titre qu’il utilise le plus, et de loin, pour parler de lui. Un titre qui correspond bien à son héritage davidique, mais également à la transfiguration.
17:1–8 « Six jours après » (une allusion à la fois au récit de la création, Gn 1:31, et à la rencontre de Moïse avec la gloire de Dieu sur une montagne où le Seigneur l’a appelé au bout de six jours, Ex 24:16), Jésus emmène son cercle apostolique restreint, c’est-à-dire Pierre, Jacques et Jean, « sur une haute montagne » (Mt 17:1), pour montrer à ces futures colonnes de l’Église quelle est la pierre angulaire sur laquelle ils doivent construire. Le Fils de l’Homme est le Fils bien-aimé de Dieu.
Cette vérité est proclamée à l’occasion d’un formidable spectacle son et lumière : « Il fut transfiguré devant eux ; son visage resplendit comme le soleil et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière » (17:2). Le mot grec metemorphōthē peut désigner un changement de constitution. Ici, cependant, l’accent n’est pas mis sur un changement de forme (Jésus ne redevient pas un être invisible, comme avant son incarnation), mais d’aspect. Jésus resplendit « comme le soleil lorsqu’il brille dans toute sa force » (Ap 1:16). Le parallèle poétique et l’allitération dans Matthieu 17:2 renforcent cet argument :
son visage
resplendit
[comme] le soleil [hōs ho heliōs]
et ses vêtements
devinrent blancs
comme [la] lumière [hōs to phōs]
Cette vision éclatante pointe à l’évidence vers la gloire divine de Jésus, la gloire de la Shekhina qui a guidé Israël dans le désert (Ex 13:21), est descendue sur Moïse au Sinaï (24:15–18), a rempli le tabernacle et le temple (40:34–35 ; 2Ch 7:1–3). Et ce jour-là, « une nuée lumineuse les couvrit » pendant que Jésus reprenait Pierre. L’éclat de Jésus est aussi grand que celui de son Père qui a déclaré depuis cette nuée, « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute mon approbation : écoutez-le! » (Mt 17:5).
Les paroles prononcées lors de cette théophanie (« écoutez-le ! ») sont particulièrement marquantes compte tenu de la scène à laquelle les trois disciples viennent d’assister (« Moïse et Elie leur apparurent ; ils s’entretenaient avec lui », 17:3). Pierre était tellement émerveillé par le fait que les deux plus grands prophètes des Écritures qu’il connaissait se tenaient là devant lui, qu’il est passé à côté de cette vérité essentielle : « la Loi » (Moïse) et « les Prophètes » (Elie) pointent vers Jésus et sont accomplis en lui. En fait, pour le lecteur attentif, Matthieu 17:3 est juste une confirmation visuelle de la déclaration de Jésus en 5:17. Pierre, qui utilise le bon titre pour désigner Jésus mais ne réalise pas que Jésus est le Seigneur de Moïse et d’Élie, répond « Seigneur, il est bon que nous soyons ici. Si tu le veux, faisons ici trois abris : un pour toi, un pour Moïse et un pour Elie » (17:4). Pour corriger la compréhension erronée de Pierre (Emmanuel n’a pas besoin d’un mini-temple sur une haute montagne à côté de deux de ses serviteurs), Dieu envoie un signe venant du ciel, une voix forte au milieu d’une nuée lumineuse : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute mon approbation : écoutez-le ! » (17:5). La voix du Père, qui se fait entendre uniquement en cette occasion et lors du baptême de Jésus, reprend à la fois le Psaume 2:7(« Tu es mon fils », écrit en référence au roi oint) et Ésaïe 42:1 (écrit à propos du Serviteur Souffrant, « qui a toute mon approbation »). Pierre, Jacques et Jean sont légitimement effrayés par ces mots (ils « tombèrent le visage contre terre et furent saisis d’une grande frayeur » Mt 17:6). Mais Jésus manifeste aussitôt sa grâce envers eux par un geste (« Jésus s’approcha d’eux, les toucha ») et par sa parole (« Levez-vous, n’ayez pas peur ! », 17:7). Puis il apporte une correction visible (« Ils levèrent les yeux et ne virent plus que Jésus seul », 17:8). Jésus seul ! Il n’est pas l’un des prophètes, il est « le prophète » (Dt 18:15) et plus qu’un porte-parole humain (il est le Fils bien-aimé du Père). À ce titre, il est la parole ultime de Dieu : « Après avoir autrefois, à de nombreuses reprises et de bien des manières, parlé à nos ancêtres par les prophètes, Dieu, dans ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils » (He 1:1–2a).
17:9–13 En redescendant, Jésus a ordonné au trio de garder pour eux ce à quoi ils avaient assisté (« Ne parlez à personne de ce que vous avez vu ») jusqu’à ce qu’ils observent l’histoire complète du salut se dérouler sous leurs yeux (« jusqu’à ce que le Fils de l’homme soit ressuscité », Mt 17:9). Plus tard, au verset 23, les douze seront ébranlés quand Jésus parlera de sa mort, et ici, au verset 9, Pierre, Jacques et Jean sont troublés : le Fils de l’homme mort ? Ils demandent alors à Jésus des éclaircissements, « Pourquoi donc les spécialistes de la loi disent-ils qu’Elie doit venir d’abord ? » (17:10), une référence à Malachie 2:23 où Dieu parle d’envoyer Élie pour apporter la restauration avant « le jour de l’Eternel, ce jour grand et redoutable ». Jésus répond en évoquant « Jean-Baptiste » (Mt 17:13). Il affirme que Jean était ce type d’Élie (« mais je vous le dis : Elie est déjà venu », 17:12, cf. Luc 1:17) qui a apporté la restauration à travers sa prédication de la repentance. Pourtant, ceux qui « ne l’ont pas reconnu » comme tel l’ont entièrement rejeté (« et ils l’ont traité comme ils ont voulu », Mt 17:12). Jean a été décapité (14:1–11), une mort cruelle qui devait préfigurer le sort réservé à Jésus (« De même le Fils de l’homme souffrira de leur part », 17:12).
Sur la montagne, Jésus enseigne à Pierre, Jacques et Jean une leçon sur le paradoxe fondateur de la foi chrétienne :
Le Christ glorifié, portant des vêtements resplendissants, se tenant sur une haute montagne, flanqué de deux géants religieux d’autrefois, entouré de lumière, est aussi le Christ humilié dont les vêtements ont été arrachés et partagés, celui qui a été élevé en croix, flanqué de deux criminels de droit commun, tandis que les ténèbres envahissent la terre. Quel contraste entre la transfiguration (17:1–8) et la crucifixion (27:33–54) ! La lumière et les ténèbres, deux saints et deux pécheurs ; et, au milieu de tout cela, Jésus. La voix de Dieu qui se fait entendre du ciel déclare « Celui-ci est mon Fils bien-aimé » (17:5) et le soldat païen affirme peu de temps après la crucifixion, « Cet homme était vraiment le Fils de Dieu », (27:54).19
17:14–23 Une fois que Jésus, Pierre, Jacques et Jean sont arrivés dans la vallée, un homme parmi la foule s’est approché de Jésus et l’a imploré, « Seigneur, aie pitié de mon fils qui est épileptique et qui souffre cruellement; il tombe souvent dans le feu ou dans l’eau. » (17:15). Si cet homme s’approche de Jésus ainsi, c’est parce que neuf apôtres sur neuf ont échoué (« Je l’ai amené à tes disciples et ils n’ont pas pu le guérir », 17:16 ; ils n’ont « pas pu chasser ce démon », 17:19). L’échec des disciples et le monde infesté de démons dans lequel Jésus pénètre à nouveau exaspèrent Jésus. Reprenant les idées et les paroles exprimées par YHWH (Dt 31:19 ; 32:5, 20 ; Nb 14:11, 26-27 ; Es 46:12a), Jésus déclare, « Génération incrédule et perverse […] jusqu’à quand serai-je avec vous? Jusqu’à quand devrai-je vous supporter ? Amenez-le-moi ici » (17:17). Jésus prend le problème à bras-le-corps. Il lui faut moins d’une seconde pour chasser le démon : « Jésus menaça le démon, qui sortit de l’enfant, et celui-ci fut guéri à partir de ce moment-là » (17:18).
Les disciples sont frappés non par le miracle mais par leur propre impuissance. Ainsi, les disciples s’approchent « en privé » de Jésus et lui demandent, « Pourquoi n’avons-nous [ils croient encore en eux-mêmes !] pas pu chasser ce démon ? » (17:19). Encore une fois, Jésus identifie leur manque de foi comme l’origine du problème. « C’est parce que vous manquez de foi ». « Je vous le dis en vérité, si vous aviez de la foi comme un grain de moutarde, vous diriez à cette montagne : ‘Déplace-toi d’ici jusque-là’, et elle se déplacerait ; rien ne vous serait impossible » (17:20). La différence entre une petite foi et une foi de la taille d’un grain de moutarde, c’est la différence entre l’échec des disciples et le succès du Père. Alors que Jésus a accordé aux douze la capacité et le pouvoir de chasser les démons (10:1, 8), ils se sont probablement confiés en leur propre force. Dans le récit parallèle de Marc, Jésus déclare, « Cette espèce-là ne peut sortir que par la prière » (Marc 9:29). Pas de prière, pas de puissance. À l’inverse, le père du jeune garçon supplie Jésus : il vient à lui, s’agenouille devant lui, appelle Jésus « Seigneur » et implore sa pitié. C’est avec ce genre de prière, une humble dépendance envers Jésus et une entière confiance en sa puissance toute suffisante, que cet homme déplace une montagne.
Leçons sur la vie de disciple (17:24–20:34)
Alors que Jésus et ses disciples poursuivent leur voyage jusqu’à Jérusalem, Jésus enseigne et illustre dix leçons sur la vie de disciple.
Le paiement de l’impôt du temple (17:24–27)
La première leçon, c’est que les enfants du royaume doivent user de leur liberté pour aimer les autres. Cela est illustré en Matthieu 17:24–27, où il est question du paiement de l’impôt du temple. Lorsque Jésus et les disciples sont retournés à Capernaüm, « ceux qui percevaient l’impôt annuel s’approchèrent de Pierre et lui dirent : « Votre maître ne paie-t-il pas l’impôt annuel ?» « Si», dit-il » (17:24–25a). Il s’agissait d’un impôt annuel pour l’entretien et les réparations du temple d’Hérode, selon le commandement d’Exode 30:12–14 : « … chacun d’eux paiera à l’Eternel le rachat de sa propre personne » en donnant « une demi-pièce d’après la valeur étalon du sanctuaire… prélevée pour l’Eternel. »
Pièce d’un demi-shekel datée de 67/68 apr. J.-C. | Crédit photo : Classical Numismatic Group, Inc., CC BY-SA 4.0
En privé, Jésus a enseigné à Pierre la leçon ci-dessus. « Qu’en penses-tu, Simon ? Les rois de la terre, de qui perçoivent-ils des taxes ou des impôts ? De leurs fils ou des étrangers ? » (17:25). Pierre a répondu, « Des étrangers », après quoi Jésus a ajouté, « Les fils en sont donc exemptés » (17:26). En somme, les enfants du royaume sont exemptés de taxes. La remarque de Jésus est pleine de subtilité (que Pierre n’a sans doute pas décelée). Elle sous-entend qu’il n’est pas nécessaire de payer l’impôt du temple si Jésus est plus grand que le temple puisqu’il remplacera le temple (Mt 12:6 ; 21:12–23 ; 24:2). Pourquoi payer des prêtres, des matières sacrificielles et des murs en pierre alors que Jésus a tout payé avec son propre sang (« le Fils de l’homme est venu […] donner sa vie en rançon », 20:28) ?
Ceci étant, Jésus est conscient que le temple est toujours debout, et toujours fonctionnel. Par conséquent, pour ne pas « choquer » (17:27) ceux qui contribuent à maintenir le système en place, Jésus pourvoit de manière miraculeuse, afin qu’ils puissent payer l’impôt. Il dit à Pierre, « … va au lac, jette l’hameçon et tire le premier poisson qui viendra » (17:27). Il lui annonce d’avance que, quand Pierre ouvrira la bouche du poisson, il trouvera une pièce d’argent (shekel) pour couvrir leurs dépenses (17:27). Comme on pouvait s’y attendre, tout se passe comme prévu. La leçon que Jésus enseigne ici est reprise en 1 Corinthiens 9:12 où Paul demande de supporter « tout afin de ne pas créer d’obstacle à l’Évangile. »
Qui est le plus grand ? (18:1–6)
La deuxième leçon a trait à l’humilité. Les disciples s’approchent de Jésus et demandent, « Qui donc est le plus grand dans le royaume des cieux ? » (18:1). Jésus répond à leur question sur ce qui est élevé au moyen d’une réprimande visuelle et verbale relative à l’entrée dans le royaume : « Jésus appela un petit enfant, le plaça au milieu d’eux et dit : « Je vous le dis en vérité, si vous ne vous convertissez pas et si vous ne devenez pas comme les petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. C’est pourquoi, celui qui se rendra humble comme ce petit enfant sera le plus grand dans le royaume des cieux » » (18:2–4). Il appelle ses disciples présomptueux à se repentir (se convertir) et à se souvenir de leur disposition de cœur initiale, celle d’une confiance enfantine (« devenir comme les petits enfants »). Devenir comme les petits enfants est synonyme d’humilité – « celui qui se rendra humble comme ce petit enfant » (18:4), un enfant qui a fait confiance à Jésus quand il l’a appelé (« appela un petit enfant ») et a obéi à ce qu’il lui demandait de faire (« le plaça au milieu d’eux »). C’est la seule manière d’entrer dans le royaume. Et la seule manière de s’y élever, pour ainsi dire, c’est de s’abaisser. Le chrétien s’abaisse dans la grandeur.
Le chrétien s’abaisse dans la grandeur.
Se séparer du péché (18:7–9)
L’humilité, qui constitue le fondement d’une relation juste avec Dieu, est tout aussi nécessaire pour des relations saines à l’intérieur du royaume. Jésus poursuit son enseignement au sujet des attitudes et actes appropriés envers les « enfants » (à prendre au sens littéral) et les « petits » (un terme métaphorique pour les marginalisés au sein du royaume, qui peuvent être des enfants, mais pas seulement). Il appelle ceux qui sont mûrs sur le plan spirituel (ceux qui sont véritablement grands dans le royaume) à mortifier leur propre chair afin de ne pas faire « trébucher un seul de ces petits qui croient en moi » (18:6). C’est la troisième leçon.
Meule d’un pressoir à olives à Khirbet Beit Ika, Israël | Crédit photo : Davidbena, CC BY-SA 4.0
Jésus est conscient que ses disciples vivent dans un monde séduisant (« Les pièges sont inévitables »), mais la dernière chose qu’il souhaite, c’est que des disciples mûrs fassent pécher des disciples immatures (« mais malheur à l’homme qui en est responsable ! » 18:7) en ne veillant pas à leur propre pureté.
« Si ta main ou ton pied te poussent à mal agir, coupe-les et jette-les loin de toi. Mieux vaut pour toi entrer dans la vie boiteux ou manchot que d’avoir deux pieds ou deux mains et d’être jeté dans le feu éternel. Et si ton œil te pousse à mal agir, arrache-le et jette-le loin de toi. Mieux vaut pour toi entrer dans la vie avec un seul œil que d’avoir deux yeux et d’être jeté dans l’enfer de feu » (18:8–9).
Remarquez que l’appel de Jésus à se séparer du péché est urgent, radical, total et douloureux. Remarquez également que les jugements sont plus terribles que la mortification. « [L]e feu éternel » (18:8) ou « l’enfer de feu » (18:9) sont des images similaires de la colère de Dieu ; Pour celui qui la subit, elle revient à ce « qu’on suspende à son cou une meule de moulin [une grosse pierre circulaire de deux tonnes] et qu’on le jette au fond de la mer » (18:6). Ces images horribles ont pour but de sortir les disciples de leur mollesse spirituelle.
La parabole de la brebis perdue (18:10–14)
Aux versets 7 à 9, Jésus traite des actions réalisées en rapport avec les « petits ». Aux versets 10 à 14, il traite des attitudes. Il commence par un avertissement, « Faites bien attention de ne pas mépriser un seul de ces petits » (18:10a). Pour le dire de façon plus positive : accordez de l’importance aux faibles. Pourquoi ? Parce qu’ils sont précieux pour Dieu. Il demande à ses anges de veiller sur eux (« car je vous dis que leurs anges dans le ciel sont continuellement en présence de mon Père céleste », 18:10). Les anges qui voient la face de Dieu les servent et les protègent.
L’importance qu’ils ont pour Dieu est illustrée par la parabole de la brebis perdue. Celle-ci s’inscrit dans le cadre du dernier enseignement, en y ajoutant une notion d’assurance. La quatrième leçon, c’est que Dieu ne laissera pas son peuplé périr.
« Qu’en pensez-vous ? Si un homme a 100 brebis et que l’une d’elles se perde, ne laisse-t-il pas les 99 autres sur les montagnes pour aller chercher celle qui s’est perdue ? Et s’il la trouve, je vous le dis en vérité, il en a plus de joie que des 99 qui ne se sont pas perdues. De même, ce n’est pas la volonté de votre Père céleste qu’il se perde un seul de ces petits » (18:12–14).
Dieu s’engage à chercher la brebis égarée et se réjouit de sa restauration.
La discipline d’église (18:15–20)
La cinquième leçon se rapporte à l’enseignement que Jésus donne sur la façon dont l’Église doit confronter l’Église. Parce que les chrétiens, tout comme leur Père céleste, attachent de l’importance à une seule brebis égarée et croient que la réprimande est un acte d’amour (Lv 19:17–18), Jésus décline quatre mesures claires en rapport avec la discipline d’Église.
Premièrement, « Si ton frère a péché [contre toi], va et reprends-le seul à seul » (18:15a). Parlez du problème dans le cadre d’une conversation privée, avec honnêteté. « S’il t’écoute [est d’accord avec toi, demande pardon et se repent], tu as gagné ton frère » (18:15b). La relation est restaurée.
Deuxièmement, « Mais s’il ne t’écoute pas, prends avec toi une ou deux personnes, afin que toute l’affaire se règle sur la déclaration de deux ou de trois témoins » (18:16 ; cf. Dt 19:15).
Troisièmement, « S’il refuse de les écouter, dis-le à l’Église [tout entière] » (Mt 18:17).
Quatrièmement, « et s’il refuse aussi d’écouter l’Église », traite-le comme un incroyant (« qu’il soit à tes yeux comme le membre d’un autre peuple et le collecteur d’impôts », 18:17). S’il a refusé d’ « écouter » (4x), l’Église a le pouvoir de l’excommunier.
Lorsque l’Église se rassemble pour juger une affaire relevant de la discipline d’Église, Christ est particulièrement présent (« En effet, là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux », 18:20). Et si l’Église se met d’accord pour réprouver un pécheur (« si deux d’entre vous s’accordent sur la terre pour demander quoi que ce soit »), cette réprobation est considérée comme la volonté de Dieu (« cela leur sera accordé par mon Père céleste », 18:19). L’Église sur terre, placée sous l’autorité de Christ, peut pardonner au pécheur repentant et condamner l’impénitent (« Je vous le dis en vérité, tout ce que vous lierez sur la terre aura été lié au ciel et tout ce que vous délierez sur la terre aura été délié au ciel » 18:18).
La parabole du serviteur impitoyable (18:21–35)
Nous en arrivons à la sixième leçon. Jésus enseigne que ceux qui sont pardonnés par Dieu doivent pardonner aux autres. Avant cet enseignement, Pierre pose à Jésus une question, « Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère, lorsqu’il péchera contre moi ? Est-ce que ce sera jusqu’à 7 fois ? » (18:21). Alors que Pierre s’adresse à Jésus de manière appropriée (« Seigneur ») et est ouvert à son enseignement sur le pardon, il veut bêtement fixer une limite. Jésus répond par une affirmation claire sur la nature illimitée du pardon (« Je ne te dis pas jusqu’à 7 fois, mais jusqu’à 70 fois 7 fois », 18:22) dans « le royaume des cieux » (18:23) et enchaîne avec une parabole pour illustrer sa déclaration.
La parabole du serviteur impitoyable se divise en trois scènes. Dans la première scène, un roi cherche à se faire rembourser l’argent que ses serviteurs lui doivent (« régler ses comptes avec ses serviteurs », 18:23). Alors, « on lui en amena un qui devait 10’000 sacs d’argent » (18:24). « 10’000 sacs d’argent » représentent la plus grande dette imaginable. En effet, le texte original parle de talents, soit l’unité monétaire la plus élevée, et dix mille est le nombre grec le plus élevé. De toute évidence, ce serviteur « n’avait pas de quoi payer » (18:25a) cette somme astronomique. Par conséquent, le roi décide de vendre sa famille et ses biens (« sa femme, ses enfants et tout ce qu’il avait », 18:25) pour récupérer une partie de la somme due. Lorsque le serviteur l’apprend, il « se prostern(e) » et commence à le supplier de lui laisser du temps. Il lui adresse cette requête irrationnelle, « prends patience envers moi et je te paierai tout » (18:26). Le roi change d’avis et, « Rempli de compassion… le laissa partir et lui remit la dette » (18:27). Le roi est « rempli compassion » (cette expression est également employée pour désigner les émotions et les actes de Jésus en 9:36, 14:14, 15:32 et 20:34), et lui remet entièrement sa dette.
La deuxième scène décrit le comportement inattendu, inexplicable et méchant du serviteur pardonné. Aucun mot exprimant la gratitude n’est mentionné. Au contraire, la première chose qu’il fait, c’est aller trouver « un de ses compagnons qui lui devait 100 pièces d’argent » pour le saisir violemment (« Il l’attrapa à la gorge et se mit à l’étrangler en disant : ‘Paie ce que tu me dois’ » 18:28). Le roi lui a remis sa dette de 10 000 sacs d’argent (60 000 000 pièces d’argent) ; son compagnon lui doit seulement 100 pièces d’argent, environ quatre mois de salaire d’un ouvrier moyen. Ce serviteur endetté fait et dit alors exactement la même chose que le serviteur pardonné un peu plus tôt : « Son compagnon tomba [à ses pieds] en le suppliant : ‘Prends patience envers moi et je te paierai’ » (18:29). Pourtant, au lieu de se remémorer la miséricorde dont il vient de bénéficier, il « ne voulut pas » effacer sa dette et « alla le faire jeter en prison jusqu’à ce qu’il ait payé ce qu’il devait » (18:30).
Ces deux premières scènes pourraient résumées en ces termes : « Soyez donc miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux » (Luc 6:36). Ceux qui sont pardonnés par Dieu pardonnent aux autres. La troisième scène détaille la réaction du roi devant ce qui s’est passé entre ses deux sujets. Il a fait venir l’homme pardonné et l’a condamné : « ‘Méchant serviteur, je t’avais remis en entier ta dette parce que tu m’en avais supplié. Ne devais-tu pas, toi aussi, avoir pitié de ton compagnon comme j’ai eu pitié de toi ?’ Et son maître, irrité, le livra aux bourreaux jusqu’à ce qu’il ait payé tout ce qu’il devait » (Mt 18:32–34). Payer ce qu’il devait peut vouloir dire qu’il sera à nouveau pardonné une fois qu’il aura lui-même pardonné (6:14–15). Ou plus probablement que la dette, qui ne peut pas être payée, symbolise l’ « enfer de feu » ou la « peine éternelle » (18:9 ; 25:46). Il est condamné à la prison des débiteurs pour l’éternité ! L’avertissement est sérieux, le propos sans ambigüité. « C’est ainsi que mon Père céleste vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère de tout son cœur » (18:35).
Le divorce (19:1–12)
Jésus se déplace à nouveau (« il quitta la Galilée et alla dans le territoire de la Judée, de l’autre côté du Jourdain », 19:1 -ce verset marque la fin de son ministère en Galilée qui a commencé en 4:12). Il délaisse provisoirement son ministère d’enseignement (« Lorsque Jésus eut fini de prononcer ces paroles », 19:1) pour son ministère de guérison : « De grandes foules le suivirent, et là il guérit les malades » (19:2). Lorsque les pharisiens le poussent à enseigner, il introduit la septième leçon de cette section plus vaste qui englobe les thèmes du mariage, du divorce et du célibat.
Ils essayent de « lui tendre un piège » théologique, en lui demandant : « Est-il permis à un homme de divorcer de sa femme pour n’importe quel motif ? » (19:3). Replacée dans son contexte, c’est-à-dire après que Jésus a guéri « De grandes foules » (19:2), cette question confirme leur aveuglement spirituel et leurs intentions diaboliques. Au lieu de l’interroger sur ses pouvoirs miraculeux, ils le questionnent sur le divorce pour voir de quel côté du débat il se rangerait. Le courant conservateur, représenté par le Rabbin Shammaï, considérait que l’expression « quelque chose de honteux » mentionnée en Deutéronome 24:1 (« Lorsqu’un homme a pris et épousé une femme qui viendrait à ne pas trouver grâce à ses yeux parce qu’il a découvert en elle quelque chose de honteux, il écrit pour elle une lettre de divorce ») désignait l’« infidélité sexuelle », alors que le courant libéral, représenté par le Rabbin Hillel, considérait que les mots « quelque chose » faisaient référence à n’importe quel manquement, y compris quelque chose d’aussi futile que de laisser brûler un repas. Les pharisiens espéraient très probablement que Jésus serait d’accord avec les conservateurs car cela le placerait dans une position délicate. Rappelez-vous ce que Hérode a fait à l’homme qui l’avait averti, « Il ne t’est pas permis d’avoir pour femme l’épouse de ton frère » (Marc 6:18) ?
Jésus se range du côté des conservateurs (Mt 19:9) et maintenant que Jérusalem est devant lui, il sait que le sort de Jean-Baptiste l’attend lui aussi. Il répond à leur question en remettant en question leur connaissance des Écritures (« N’avez-vous pas lu ? ») à propos des premières paroles de Dieu concernant le mariage, paroles qui ont font la fondation (« que le Créateur, au commencement, a fait l’homme et la femme et qu’il a dit : ‘C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et les deux ne feront qu’un’» ? 19:4–5). D’après Genèse 1:27, auquel il fait allusion, et Genèse 2:24, qu’il cite, il n’existait dans le paradis aucune disposition relative au divorce parce que Dieu considérait que le mariage entre un homme et une femme était pour la vie. Continuant à paraphraser Genèse, il se concentre sur la nature de l’unité instituée par Dieu et met en garde contre le fait de briser cette unité (« Ainsi, ils ne sont plus deux mais ne font qu’un. Que l’homme ne sépare donc pas ce que Dieu a uni » Mt 19:6).
Les pharisiens ripostent aussitôt avec une seconde question s’appuyant directement sur Deutéronome 24:1, « Pourquoi donc, lui dirent-ils, Moïse a-t-il prescrit de donner une lettre de divorce à la femme lorsqu’on la renvoie ? » En réponse, Jésus leur apporte une double correction : « Il leur répondit : «C’est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de divorcer de vos femmes; au commencement, ce n’était pas le cas.» » (Mt 19:8). Premièrement, il corrige leur vocabulaire. Moïse n’a pas prescrit le divorce, il l’a permis. Dans Deutéronome 24:1–4, il déclare qui si un homme divorce de sa femme puis qu’elle se remarie et que le deuxième mari divorce d’elle, elle ne peut pas retourner épouser son premier mari. La loi vise à corriger la vision du premier mari, en l’avertissant de ne pas divorcer précipitamment. Deuxièmement, même si Moïse a effectivement permis le divorce, c’est seulement en réponse au péché humain. Le divorce n’a jamais été l’intention initiale. Les disciples doivent méditer Genèse 2 avant d’appliquer Deutéronome 24.
Jésus clôt le débat par sa déclaration pleine d’autorité (l’Écriture dit, 19:4, 5, 8, devient maintenant « je vous le dis » 19:9a) : « … celui qui renvoie sa femme, sauf pour cause d’infidélité, et qui en épouse une autre commet un adultère » (19:9b). Cette réponse suscite la réaction honnête de ses disciples, « Si telle est la condition de l’homme vis-à-vis de la femme, il vaut mieux ne pas se marier » (19:10). Jésus ne les corrige pas et ne fait pas un séminaire sur le thème « Comment préserver un mariage sain ». Au contraire, il s’attarde sur la question qu’ils ont soulevé : le célibat. Il loue les célibataires et leur lance un appel : « Tous ne comprennent pas cette parole, mais seulement ceux à qui cela est donné. En effet, il y a des eunuques qui le sont dès le ventre de leur mère [une anomalie congénitale affectant un organe sexuel], d’autres le sont devenus par les hommes [par exemple, par castration pour surveiller le harem d’un roi], et il y en a qui se sont faits eux-mêmes eunuques [au sens spirituel et non pas physique, par une décision volontaire de rester célibataire] à cause du royaume des cieux. Que celui qui peut comprendre comprenne » (19:11–12). Le célibat pour le royaume est un cadeau de Dieu qui ne peut être reçu que par celui à qui Dieu le fait.
Les derniers seront les premiers (19:13–20:19)
La huitième leçon, qui s’étend de Matthieu 19:13 à Matthieu 20:19, est résumée par Jésus en 20:16 (« les derniers seront les premiers et les premiers seront les derniers »), en 19:30 (« Bien des premiers seront les derniers et bien des derniers seront les premiers ») et en 20:27 (« si quelqu’un veut être le premier parmi vous, qu’il soit votre esclave »). Alors que Jésus annonce sa mort pour la troisième fois (« Nous montons à Jérusalem et le Fils de l’homme sera livré aux chefs des prêtres et aux spécialistes de la loi. Ils le condamneront à mort et le livreront aux non-Juifs pour qu’ils se moquent de lui, le fouettent et le crucifient ; le troisième jour il ressuscitera » 20:18–19), il donne des enseignements et propose des images sur le thème de l’humilité, en rapport notamment avec l’entrée dans le royaume.
19:13–30 Comme cela est relaté dans Matthieu 19:13–30, Jésus commence en dressant un parallèle entre les petits enfants qui viennent à lui (19:13–15) et l’homme riche qui a refusé de le suivre (19:22). Jésus accueille les enfants parce qu’ils représentent tout ce qui est nécessaire pour pouvoir entrer dans le royaume (« Laissez les petits enfants, ne les empêchez pas de venir à moi, car le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent », 19:14). Auparavant, Jésus a expliqué en quoi les enfants qui venaient à lui illustraient la manière d’entrer dans le royaume. Il a parlé de don divin (« Je te suis reconnaissant, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents et les as révélées aux enfants », 11:25) et d’humilité (« Je vous le dis en vérité, si vous ne vous convertissez pas et si vous ne devenez pas comme les petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. C’est pourquoi, celui qui se rendra humble comme ce petit enfant sera le plus grand dans le royaume des cieux » 18:2–4).
L’homme riche est diamétralement opposé aux enfants. Bien qu’il vienne lui aussi à Christ (ce qui est bien) et reconnaisse son besoin (« Maître, que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle ? » 19:16), il ne reconnaît pas Jésus comme « Seigneur » et ne comprend pas que Dieu seul est bon et qu’il ne peut rien « faire de bon » pour obtenir la « vie éternelle ». Il faut recevoir « le royaume de Dieu comme un petit enfant » (Marc 10:15). Du reste, il ne se repent ni de son idolâtrie ni de son amour de l’argent.
Bien qu’il vienne lui aussi à Christ et reconnaisse son besoin, il ne reconnaît pas Jésus comme « Seigneur » et ne comprend pas que Dieu seul est bon et qu’il ne peut rien « faire de bon » pour obtenir la « vie éternelle ».
Jésus lui rappelle que Dieu seul est bon (« Pourquoi m’appelles-tu bon ? Personne n’est bon, si ce n’est Dieu seul. » Mt 19:17a) puis examine si la vie de cet homme est conforme à la loi. Jésus énumère quelques-uns des Dix commandements (« Tu ne commettras pas de meurtre ; tu ne commettras pas d’adultère ; tu ne commettras pas de vol; tu ne porteras pas de faux témoignage; honore ton père et ta mère ») et résume ensuite la seconde moitié de la loi, « tu aimeras ton prochain comme toi-même » (19:18–19 ; citant Lv 19:18). Sans hésiter, le « jeune homme » répond, « J’ai respecté tous ces commandements [dès ma jeunesse]. Que me manque-t-il encore ? » (Mt 19:20). Quel orgueil teinté d’ignorance ! Il ignore, par exemple, ce que Jésus a enseigné dans le Sermon sur la montagne à propos des pensées lubriques, d’un cœur plein de haine et de l’impossibilité de servir à la fois Dieu et l’argent. Il n’a pas parfaitement respecté la loi.
Jésus rebondit ensuite sur le premier et le dixième commandement : « Si tu veux être parfait, va vendre ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel. Puis viens et suis-moi » (19:21). Cet homme n’obéit pas (« Lorsqu’il entendit cette parole, le jeune homme s’en alla tout triste ») parce qu’il aimait ses « grands biens » (19:22) plus que Dieu et son prochain.
L’homme riche savait qu’il lui manquait quelque chose. Ceci explique pourquoi il adresse cette question à Jésus. Mais il pensait que ce qui lui manquait pouvait simplement être ajouté à sa vie. Or, ce qui lui manquait, c’était dépendre de Christ comme un petit enfant. Ainsi, notre Seigneur, qui cherchait à amener cet homme riche et maître de sa propre vie à ce stade de dépendance, l’a mis à l’épreuve afin qu’il se détache de ses richesses (« va vendre ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres ») et lâche les rênes de sa vie (« viens et suis-moi »). Dans ce passage, notre Seigneur ne nous demande pas de donner l’aumône (donner quelque chose à quelqu’un) mais de tout lui donner et tout donner aux autres.20
Comme l’homme s’en va, Jésus instruit ses disciples sur le danger des richesses et la nécessité de chercher premièrement le royaume de Dieu : « Je vous le dis en vérité, il est difficile à un riche d’entrer dans le royaume des cieux. Je vous le dis encore, il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu » (19:23–24). Les disciples sont interloqués par ce qu’ils entendent. « Quand les disciples entendirent cela, ils furent très étonnés et dirent : « Qui peut donc être sauvé ?» » (19:25). Ils sont arrivés à la conclusion que, si un homme bon (fidèle à la loi) et riche (béni par Dieu) ne pouvait pas entrer dans le royaume, alors qui le pouvait ? Jésus répond en des termes absolus que le salut est monergistique [NDT : cela signifie que Dieu est le seul acteur de notre salut] : « Aux hommes cela [= entrer dans le royaume en faisant des bonnes œuvres] est impossible, mais à Dieu tout est possible » (19:26). Cette impossibilité qui est rendue possible est expliquée dans le détail en 20:18–19. Voici comment un chameau peut passer par un trou d’aiguille : « le Fils de l’homme sera livré aux chefs des prêtres et aux spécialistes de la loi. Ils le condamneront à mort et le livreront aux non-Juifs pour qu’ils se moquent de lui, le fouettent et le crucifient ; le troisième jour il ressuscitera. » Jésus meurt pour le pardon des péchés. Jésus ressuscite et reçoit tout pouvoir. Et les pécheurs, par la repentance et la foi, reçoivent le pardon des péchés en son nom.
Pierre répond à cette affirmation de Jésus, « Aux hommes cela est impossible, mais à Dieu tout est possible » (19:26), de façon puérile mais aussi à la manière d’un enfant : « Voici, nous avons tout quitté et nous t’avons suivi. Que se passera-t-il pour nous ? » Ce qu’il dit est puéril en ce que les enseignements de Jésus ci-dessus n’évoquent pas quelque chose à gagner par loyauté envers le Seigneur. Mais il parle à la manière d’un enfant en ce sens que les paroles de Pierre sont vraies. Les apôtres ont définitivement quitté leur travail, ils ont aussi laissé leurs maisons et leurs familles pour un peu de temps, prêtant une allégeance totale à Jésus et dépendant entièrement de lui. Jésus fait l’éloge de cette foi d’enfant avec ces mots réconfortants : « Je vous le dis en vérité, quand le Fils de l’homme, au renouvellement de toutes choses, sera assis sur son trône de gloire, vous qui m’avez suivi, vous serez de même assis sur douze trônes et vous jugerez les douze tribus d’Israël. Et toute personne qui aura quitté à cause de moi ses maisons ou ses frères, ses sœurs, son père, sa mère, sa femme, ses enfants ou ses terres, recevra le centuple et héritera de la vie éternelle. Bien des premiers seront les derniers et bien des derniers seront les premiers » (19:28–30). Parce que les apôtres ont mis Jésus à la première place, lorsque Jésus montera au ciel pour gouverner son royaume sur la nouvelle terre, les douze apôtres gouverneront avec lui en jugeant le reste fidèle d’Israël.
20:1–19 Jésus explique cette question des premiers qui seront les derniers dans la parabole des ouvriers dans la vigne (20:1–16), qui se termine sur ces mots : « Ainsi les derniers seront les premiers et les premiers seront les derniers. » En résumé, la parabole enseigne deux types de réactions appropriées au cadeau du salut de Dieu. Premièrement, les disciples ne doivent pas se plaindre d’une grâce imméritée. Deuxièmement, les disciples ne doivent pas en vouloir à Dieu de faire preuve d’une générosité inégale.
Dans cette parabole, le « propriétaire » représente Dieu, et les « ouvriers pour sa vigne » représentent les disciples de Jésus (20:1). Le propriétaire promet « une pièce d’argent par jour » aux ouvriers (20:2). Il loue des ouvriers à cinq heures différentes : tôt le matin, à la troisième heure (9 h), à la sixième heure (midi), à la neuvième heure (15 h) et à la onzième heure (17 h). Il donne du travail aux désœuvrés, ce qui fait probablement référence à la moisson de l’Évangile. Jésus continue, « Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : ‘Appelle les ouvriers et paie-leur le salaire, en allant des derniers aux premiers.’ Ceux de cinq heures de l’après-midi vinrent et reçurent chacun une pièce d’argent. Quand les premiers vinrent à leur tour, ils pensèrent recevoir davantage, mais ils reçurent aussi chacun une pièce d’argent » (20:8–10). Leur attitude jalouse s’est répercutée sur leurs actions. Quand ils ont reçu leur salaire, « ils murmurèrent contre le propriétaire en disant : ‘Ces derniers arrivés n’ont travaillé qu’une heure et tu les as traités comme nous, qui avons supporté la fatigue du jour et de la chaleur !’ » (20:11–12).
Quelle réaction inappropriée à la grâce ! Les premiers ouvriers n’ont pas mérité d’avoir été choisis par le propriétaire, pas plus que les derniers. Jésus poursuit en expliquant à l’un d’entre eux que le propriétaire n’a pas commis d’injustice : ‘Mon ami, je ne te fais pas de tort. N’as-tu pas été d’accord avec moi pour un salaire d’une pièce d’argent ? Prends ce qui te revient et va-t’en. Je veux donner à ce dernier arrivé autant qu’à toi. Ne m’est-il pas permis de faire ce que je veux de mes biens ? Ou vois-tu d’un mauvais œil que je sois bon ?’ (20:13b–15). Le don du salut de Dieu est juste (il fera « ce qui sera juste », 20:4 ; et ne fera « pas de tort », 20:13). Comme le résume R. T. France : « Personne ne reçoit moins que ce qu’il mérite, mais certains reçoivent bien plus ».21
La véritable grandeur dans le royaume (20:20–28)
La neuvième leçon s’attarde sur ce thème des premiers et des derniers, plus particulièrement en lien avec la grandeur dans le royaume. En quoi consiste cette leçon ? Dans le royaume des cieux « si quelqu’un veut être le premier parmi vous, qu’il soit votre esclave », c’est-à-dire le « dernier » (20:27). Le contexte est le suivant : « la mère des fils de Zébédée » demande respectueusement à Jésus de promettre à Jacques et Jean qu’ils auront l’honneur suprême d’être « assis l’un à ta droite et l’autre à ta gauche » dans son royaume (20:20–21).
« Jésus répondit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire [ou être baptisés du baptême dont je vais être baptisé] ?» « Nous le pouvons », dirent-ils » (20:22). Il n’est pas particulièrement reluisant de demander à leur mère de poser la question à leur place, et leur ambition est certainement teintée d’orgueil. Il n’en demeure pas moins qu’ils croient que le royaume de Jésus vaincra et ils sont prêts à souffrir pour cela. Jésus reconnaît qu’ils partageront effectivement ses souffrances (« Vous boirez en effet ma coupe »), mais il n’accède pas à leur demande car le fait d’être assis à sa droite et à sa gauche « ne dépend pas » de lui (20:23a). Il s’agit de la prérogative de son Père (« ne sera donné qu’à ceux pour qui mon Père l’a préparé », 20:23b).
Lorsque les dix autres apôtres ont entendu la requête de Jacques et de Jean, ils « furent indignés contre les deux frères » (20:24). Leur colère découlait de leur propre soif d’ambition et d’honneur. C’est pourquoi Jésus les a tous repris et instruits. Ils ne doivent pas agir comme les dirigeants païens : « Vous savez que les chefs des nations dominent sur elles et que les grands les tiennent sous leur pouvoir. Ce ne sera pas le cas au milieu de vous » (20:25–26a). Ils doivent au contraire imiter le sacrifice personnel de Jésus. Le parallèle établi met en avant un paradoxe :
si quelqu’un veut être grand parmi vous
il sera votre serviteur
si quelqu’un veut être le premier parmi vous,
qu’il soit votre esclave
Pour Jésus, la grandeur consiste à servir les autres. Ce paradoxe est aussi radicalement contre-culturel que le sacrifice personnel de Jésus pour les autres est profondément contre-intuitif : « C’est ainsi que le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup » (20:28). Le fait que le Fils de l’homme, la figure royale décrite dans Daniel 7:13–14, soit « venu. . . pour servir » est saisissant ; le fait que le Fils de l’homme, qui règnera sur un royaume éternel, soit « venu. . . donner sa vie » (mourir ! voir les termes « mort », 20:18 ; « crucifient », 20:19) l’est tout autant. Pour Matthieu, le mystère de la croix est le paradoxe du Fils de l’homme et du Serviteur souffrant réunis en une seule personne.
Pour Jésus, la grandeur consiste à servir les autres.
L’identité de Jésus (qui il est) est aussi importante que sa mission (ce qu’il a accompli). Sa mission peut être résumée en trois petits mots tirés de l’expression « en rançon pour beaucoup » (20:28). Le terme « rançon » décrit la mort de Jésus comme un paiement pour libérer les pécheurs. Ce paiement revêt un caractère substitutif. La préposition « pour » pourrait être traduite « à la place de ». Jésus a bu la coupe de la colère divine à la place de ses disciples (« la coupe que je vais boire », 20:22 ; « ma coupe », 20:23 ; « que cette coupe s’éloigne de moi », 26:39 ; cf. Ps 75:8 ; Es 51:17). Cette expiation est pour « beaucoup », une référence aux élus de Dieu (le Serviteur a été « frappé à cause de la révolte de mon peuple », il a « porté le péché de beaucoup d’hommes », Es 53:8, 12 ; cf. Mt 1:21).
« Seigneur, Fils de David ! » (20:29–34).
La dixième leçon se concentre sur la christologie, la manière dont les disciples doivent considérer Jésus. Tout au long de Matthieu 17:24–20:34, l’identité de Jésus nous est révélée. Qui d’autre que le Fils de Dieu peut savoir qu’un poisson a avalé un statère (la somme exacte nécessaire pour payer l’impôt du temple) et qu’il s’agirait du premier poisson pêché par Pierre (17:27) ? Qui d’autre que le Fils de Dieu peut être le moyen par lequel la dette de l’humanité, qui se chiffre en milliards de milliards de dollars, est effacée (voir 18:27 ; 20:28) ? Qui d’autre que le Fils de Dieu viendra juger le monde et régner sur lui (19:28) ?
Cette section concernant l’identité de Jésus se termine par un point d’exclamation. Deux aveugles reconnaissent Jésus pour qui il est. Jésus se rend de Jéricho à Jérusalem quand « Deux aveugles, assis au bord du chemin. . . crièrent : « Aie pitié de nous, Seigneur, Fils de David !» » (20:29–30). La foule les reprend et cherche à les faire taire. Au lieu de se plier aux exigences de la foule, ils persévèrent dans leur prière, « Aie pitié de nous, Seigneur, Fils de David ! » (20:31). Jésus s’arrête (« s’arrêta » -voir Ps 146:8), les appelle, les écoute (« Que voulez-vous que je fasse pour vous? »/« Seigneur, que nos yeux s’ouvrent »), et les guérit (« Rempli de compassion, Jésus toucha leurs yeux; aussitôt ils retrouvèrent la vue et ils le suivirent », Mt 20:33–34).
Ces aveugles incarnent trois aspects essentiels de la vie de disciple. Premièrement, ils reconnaissent à juste titre Jésus comme le Messie promis (« Fils de David », 2x) et le « Seigneur » (3x) plein de compassion, un lien que Jésus établit lui-même (22:41–45). Sans une once de honte, ils confessent Jésus devant les autres (Mt 10:32). Deuxièmement, ils implorent sa grâce. Troisièmement, ils suivent Jésus. Marc ajoute « sur le chemin » (Marc 10:52), c’est-à-dire sur le chemin qui mène à la croix (Mt 20:18, 19, 28).
Ô Jérusalem ! (21:1–46)
L’entrée triomphale (21:1–11)
Ce voyage qui le conduira à la croix (« Lorsqu’ils approchèrent de Jérusalem ») s’interrompt provisoirement à « Bethphagé » (21:1), où deux prédictions sont accomplies. La première est une prédiction de Jésus. Il envoie deux des douze en ville et leur assure que, dès qu’ils arriveront (« tout de suite »), ils trouveront « une ânesse attachée et un ânon avec elle » (21:2a). Leur mission est simple : « détachez-les et amenez-les-moi » (21:2b). Deuxièmement, la réalisation de cette prédiction (Mt 21:6–7) constitue l’accomplissement d’une prophétie antérieure :
« Or [tout] ceci arriva afin que s’accomplisse ce que le prophète avait annoncé :
Dites à la fille de Sion : ‘Voici ton roi qui vient à toi, plein de douceur et monté sur un âne, sur un ânon, le petit d’une ânesse’ » (21:4–5).
La citation ci-dessus est tirée de Zacharie 9:9. Dans Zacharie 9:9–10, le prophète exhorte le peuple de Dieu à célébrer la promesse d’un roi juste qui viendra apporter la délivrance. Ce qui est inhabituel, c’est que ce roi arrive non pas sur une monture de guerre mais sur un ânon humble et modeste. Cette promesse étrange est accomplie en Jésus ! Jésus monte sur l’animal indompté (« le petit d’une ânesse », Jean 12:14) et le dompte (comme le vent et les vagues un peu plus tôt !) tandis qu’il se dirige vers la ville sainte.
Dans la Vallée du Cédron, en face du Mont du Temple. Dôme du Rocher visible au-dessus de la muraille de Jérusalem, et mont des Oliviers en arrière-plan.
Jésus purifie le temple (21:12–16)
Ce faisant, « Une grande foule de gens » (Mt 21:8a) qui se rendait à Jérusalem pour la Pâque se met à louer spontanément Jésus en tant que Messie. Ils « étendirent leurs vêtements sur le chemin ; d’autres coupèrent des branches aux arbres et en jonchèrent la route. Ceux qui précédaient et ceux qui suivaient Jésus criaient : « Hosanna au Fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna dans les lieux très hauts ! » (21:8–9 ; citant Ps 118:25–26). Cette célébration s’est probablement étendue sur près de deux kilomètres et l’enthousiasme autour de Jésus s’est amplifié avec l’altitude. En effet, « Lorsqu’il entra dans Jérusalem, toute la ville fut troublée. On disait : « Qui est cet homme ?» La foule répondait : « C’est Jésus, le prophète de Nazareth en Galilée.» » (Mt 21:10–11). Ils ont raison. Jésus a grandi à Nazareth et est effectivement « le prophète » (Dt 18:15). Mais il est bien plus que la voix de Dieu tant attendue (« écoutez-le », Mt 17:5) et que le souverain promis envoyé par Dieu (« fils de David »). Il est, comme je l’ai indiqué ailleurs, « le Fils de Dieu sur le petit d’une ânesse [un ânon], celui qui est venu pour nous sauver (1:21) » ou, comme Bruner l’a exprimé de façon merveilleuse, « le Seigneur revêtu d’humilité, Dieu fait homme. . . . Emmanuel . . . le vrai Dieu-avec-nous présent sous une forme authentiquement humaine , à notre niveau : Dieu sur un ânon. »22 Jésus est venu pour sauver, « Hosanna ».
Cet avertissement, rédigé en grec, interdisait aux non-Juifs de pénétrer dans la cour intérieure de l’enceinte du Temple sous peine de mort | Crédit photo : Musée archéologique d’Istanbul, CC BY-SA 3.0
Mais avant de sauver son peuple humble, il juge les présomptueux. Jésus entre dans le temple et, marchant dans le parvis des non-Juifs, il « chassa tous ceux qui vendaient et qui achetaient dans le temple, et il renversa les tables des changeurs de monnaie et les sièges des vendeurs de pigeons » (21:12). Il a fait cela parce que ces personnes enfreignaient la loi de Dieu. D’après Deutéronome 12:5–7, les gens devaient apporter des animaux de leur propre troupeau en vue du sacrifice, et non pas les acheter dans le temple. Le temple n’est pas un marché. Le parvis des non-Juifs n’est pas un endroit où les Juifs et les prosélytes peuvent acheter, au prix fort, un animal « agréé ». Citant en partie Ésaïe 56:7, Jésus déclare, « Il est écrit: ‘Mon temple sera appelé une maison de prière’, mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs » (21:13). Comme cela apparaît dans Marc 11:17, ce verset d’Ésaïe se termine par les mots « pour toutes les nations ». Jésus n’est pas venu pour débarrasser le saint temple des païens impurs. Au contraire, accomplissant l’alliance abrahamique, il a purifié le temple pour les païens et non pas des païens. Le temple ne doit pas être un lieu où les hypocrites peuvent se cacher (« une caverne de voleurs », voir Jr 7:1–11) dans leur fausse sécurité religieuse. Ceux qui sont agréables à Dieu se rendent au temple pour prier. Ceux qui sont agréables à Dieu porteront du fruit de repentance. Et ceux qui reconnaissent ce que Dieu accomplit maintenant en Jésus viendront à lui. C’est précisément ce que font « Des aveugles et des boiteux » ; ils « s’approchèrent de lui dans le temple, et il les guérit » (Mt 21:14). Ils vont eux aussi louer Jésus, tout comme les enfants dans le temple qui ont crié « Hosanna au Fils de David ! » (21:15).
Le Mur occidental est un mur de soutènement du second temple d’Hérode
Bien entendu, un tel comportement n’est pas bien accueilli par « les chefs des prêtres et les spécialistes de la loi » (21:15) qui, fous de rage (« indignés », 21:15), demandent à Jésus, « Entends-tu ce qu’ils disent? » (21:16a). Jésus entend. Et il est d’accord. Citant le Psaume 8:2, il répond, « Oui ». « N’avez-vous jamais lu ces paroles : ‘Tu as tiré des louanges de la bouche des enfants et des nourrissons’? » C’est remarquable. Non seulement Jésus accepte ce titre messianique (« Fils de David ») et les louanges (« Hosanna »), mais il cite un psaume parlant des enfants qui louent YHWH et applique ces louanges à lui-même.
Jésus maudit un figuier stérile (21:17–22)
Après avoir quitté le temple, Jésus séjourne à quelques kilomètres de là, à Béthanie, puis retourne à Jérusalem le lendemain matin. Matthieu rapporte que Jésus avait faim (Mt 21:17–18). Ce qui arrive ensuite est aussi inattendu que la purification du temple. Jésus repère un figuier au bord du chemin, s’approche de lui et voit qu’il n’a pas de fruit (« il n’y trouva que des feuilles », 21:19a). Alors, voyant ce figuier stérile, il l’a maudit (« Que jamais plus tu ne portes de fruit ! »), une malédiction qui a entraîné sa mort (« Le figuier sécha immédiatement », 21:19b). Le figuier séché était une illustration du temple stérile. Le temple avait beau fourmiller d’activités religieuses, il était spirituellement mort. Les feuilles étaient vertes. Il aurait dû y avoir du fruit. Mais il n’y en avait pas. Et tout comme Jésus a détruit le figuier stérile, Israël et son culte dans le temple allaient être détruits.
En lien avec le culte dans le temple, sujet développé par Paul et d’autres auteurs du Nouveau Testament, Jésus utilise l’arbre flétri pour donner une leçon sur la vie de disciple. Matthieu déclare : « Voyant cela, les disciples furent étonnés et dirent : « Comment ce figuier a-t-il pu devenir immédiatement sec ?» » (21:20). La réponse de Jésus met l’accent sur la foi : « Jésus leur dit alors : « Je vous le dis en vérité, si vous avez de la foi et que vous ne doutez pas, non seulement vous ferez ce qui a été fait à ce figuier, mais même si vous dites à cette montagne : ‘Retire-toi de là et jette-toi dans la mer’, cela arrivera. Tout ce que vous demanderez avec foi par la prière, vous le recevrez.» » (21:21–22). J’ai intitulé ailleurs les versets 12 à 20 « Le culte dans le temple : infidélité et stérilité » et les versets 21 à 22 « Le culte dans le temple : fidélité et fertilité »,23. J’ai posé trois questions à propos des deux derniers versets. Voici mes réponses.
Q. La foi en qui ?
R. Suivez l’exemple des enfants ! Jésus le fils de David.
Q. Quel est le lieu où adorer ?
R. Pas dans le temple (il sera bientôt détruit, 23:38), mais en la personne de Jésus qui, par sa mort et sa résurrection (27:51 ; 28:20), devient le nouveau temple, un temple éternel. Il est effectivement « plus grand que le temple » (12:6). Il est le grand-prêtre, le sacrifice d’expiation et la glorieuse présence de Dieu.
Q. La foi pour quoi ?
R. Pour « tout » (21:22). Si le croyant prie avec confiance et en s’attendant à Dieu par Jésus, Dieu exaucera même l’impossible. Même la montagne du temple pourrait se jeter dans la mer !
Par quelle autorité ? (21:23–27)
Le verset 23 décrit le retour de Jésus au temple et le thème central est donc encore une fois Jésus et le temple. Le thème de l’autorité de Jésus et de l’opposition des chefs religieux réapparaît également : « pendant qu’il enseignait, les chefs des prêtres et les anciens du peuple vinrent lui dire : « Par quelle autorité fais-tu ces choses, et qui t’a donné cette autorité ?» » Ils ne l’interrogent pas sur le contenu de son enseignement, mais sur ses actes (« fais-tu ces choses »). Quelles sont les « choses » que Jésus a faites la veille ? Il a renversé des tables, a chassé des personnes qui se livraient à du racket religieux, a accueilli les pauvres dans le parvis des non-Juifs pour qu’ils puissent le toucher et être guéris et a reçu des louanges de la bouche des enfants.
Les autorités du temple (« les chefs des prêtres et les anciens du peuple ») posent une question accusatrice, la première de quatre questions formulées par quatre personnes différentes (21:23–22:46). Jésus y répond également par une question : « Je vous poserai moi aussi une question et, si vous m’y répondez, je vous dirai par quelle autorité je fais ces choses. Le baptême de Jean, d’où venait-il ? Du ciel ou des hommes ? » (21:24–25). La réponse devrait être évidente, mais elle ne l’était pas pour eux. Ils ont discuté entre eux. D’un côté, s’ils admettent que Jean a été envoyé par Dieu (« Si nous répondons : ‘Du ciel’ »), Jésus leur répondra, « Pourquoi donc n’avez-vous pas cru en lui ? » (21:25) ; d’un autre côté, s’ils déclarent que Jean n’a pas été envoyé par Dieu (mais simplement envoyé par « des hommes »), ils craignent de perdre le soutien de la population (« car tous considèrent Jean comme un prophète », 21:26). Ils n’ont pris aucun risque et ont préféré retenir leur langue (« ils répondirent à Jésus : « Nous ne savons pas » « ). Jésus a fait de même (« Moi non plus, je ne vous dirai pas par quelle autorité je fais ces choses », 21:27). Pour Jésus, s’ils étaient incapables de faire preuve du moindre discernement en reconnaissant que Jean venait du ciel, ils étaient naturellement incapables de se prononcer sur son identité et sur la source de son autorité.
La parabole des deux fils (21:28–32)
Jésus prolonge ensuite sa réponse évasive avec deux paraboles qui répondent à la question, « Par quelle autorité ? ». Jésus est le Fils envoyé par Dieu (tel qu’il est présenté dans la parabole des vignerons, 21:33–46) auquel Jean a préparé le chemin (tel qu’il est présenté dans la parabole des deux fils, 21:28–32).
Dans la première petite parabole, Jésus raconte l’histoire d’un père qui avait deux fils. Le père « s’adressa au premier et lui dit : ‘Mon enfant, va travailler aujourd’hui dans ma vigne.’ » (21:28). Le fils a répondu, « ‘Je ne veux pas’ mais, plus tard, il montra du regret et y alla » (21:29). Le deuxième fils a fait le contraire. Il a répondu par l’affirmative (« Je veux bien, seigneur), mais a désobéi (« il n’y alla pas », 21:30). Jésus demande, « Lequel des deux a fait la volonté du père ? » (21:31a). La réponse est évidente : « Ils répondirent : « Le premier.» » (21:31a). Après cette réponse évidente, Jésus leur adresse un reproche inattendu, puis interprète cette parabole : « Je vous le dis en vérité, les collecteurs d’impôts et les prostituées vous précéderont dans le royaume de Dieu, car Jean est venu à vous dans la voie de la justice et vous n’avez pas cru en lui. En revanche, les collecteurs d’impôts et les prostituées ont cru en lui et vous, qui avez vu cela, vous n’avez pas ensuite montré de regret pour croire en lui » (21:31–32). Ainsi, dans la parabole ci-dessus, le père des deux fils symbolise Dieu, le premier fils, les collecteurs d’impôts et les prostituées, et le second, les chefs d’Israël. Tandis que les collecteurs d’impôts et les prostituées ont d’abord refusé d’obéir à la Parole de Dieu, ils ont fini par écouter la voix de Jean, se sont détournés de leur péché et ont suivi Jésus. En revanche, les spécialistes de la loi et les Pharisiens honoraient Dieu des lèvres, prétendant être pleins de zèle dans leur obéissance, et pourtant ils n’ont écouté ni Jean ni Jésus, qui étaient les émissaires autorisés de Dieu.
La parabole des vignerons (21:33–46)
Dans la seconde parabole (la parabole des vignerons, Mt 21:33–41), Jésus donne une explication symbolique et condensée de l’histoire du salut. Le « propriétaire », c’est Dieu (« Il y avait un propriétaire qui planta une vigne », 21:33). Ici comme dans d’autres passages (Es 5:1–2), cette « vigne » symbolise Israël. Les « vignerons » à qui le propriétaire a loué la terre désignent les chefs d’Israël. Leur travail consistait à protéger la terre et à s’assurer que les fruits soient prêts pour la récolte. Les « fruits » (Mt 21:43) représentent le fruit de la repentance (3:8, 10). Les « serviteurs » envoyés par le propriétaire représentent les prophètes, peut-être les premiers prophètes (« il envoya ses serviteurs », 21:34) et les derniers prophètes (« Il envoya encore d’autres serviteurs », 21:36). La brutalité des vignerons à l’égard des serviteurs (« ils battirent l’un, tuèrent l’autre et lapidèrent le troisième », 21:35) symbolisent les persécutions à l’encontre des prophètes. Le « fils » que le propriétaire a envoyé est Jésus, le Fils de Dieu. Au lieu d’être accueilli avec respect par les vignerons (« Ils auront du respect pour mon fils », 21:37), « ils s’emparèrent de lui, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent » (21:39), une description imagée de la passion et de la crucifixion de Jésus. Les chefs d’Israël ont comploté (21:38), l’ont arrêté (21:46) et l’ont tué (21:39) hors de la vigne ou, comme le déclare Hébreux 13:12, « hors de la porte [de la ville] ». Les « autres vignerons » (Mt 22:41) mentionnés dans la réponse des chefs symbolisent « un peuple qui en produira les fruits » (21:43), c’est-à-dire les élus du « royaume de Dieu » (21:43), une nouvelle communauté qui n’est pas définie en des termes ethniques mais spirituels comme rassemblant ceux dont la foi produit du fruit.
La parabole se termine sur cette question de Jésus (« Maintenant, lorsque le maître de la vigne viendra, que fera-t-il à ces vignerons ? » 21:40), et sur la réponse de ses auditeurs, « Il fera périr misérablement ces misérables, et il affermera la vigne à d’autres vignerons, qui lui en donneront le produit au temps de la récolte ». (21:41). Cette réponse est correcte. Elle résume et symbolise le jugement de Dieu à venir, aussi bien le jugement dernier à la fin des temps que le jugement à l’encontre du temple en 70 apr. J.-C.
Comme Jésus le déclare, le Fils de Dieu remplace ce temple fait de main d’homme : « N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : ‘La pierre qu’ont rejetée ceux qui construisaient est devenue la pierre angulaire ; c’est l’œuvre du Seigneur, et c’est un prodige à nos yeux’ » (21:42, citant Ps 118:22–23). Il poursuit, « C’est pourquoi, je vous le dis, le royaume de Dieu vous sera enlevé et sera donné à un peuple qui en produira les fruits. Celui qui tombera sur cette pierre s’y brisera et celui sur qui elle tombera sera écrasé. » (21:43–44). En tant que pierre, Jésus peut sauver ou écraser. Ceux, comme « les chefs des prêtres et les pharisiens » qui ont « entendu ses paraboles », « comprirent que c’était d’eux que Jésus parlait ». Ils l’auraient arrêté s’il n’y avait pas eu la foule (« ils redoutaient les réactions de la foule, parce qu’elle considérait Jésus comme un prophète », 21:45–46), mais ils allaient bientôt prendre la mesure du poids du jugement divin.
Nouvelles questions posées à Jésus (22:1–46)
Plus haut, Jésus répond peut-être à la question centrale de l’évangile de Matthieu (« Par quelle autorité fais-tu ces choses, et qui t’a donné cette autorité ? » 21:23) par deux paraboles dans lesquelles il affirme clairement qu’il est le Fils envoyé du Père et la pierre angulaire que Dieu a placée pour bâtir l’Église.
Matthieu 22 relate quatre épisodes supplémentaires de questions-réponses avec Jésus. La structure de 21:23–22:46 ressemble à ce qui suit :
Texte
Qui pose la question
Question
Réponse de Jésus
21:23–22:14
Les chefs des prêtres et les anciens du peuple (21:23), accompagnés des pharisiens qui écoutent (21:45)
« Par quelle autorité fais-tu ces choses, et qui t’a donné cette autorité ? » (21:23)
Les paraboles des deux fils, des vignerons et des noces
22:15–22
Les pharisiens (22:15)
« Est-il permis, ou non, de payer l’impôt à l’empereur? » (22:17)
“Render to Caesar the things that are Caesar’s and God the things that are God’s” (22:21)
22:23–33
Les sadducéens (22:23)
« A la résurrection, duquel des sept sera-t-elle donc la femme ? » (22:28)
« Vous êtes dans l’erreur parce que vous ne connaissez ni les Écritures, ni la puissance de Dieu » (22:29)
22:34–40
Les pharisiens (22:34)
« Maître, quel est le plus grand commandement de la loi ? » (22:36)
Le double commandement de l’amour (22:37–40), suivi d’une question posée par Jésus (22:41–46)
La parabole du festin des noces (22:1–14)
Ainsi, en 22:1–14, Jésus continue de répondre aux autorités du temple en racontant une troisième parabole pour les fustiger eux et les pharisiens. Ces chefs religieux ressemblent à un fils désobéissant (qui dit qu’il va obéir mais n’obéit pas), à des serviteurs meurtriers (qui iront jusqu’à tuer le fils du propriétaire) et maintenant, dans la parabole du festin des noces, à des invités à un mariage (qui ont refusé de se joindre aux célébrations organisées par le roi à l’occasion du mariage de son fils).
22:1–7 Dans cette parabole, qui se décompose en deux parties, Jésus s’adresse à deux catégories de personnes à deux époques différentes. La première partie de la parabole est une prophétie à propos d’Israël, adressée à Israël, et en particulier aux chefs religieux juifs de l’époque de Jésus. Cette époque se situe entre 33 apr. J.-C. et 70 apr. J.-C. Les personnages (« roi » = Dieu, « son fils » = Jésus, « festin » = banquet messianique, 8:11 ; 26:29 ; « serviteurs » [5x !] = prédicateurs de l’Évangile, « invités », 22:3, 4 = Israël en général et leurs chefs en particulier, « troupes » = armée romaine commandée par Titus mais sous les ordres souverains de Dieu [« ses » troupes]), l’action (les sujets du roi ont rejeté l’invitation au mariage du fils et ont agi avec violence envers ses messagers), et le point culminant (« le roi se mit en colère; il envoya ses troupes, fit mourir ces meurtriers et brûla leur ville », 22:7) décrivent la progression de l’Évangile depuis les débuts du ministère de Jésus jusqu’à la destruction du temple à Jérusalem. Avec patience et persévérance, Dieu a invité son peuple à le rejoindre pour célébrer le banquet messianique de son Fils (« venez aux noces », 22:4). La plupart des Israélites de l’époque de Jésus ont rejeté cette invitation, certains se montrant trop occupés et indifférents (« Mais eux, négligeant l’invitation, s’en allèrent l’un à son champ, un autre à ses affaires », 22:5), d’autres faisant preuve d’une violente indignation (« Les autres s’emparèrent des serviteurs, les maltraitèrent et les tuèrent », 22:6). Face à cette réponse inexplicablement atroce, Dieu a envoyé « ses troupes » pour raser « leur ville » (22:7).
22:8–14 La deuxième partie de la parabole est une prophétie à propos de ce qui arrivera dans « les derniers jours » (Actes 2:17), c’est-à-dire les jours allant de la destruction du temple jusqu’au retour de Christ et au jugement dernier. Comme dans la première moitié de la parabole, la structure est identique :
Invitations (22:2–3a, 4 // 22:8–9, 11–12a)
Réponses (22:3b // 22:10, 12c)
Jugements (22:7 // 22:13b)
Par ailleurs, certains personnages (le roi, les serviteurs) et le décor de l’invitation (des noces) ne changent pas. Mais deux nouveaux types de personnages apparaissent : « les serviteurs » et « les invités ». Les « serviteurs » représentent les anges, qui ligotent les coupables en vue du jugement (22:13 ; cf. Mt 13:41–42) et les « invités » représentent l’Église. Matthieu 22:8–13 est donc une « petite histoire qui symbolise la longue histoire des missions dans le monde : le rassemblement de l’Église mais aussi le jugement de l’Église ».24
Les versets 8 à 10 illustrent le rassemblement réussi de l’Église mixte. La proposition gracieuse du roi, rejetée de façon répétée aux versets 5 et 6, est maintenant acceptée.
« Alors il [Dieu le roi] dit à ses serviteurs [les messagers de l’Évangile] : ‘Les noces [le banquet messianique] sont prêtes, mais les invités [Israël] n’en étaient pas dignes [Actes 13:46]. Allez donc [le Mandat Missionnaire] dans les carrefours et invitez aux noces tous ceux que vous trouverez.’ » Et ces serviteurs sont allés sur les routes et ont rassemblé tous ceux qu’ils ont trouvé, les méchants comme les bons. De sorte que la salle de noces s’est retrouvée remplie d’invités. (Mt 22:8–10)
Matthieu 22:11–13 décrit le jugement de cette congrégation mixte, que Jésus a comparée précédemment à du blé et de la mauvaise herbe (13:24–25) et qu’il comparera plus tard à des brebis et des boucs (25:31–46). Jésus termine sur cette note sombre.
Le roi [Dieu] entra pour voir les invités [l’Église rassemblée au jour du jugement], et il aperçut là un homme qui n’avait pas mis d’habit de noces. « Il lui dit : ‘Mon ami [la prochaine fois que ce terme sera employé, ce sera pour parler de Judas, « Mon ami, ce que tu es venu faire, fais-le », 26:50], comment as-tu pu entrer ici sans avoir d’habit de noces?’ [la foi attestée par des « bonnes œuvres » ou « des œuvres manifestes de justice »,25 voir 25:31–46] ? Cet homme resta la bouche fermée. Alors le roi dit aux serviteurs [les anges] : ‘Attachez-lui les pieds et les mains et jetez-le dans les ténèbres extérieures, où [en enfer] il y aura des pleurs et des grincements de dents [des expressions de honte, de regret et de colère].’ (Mt 22:11–13)
La faute incombe uniquement au pécheur, qui est mis à nu et est condamné à un exil éternel. Pourtant, le contraste présent à la fin de la parabole, « En effet, beaucoup sont invités, mais peu sont choisis » (22:14), souligne la souveraineté divine. Dans ce contexte, le mot « invités » (utilisé en 22:3, 8, 9) signifie le fait d’accepter l’invitation de Dieu aux noces de son Fils par le biais de ses serviteurs. Toutefois, le mot « choisis » n’implique assurément pas la notion d’oisiveté. Pour Jésus, celui qui est choisi agit par la foi. Il aime, obéit, fait des bonnes œuvres et persévère jusqu’à la fin.
Rendez à Dieu (22:15–21)
Les pharisiens, qui ont entendu les paraboles de Jésus et ont réalisé que « c’était d’eux que Jésus parlait » (21:45), ont répondu à la parabole du festin des noces en se réunissant pour se concerter « sur les moyens de prendre Jésus au piège de ses propres paroles » (22:15). Une fois le plan ficelé, « Ils envoyèrent vers lui leurs disciples avec les hérodiens » (22:16a). Les pharisiens et les hérodiens formaient une alliance improbable, dans la mesure où les pharisiens étaient des nationalistes fervents opposés à la domination romaine, tandis que les hérodiens soutenaient et appuyaient la domination romaine dans la Judée d’Hérode. Ils ont fait cause commune contre un même ennemi. En outre, ils avaient l’avantage de représenter les deux points de vue dans le cadre du débat soulevé par la question : « est-il permis, ou non, de payer l’impôt à l’empereur ? » (22:17). Les pharisiens auraient répondu « non » (même s’ils payaient l’impôt) et les hérodiens « oui ». En se liguant, ils voulaient que Jésus réponde « non », afin que les hérodiens puissent l’accuser de vouloir se soustraire à l’impôt (une forme de trahison), ou « oui », ce qui aurait irrité ceux de Jérusalem (c’est-à-dire les pharisiens et leur base) qui ne supportaient pas la domination romaine. « Ils cherchaient à l’arrêter » (21:46).
Jésus, qui est conscient de leur mauvaises intentions (« leur méchanceté », 22:18a), n’est pas dupe de leurs flatteries (22:16b) et de leur piété feinte (leur hypocrisie, 22:18). Il répond : « Pourquoi me tendez-vous un piège, hypocrites ? Montrez-moi la monnaie avec laquelle on paie l’impôt » (22:18–19a). Ils essayent de lui tendre « un piège » mais il les met lui aussi à l’épreuve en leur demandant une pièce païenne alors qu’il se trouve dans le saint « temple » (21:23; 24:1). Ils lui amènent « une pièce de monnaie » (22:19). Jésus n’avait pas de pièce païenne en sa possession. En fait, il avait renversé « les tables des changeurs de monnaie » la veille (21:12). Pourtant, ces chefs juifs ont une pièce romaine sur eux, une pièce sur laquelle apparaît sur une face une femme assise (symbolisant probablement la Pax Romana) et sur l’autre une représentation de Tibère, avec les inscriptions « Dieu et grand-prêtre » et « Tibère César Auguste, fils du divin Auguste. »
Dans le temple, en voyant ces représentations idolâtres et ces inscriptions blasphématoires, Jésus demanda : « De qui porte-t-elle l’effigie et l’inscription ? » (22:20). Ce à quoi ils ont répondu aussitôt : « De l’empereur » (22:21a). La réponse qu’il fit à leur réponse était à la fois simple et logique, elle les a stupéfaits et réduits au silence (« Etonnés de ce qu’ils entendaient, ils le quittèrent et s’en allèrent », 22:22). Alors il leur dit : « Rendez donc [ou restituez, apodote] à l’empereur ce qui est à l’empereur et à Dieu ce qui est à Dieu.» Ils demandent, « est-il permis, ou non, de payer » ou littéralement de « donner à » (dounai) l’empereur ? Jésus déclare en substance, « Allez-y, payez cet impôt parce que si la pièce appartient à César et qu’il veut la récupérer, rendez-la-lui ». Jésus n’est pas anti-gouvernement, et il n’est pas venu pour renverser la domination romaine. De plus, Jésus est pro-Dieu, et il établit le royaume des cieux sur terre par ses paroles et par ses œuvres. Et ceux qui font partie de ce royaume rendent « à Dieu ce qui est à Dieu » (22:21), comme par exemple l’amour venant du cœur et l’obéissance à ses commandements. Si les disciples devaient payer l’impôt (qui s’élevait seulement à quelques pièces d’argent) à César, le fils du soi-disant « divin » Auguste, quand il le demande, ils devaient tout autant donner leur cœur, leur âme, leur esprit et leur force au Dieu Très-Haut.
Le mariage et la résurrection (22:22–33)
Jésus a gagné une manche, mais la partie n’est pas terminée. L’interrogatoire se poursuit quand, « Le même jour », les sadducéens, « qui disent qu’il n’y a pas de résurrection » (22:23, cf. Actes 23:8), lui ont posé une question justement à propos de la résurrection.
Leur devinette se réfère à la loi du lévirat : « Lorsque des frères habiteront ensemble et que l’un d’eux mourra sans laisser d’enfant, la femme du défunt ne se mariera pas en dehors de la famille avec un étranger. C’est son beau-frère qui s’unira à elle, la prendra pour femme et l’épousera comme beau-frère. C’est son beau-frère qui s’unira à elle, la prendra pour femme et l’épousera comme beau-frère. Le premier-né qu’elle mettra au monde succédera au frère mort et portera son nom, afin que ce nom ne soit pas effacé d’Israël » (Dt 25:5–6). Cette loi visait à perpétuer le nom de famille et à apporter une protection sociale et économique à la veuve. Pour les sadducéens, cependant, cette loi était la preuve irréfutable que la notion de résurrection, dans certaines situations, était invraisemblable, voire grotesque.
Jésus a répondu à cette question biblique, délicate sur le plan logique et sournoisement complexe, de manière directe (« Vous êtes dans l’erreur »), puis leur a adressé un double reproche (« parce que vous ne connaissez ni les Écritures, ni la puissance de Dieu » 22:29). Premièrement, Jésus écarte l’idée, sous-tendant leur point de vue, que le mariage humain fait partie des réalités célestes : « En effet, à la résurrection, les hommes et les femmes ne se marieront pas, mais ils seront comme les anges de Dieu dans le ciel » (22:30). « Le célibat sera la structure sociale du ciel, et une dévotion résolue, sa réalité quotidienne. »26 Les humains élus rejoindront les anges élus dans le service parfait de Dieu, la communion parfaite avec lui, et une adoration sans flottement, sans fatigue ni péché. Deuxièmement, Jésus leur reproche leur lecture superficielle de la Torah et formule un commentaire court mais percutant sur Exode 3:16 : « En ce qui concerne la résurrection des morts, n’avez-vous pas lu ce que Dieu vous a dit: ‘Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob’? [Commentaire :] Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants » (Mt 22:31–32).
Au lieu de monter un dossier s’appuyant sur tout un tas de preuves [par exemple, Job 19:25–26 ; Es 26:19 ; Dn 12:2], par ce seul verset, Jésus a rappelé aux sadducéens, dans les termes les plus simples, qu’au cœur de l’alliance se situe la promesse d’une relation réelle, vivante et durable entre YHWH et son peuple. Avec des mots si simples qu’un enfant d’un an pourrait les mémoriser, Jésus ré-ancre les enseignants d’Israël dans Ancien Testament 101, leçon 1 : Puisque la Torah enseigne que Dieu est un Dieu d’alliance, il est inconcevable que les promesses et les bénédictions de Dieu cessent quand son peuple meurt. La compréhension qu’ont les sadducéens de la mort comme la fin de toute chose, sans aucun espoir de résurrection, implique que Dieu est un « Dieu des morts » (cf. 22:32). Jésus leur a rappelé qu’il serait absurde que Dieu s’efforce de protéger son peuple des calamités pendant sa vie, mais qu’il ne le délivre pas de la catastrophe ultime que représente la mort ! Quelle drôle de protection ce serait ! Si la mort a le dernier mot, l’alliance de Dieu a été enfreinte ou rompue.27
Le plus grand commandement (22:34–40)
« La foule qui écoutait » cette réplique magistrale « fut frappée par l’enseignement de Jésus » (22:33). Matthieu ne mentionne aucune réaction de la part des sadducéens, hormis dans sa phrase de transition : « Les pharisiens apprirent qu’il avait réduit au silence les sadducéens. Ils se rassemblèrent » (22:34).
Jésus a réussi à fait taire les saducéens avec ses deux réponses percutantes. Les chefs religieux doivent se replier. Et se concerter à nouveau. Finalement, un expert des Écritures émerge du rang des pharisiens (« Un des spécialistes de la loi », Marc 12:28) : « et l’un d’eux, professeur de la loi, lui posa cette question pour le mettre à l’épreuve: ‘Maître, quel est le plus grand commandement de la loi?’ » (Mt 22:35–36). Ce spécialiste de la loi ne demande pas, « quelles sont les lois dans les Écritures qui doivent être respectées et celles qui peuvent être ignorées », mais « quel est le socle de la loi sur lequel se fondent tous les commandements ? »28
Dans sa réponse, Jésus cite Deutéronome 6:5 et Lévitique 19:18 : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée. C’est le premier commandement et le plus grand. Et voici le deuxième, qui lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (22:37–39). Les commandements de ce double-amour, à savoir la consécration totale à Dieu (« de tout ton cœur…de toute ton âme… et de toute ta pensée ») et l’amour désintéressé qui pousse à aimer de son prochain autant que soi-même, sont les deux fondements inséparables sur lesquels reposent tous les commandements de l’Ancien Testament (« De ces deux commandements dépendent toute la loi et les prophètes » 22:40). La dimension verticale (le commandement d’aimer Dieu) est imbriquée avec la dimension horizontale (le commandement d’aimer les autres) et en découle (cf. 1Jn 4:20–21). Pour Jésus, « le Shema doit être complété et accompli à travers l’amour de son prochain. Il existe donc une distinction entre les deux commandements de l’amour, mais pas une dissociation. Le premier commandement est supérieur au second, et pourtant le premier ne peut pas être honoré si le second n’est pas accompli (et inversement). »29
« Le Seigneur a dit à mon Seigneur » (22:41–46)
Les pharisiens étant regroupés (« Comme les pharisiens se trouvaient rassemblés », 22:41), Jésus saisit cette occasion pour leur poser lui-même une question : « Que pensez-vous du Messie? De qui est-il le fils ? » (22:42a). Ils donnent la réponse orthodoxe attendue, « De David » (22:42b). Le Messie sera issu de la lignée royale de David (2S 7 ; Es 11:1–10 ; Jr 23:5). Mais Jésus veut les faire réfléchir davantage. Il s’appuie dans ce but sur le Psaume 110 pour leur adresser une seconde question : « Comment donc David, animé par l’Esprit, peut-il l’appeler Seigneur lorsqu’il dit : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : ‘Assieds-toi à ma droite jusqu’à ce que j’aie fait de tes ennemis ton marchepied’? Si donc David l’appelle Seigneur, comment peut-il être son fils ? » (22:43–45).
Les pharisiens ont posé une question sur l’impôt, les sadducéens sur la résurrection et le spécialiste de la loi sur la loi. Jésus-Christ interroge quant à lui ses interrogateurs sur la christologie ! Le Messie est un homme, mais est-il plus qu’un simple homme ? Le fils de David selon la chair peut-il aussi être le divin Fils de Dieu (3:17 ; 17:5) ?
Le Psaume 110:1 présente une incohérence apparente : comment David, inspiré par l’Esprit, a-t-il pu écrire que YHWH (le premier « Seigneur » mentionné dans ce passage) invitait un autre ‘Seigneur’ (le second « Seigneur » de ce passage, le « Fils de David » messianique) à s’asseoir à sa droite ? Dans l’Ancien Testament grec, les mots hébreux pour le premier Seigneur (YHWH) et le second Seigneur (Adonaï) sont tous rendus par le terme kyrios. S’il ne doit pas y avoir « d’autres dieux devant » YHWH (Ex 20:3), qui est ce personnage qui s’assoit au même rang que lui ? La seule réponse, que les pharisiens n’ont pas pu donner (« Aucun ne put lui répondre un mot », Mt 22:46), c’est que Jésus est le fils de David et le Seigneur de David et que seul Jésus est à la fois fils de David et Fils de Dieu. La réponse à l’énigme de Jésus se tenait là, au milieu d’eux. Celui qui « est né de la descendance de David » selon la chair est aussi celui qui « du point de vue de l’Esprit saint, a été déclaré Fils de Dieu avec puissance par sa résurrection : Jésus-Christ notre Seigneur » (Rm 1:3–4).
Malheur aux spécialistes de la loi et aux pharisiens (23:1–39)
Ensuite, Jésus passe des questions des chefs religieux juifs à leur dénonciation publique. Il commence son réquisitoire en exhortant « la foule et. . . ses disciples » (Mt 23:1) à prendre garde à leur hypocrisie en lien avec leurs enseignements. Ils ne mettent pas en pratique ce qu’ils prêchent (23:3 ; cf. Rm 2:21–23), et ajoutent des fardeaux insupportables (tels que le nettoyage des coupes, la gradation entre serments, « la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin », Mt 23:23) et des règles qu’ils demandent de respecter sans être d’aucun secours (« Ils lient des fardeaux pesants et les mettent sur les épaules des hommes, mais ils ne veulent pas les remuer du doigt », 23:4).
En revanche, « Toutes leurs actions, ils les font pour se faire remarquer des hommes ». Par exemple, « ils portent de grands phylactères et allongent les franges », s’asseyant aux places d’honneur « dans les festins. . . et dans les synagogues », et « aiment être salués sur les places publiques » (ils aiment « être appelés par les hommes ‘Maître, [Rabbi]’ » 23:5–7). Les disciples de Jésus, au contraire, ne doivent pas se glorifier de tels actes de piété apparente. Pour arriver à dompter leur orgueil, les disciples ne doivent pas accepter les titres pompeux (« ne vous faites pas appeler maître » ou « père ») parce que Christ est leur seul maître (« car un seul est votre maître », « car un seul est votre chef »), et dans le royaume des cieux personne n’est plus important qu’un autre (« et vous êtes tous frères » et « un seul est votre Père, c’est celui qui est au ciel » 23:7–10). Ceux qui sont unis sous la bannière d’un même Dieu (le Père) et d’un même maître (Jésus) sont appelés à vivre selon des normes éthiques contre-culturelles (« Le plus grand parmi vous sera votre serviteur », 23:11) et à recevoir leur récompense en temps voulu (« Celui qui s’élèvera sera abaissé et celui qui s’abaissera sera élevé », 23:12).
Ceux qui sont unis sous la bannière d’un même Dieu (le Père) et d’un même maître (Jésus) sont appelés à vivre selon des normes éthiques contre-culturelles et à recevoir leur récompense en temps voulu.
En Matthieu 23:13–36, Jésus s’occupe directement du cas des spécialistes de la loi et des pharisiens (l’expression « Malheur à vous » est répétée à sept reprises). Alfred Plummer a comparé ces sept malédictions au « tonnerre qui éclate devant leur dureté péremptoire et à la foudre qui s’abat sur leur prétention implacable. . .. Ils frappent et éclairent tout à la fois. »30 Il s’agit en effet d’une excellente analogie car, dans ces versets, Jésus gronde comme le tonnerre et frappe comme la foudre. Pourtant, la seule métaphore que Jésus utilise pour parler de lui, ce n’est pas celle d’une violente tempête mais d’une tendre mère : « Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés ! Combien de fois j’ai voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous ne l’avez pas voulu ! » (23:37a). Dans les différents récits miraculeux, Jésus est plein de tendresse quand il touche les gens pour les guérir. De même, il est dans ce passage plein de compassion envers le peuple de Dieu, à la fois envers ceux qui refusent de se soumettre à sa domination et envers ceux qui sont aveuglés par des conducteurs aveugles.
Les sept malédictions de Jésus peuvent être regroupées en trois décrets divins de jugement contre les spécialistes de la loi et les pharisiens et d’avertissements pleins d’amour pour ses disciples. S’agissant des disciples, le premier avertissement (Mt 23:15–15) se concentre sur le zèle religieux sans connaissance du royaume.
Le deuxième avertissement de Jésus (Mt 23:16–22) les met en garde contre l’obsession du détail. Les cinq premiers exemples que Jésus donne se rapportent à leur enseignement sur les serments (le terme « jure » est employé dix fois dans les versets 16 à 22, en rapport avec le temple, l’argent du temple, l’autel, l’offrande et le ciel).
Toutes les actions ci-dessus, ainsi que les correctifs et les reproches apportés par Jésus, peuvent se résumer en un seul mot : « aveugles ». Quatre fois, Jésus appelle ces chefs religieux « aveugles », et deux « fois « conducteurs aveugles ». Ces deux termes ne vont pas ensemble. Les chefs sont aveugles parce que les poutres dans leurs yeux sont si grosses qu’elles les empêchent de voir que ce qui compte le plus pour Dieu, c’est d’être franc et de dire la vérité (« Que votre parole soit ‘oui’ pour oui, ‘non’ pour non » Mt 5:33–37).
Dans Matthieu 23:23–24, Jésus cite deux exemples d’obsession du détail. Les spécialistes de la loi et les pharisiens hypocrites versent « la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin », mais négligent « ce qu’il y a de plus important dans la loi : la justice, la bonté et la fidélité », 23:23). C’est comme s’ils s’assuraient avant de boire un verre de vin qu’il a été filtré à travers un tissu fin pour être certain qu’il n’y a pas de petit insecte dedans (« éliminer le moucheron ») mais qu’ils « aval[aient] le chameau » ! (23:24), un animal à la fois grand et impur (Lv 11:4, 23–24, 41). Il s’agit d’une description ironique de la disproportion de leurs valeurs.
Dans la série de malédictions suivante (Mt 23:25–28), Jésus met en lumière l’hypocrisie qui règne au dedans d’eux (« mais à l’intérieur vous êtes pleins d’hypocrisie et d’injustice », 23:28) et souligne le fait qu’ils accordent trop d’importance aux apparences. La critique est cinglante : « vous nettoyez l’extérieur de la coupe et du plat, alors qu’à l’intérieur ils sont pleins du produit de vos vols et de vos excès » (23:25). Jésus les compare à « des tombeaux blanchis qui paraissent beaux de l’extérieur et qui, à l’intérieur, sont pleins d’ossements de morts et de toutes sortes d’impuretés » (23:27). Jésus déclare, « de l’extérieur, vous paraissez justes aux hommes, mais à l’intérieur vous êtes pleins d’hypocrisie et d’injustice » (23:28).
La septième malédiction, et la section finale qui l’entoure (23:29–36), est un jugement contre leur rejet des messagers de Dieu. Ils « construise[nt] les tombeaux des prophètes et [décorent] les tombes des justes » et prétendent qu’ils n’auraient jamais agi comme leurs ancêtres (« Si nous avions vécu à l’époque de nos ancêtres, nous ne nous serions pas joints à eux pour verser le sang des prophètes », 23:29–30), mais Jésus les traite de menteurs. En rejetant à la fois Jean et Jésus à leur époque et en persécutant les évangélistes de Jésus dans les temps à venir (« C’est pourquoi, je vous envoie des prophètes, des sages et des spécialistes de la loi. Vous tuerez et crucifierez les uns, vous fouetterez les autres dans vos synagogues et vous les persécuterez de ville en ville », 23:34), ils agissent comme « les descendants de ceux qui ont tué les prophètes » et comme le diable lui-même (« Serpents, race de vipères! », 23:31, 33). Et à cause de son rejet violent de Jésus (« vous ne l’avez pas voulu », ce qui signifie qu’ils n’ont pas voulu venir à Jésus) et de ses messagers (« Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés ! » 23:37), cette génération subira à la fois des jugements provisoires (le temple sera détruit, « Voici que votre maison vous sera laissée déserte », 23:38 ; cf. 24:2) et un jugement éternel (« Comment échapperez-vous au jugement de l’enfer? » 23:33). Ils porteront « à son comble. . . la mesure de vos ancêtres ! » (23:32) et seront tenus responsables de tout le sang des martyrs versé au cours de la longue histoire d’Israël (« afin que retombe sur vous tout le sang innocent versé sur la terre, depuis le sang d’Abel le juste jusqu’au sang de Zacharie, fils de Bérékia, que vous avez tué entre le temple et l’autel », 23:35).
Le discours sur le mont des Oliviers (24:1–25:46)
Après avoir quitté le temple (24:1), Jésus « s’assit sur le mont des Oliviers » (24:3) et prédit la destruction du temple (« Vous voyez tout cela? Je vous le dis en vérité, il ne restera pas ici pierre sur pierre, tout sera détruit », 24:2). Pour les disciples, le fait que ce temple somptueux (« quelles constructions », Marc 13:1) à propos duquel il est écrit qu’« Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce temple » (Jean 2:20) soit rasé signifie la fin du monde, comme l’avaient annoncé les prophètes (Jr 9:11 ; Mi 3:12). Ils lui demandent donc, « Dis-nous, quand cela arrivera-t-il et quel sera le signe de ton retour et de la fin du monde ? » (Mt 24:3).
Jésus répond à leurs questions sur le moment (« quand ») et sur le signe de cet événement (« quel ») en déclarant que la destruction du temple ne signifie pas la fin du monde, mais un jugement local important qui préfigurera le jugement du monde au dernier jour, souvent appelé « le jour du Seigneur ». Les disciples perçoivent un seul événement, mais Jésus déclare qu’il s’agit en réalité de deux événements distincts.
Dans ce qui suit, Jésus décrit les événements qui se dérouleront avant et pendant la destruction du temple en 70 apr. J.-C., mais également ce qui se produira avant et pendant son retour et au jugement dernier. Par exemple, aux versets 15 à 26, Jésus parle principalement mais pas exclusivement de ce qui se passera avant 70 apr. J.-C. puis, aux versets 27 à 31, de ce qui arrivera avant et pendant sa seconde venue. Cet entremêlement des époques est appelé rapprochement prophétique, ce qui renvoie à « l’idée selon laquelle les événements situés dans un avenir proche et ceux nettement plus lointains sont décrits comme s’ils étaient très rapprochés dans le temps en raison de certaines caractéristiques communes. »31 Dan Doriani dresse le tableau ci-dessous pour résumer ce concept.32
Prédictions et textes
Accomplissement à la date de 70 apr. J.-C.
Accomplissement final
De faux « Christs » viendront (24:5, 23–24).
Les prophètes juifs prédisent que Dieu délivrera les Juifs de la domination romaine.
Le grand antéchrist trompe des foules nombreuses par ses paroles et ses actes.
Des guerres, des famines et des tremblements de terre éclateront (24:7–8).
Rome est souvent en guerre ; une famine fait rage sous le règne de Claude (41–54 apr. J. C.).
Les troubles de cette vie s’intensifient près de la fin.
L’Évangile sera prêché dans le monde entier (24:14).
L’Évangile est proclamé partout dans le monde connu.
L’Évangile est prêché à chaque personne.
L’abomination qui entraîne la désolation se tiendra dans le lieu saint (24:15).
Les armées romaines idolâtres envahissent Jérusalem, combattent et tuent beaucoup de personnes, y compris dans le temple.
La rébellion finale contre Dieu conduit à l’abomination religieuse et à la désolation.
Le soleil et la lune s’obscurciront quand Jésus reviendra (24:29–31).
La chute de Jérusalem préfigure la fin des puissances terrestres.
L’ordre mondial actuel prendra fin quand Christ reviendra.
Le signe du Fils de l’homme apparaîtra dans le ciel (24:30).
L’accomplissement de la prophétie atteste le règne de Jésus au ciel.
Jésus revient sur les nuées avec les anges.
La chute de Jérusalem (24:1–26, 32–35)
Le long récit de Jésus aux versets 4 à 14 ne se rapporte pas aux signes de la fin du monde, mais à ce qui se produira avant. Il commence par un impératif (« Faites bien attention que personne ne vous égare », 24:4), le premier des douze commandements contenus au chapitre 24. Les spécialistes ont beau avoir des désaccords quant à la chronologie des événements, tout le monde devrait être d’accord sur au moins un point : la confusion qui règne en matière d’eschatologie ne devrait pas faire oublier les injonctions claires à faire preuve de discernement, à persévérer et à se tenir prêt. Et ce premier commandement (« Faites bien attention que personne ne vous égare », 24:4) est une invitation à obéir aux injonctions citées précédemment. En effet, Jésus enseigne que, quand les faux Christs et prophètes, la grande apostasie, les guerres et bruits de guerres, les famines et les tremblements de terre se produiront (24:5–8), ce ne sera pas encore « la fin » du monde (24:6). En fait, « Tout cela sera le commencement des douleurs » (24:8). Jésus ne dit pas à quel moment le temple sera détruit, mais seulement qu’il le sera, et que cet événement cataclysmique dans l’histoire d’Israël est le signe que Christ peut revenir à n’importe quel moment (« quand vous verrez toutes ces choses », sachez que le Fils de l’homme « est proche », 24:33).
Dans l’intervalle de temps entre la Pentecôte et la Parousie, voici les missions confiées aux disciples : « supporte les souffrances » et « fais l’œuvre d’un évangéliste » (2Tm 4:5), c’est‑à‑dire d’accomplir le Mandat Missionnaire et de proclamer « dans le monde entier » la « bonne nouvelle du royaume… à toutes les nations » (Mt 24:14). « Alors viendra la fin » (24:14), une fois seulement que l’Évangile aura connu une progression spectaculaire. À travers les persécutions, l’Église ne va pas que survivre : elle va croître. Il y aura beaucoup de faux enseignants et beaucoup de personnes qui chuteront (« Beaucoup de prétendus prophètes surgiront et ils tromperont beaucoup de gens », 24:11 ; « Beaucoup trébucheront alors », 24:10a) et beaucoup de personnes qui trahiront et haïront les chrétiens (« ils se trahiront, se détesteront les uns les autres », 24:10b ; « on vous livrera à la persécution et l’on vous fera mourir; vous serez détestés de toutes les nations à cause de mon nom », 24:9), mais beaucoup accepteront également la bonne nouvelle de Jésus.
Même si « personne ne […] connaît » (24:36) le jour du retour de Christ, le lecteur de Matthieu sait qu’il reviendra de manière soudaine, publique, éclatante, et le signe que le monde arrive à sa fin sera manifeste (Mt 24:27–31). Son retour sera retentissant (« Il enverra ses anges avec la trompette retentissante », 24:31), universel (« tous les peuples » verront Jésus arriver « sur les nuées du ciel », 24:30) et glorieux (« le soleil s’obscurcira… alors le signe du Fils de l’homme apparaîtra dans le ciel… et ils verront le Fils de l’homme venir sur les nuées du ciel avec beaucoup de puissance et de gloire », 24:29–30 ; « En effet, tout comme l’éclair part de l’est et apparaît jusqu’à l’ouest, ainsi sera le retour du Fils de l’homme », 24:27).
Dans les versets 15 à 26, Jésus enseigne à ses disciples d’alors (« cette génération », 24:34) comment faire face à « ces jours de détresse » (24:29), c’est-à-dire la période située avant et pendant le siège romain de Jérusalem (Mt 22:7 ; Luc 21:20) ainsi qu’à la profanation et à la destruction du temple (« l’abominable dévastation », 24:15).33 Matthieu 24:21 résume bien l’ampleur de cette catastrophe, « car alors la détresse sera si grande qu’il n’y en a pas eu de pareille depuis le commencement du monde jusqu’à présent et qu’il n’y en aura jamais plus. » D’après Josèphe, les Romains ont réduit en esclavage près de 100 000 Juifs et en ont massacré ou fait mourir de faim 1,1 million d’autres. Il s’agissait véritablement des « heures les plus sombres d’Israël », d’ « une période de tribulation inégalée dans l’histoire d’Israël. »34
Devant de telles atrocités, Jésus emploie six impératifs : « s’enfuient » (24:16), « ne descende pas » (24:17), « ne retourne pas en arrière » (24:18), « Priez » (24:20), « ne le croyez pas » (24:23, 26b), et « n’y allez pas » (24:26a). C’est un véritable sauve qui peut ! Ceux qui résident en Judée doivent se mettre rapidement en sécurité (24:17–18) et « s’enfuient dans les montagnes » (24:16). En s’enfuyant, ils doivent être attentifs aux faibles (« aux femmes qui seront enceintes et à celles qui allaiteront durant ces jours-là », 24:19) et prier pour que, dans la providence divine, leur « fuite n’arrive pas en hiver, ni un jour de sabbat » (24:20). Pendant qu’ils sont cachés ou sortent de la ville, ils ne doivent pas se laisser tromper par les faux enseignants (24:23–26).
Pan de l’Arc de Titus à Rome, représentant le triomphe à la suite du pillage de Jérusalem par Titus en 71 apr. J.-C. | Crédit photo : Phil Thompson, CC BY-SA 4.0
Le retour de Christ (24:27–31, 36–51)
Dans les versets 37 à 51, Jésus enseigne aux disciples qui vivront après la destruction du temple la manière de se comporter en attendant la seconde venue de Jésus, qui sera à la fois éclatante et inattendue. Le caractère inattendu de la seconde venue de Jésus ressort tout particulièrement de trois déclarations (les gens de la génération de Noé « ne se sont doutés de rien jusqu’à ce que le déluge vienne », 24:39, « le Fils de l’homme viendra à l’heure où vous n’y penserez pas », 24:44, « le maître de ce serviteur viendra le jour où il ne s’y attend pas », 24:50) et de quatre illustrations (le déluge, les hommes et les femmes au travail, le voleur dans la nuit et les deux serviteurs ou types de serviteurs, 24:38–51).
Ces illustrations sur l’aspect soudain des événements visent à exhorter les disciples professants à se montrer attentifs et fidèles dans leurs attitudes et leurs actes. Les disciples qui s’appuient sur les paroles rassurantes de Jésus pour l’avenir (24:34–35) sont invités dans le présent à rester « vigilants » (24:42), « éveillé[s] » (24:43), à se tenir « prêts » (24:44), et à faire ce que Jésus les appelle à faire (24:45–25:46). Il s’agit d’une question de vie (le salut éternel, 24:13) ou de mort (le jugement éternel, 24:39, 40, 41, 51; 25:12, 28–30, 33, 41–46). Ceux qui utilisent l’attente du retour de Jésus comme un prétexte pour se laisser gagner par l’indifférence (adonnés à leurs activités quotidiennes, « Ils ne se sont doutés de rien jusqu’à ce que le déluge vienne », 24:39) ou par l’immoralité (« ‘Mon maître tarde à venir’… il mange et boit avec les ivrognes», 24:48–49) seront sévèrement jugés (24:51). Les vrais disciples de Jésus sont prêts, ils utilisent leurs dons pour œuvrer en faveur du royaume et aiment les autres. Jésus déclare en 24:46, « Heureux le serviteur que son maître, à son arrivée, trouvera occupé à son travail! ». Le disciple « fidèle et prudent » (24:45) prend Jésus au mot, fait le bien et non le mal, et attend avec impatience la venue de Jésus et sa récompense (« Je vous le dis en vérité, il [le maître qui symbolise Dieu] l’établira [le bon serviteur] responsable de tous ses biens », 24:47).
La parabole des dix jeunes filles [des dix vierges] (25:1–13)
Dans la poursuite de l’enseignement qu’il donne à ses disciples sur le mont des Oliviers, Jésus répond à la question, « A quoi ressemble la préparation à sa seconde venue ? » en disant dans la parabole des dix vierges qu’il faut attendre en se préparant.
Jésus raconte l’histoire d’un mariage, où dix mariées (« jeunes filles ») prennent « leurs lampes » et vont « à la rencontre du marié » (25:1). Or, « le marié tardait » (25:5a). « Au milieu de la nuit », il est arrivé (25:6) ! Mais toutes les jeunes filles s’étaient endormies (25:5b). Un cri les réveille, « Voici le marié, allez à sa rencontre ! » (25:6). Elles ont toutes préparé leur lampe à huile à la hâte pour le voir (« Alors toutes ces jeunes filles se réveillèrent et préparèrent leurs lampes », 25:7). Cependant, cinq d’entre elles « ne prirent pas d’huile avec elles » (25:3) contrairement aux cinq autres (« les sages prirent, avec leurs lampes, de l’huile dans des vases », 25:4). « Cinq d’entre elles étaient folles et cinq étaient sages » (25:2). Les jeunes filles folles, voyant leurs lampes qui « s’éteign[ai]ent », ont imploré les jeunes filles sages : « Donnez-nous de votre huile » (25:8). Les jeunes filles sages leur ont répondu de manière pragmatique, « Non, il n’y en aurait pas assez pour nous et pour vous [nous serons toutes dans le noir quand il viendra !]. Allez plutôt chez ceux qui en vendent et achetez-en pour vous » (25:9). Elles sont parties. Entre-temps, le marié est arrivé. Il a invité les cinq jeunes filles sages à le rejoindre à la fête (« Celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces et la porte fut fermée », 25:10b). Lorsque les jeunes filles folles sont revenues, elles ont constaté que « la porte fut fermée » et qu’elles ne pouvaient pas se rendre au repas de noces. Elles se sont mises à crier « Seigneur, Seigneur, ouvre-nous ! » (25:11). La réponse est catégorique et peut paraître choquante : « mais il répondit : ‘Je vous le dis en vérité, je ne vous connais pas’ » (25:12). Le propos de cette parabole est simple : « Restez donc vigilants, puisque vous ne savez ni le jour ni l’heure » (25:13). Toute cette histoire peut se résumer à cet avertissement.
Lampes à huile en terre cuite de la période hérodienne (37–4 av. J.-C.) | Crédit photo : محمد الفلسطيني CC BY-SA 3.0
Dans cette parabole, « le marié » représente Christ, les « dix jeunes filles » son Église mixte, « les jeunes filles sages » les croyants authentiques, l’« huile » leur état de préparation (cf. Luc 12:35, où « Mettez une ceinture à votre taille » fait écho à « tenez vos lampes allumées ») [c’est-à-dire tenez-vous prêts], les « jeunes filles folles » des chrétiens professants mal préparés et trop présomptueux (« Seigneur, Seigneur », Mt 25:11 ; cf. 7:21) et les jugements du marié envers les deux groupes représentent le jugement dernier : soit la joie du ciel (l’autorisation à entrer pour le festin de noces afin d’être « avec le Seigneur », 1Th 4:17) soit les tourments de l’enfer (l’interdiction d’entrer, le fait d’être « loin de la présence du Seigneur et de la gloire de sa force lorsqu’il viendra, ce jour-là, pour être célébré parmi ses saints », 2Th 1:9–10).
La parabole des récompenses [talents] (25:14–30)
Dans Matthieu 25:14–30, Jésus propose une deuxième parabole qui répond à la question, « A quoi ressemble la préparation à sa seconde venue ? » La réponse implique une foi agissante. Entre la résurrection de Jésus et son retour, l’Église se prépare à ce retour en investissant dans les talents que Dieu a donnés à chaque membre. J. C. Ryle résume à juste titre la parabole des récompenses en la comparant et en l’opposant à la parabole précédente.
La parabole des récompenses ressemble beaucoup à celle des dix jeunes filles. Les deux dirigent nos regards vers le même événement marquant : la seconde venue de Jésus-Christ. Les deux nous conduisent en présence des mêmes personnes : les membres de l’Église professante de Christ. Les jeunes filles et les serviteurs sont les mêmes personnes, considérées depuis des points de vue différents. L’enseignement pratique de chaque parabole constitue la principale différence entre les deux : la vigilance est le thème principal de la première parabole tandis que la diligence est le thème principal de la seconde. L’histoire des jeunes filles appelle l’Église à être attentive ; l’histoire des récompenses appelle l’Église à être active.35
Jésus aborde ce thème dans le cadre de trois scènes distinctes. Dans la première scène, il compare le royaume à venir à « un homme qui, partant pour un voyage, appela ses serviteurs et leur remit ses biens. Il donna cinq sacs d’argent à l’un, deux à l’autre et un au troisième, à chacun selon sa capacité, puis il partit aussitôt » (25:14–15). Cet « homme », qui est également appelé le « maître » à neuf reprises dans le reste de la parabole, représente le Seigneur Jésus. Les « serviteurs » symbolisent les chrétiens professants. Les sacs d’argent [les talents], une unité monétaire élevée (un sac d’argent pourrait équivaloir de nos jours à un million d’euros), représentent davantage que l’argent que Christ met à notre disposition. Ils représentent également les dons de l’intelligence, de la santé, du temps, des vocations, de la famille et des capacités naturelles (dans le sens du mot « talents » tel qu’il est employé aujourd’hui en français).
La deuxième scène décrit ce que les trois serviteurs ont fait de leurs sacs d’argent [talents] : « Celui qui avait reçu les cinq sacs d’argent s’en alla travailler avec eux et gagna cinq autres sacs d’argent. De même, celui qui avait reçu les deux sacs d’argent en gagna deux autres. Celui qui n’en avait reçu qu’un alla creuser un trou dans la terre et cacha l’argent de son maître » (25:16‑18). Les deux premiers serviteurs, qui se sont tout de suite mis au travail, ont doublé le capital de leur maître. L’empressement et le zèle déployés par le troisième serviteur, et les conséquences de ses actes, sont tout autres. Quand il s’est décidé à faire quelque chose de ce qu’il avait reçu, il a simplement creusé un trou et a enterré le sac d’argent.36
La troisième scène décrit la manière dont Jésus juge ce que ses disciples autoproclamés ont fait de ce qu’ils ont reçu (« Longtemps après, le maître de ces serviteurs revint et leur fit rendre des comptes » 25:19). Avec l’expression « Longtemps après », Jésus enseigne que son retour peut prendre nettement plus de temps que prévu et, avec l’expression « rendre des comptes », il souligne qu’il reviendra en tant que juge de tous les peuples des quatre coins du monde (« Toutes les nations seront rassemblées devant lui », 25:32). Les versets 20 à 30 décrivent son jugement des fidèles et des infidèles.
Tout d’abord, les fidèles sont récompensés.
« Celui qui avait reçu les cinq sacs d’argent s’approcha, en apporta cinq autres et dit : ‘Seigneur, tu m’as remis cinq sacs d’argent. En voici cinq autres que j’ai gagnés.’ Son maître lui dit : ‘C’est bien, bon et fidèle serviteur ; tu as été fidèle en peu de chose, je te confierai beaucoup. Viens partager la joie de ton maître.’ Celui qui avait reçu les deux sacs d’argent s’approcha aussi et dit : ‘Seigneur, tu m’as remis deux sacs d’argent. En voici deux autres que j’ai gagnés.’ Son maître lui dit : ‘C’est bien, bon et fidèle serviteur ; tu as été fidèle en peu de chose, je te confierai beaucoup. Viens partager la joie de ton maître.’ (25:20–23).
Au moyen de nombreux parallèles, mis en évidence ci-dessus, Jésus accorde trois types de récompenses à ses travailleurs fidèles : des éloges (« C’est bien, bon et fidèle serviteur »), de plus grandes responsabilités (« tu as été fidèle en peu de chose, je te confierai beaucoup »), et la joie partagée de la présence personnelle d’Emmanuel (« Viens partager la joie de ton maître »).
Ensuite, les infidèles sont punis (25:24–30). Encore une fois (25:12–13), la fin de la parabole insiste sur l’avertissement adressé aux personnes suffisantes sur le plan spirituel. Il ne s’agira pas du dernier avertissement. Le soi-disant serviteur « qui n’avait reçu qu’un sac d’argent s’approcha » (25:24a). Il a honte mais il se trouve des excuses et accuse même l’auteur du don : « Seigneur, je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes où tu n’as pas semé et tu récoltes où tu n’as pas planté. J’ai eu peur et je suis allé cacher ton sac d’argent dans la terre. Le voici, prends ce qui est à toi » (25:24b–25). Il considère son Seigneur, qui est rempli de miséricorde, comme quelqu’un d’impitoyable. Il considère son Seigneur, qui est juste, comme quelqu’un d’injuste. Il ne comprend pas qui est Jésus ni ce qu’il est venu faire. « Il a camouflé sa propre paresse derrière des excuses solennelles et sa fausse vision de Dieu… Il a l’audace de tenir Jésus, le généreux, responsable de son apathie et de son oisiveté. »37
La manière dont ce serviteur perçoit le Sauveur et Juge ne convient pas au Seigneur (25:26‑27). Aussi Jésus va-t-il juger cet homme. Notez que Jésus l’appelle « Serviteur mauvais et paresseux » (25:26). Les deux autres serviteurs sont qualifiés quant à eux de « bon[s] » et « fidèle[s] ». Par conséquent, « paresseux » est l’inverse de « fidèle » et cette paresse constitue une grave offense. Ce péché d’omission est peut-être plus terrible que les péchés de commission car le Juge Jésus rend un triple verdict diamétralement opposé au premier. Ce soi‑disant serviteur reçoit une juste condamnation : aucun éloge, pas de nouvelles responsabilités et aucune réjouissance dans la présence du Seigneur (25:28–30). Il est condamné à ne voir personne ni rien du tout (« ténèbres ») et à être éternellement désœuvré (ne rien faire pour toujours), et pourtant à ressentir de la tristesse et à subir pour toujours des conséquences spirituelles et physiques (« des pleurs et des grincements de dents ») évoquant « les regrets des occasions manquées, des chances gâchées, des choix stupides. »38
La parabole des brebis et des boucs (25:31–46)
Dans Matthieu 25:31–46, Jésus propose une dernière parabole, ou un enseignement ressemblant à une parabole, qui répond à la question, « A quoi ressemble la préparation à sa seconde venue ? » La réponse implique une espérance vigilante (25:1–13), une foi diligente (25:14–30), et un amour sacrificiel (25:31–46). Elle impose de prêter allégeance à Jésus en veillant sur « les plus petits » (25:40).
Le « discours révélateur »,39 selon les termes de Schnackenburg, commence par un portrait de Jésus en tant que divin juge à venir (« Lorsque le Fils de l’homme viendra dans sa gloire avec tous les [saints] anges, il s’assiéra sur son trône de gloire », 25:31 ; Dn 7:9–10). Il est assis en tant que juge, et tous les peuples se tiendront debout devant lui (« Toutes les nations seront rassemblées devant lui »). Il rendra un jugement qui distinguera les justes des impies (« Il séparera les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs; il mettra les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche » Mt 25:32–33 ; Dn 7:18, 26). Quelle image de puissance ! Il vient avec « tous les [saints] anges » pour juger « Toutes les nations » (Mt 25:31, 32).
Quelle image de puissance ! Il vient avec « tous les [saints] anges » pour juger « Toutes les nations ».
Comme indiqué dans Matthieu 16:27, ici le jugement de Jésus est fondé sur les œuvres. Ceux qui sont bénis (« Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite: ‘Venez, vous qui êtes bénis par mon Père, prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès la création du monde!’ » 25:34) démontrent leur union avec le roi par l’amour de son Église persécutée40 de six manières concrètes : « En effet, j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire; j’étais étranger et vous m’avez accueilli; j’étais nu et vous m’avez habillé; j’étais malade et vous m’avez rendu visite; j’étais en prison et vous êtes venus vers moi. » (25:35–36).
Les justes sont surpris de ce que leurs actions apparemment insignifiantes en faveur des misérables ont été remarquées et saluées par Jésus : « Les justes lui répondront : ‘Seigneur, quand t’avons-nous vu affamé et t’avons-nous donné à manger, ou assoiffé et t’avons-nous donné à boire ? Quand t’avons-nous vu étranger et t’avons-nous accueilli, ou nu et t’avons-nous habillé ? Quand t’avons-nous vu malade ou en prison et sommes-nous allés vers toi ?’ » (25:37–39). Ils ont oublié que le glorieux Fils de l’homme est solidaire d’un point de vue spirituel avec les plus nécessiteux et les plus persécutés parmi son peuple (« Et le roi leur répondra : ‘Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous avez fait cela à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.’ » 25:40).
Berger qui fait paître ses brebis devant Jérusalem | Crédit photo : Phil Thompson, CC BY-SA 4.0
Les impies connaissent le sort opposé : « Ensuite il dira à ceux qui seront à sa gauche : ‘Eloignez-vous de moi, maudits, allez dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges !’ » (25:41). Jésus dit aux justes « Venez » (25:34) et aux impies « Eloignez-vous » (25:41) ; les justes sont « bénis » (25:34) et les impies sont « maudits » (25:41) ; les justes reçoivent « la vie éternelle » (25:46b) et les impies sont condamnés à « la peine éternelle » (25:46a) ; les justes prennent « possession du royaume » (25:34) et les impies vont « dans le feu éternel » (25:41). Faisant écho à la parabole des récompenses, « le péché de négligence entraîne la damnation des oisifs. »41 Comme le déclare Jésus, « En effet, j’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’ai eu soif et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais étranger et vous ne m’avez pas accueilli ; j’étais nu et vous ne m’avez pas habillé ; j’étais malade et en prison et vous ne m’avez pas rendu visite. » (25:42–43). Les impies sont aussi surpris que les justes, mais eux le sont de ce que leur foi professée (ils appellent Jésus « Seigneur ») ne suffisait pas et de ce que les œuvres d’amour étaient à la fois nécessaires (« Ils répondront aussi: ‘Seigneur, quand t’avons-nous vu affamé, ou assoiffé, ou étranger, ou nu, ou malade ou en prison et ne t’avons-nous pas servi?’ » 25:44) et intimement liées à Emmanuel (« Et il leur répondra: ‘Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous n’avez pas fait cela à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait.’ » 25:45). La leçon enseignée ici reflète ce que Jésus a déclaré plus tôt dans le Sermon sur la montagne : « Ceux qui me disent : ‘Seigneur, Seigneur !’ n’entreront pas tous dans le royaume des cieux, mais seulement celui qui fait la volonté de mon Père céleste » (7:21).
« Le Fils de l'homme est livré entre les mains des pécheurs » (26:1–56)
Matthieu 26:1–27:61 relate la passion du Christ. Même s’il serait exagéré de prétendre que l’évangile de Matthieu est « un récit de la passion avec une longue introduction »,42 il n’est en revanche pas exagéré d’affirmer que les souffrances et la mort de Jésus constituent le point culminant de la grande histoire de Matthieu.
Après avoir terminé son discours sur le mont des Oliviers (« Lorsque Jésus eut fini de donner toutes ces instructions », 26:1),43 un discours qui met l’accent sur un futur lointain (la destruction du temple et sa seconde venue), Jésus s’attarde sur le futur proche en déclarant à ses disciples : « Vous savez que la Pâque a lieu dans deux jours et que le Fils de l’homme sera arrêté pour être crucifié » (26:2). Alors que Jésus prononce ces paroles prophétiques, sa prophétie commence à s’accomplir : « Alors les chefs des prêtres, [les spécialistes de la loi] et les anciens du peuple se réunirent dans la cour du grand-prêtre, appelé Caïphe,et ils décidèrent d’arrêter Jésus par ruse et de le faire mourir. Cependant, ils se dirent : « Que ce ne soit pas pendant la fête, afin qu’il n’y ait pas d’agitation parmi le peuple. » » (26:3–5). Jésus a déclaré qu’il mourrait durant la Pâque, et les chefs religieux, qu’il mourrait après la Pâque. C’est la parole de Jésus qui se réalisera, pas celle des chefs religieux. En effet, l’ironie réside dans le fait que « dans l’histoire de la Pâque de Jésus [Passover], le peuple de Dieu sera sauvé [au cours de la Pâque] … au moment où le Seigneur n’épargnera pas [Passover]son propre Fils premier-né. »44
Jésus oint à Béthanie (26:1–16)
Pendant que l’aristocratie du temple complote « dans la cour du grand-prêtre » (26:3), Matthieu change de scène et montre Jésus qui arrive à Béthanie et entre « dans la maison de Simon le lépreux » (26:6). Le parallèle entre un endroit pur (où avaient lieu les rites de purification précédant la Pâque, voir Jean 11:55), et la maison impure du lépreux est saisissant, et préfigure ce que Jésus est sur le point d’accomplir. Il purifiera son peuple « de tout péché » (1Jn 1:7) en étant « arrêté pour être crucifié » (Mt 26:2).
« Entre deux scènes de haine, le complot des prêtres (26:3–5) et la trahison de Judas (26:14‑16), se déroule une histoire d’amour. C’est l’une des plus belles histoires d’amour de LA PLUS GRANDE HISTOIRE D’AMOUR jamais racontée. »45 L’histoire est courte, mais magnifique : « une femme s’approcha de lui avec un vase qui contenait un parfum de grande valeur. Pendant qu’il était à table, elle versa le parfum sur sa tête » (26:7). Cet acte d’amour extravagant suscite trois réactions bien distinctes. Premièrement, les douze « s’indignèrent » et se sont interrogés sur cet acte en apparence irrationnel, non conventionnel et impie : « A quoi bon un tel gaspillage ? On aurait pu vendre ce parfum très cher et donner l’argent aux pauvres », 26:8b–9). Marc écrit que Jésus a été oint avec un « parfum de nard pur » qui aurait pu être vendu pour « plus de 300 pièces d’argent » (Marc 14:3, 5), soit une année complète de salaire d’un travailleur ordinaire.
Deuxièmement, Jésus réagit en prenant sa défense. Ce qu’ils appellent « gaspillage », Jésus le qualifie de « bonne action » : « Pourquoi faites-vous de la peine à cette femme? Elle a accompli une bonne action envers moi » (Mt 26:10). Il corrige également leur mauvaise théologie à propos des pauvres : « En effet, vous avez toujours des pauvres avec vous, mais vous ne m’aurez pas toujours » (26:11). Il leur rappelle ce qu’il a enseigné précédemment (Mt 10:37). Jésus est le premier amour de cette femme, et aussi le plus grand. Elle l’aime même plus que ses biens de grand prix. Elle l’aime d’un amour coûteux.
De surcroît, elle l’aime pour ce qu’il a dit qu’il était. Quand Jésus déclare, « En versant ce parfum sur mon corps, elle l’a fait pour mon ensevelissement » (26:12), il peut vouloir dire que son acte dépasse sa compréhension, à savoir que son corps serait embaumé de parfum pour couvrir l’odeur d’un cadavre en décomposition et qu’elle anticipe donc ici le rite funéraire prévu pour Jésus. Il peut également vouloir dire qu’elle a agi selon sa foi, en toute connaissance de cause. Si cette femme est Marie de Béthanie (ce qui est probable), alors elle avait entendu en personne ou de manière indirecte Jésus annoncer sa mort et sa résurrection (16:21 ; 17:22–23 ; 20:17–19 ; 26:2). Si la femme cananéenne a compris que Jésus était « Seigneur » et « Fils de David » (15:22), pourquoi ce disciple juif, ami proche de Jésus, ne comprend-il pas que Jésus doit être enseveli entre sa mort et sa résurrection ?
Peut-être qu’elle comprend Matthieu 1, à savoir que Jésus est Roi et Sauveur. Peut-être que l’objet de son amour est Jésus en tant que Christ, et en tant que Christ crucifié. Peut-être que, contrairement aux chefs juifs… elle croit que Jésus est le Fils de l’homme (elle le baptise ainsi en tant que divin Roi d’un royaume éternel) et que l’avènement de Jésus aura lieu de façon mystérieuse à la croix du Calvaire. Peut-être qu’elle comprend la couronne et la croix.46
Peut-être que nous surinterprétons ses motivations, mais ce n’est pas là l’essentiel. Ce qui est clair, c’est que Jésus loue ses actes à travers l’un des plus beaux compliments de toute la Bible : « Je vous le dis en vérité, partout où cette bonne nouvelle sera proclamée, dans le monde entier, on racontera aussi en souvenir de cette femme ce qu’elle a fait » (26:13). « Et que l’expression « cette bonne nouvelle » désigne l’évangile de Matthieu (ce qui est peu probable), ou simplement ‘le drame de la passion lui-même’ (ce qui est plus probable) ou bien ‘la bonne nouvelle du Messie, une nouvelle qui doit inclure ce récit et donc sa passion’ (ce qui est encore plus probable), son doux parfum qui a embaumé la maison du lépreux remplit maintenant les quatre coins du monde et les sept continents de la planète. »47
La troisième réaction face à l’onction de Jésus par la femme est celle de Judas. « Alors l’un des douze, appelé Judas l’Iscariot, alla vers les chefs des prêtres et dit : « Que voulez-vous me donner pour que je vous livre Jésus?» Ils lui payèrent 30 pièces d’argent. Dès ce moment, il se mit à chercher une occasion favorable pour trahir Jésus. » (26:14–16). Judas, qui vient de reprocher à cette femme de ne pas se soucier des pauvres (puisqu’elle a versé l’équivalent d’un an de salaire sur Jésus) accepte de livrer Jésus pour « 30 pièces d’argent », soit environ quatre mois de salaire. La femme donne généreusement alors que Judas est rempli de cupidité et prend tout ce qu’il peut pour révéler l’endroit où se trouve Jésus. Pendant que des hommes avides réunis dans la cour du palais complotent dans le but de tuer Jésus, l’un des apôtres de Jésus participe à la mise en œuvre de ce complot. Quel plan machiavélique !
Le dernier repas (26:17–29)
Dans Matthieu 26:17–30, l’évangéliste change de décor. Nous sommes le premier des sept jours que compte la fête de Pâque. « Le premier jour des pains sans levain, les disciples s’adressèrent à Jésus pour lui dire : « Où veux-tu que nous te préparions le repas de la Pâque? » » (Mt 26:17). Par la triple répétition du mot « Pâque » (26:17, 18, 19), Matthieu souligne que l’annonce de Jésus relative à sa passion (26:2) est en train de s’accomplir. Son « heure est proche » (26:18b).
Une fois l’endroit trouvé, le repas préparé (26:18–19) et le soleil couché (« Le soir venu »), Jésus « se mit à table avec les douze » (26:20). Deux thèmes majeurs sont introduits au moyen de la même expression : « Pendant qu’ils mangeaient » (26:21, 26).
Premièrement, Jésus annonce qu’il sera trahi : « Je vous le dis en vérité, l’un de vous me trahira » (26:21). De même que Jésus annonce le moment de sa mort (26:2, 18) et sa résurrection corporelle (26:29), il annonce également qu’un des douze le trahira (26:21) et qu’il connaît l’identité de cet homme (26:25). Alors que onze des apôtres demandent, « Est-ce moi, Seigneur ? » (26:22), le traître se trahit lui-même par ses paroles (« Est-ce moi, maître? » Jésus lui répondit : « Tu le dis. » 26:25) et par ses actes (« Celui qui a mis la main dans le plat avec moi, c’est celui qui me trahira », 26:23). L’annonce de Jésus est conforme aux prophéties de l’Ancien Testament (Es 53:7–9 ; Dn 9:26) : « Le Fils de l’homme s’en va, conformément à ce qui est écrit à son sujet, mais malheur à l’homme par qui le Fils de l’homme est trahi! Mieux vaudrait pour cet homme qu’il ne soit pas né. » (Mt 26:24). Et bien que le plan fomenté afin de trahir Jésus fasse partie du plan souverain de Dieu, Judas est tenu personnellement responsable de ses mauvaises actions, comme l’indique la condamnation explicite de Jésus (« malheur à l’homme », 26:24 ; cf. Actes 2:23).
Deuxièmement, Jésus prend le repas de la Pâque avec ses disciples. Ils ont prié tous ensemble (Jésus a béni le pain et a rendu grâces [eucharistēas] pour la coupe, Mt 26:26, 27), mangé le pain (26:26), bu le vin (26:27–28) et chanté « les Psaumes » (26:30, probablement l’un des Psaumes du Hallel, c’est-à-dire les Ps 113 à 118, peut-être le Psaume 118 où il est écrit « La pierre qu’ont rejetée ceux qui construisaient est devenue la pierre angulaire ». Ps 118:22).
Jésus célèbre ce repas pascal de façon unique. Voici cinq observations sur cette célébration. Premièrement, Jésus est peut-être en train de célébrer une version du ‘Séder’, qui a pris sa forme actuelle trente ans après le repas du Seigneur. Cependant, Matthieu donne peu de détails sur le repas et insiste davantage sur l’homme qui le préside et sur les éléments extraordinairement nouveaux qu’il apporte à la célébration de l’Exode (Ex 12:14–27 ; Lv 23:4–6 ; Dt 16:3–4).
Outre le fait de transformer ce repas familial en repas communautaire d’église (ce qui est complètement nouveau ; qui sont ses frères et ses sœurs, si ce n’est ses disciples, Mt 12:46‑50), Jésus recentre la célébration tout entière sur sa propre personne. Au lieu de mettre l’accent sur l’agneau, qui est au cœur du repas pascal [Ex 12:3–11, 21–23, 43‑49 ; Dt 16:2, 5–7], Jésus parle de son corps et de son sang : « mon corps » (26:26) et « mon sang » (26:28). Son corps ? Son sang ? Et le corps et le sang de l’agneau ? Cet agneau n’est mentionné nulle part, ni dans les paroles de notre Seigneur ni dans le récit de Matthieu.48
À travers ces éléments nouveaux et surprenants et ce recentrage, Matthieu défend l’idée que la mort de Jésus constitue une nouvelle Pâque et un nouvel Exode. Ce repas est la dernière Pâque. En effet, il n’est plus nécessaire de célébrer la Pâque parce que l’Agneau de Dieu (Jean 1:29, 36 ; 1Co 5:7), vers lequel ce repas pointait, a versé son sang pour libérer son peuple de l’esclavage du péché.
Deuxièmement, les paroles de Jésus citées ci-dessus indiquent clairement qu’il comprend la portée de sa mort (« le pardon des péchés », Mt 26:28) et que sa passion n’est pas « une tragédie ou une erreur, mais l’acte qui parachève son ministère au sein duquel il verse son sang. Par ce sacrifice, réalisé une fois pour toutes, il assure le rachat « de beaucoup » et garantit une glorieuse consommation à l’avenir. »49
Troisièmement, quand Jésus parle du fait de manger et de boire son sang, il emploie un langage figuré, le pain symbolisant le sacrifice de son corps et le vin son sang versé à la croix. Ce sacrifice pour « beaucoup » indique vraisemblablement que la mort substitutive de Jésus bénéficie directement aux élus (le Serviteur « a porté le péché de beaucoup d’hommes », Es 53:12), qui sont appelés précédemment « mon peuple » (Es 53:8, c’est-à-dire le peuple de l’alliance de Dieu ; cf. « c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés », Mt 1:21).
Quatrièmement, même si le récit de Matthieu concernant le dernier repas ne contient aucun commandement précis permettant d’affirmer que Jésus institue un sacrement devant être célébré à perpétuité par l’Église (à moins de considérer les commandements adressés à ses premiers disciples « Prenez », « mangez » et « buvez » comme des commandements perpétuels), nous savons d’autres récits inspirés (par exemple, Luc 22:19 ; 1Co 11:24) que l’Église primitive célébrait régulièrement ce repas parce que Christ l’avait ordonné clairement. Et, en l’occurrence, il est intéressant d’observer que la seule chose que Jésus ordonne à l’Église de commémorer de façon récurrente, c’est « la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne » (1Co 11:26).
Cinquièmement, cette commémoration de la mort de Jésus revêt une dimension eschatologique, comme Paul l’affirme ci-dessus. Jésus l’exprime en ces termes : « Je vous le dis, je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai nouveau avec vous dans le royaume de mon Père. » (Mt 26:29). Quand les chrétiens d’aujourd’hui mangent le pain et boivent la coupe, ils annoncent leur association future avec Jésus et avec « beaucoup d’hommes » qu’il a sauvés.50
En route pour Gethsémané (26:30–56)
26:30–35 Après le repas pascal, Jésus et ses disciples sont retournés « au mont des Oliviers » (26:30). Et alors qu’ils se rendaient à Gethsémané, Jésus les a avertis : « Vous trébucherez tous, cette nuit, à cause de moi, car il est écrit : Je frapperai le berger et les brebis du troupeau seront dispersées. Mais, après ma résurrection, je vous précéderai en Galilée » (26:31–32). Jésus prophétise :
Que les douze commettront tous l’apostasie pendant sa passion (quand Jésus, « le berger », est frappé, « les brebis… seront dispersées », citant Za 13:7).
Qu’il ressuscitera d’entre les morts.
Qu’il leur apparaîtra en Galilée (ce qui implique qu’ils seront tous, à l’exception notable de l’un d’entre eux, rétablis en tant qu’apôtres).
Ces prophéties s’accomplissent dans les derniers chapitres de Matthieu :
Judas chute (« Celui qui le trahissait » arrive, Mt 26:48), suivi de dix autres apôtres (« tous les disciples l’abandonnèrent et prirent la fuite », 26:56) et enfin de Pierre (« Il sortit [abandonna Jésus] et pleura amèrement » après ses reniements, 26:75).
Jésus ressuscite d’entre les morts (28:1–10).
Jésus remet les onze au travail (« Allez dire à mes frères de se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront », 28:10) et leur donne une nouvelle mission dans la « Galilée à la population étrangère » (4:15) : apporter l’Évangile à « toutes les nations » (28:19).
En entendant la prophétie de Jésus concernant l’apostasie des douze, qui est pourtant annoncée par les Écritures, Pierre proteste : « Même si tous trébuchent à cause de toi, ce ne sera jamais mon cas » (26:33). Il rabaisse ses frères (« Même si tous trébuchent ») pour mieux se mettre sur un piédestal (« ce ne sera jamais mon cas »). En plus d’avoir tort, Pierre est blessant. Comme le fait remarquer Bruner, Pierre se trompe sur trois plans : « 1) dans sa condescendance envers les autres disciples, 2) dans la confiance en ce qu’il ferait exception, et 3) dans son opposition aux paroles de son Seigneur. »51 Pierre a repris Jésus, mais Jésus le reprend plus énergiquement encore : « Je te le dis en vérité, cette nuit même, avant que le coq chante, trois fois tu me renieras » (26:34). Cette prophétie va également se réaliser bientôt (26:69–75). Mais Pierre est trop fier et sûr de lui pour capituler. Il contredit à nouveau Jésus ! « Pierre lui répondit : « Même s’il me faut mourir avec toi, je ne te renierai pas.» » (26:35a), et les autres l’imitent dans son outrecuidance (« Et tous les disciples dirent la même chose », 26:35b).
26:36–46 Si, à ce stade, Jésus ne se sentait pas complètement seul dans sa mission, ce serait bientôt le cas. Lorsqu’ils arrivent, tard le soir, dans le jardin de Gethsémané, « il dit aux disciples : «Asseyez-vous [ici] pendant que je m’éloignerai pour prier.» » (26:36). Prenant Pierre, Jacques et Jean avec lui, il fait ce qu’il vient de dire : il « se jeta le visage contre terre et fit cette prière » (26:39) ; « Il s’éloigna une deuxième fois et fit cette prière » (26:42) ; « Il les quitta, s’éloigna de nouveau et pria pour la troisième fois » (26:44). Et entre ses temps de prière personnelle, il exhorte le trio fatigué en leur disant « Restez vigilants et priez » (26:41).
Oliviers du temps de Christ dans le jardin de Gethsémané
Ses heures passées dans la prière, qui provoquent en lui une profonde affliction (« il commença à être saisi de tristesse et d’angoisse », 26:37 ; « Mon âme est triste à en mourir », 26:38 ; Luc 22:44) se concentraient sur la « coupe » qu’il était sur le point de boire : « Mon Père, si cela est possible, que cette coupe s’éloigne de moi! » (Mt 26:39) ; « Mon Père, s’il n’est pas possible que cette coupe s’éloigne [de moi] sans que je la boive, que ta volonté soit faite! » (26:42). Cette coupe qui doit être bue symbolise ses souffrances physiques. Elle évoque également la séparation spirituelle d’avec le Père (qui sera exprimée à la croix par ce cri, « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » 27:46). Cet abandon de la part du Père, sous-entendu dans Matthieu 8:17 et indiqué de manière explicite dans Matthieu 20:28, correspond à l’acte du salut. Le paradoxe est immense : la coupe de la colère de Dieu, habituellement bue par les nations à cause de leurs péchés (Es 51:17, 22 ; Jr 25:15–28), est consommée entièrement par le « Fils de l’homme » (Mt 26:45), la figure divine qui viendra pour juger les nations et dominer sur elles. Le Fils de l’homme et Fils de Dieu boit la colère réservée aux nations ! Charles Spurgeon résume magnifiquement la beauté de ce moment :
L’intégralité de la punition destinée à son peuple a été déversée dans une seule coupe ; aucune [simple] lèvre mortelle ne peut en goûter ne serait-ce que la moindre gorgée. Lorsqu’il l’a portée à ses lèvres, elle était si amère qu’il l’aurait volontiers repoussée : « que cette coupe s’éloigne de moi ! ». Mais son amour pour son peuple était si fort [et nous ajoutons : son attachement à faire la volonté de son Père si inébranlable], qu’il a pris la coupe des deux mains, et « D’un seul trait, poussé par un amour sans faille, il a bu la damnation jusqu’à la dernière goutte ».52
26:47–56 Après avoir terminé son moment de prière avec son Père, Jésus retrouve à nouveau ses trois futurs généraux endormis alors qu’ils sont censés veiller. Il les tire de leur sommeil avant que le tumulte de l’armée tout juste mise sur pied par Judas ne le fasse. « Il parlait encore » (26:47), disant, « Vous dormez maintenant et vous vous reposez! Voici, l’heure est proche et le Fils de l’homme est livré entre les mains des pécheurs. Levez-vous, allons-y ! Celui qui me trahit s’approche » (26:45–46), quand Judas arrive, « avec une foule nombreuse armée d’épées et de bâtons, envoyée par les chefs des prêtres et par les anciens du peuple » (26:47). Judas salue Jésus (« Salut, maître ! » 26:49) et c’est par un baiser qu’il donne à la foule le signal d’arrêter cet homme. « Judas change une salutation amicale…. en signe de mort ».53 L’« un des douze » (26:47) trahit Jésus !
Jésus s’est laissé arrêter par Judas (« Mon ami, ce que tu es venu faire, fais-le »). On s’est emparé de lui (« Alors ces gens s’avancèrent, mirent la main sur Jésus et l’arrêtèrent », 26:50). Cependant, l’un des disciples (« Pierre », d’après Jean 18:10), a cherché à engager le combat. Il « mit la main sur son épée et la tira ; il frappa le serviteur du grand-prêtre et lui emporta l’oreille » (Mt 26:51). Peut-être pensait-il que cela inciterait Jésus et les autres à se joindre à lui. Peut-être l’a-t-il fait pour honorer son serment audacieux : « Même s’il me faut mourir avec toi, je ne te renierai pas » (26:35).
Jésus a guéri l’oreille de l’homme (comme cela nous est rapporté dans Luc 22:51), puis il a adressé un reproche aussi bien à Pierre qu’à la foule (Mt 26:52–54). Une fois encore, Pierre ne comprend ni la mission de Jésus ni la nature de sa propre mission apostolique. La mission de Jésus, comme il l’a définie lui-même en vue d’accomplir les Écritures, consiste à être arrêté, battu et crucifié ; la mission de Pierre consiste à prêcher Christ crucifié et à utiliser l’épée de l’Esprit pour faire mourir des âmes. Pierre sous-estime par ailleurs la puissance divine de Jésus. Si Jésus le voulait, il pourrait rassembler une énorme armée d’anges pour le secourir (une « légion » était composée de 5 000 à 6 000 soldats). Qui a besoin de l’épée de Pierre quand vous disposez d’un accès immédiat à quelque 70 000 anges du Seigneur ? Ou, pour paraphraser Jérôme, « Qui a besoin de la protection de douze apôtres sur terre quand vous avez à votre disposition douze légions d’anges dans le ciel ? »54
Jésus reprend aussi la foule parce qu’elle le traite comme un dangereux criminel : « Vous êtes venus vous emparer de moi avec des épées et des bâtons, comme pour un brigand » (26:55). La violence est-elle nécessaire, notamment compte tenu du fait que les gens le voyaient régulièrement enseigner sans aucune arme ? « J’étais tous les jours assis [parmi vous], enseignant dans le temple, et vous ne m’avez pas arrêté » (26:55). Pourtant, comme Jésus le déclare à Pierre (26:54), « tout cela est arrivé afin que les écrits des prophètes soient accomplis » (26:56). Jésus, qui est le « Fils de l’homme » selon Daniel (Dn 7:13–14), démontrera qu’il est le Serviteur Souffrant d’Ésaïe (Es 52:13–53:12) et le roi abandonné et moqué du Psaume 22, qui inaugure la nouvelle alliance annoncée par Jérémie (Jr 31:31) à travers son sacrifice à la croix.
Jésus, qui est le « Fils de l’homme » selon Daniel, démontrera qu’il est le Serviteur Souffrant d’Ésaïe et le roi abandonné et moqué du Psaume 22, qui inaugure la nouvelle alliance annoncée par Jérémie à travers son sacrifice à la croix.
La scène qui se déroule à Gethsémané se termine sur cette terrible phrase : « Alors tous les disciples l’abandonnèrent et prirent la fuite » (Mt 26:56). Vers le début de l’évangile, « ils laissèrent les filets et le suivirent » (4:20) ; et maintenant, vers la fin, ils délaissent (le même verbe, aphentes) Jésus pour préserver leur sécurité. Jésus, qui sera bientôt abandonné par son Père aimant, est ici abandonné par ses amis les plus proches. « Comme le bouc émissaire le Jour des expiations, Jésus devra affronter son destin seul. »55
Jésus arrêté et jugé (26:57–27:26)
26:57–68 La foule qui a arrêté Jésus l’a amené dans le palais du « grand-prêtre Caïphe », où les membres du sanhédrin (« les spécialistes de la loi et les anciens », 26:57, les « chefs des prêtres », « le Grand-Conseil », 26:59, version Semeur) se sont rassemblés pour assister au procès de Jésus. Et, parallèlement au procès de Jésus, le procès de Pierre commence également (« Pierre le suivit de loin jusqu’à la cour du grand-prêtre, y entra et s’assit avec les serviteurs pour voir comment cela finirait », 26:58). L’intention du sanhédrin est aussi évidente qu’insidieuse (ils « cherchaient un faux témoignage contre Jésus afin de le faire mourir », 26:59). Le problème avec leur plan, c’est que « quoique beaucoup de faux témoins se soient présentés » (26:60), ils ne sont pas parvenus à un consensus. Par exemple, deux témoins ont prétendu que Jésus avait dit, « Je peux détruire le temple de Dieu et le reconstruire en trois jours » (26:61). Il se peut en effet qu’ils aient vu Jésus renverser les tables dans le temple (21:12–13) puis déclarer, « Détruisez ce temple et en 3 jours je le relèverai » (Jean 2:19). Mais ils n’ont pas compris qu’il parlait de manière imagée « du temple de son corps » (Jean 2:21). Leur accusation, si elle était vraie (et si un homme en était capable tout seul !), serait considérée comme une infraction passible de la peine capitale (= la profanation d’un lieu saint).
Jésus ne répond pas à leurs affirmations : « Le grand-prêtre se leva et lui dit : «Ne réponds-tu rien? Pourquoi ces hommes témoignent-ils contre toi ?» Mais Jésus gardait le silence », Mt 26:62–63a). Peut-être a-t-il gardé le silence parce qu’il ne voulait pas approuver leur compréhension erronée de cette métaphore, ou parce qu’il considérait toute cette procédure judiciaire comme un simulacre de justice enfreignant la loi de Dieu (Ex 20:16). Quelle qu’en soit la raison, l’allusion au Serviteur Souffrant est évidente (Es 53:7).
C’est Caïphe qui brise le silence : « Le grand-prêtre [prit la parole et] lui dit : « Je t’adjure, par le Dieu vivant, de nous dire si tu es le Messie [Christ], le Fils de Dieu.» » (Mt 26:63). Jésus répond par l’affirmative : « Tu le dis » (26:64). Pourtant, dans la suite de sa réponse, il indique clairement que sa messianité n’est pas simplement messianique (« Messie » [Christ] est synonyme de « Fils de Dieu »). Il confirme ainsi la corrélation entre « le Christ » et le Messie et celle entre « le Fils de Dieu » et le Fils divin (cf. « Mon Père », 26:39, 42, 44, 53 ; « puissance », 26:64, version Louis Segond) mais aussi la figure exaltée par Daniel 7 (« le Fils de l’homme »). Jésus poursuit, « De plus, je vous le déclare, vous verrez désormais le Fils de l’homme assis à la droite du Tout-Puissant et venant sur les nuées du ciel » (26:64). Caïphe comprend la déclaration de Jésus et, en signe d’indignation (voir 2R 18:37) « déchir[e] ses vêtements » et lance : « Il a blasphémé! Qu’avons‑nous encore besoin de témoins ? Vous venez d’entendre son blasphème. Qu’en pensez-vous ? » (26:65–66a). Le verdict a été rapide (« Il mérite la mort », 26:66b ; Lv 24:16), violent (« Là-dessus, ils lui crachèrent au visage et le frappèrent à coups de poing ; certains lui donnaient des gifles », 26:67) et inconsidéré (« Christ, prophétise-nous qui t’a frappé! » 26:68).56
Il est inconsidéré parce que Jésus accomplit en réalité la prophétie (la sienne et celle des prophètes, notamment Es 50:6) et accomplira, au moment de sa seconde venue, la réponse qu’il donne en Matthieu 26:64. Lors de son retour, l’homme qui a été condamné viendra pour condamner, et celui qui a été assujetti assujettira toutes choses.
Ce que le sanhédrin déclare comme étant un blasphème, Jésus le déclare comme étant vrai. Jésus est le Messie et le Fils de Dieu qui, conformément à 2 Samuel 7:13, construit le temple ; Jésus est le roi de Psaume 110:1 qui est assis à la droite de Dieu ; Jésus est le serviteur souffrant de Ésaïe 50:6 dont le visage subit les crachats, et Jésus est le fils de l’homme de Daniel 7:14 qui viendra sur les nuées du ciel.57
26:69–75 Pendant que Jésus est jugé par le sanhédrin pour savoir s’il est le Messie (« nous dire si tu es le Messie (Christ]», 26:63), Pierre est passé au crible par quelques serviteurs pour savoir s’il fait partie des disciples. La conjonction « Or » du verset 69 signifie « en même temps » (elle est également employée dans le cadre du procès de Jésus au verset 59, versions Darby et Martin). Les talents littéraires de Matthieu sont fantastiques ! Jésus se tient debout dans la maison du grand-prêtre devant le gratin des autorités religieuses de Jérusalem et dit la vérité, tandis que Pierre est assis dehors et ment de façon répétée à de modestes servantes qui l’interrogent. Il renie Jésus à trois reprises.
Le premier reniement est relaté aux versets 69 et 70 : « Or Pierre était assis dehors dans la cour. Une servante s’approcha de lui et dit : « Toi aussi, tu étais avec Jésus le Galiléen. » Mais il le nia devant tous en disant : « Je ne sais pas ce que tu veux dire. » » Feignant l’ignorance (« Je ne sais pas ce que tu veux dire », (26:70), il aggrave sa culpabilité.
Le deuxième reniement, rapporté aux versets 71 et 72, se produit alors qu’il est en train de s’éloigner de Jésus. Le geste de Pierre (« Comme il se dirigeait vers la porte ») reflète l’état de son âme. Ses paroles ne font que le confirmer : « Comme il se dirigeait vers la porte, une autre servante le vit et dit à ceux qui se trouvaient là : « Cet homme [aussi] était avec Jésus de Nazareth. » Il le nia de nouveau, avec serment : « Je ne connais pas cet homme.» » Notez que le deuxième témoin qui s’oppose à lui était « une autre servante ». Remarquez aussi son accusation : il était « avec Jésus ». Effectivement, depuis pas moins de trois ans ! Il se trouve à cet endroit cette nuit-là parce qu’il veut être « avec Jésus ». Mais désormais, il craint pour sa vie. Il ne veut même pas prononcer le nom de « Jésus ». Avec un serment, il appelle Jésus « cet homme ». Il jure devant Dieu qu’il ne connaît pas « le Fils du Dieu vivant » (Mt 16:16). Les servantes disent, « Jésus le Galiléen » et « Jésus de Nazareth ». Lui appelle Jésus « cet homme », et non pas « le Fils de l’homme ». Pierre cherche à sauver sa vie plutôt que de la perdre à cause de Jésus (Mt 16:25). Et pour sauver sa vie cette nuit-là, il passe d’une ignorance feinte à reniement flagrant. Il s’enfonce dans la culpabilité, ajoutant désormais le crime d’avoir porté un faux témoignage sous serment.
Le troisième reniement contient non seulement la même réponse (« Je ne connais pas cet homme ») mais aussi des imprécations contre lui-même (« Alors il se mit à jurer en lançant des malédictions », 26:74, ce qui voulait dire, « Si je mens, que je sois maudit »). Il donne cette réponse après que l’un de « ceux qui étaient là » l’a accusé de connaître Jésus et de faire partie de ses proches : « Certainement, toi aussi tu fais partie de ces gens-là, car ton langage te fait reconnaître », (26:73). Son accent galiléen prononcé le « trahit » !
Et le coq tout près de là vient attester de sa chute. Alors que Pierre affirme catégoriquement, « Je ne connais pas cet homme », Matthieu écrit, « Aussitôt un coq chanta » (26:74). Il s’agit des derniers mots de Pierre rapportés par Matthieu. La dernière fois où on le verra, ce sera lorsqu’il rencontrera Jésus, après la résurrection. Il recevra sa nouvelle mission (quand il sera rétabli dans ses fonctions de leader) et entendra ces paroles pleines de bonté et ô combien nécessaires, « je suis avec vous tous les jours » (28:20). Mais ici, en 26:75, on lit de Pierre que les paroles de Jésus lui reviennent immédiatement en mémoire, « Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois ») après quoi il se retire (« il sortit »), rempli de chagrin et de remords (« et pleura amèrement »). Le soleil se lève, exposant ses ténèbres intérieures au grand jour. Comme tout le monde, le premier parmi les douze a besoin d’un Sauveur.
27:1–10 Matthieu 27:1–23 raconte comment le sanhédrin (27:1–10), Ponce Pilate (27:11–14) et la foule juive (27:15–26) ont tous joué un rôle dans la condamnation à mort de Jésus. Le matin, « tous les chefs des prêtres et les anciens du peuple tinrent conseil contre Jésus pour le faire mourir » (27:1). Tout d’abord, ils ont pris conseil contre l’oint de l’Éternel (Ps 2:1–3). Ensuite, « après l’avoir attaché, ils l’emmenèrent et le livrèrent à [Ponce] Pilate, le gouverneur » (Mt 27:2).
Rocher portant l’inscription « [Ti]berium [Ponti]us Pilatus » (Tibère Ponce Pilate), découvert à Césarée | Crédit photo : Phil Thompson, CC BY-SA 4.0
Dans la suite du récit, nous voyons Judas qui se rend devant le sanhédrin : « Alors Judas, celui qui l’avait trahi, voyant qu’il était condamné, fut pris de remords et rapporta les 30 pièces d’argent aux chefs des prêtres et aux anciens en disant : « J’ai péché en faisant arrêter un innocent.» » (27:3–4a). Il se peut que Judas ait vu de ses propres yeux (« Judas… voyant ») Jésus enchaîné, conduit devant Pilate, ce qui annonçait la mort certaine de Jésus. Sa conscience en a été transpercée. Il a compris le sens de la loi (« Maudit soit celui qui accepte un pot-de-vin pour verser le sang d’un innocent ! », Dt 27:25). Il s’est repenti (« fut pris de remords »), a rendu l’argent et a confessé son péché aux chefs des prêtres dans le temple. Selon lui, eux seuls pouvaient expier son péché.58 Leur réponse était tout sauf miséricordieuse : « Qu’est-ce que cela peut nous faire ? Cela ne nous regarde pas, c’est ton affaire !» Mt 27:4- Parole Vivante).
Complètement désemparé, il « jeta les pièces d’argent dans le temple, se retira et alla se pendre » (27:5). Les chefs des prêtres répondent, comme le font souvent les personnes religieuses, en tenant à nouveau conseil (« Après en avoir délibéré », 27:7) et en créant un décret phare à propos d’une doctrine mineure. Dans leur hypocrisie, ils reprennent leur propre argent (« les ramassèrent ! »), déclarent cet argent sale impur (« Il n’est pas permis de les mettre dans le trésor sacré puisque c’est le prix du sang ») et l’utilisent afin d’acheter « le champ du potier, pour y ensevelir les étrangers », un cimetière qu’ils ont appelé « champ du sang » (27:6–8). Biens qu’injustes et impitoyables, leurs actes s’avèrent « fidèles à la souveraineté des Écritures ».59 « Alors s’accomplit ce que le prophète Jérémie avait annoncé : Ils ont pris les 30 pièces d’argent, la valeur à laquelle il a été estimé par les Israélites, et ils les ont données pour le champ du potier, comme le Seigneur me l’avait ordonné » (27:9–10). Même si une grande partie de la prophétie provient de Zacharie 11:12–13, « Jérémie » est mentionné parce que c’est un prophète important et parce qu’il parle de l’achat d’un champ dans la vallée de Ben-Hinnom (où se situe le « champ du sang », Jr 19:1–2), du « sang innocent » versé (Jr 19:4) et du nouveau nom donné au champ pour les ensevelissements (Jr 19:6, 11).
27:11–14 Après la parenthèse concernant la mort de Judas, Matthieu conduit ses auditeurs dans le prétoire de Pilate (ceux qui ont tenu conseil contre Jésus « le livrèrent à [Ponce] Pilate, le gouverneur », Mt 27:2). Lorsque Jésus « comparut devant le gouverneur », Pilate lui demanda : « Es-tu le roi des Juifs ? » (27:11). Ici, Pilate introduit un thème important pour Matthieu tout au long de son évangile, mais particulièrement dans le récit de la passion. Jésus est « le roi » (27:11, 28, 29, 37 ; « le Christ », 27:17, 22). La réponse énigmatique que Jésus donne à Pilate (« Tu le dis », 27:11b) ne devrait pas surprendre les auditeurs de Matthieu, Juifs et chrétiens. Jésus est le Roi, aussi bien des Juifs que de la création (28:18).
Le procès de Jésus devant Pilate se poursuit et le sanhédrin l’accuse de crimes, possiblement de blasphème et de sédition. Encore une fois, Jésus garde le silence devant eux (« il ne répondit rien », 27:12). En fait, il gardera le silence pendant tout le procès : « Alors Pilate lui dit: «N’entends-tu pas tous ces témoignages qu’ils portent contre toi?» Mais Jésus ne répondit sur aucun point, ce qui étonna beaucoup le gouverneur ». (27:13–14 ; cf. Es 53:7). En fait, ses prochaines paroles, qui seront aussi les dernières avant sa mort, prendront la forme d’un cri : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 27:46).
27:15–26 Pilate a eu une idée pour sauver cet homme innocent. « A chaque fête, le gouverneur avait pour habitude de relâcher un prisonnier, celui que la foule voulait » (27:15). Il voulait relâcher Jésus pour deux raisons ; a) il savait que les motivations des chefs religieux juifs étaient mauvaises (« En effet, il savait que c’était par jalousie qu’ils avaient fait arrêter Jésus », 27:18), et b) il voulait tenir compte des craintes de sa femme suscitées par son rêve (« Pendant qu’il siégeait au tribunal, sa femme lui fit dire: «N’aie rien à faire avec ce juste, car aujourd’hui j’ai beaucoup souffert dans un rêve à cause de lui » », 27:19).
Jésus étant un prédicateur populaire et un faiseur de miracles, peut-être Pilate a-t-il pensé que la foule le choisirait à la place du « célèbre prisonnier, un dénommé 60 [Jésus] Barabbas » (27:16). Marc et Luc nomment les crimes dont il est accusé. Barabbas est, « avec ses complices », l’auteur d’un « meurtre qu’ils avaient commis lors d’une émeute » (Marc 15:7 ; Luc 23:19). Donc, quand Pilate a demandé à la foule, « Lequel voulez-vous que je vous relâche : Barabbas ou Jésus qu’on appelle le Christ ? » (27:17), il pensait qu’ils choisiraient le maître respecté et non pas le violent terroriste. Cependant, il a sous-estimé la ferveur nationaliste juive contre Rome et la force de persuasion des « chefs des prêtres » et des « anciens » qui « persuadèrent la foule de demander Barabbas et de faire mourir Jésus » (27:20).
Lorsqu’il pose à nouveau la question, « Lequel des deux voulez-vous que je vous relâche ? », ils ont répondu à l’unisson : « Barabbas » (27:21). Surpris par leur réponse, « Pilate répliqua : « Que ferai-je donc de Jésus qu’on appelle le Christ ?» » (27:22a). Sa surprise n’a fait qu’augmenter : « Tous répondirent : « Qu’il soit crucifié !» » (27:22b). Pilate a contesté leur choix, « Mais quel mal a-t-il fait ? » (27:23a), mais il n’a pas réussi à les faire changer d’avis : « Ils crièrent encore plus fort: «Qu’il soit crucifié!» » (27:23b). Enfin, « Voyant qu’il ne gagnait rien mais que le tumulte augmentait » (27:24a), Pilate a cédé sous la pression de la foule et a prononcé ce double verdict ignoble. Au lieu de gouverner avec justice et courage, le gouverneur velléitaire cherche à sauver sa propre peau : « Pilate prit de l’eau, se lava les mains en présence de la foule et dit : « Je suis innocent du sang de ce juste. C’est vous que cela regarde. » » (27:24b).61 La foule juive a tout fait pour que Jésus soit condamné à la peine capitale. Dans le point culminant du récit du procès, Matthieu relate le moment le plus sombre de toute l’histoire d’Israël : « Et tout le peuple répondit : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants !» » (27:25). Leur condamnation collective marque le cinquième des six paradoxes de cette scène du procès :
1) Jésus, le juge de l’univers, se tient debout devant Pilate, qui est assis pour le juger (Jean 19:13 ; cf. Matthieu 25:31). 2) Alors que les chefs juifs font tout ce qui est en leur pouvoir pour que Pilate condamne Jésus à mort, une femme païenne (qui n’est autre que la femme de Pilate) fait son maximum pour qu’il soit relâché. 3) La foule choisit Barabbas, ce qui signifie « fils (Bar) d’un père (Abbas) », à la place de Jésus, le Fils bien-aimé de son Père céleste (cf. 11:27 ; 24:36). 4) Le fait que Pilate se lave les mains ne fait que confirmer que son verdict est injuste. Et 5) la foule, qui assume sciemment sa responsabilité « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! » (27:25), annonce d’avance sans le savoir sa propre destruction, puisque Rome a massacré des milliers de personnes de cette génération pendant la révolte menée de 66 à 70 apr. J.-C.62
Le procès se termine par le verdict de Pilate. Il clame son innocence mais ses mains sont assurément pleines du sang innocent de Jésus. Remarquez les verbes employés : « Alors Pilate leur relâcha Barabbas ; et, après avoir fait fouetter Jésus, il le livra à la crucifixion » (27:26). Il s’agit là du sixième paradoxe. La croix destinée au coupable, Jésus Barabbas, revient à l’innocent, Jésus de Nazareth. « Le mauvais Jésus a été relâché, le mauvais Jésus fouetté, le mauvais Jésus crucifié, mais Dieu utilise toutes ces erreurs pour faire toutes choses bien. »63 Ce Jésus de Nazareth cloué à la croix prévue au départ pour Jésus Barabbas dépeint l’histoire du salut. En raison de l’acte substitutif de Jésus, les coupables sont relâchés. L’amnistie pascale par excellence !
La passion et la mort du Christ (27:27–54)
Derek Tidball écrit : « La croix se trouve au cœur même de la foi chrétienne : elle manifeste l’amour de Dieu, accomplit le pardon du péché, triomphe des forces hostiles du mal et invite à la réconciliation avec Dieu. »64 Depuis le premier passage où Jésus annonce sa mort (16:21), Matthieu conduit le lecteur jusqu’à ce paroxysme.
Le Roi ridiculisé (27:27–31)
Les soldats romains (« Les soldats du gouverneur ») préparent Jésus pour la crucifixion en l’amenant à l’intérieur (« conduisirent Jésus dans le prétoire », 27:27) pour le déshabiller. Ils l’ont déjà battu cruellement (« après avoir fait fouetter Jésus », 27:26).65 Ici, comme dans tout le récit de la crucifixion, Matthieu se concentre davantage sur les moqueries que sur les violences subies par Jésus. Les moqueries commencent lorsque « toute la troupe » (600 hommes !) se rassemble devant Jésus (27:27) pour regarder ou se joindre aux railleries. Encore une fois, Matthieu introduit un autre paradoxe avec une certaine élégance littéraire. Dans le chiasme ci-dessous, les mots ou actions complémentaires ont été mis en évidence.
27 Les soldats du gouverneur conduisirent Jésus dans le prétoire et rassemblèrent toute la troupe autour de lui.
28 Ils lui enlevèrent ses vêtements et lui mirent un manteau écarlate.
29a Ils tressèrent une couronne d’épines qu’ils posèrent sur sa tête et ils lui mirent un roseau dans la main droite ;
29bpuis, s’agenouillant devant lui, ils se moquaient de lui en disant : « Salut, roi des Juifs !»
30 Ils crachaient sur lui, prenaient le roseau et le frappaient sur la tête.
31a Après s’être ainsi moqués de lui, ils lui enlevèrent le manteau et lui remirent ses vêtements
31b et [les soldats] l’emmenèrent pour le crucifier.
Ce qui se détache de ce chiasme, d’un point de vue structurel et littéraire, c’est que cette troupe adore Jésus comme roi (27:29b), mais en se moquant. La leçon théologique est la suivante : la manière dont ils reconnaissent Jésus en tant que roi et l’adorent comme souverain souffrant correspond précisément à la manière dont les disciples devraient réagir à sa passion et à sa mort. Abstraction faite des motivations consternantes des soldats derrière leurs actes -« une couronne d’épines en guise de couronne dorée, une cape de soldat en guise de manteau royal, un roseau en guise de sceptre et le fait de saluer Christ avec la formule réservée à César »66, ils incarnent la réaction appropriée devant le Roi Jésus.
La crucifixion du Fils de Dieu (27:32–44)
Le récit de la passion se poursuit et Matthieu nous présente un Jésus battu et meurtri qui sort du prétoire. « Lorsqu’ils sortirent » de là pour se rendre au lieu de la crucifixion, les soldats « forcèrent » Simon de Cyrène « à porter la croix de Jésus » à sa place (27:32–33). Cette anecdote révèle l’état de faiblesse dans lequel Jésus se trouvait. Pourtant, Simon et sa prouesse pourraient avoir une portée symbolique : un faire-valoir pour Simon-Pierre (ce nouveau Simon marchera avec Jésus jusqu’à la croix) et une image de la vie du disciple chrétien façonnée par la croix (Mt 16:24).
Simon de Cyrène a porté la croix jusqu’ »à un endroit appelé Golgotha – ce qui signifie « lieu du crâne » » (27:33). « Golgotha » se traduit par calvarium en latin, et calvaire en français. Cet endroit a été baptisé « lieu du crâne » parce que la forme de la colline ressemblait à celle d’un crâne humain et que c’était l’endroit, à l’extérieur de Jérusalem, où les condamnés allaient être crucifiés par les Romains. Certains commentateurs chrétiens anciens et même du Moyen Âge pensaient qu’il s’agissait de l’endroit où le corps d’Adam était enterré. Même si les archéologues ne sont pas en mesure de le confirmer, les théologiens peuvent être certains, quant à eux, que la malédiction d’Adam est levée dans la mort de Jésus !
Vue sur le calvaire de Gordon au premier plan avec la tombe du jardin en arrière-plan
Matthieu souligne à ce moment-là qu’ils « crucifièrent » Jésus (27:35) et le montèrent sur la croix (« descends de la croix! », 27:40), mais il ne met pas l’accent sur les détails physiques de la crucifixion (il ne fait pas directement mention de son sang ou de ses mains et de ses pieds percés). Les moqueries demeurent le thème principal. Les soldats romains n’en avaient pas fini avec leurs railleries (27:27–31). Premièrement, « ils lui donnèrent à boire du vinaigre mêlé de fiel » (27:34a ; Ps 69:19–21). Ce n’est pas de la pitié que Jésus a reçue, mais du mépris, car « quand il l’eut goûté, il ne voulut pas boire » (Mt 27:34b). On peut les imaginer ricaner au moment où il a essayé de recracher la mixture. Deuxièmement, ils ont écrit son crime (« le motif de sa condamnation ») au-dessus de sa tête. Pour eux, le fait de placarder le motif de la condamnation au-dessus de cet homme apparemment sans force devait être drôle. « Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs » (27:37). Troisièmement, après l’avoir cloué au bois et attaché, puis élevé de terre afin qu’il meure d’une mort lente et atroce (« Ils le crucifièrent »), ils « s’assirent » au pied de la croix et, pendant qu’ils observaient Jésus se tordre de douleur et agoniser (ils « le gardèrent », 27:36), ils se sont joués ses vêtements (« ils se partagèrent ses vêtements en tirant au sort », 27:35). Quatrièmement, le fait que Jésus n’ait pas de vêtements sur lui (ou peut-être seulement un pagne), nous indique qu’il est mort nu ou quasiment, une mort absolument honteuse.
Mais le casino improvisé au pied de la croix n’était pas la fin des moqueries que Jésus devait endurer. Ses propres compatriotes se sont aussi moqués de lui. Les foules, qui l’avaient auparavant aimé et acclamé comme le Messie passaient à côté de lui et « l’insultaient et secouaient la tête en disant : « Toi qui détruis le temple et qui le reconstruis en trois jours, sauve-toi toi-même ! Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix !» » (27:39b–40). Elles le tentent comme Satan le fit dans le désert. Cependant, Jésus refuse de céder à cette dernière tentation ô combien séduisante. Les chefs religieux y vont aussi de leurs sarcasmes sur la capacité de Jésus à sauver, son identité messianique et sa relation intime avec le Père : « Les chefs des prêtres, avec les spécialistes de la loi et les anciens, se moquaient aussi de lui et disaient : « Il en a sauvé d’autres et il ne peut pas se sauver lui-même ! S’il est roi d’Israël, qu’il descende maintenant de la croix et nous croirons en lui. Il s’est confié en Dieu ; que Dieu le délivre maintenant, s’il l’aime ! En effet, il a dit : ‘Je suis le Fils de Dieu.’ » » (27:41–43). Et comme si ce n’était pas suffisant, même les « deux brigands » qui étaient crucifiés « l’un à sa droite et l’autre à sa gauche » (27:38), « l’insultaient eux aussi de la même manière » (27:44).
Au cœur de leur mépris se trouvent ses prétentions à être le Roi d’Israël et le Fils de Dieu. Ils n’arrivent pas à comprendre comment l’oint de Dieu pouvait être détruit, comment le Messie tout‑puissant pouvait être mis à mort, comment le Christ triomphant pouvait être crucifié. Ils se sont heurtés à cette pierre d’achoppement. Ils n’ont pas saisi qu’en donnant sa vie, Jésus sauve la nôtre (cf. 16:25). Mais ne nous trompons pas. Il est le Roi d’Israël. Il est le Fils de Dieu. Il se confie en Dieu et Dieu le justifiera. Il est en train de sauver les autres. Chacun de leurs sarcasmes est vrai. Les plus grandes vérités de l’Évangile sortent de la bouche de ces insensés !6
La vie en sa mort (27:45–54)
Matthieu 27:45–54 relate la mort de Jésus (Jésus « rendit l’esprit », 27:50). Cependant, Matthieu ne met pas l’accent sur ce moment précis mais sur ce qui arrive avant et après la mort de Jésus, afin de montrer les conséquences incroyables de la crucifixion de Christ.
Avant que Jésus meure, Dieu envoie quatre signes surnaturels et Jésus pousse deux grands cris. Le premier signe, ce sont les ténèbres : « De midi jusqu’à trois heures de l’après-midi, il y eut des ténèbres sur tout le pays » (27:45). Alors que le soleil était à son zénith (à « midi », la 6è heure), Dieu enveloppe le ciel d’obscurité pour manifester son jugement (Ex 10:22) et sa peine (Amos 8:9–10). Ces ténèbres extérieures reflètent le trouble intérieur de Jésus et son sinistre cri d’abandon. Trois heures plus tard, « Jésus s’écria d’une voix forte : « Eli, Eli, lama sabachthani?» – c’est-à-dire: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? » (Mt 27:46, citant Ps 22:1a). Les derniers mots de Jésus rapportés par Matthieu avant sa mort sont la Parole de Dieu, le début du psaume qui exprime parfaitement la théologie de Matthieu concernant la croix. La citation finale du Psaume 22 (cf. Ps 22:7 dans Matt 27:39 ; Ps 22:8 dans Mt 27:43, Ps 22:18 dans Mt 27:35) met l’accent sur le fait que Jésus a été abandonné par Dieu. Même si, contrairement à Paul, Matthieu ne dit pas que Dieu a fait devenir Jésus péché, lui qui était sans péché, afin que les croyants puissent être pardonnés (voir 2Co 5:18–21), il montre que Jésus est un substitut (27:15–26) innocent (Mt 27:4) et que, en donnant sa vie en rançon (20:28) et en versant son sang (26:27–28), il sauve son peuple de ses péchés (1:21; 26:28).
Même si, contrairement à Paul, Matthieu ne dit pas que Dieu a fait devenir Jésus péché, lui qui était sans péché, afin que les croyants puissent être pardonnés, il montre que Jésus est un substitut innocent et que, en donnant sa vie en rançon et en versant son sang, il sauve son peuple de ses péchés.
Jésus pousse son dernier cri sur la croix après que « Quelques-uns de ceux qui étaient là » se soient mépris sur le sens de cette citation tirée du Psaume 22 (ils pensent qu’en employant le mot araméen « Eli », Jésus appelle Élie à l’aide, Mt 27:47–49). Alors qu’ils attendent de voir « si Elie viendra le sauver » (27:49), Jésus meurt : « Jésus poussa de nouveau un grand cri et rendit l’esprit » (27:50). L’expression « Jésus… rendit l’esprit » démontre encore une fois qu’il est souverain, même par rapport à ses souffrances. « C’est comme si le Fils parfaitement obéissant, au moment où son cœur va s’arrêter de battre, ses poumons s’asphyxier ou son sang se vider dans des proportions fatales (quelle que soit la cause physique qui l’aura emporté), remet à son Père son dernier souffle comme un don (cf. Luc 23:46). »68 Jean nous dévoile ce que renferme ce dernier cri : « Tout est accompli » (Jean 19:30). Matthieu veut que tout le monde sache que Jésus meurt victorieusement en consignant par écrit trois signes surnaturels survenus après la crucifixion.
Le voile du temple se déchire : « Et voici que le voile du temple se déchira en deux depuis le haut jusqu’en bas » (27:51a).
La terre tremble et les tombeaux s’ouvrent : « la terre trembla, les rochers se fendirent, les tombeaux s’ouvrirent » (27:51b–52a).
Les morts ressuscitent : « et les corps de plusieurs saints qui étaient morts ressuscitèrent. Etant sortis des tombes, ils entrèrent dans la ville sainte après la résurrection de Jésus et apparurent à un grand nombre de personnes » (27:52b–53).69
Comme je l’ai résumé ailleurs,
Après que Jésus a rendu « l’esprit », l’Esprit de Dieu se met à l’œuvre dans le monde (27:50). Les cieux multiplient les signes d’approbation et de victoire. La justification de Dieu crie plus fort que la voix du mépris et de la confusion. Le Père n’a pas abandonné son Fils juste et souffrant. Il fait trembler la terre, ouvre les tombeaux et déchire le voile en guise de célébration ! Il proclame de manière éclatante que le sacrifice de Jésus a été agréé… Après toutes les souffrances endurées par Jésus, à la fois physiques (le fouet, la couronne d’épines, le poids de son propre corps sur la croix, la soif, la perte de son sang), psychologiques (les moqueries et la désertion de ses disciples) et spirituelles (l’ « abandon » du Père), Jésus meurt victorieux… Christ triomphe du monde (les ténèbres et le tremblement de terre). Christ triomphe du péché (le voile déchiré). Christ triomphe de la mort (les corps ressuscités).70
Après ces quatre signes surnaturels, nous pouvons peut-être en observer un cinquième : « A la vue du tremblement de terre et de ce qui venait d’arriver, l’officier romain et ceux qui étaient avec lui pour garder Jésus furent saisis d’une grande frayeur et dirent : « Cet homme était vraiment le Fils de Dieu.» » (27:54). Si ce n’est pas un signe, cette réponse est assurément un miracle ! Tout comme la mort de Jésus entraîne la résurrection de ceux qui sont physiquement morts (« les morts revivent par sa mort »71), elle apporte la vie à ceux qui sont spirituellement morts. Le voile de 24 mètres de haut qui séparait le parvis des Juifs du parvis des non-Juifs a été déchiré « depuis le haut jusqu’en bas » (27:51) quand Jésus est mort.72 Mais un groupe de soldats romains a aussi eu le cœur déchiré. Matthieu décrit sous la forme d’un récit ce que Paul écrit sous forme d’affirmation : « vous qui autrefois étiez loin, vous êtes devenus proches par le sang de Christ » (Ep 2:13).
Il y a quelque chose de remarquable dans le fait d’être « saisis d’une grande frayeur » et de confesser « Cet homme était vraiment le Fils de Dieu » (Mt 27:54) après avoir assisté à la fois aux signes cataclysmiques venus du ciel et à la première moitié du signe de Jonas (la mort de Jésus). Il est remarquable que des non-Juifs soient les premiers à faire une telle confession après la crucifixion. Il est encore plus remarquable que ces non-Juifs soient des soldats romains. Et il est éminemment remarquable qu’une telle confession sorte de la bouche des hommes qui l’ont cloué à la croix (27:35) après l’avoir déshabillé, avoir craché sur lui et avoir tourné en ridicule sa royauté (27:28–31).73 En effet, il y a quelque chose de miraculeusement remarquable à ce que ceux qui « se moquaient de lui en disant: «Salut, roi des Juifs!» » (27:29 ; cf. 27:37), le reconnaissent maintenant en tant que Fils de Dieu. Le Psaume 22:7, qui a prophétisé que les nations adoreraient le Roi juste et souffrant, est accompli. Par la croix de Christ, les ennemis de Dieu s’approchent de Dieu (Rm 5:10). Martin Luther fait ce commentaire : « Le sang de Christ réveille non seulement les corps morts, mais aussi les âmes des pécheurs. »74
« Lui qui a été crucifié » (27:55–28:20)
La scène de la crucifixion se termine en présence de « femmes », disciples de longue date (« avaient accompagné Jésus depuis la Galilée »), qui viennent au pied de la croix pour s’occuper de son corps (pour « le servir ») après avoir assisté à la crucifixion « de loin » (27:55). Matthieu braque les projecteurs sur trois femmes en particulier (« Marie de Magdala, Marie la mère de Jacques et de Joseph, et la mère des fils de Zébédée », 27:56). Deux d’entre elles assisteront à la fois à l’ensevelissement (« Marie de Magdala et l’autre Marie étaient là, assises vis-à-vis du tombeau », 27:61) et à la résurrection (« Après le sabbat, à l’aube du dimanche, Marie de Magdala et l’autre Marie allèrent voir le tombeau », 28:1). Cela aussi est remarquable car, alors que leur culture ne considérait pas les femmes comme des témoins crédibles,75 elles sont les seules à devenir les témoins clés de toute l’histoire de l’Évangile, « attestant… du triptyque kérygmatique : Jésus est mort, a été enseveli, est ressuscité. »76
La mise au tombeau de Jésus (27:57–61)
Les femmes se sont occupées du corps de Christ puis, « le soir venu », Joseph d’Arimathée a demandé le corps (27:57). Il est présenté comme étant « un disciple de Jésus » et « un homme riche » (27:57 ; Es 53:9). La fortune de Joseph lui a donné un certain poids auprès de Pilate car, quand il « alla trouver Pilate et demanda le corps de Jésus » … Pilate ordonna de le lui remettre » (27:58). Après avoir obtenu le corps, « Joseph prit le corps, l’enveloppa dans un drap de lin pur et le déposa dans un tombeau neuf qu’il s’était fait creuser dans la roche. Puis il roula une grande pierre à l’entrée du tombeau et s’en alla » (27:59–60).
La tombe du Jardin
Luc nous informe que Joseph était membre du sanhédrin (Luc 23:50) et qu’il ne s’était pas associé à la condamnation de Jésus prononcée par le Conseil (Luc 23:51). Jean précise qu’il était « disciple de Jésus, mais en secret par crainte des chefs juifs » (Jean 19:38). Désormais, son secret est dévoilé au grand jour ! En se rendant vers Pilate, il quitte le camp des timides pour rejoindre celui des courageux, puisqu’il risque à la fois sa réputation auprès de ses pairs et peut-être sa vie auprès de Pilate. De plus, il s’identifie à Jésus en servant le Serviteur des serviteurs. Les six verbes (prit, enveloppa, déposa, creuser, roula et s’en alla, Mt 27:59–60) montrent qu’il a retenu les enseignements de Jésus sur l’obéissance aux aspects les plus importants de la loi, la pureté rituelle et l’amour. En outre, si quelqu’un pouvait confesser le Credo (Jésus « a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort et a été enseveli), c’est bien Joseph, un témoin incroyablement crédible aussi bien pour l’establishment juif que romain de son époque.
La portée historique du récit de Matthieu ne saurait être sous-estimée. Pas plus que sa portée théologique, qui est bien résumée par Herman Ridderbos :
Même si le récit de l’ensevelissement de Jésus est extrêmement succinct et sobre, nous ne devons jamais oublier que, à cette occasion comme dans tout le reste de son évangile, Matthieu raconte l’histoire de Christ. L’absence de détails biographiques concentre toute l’attention sur le thème principal, à savoir que le chemin de l’humiliation emprunté par l’Oint de Dieu conduisait au tombeau, l’endroit où la mort règne en maître et impose sa malédiction de manière implacable (voir Gn 3:19). Christ a été déposé dans le lieu de l’humiliation et de la souillure humaines les plus profondes et a été emprisonné derrière une lourde pierre. Même Ses amis les plus proches pensaient qu’Il était parti pour toujours, comme une figure du passé qu’il fallait maintenant oublier. Ainsi, Jésus a enduré non seulement la douleur, la souffrance et la malédiction de la mort mais également les terreurs de la tombe, afin qu’Il puisse en délivrer son peuple pour toujours.77
Les gardes devant le tombeau (27:62–66)
Le lendemain de l’ensevelissement, « les chefs des prêtres et les pharisiens allèrent ensemble chez Pilate » (27:62). Nous sommes le samedi, le jour du sabbat (la veille correspond à « la préparation », 27:62 ; Matthieu 28:1 commence avec ces mots, « Après le sabbat »). Matthieu souligne l’hypocrisie des chefs religieux juifs qui se réunissent non pas dans la synagogue pour adorer mais avec le gouverneur romain. Ils « allèrent ensemble chez Pilate » pour lui demander de l’aide afin de garder le tombeau : « Seigneur, nous nous souvenons que cet imposteur a dit, quand il vivait encore : ‘Après trois jours je ressusciterai.’ Ordonne donc que le tombeau soit gardé jusqu’au troisième jour, afin que ses disciples ne viennent pas voler le corps et dire au peuple : ‘Il est ressuscité.’ Cette dernière imposture serait pire que la première » (27:63–64). Pilate a répondu à leur demande en disant « Vous avez une garde. Allez-y, gardez-le comme vous le souhaitez ! » (27:65). Puisqu’ils sont appelés soldats du gouverneur en 28:12 et 14, cela signifie, « Allez-y, prenez quelques-uns de mes hommes et rendez le tombeau aussi sûr que possible » (voir 27:65, Bible du Semeur, Bible Martin). Ainsi, les chefs accompagnés des soldats « s’en allèrent et firent surveiller le tombeau par la garde après avoir scellé la pierre » (27:66). Comme Hagner le fait remarquer, l’ironie réside dans le fait que « les adversaires [de Jésus] ont pris ses paroles à propos de la résurrection des morts plus au sérieux que ses propres disciples. »78 Mais l’ironie est aussi dans le fait que ces gardes rejoignent maintenant les femmes et Joseph en qualité de témoins officiels de la réalité de la mort de Jésus et de l’emplacement de son tombeau.
La résurrection : la réaction des femmes qui croient (28:1–10)
Leurs mesures de sécurité (« gardé », 27:64, « garde », 27:65, 66) ne faisaient pas le poids par rapport à la puissance de Dieu ! Jean Chrysostome a exprimé cette vérité de façon magistrale : « Voici… un sceau, une pierre et une garde n’ont pas pu le retenir. »79 Relevons cinq particularités du récit de la résurrection dans Matthieu.
Premièrement, Matthieu emploie le terme « voici » à quatre reprises : « Et voici, il y eut un grand tremblement de terre » (28:2, version Louis Segond) ; « Et voici, il vous précède en Galilée: c’est là que vous le verrez. Voici, je vous l’ai dit » (28:7, version Louis Segond) ; « Et voici que Jésus vint à leur [les femmes] rencontre ». À travers ce mot « voici », il invite ses lecteurs à s’arrêter sur le violent tremblement de terre, sur l’ange et son annonce et sur le Christ ressuscité lui-même.
Deuxièmement, la résurrection a lieu un dimanche (« Après le sabbat, à l’aube du dimanche, Marie de Magdala et l’autre Marie allèrent voir le tombeau », 28:1). Pourquoi Dieu a-t-il choisi le dimanche, au lieu du jour saint pour Israël ? « Peut-être a-t-il choisi un nouveau jour parce qu’une nouvelle ère s’ouvrait dans l’histoire du monde ; une cassure définitive s’est opérée dans le cosmos afin de créer un huitième jour éternel de repos et de réjouissance pour tous ceux qui se reposent et se réjouissent en Christ. »80
Troisièmement, même si « un grand tremblement de terre » se produit, c’est l’ange et non pas le tremblement de terre qui « vint rouler la pierre » (28:2). Et c’est cet ange, de par sa sainte apparition (« Il avait l’aspect de l’éclair et son vêtement était blanc comme la neige », 28:3 ; cf. 17:2), et non pas le tremblement de terre, qui a fait trembler tous les témoins présents devant le tombeau vide : les gardes « tremblèrent de peur et devinrent comme morts » (28:4). C’est aussi lui qui a engagé la conversation avec les femmes effrayées, « n’ayez pas peur » (28:5).
Quatrièmement, l’ange avait un triple message à faire passer. Après avoir essayé de les rassurer, il leur a annoncé la résurrection corporelle de Jésus (« n’ayez pas peur, car je sais que vous cherchez Jésus, celui qui a été crucifié. Il n’est pas ici, car il est ressuscité, comme il l’avait dit », 28:5–6),81 les a invitées à venir « voir l’endroit où le Seigneur était couché » (28:6) et leur a donné pour mission de répandre la nouvelle (« et allez vite dire à ses disciples qu’il est ressuscité. Il vous précède en Galilée. C’est là que vous le verrez. Voilà, je vous l’ai dit », 28:7). En grec, l’expression « il est ressuscité » correspond à un seul mot (ēgerthē, 28:6, 7), un mot sur lequel « repose toute la vérité de l’Évangile, comme dans une pyramide à l’envers ».82
Cinquièmement, alors que les femmes obéissent à l’ange (« Elles s’éloignèrent rapidement du tombeau, avec crainte et une grande joie, et elles coururent porter la nouvelle aux disciples », 28:8 ; Rm 10:15), elles rencontrent Jésus sur le chemin (« Et voici que Jésus vint à leur rencontre et dit: «Je vous salue.» », Matt 28:9a). Il les rassure lui aussi (« N’ayez pas peur ! ») et réaffirme leur mission (« N’ayez pas peur ! Allez dire à mes frères de se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront », 28:10). En réponse à cette théophanie en chair et en os, elles s’approchent de lui, saisissent ses pieds et s’agenouillent devant lui (« s’agrippèrent à ses pieds et se prosternèrent devant lui », 28:9b).
La résurrection : la réaction des hommes qui ne croient pas (28:11–15)
Comment réagissent les incroyants qui ont assisté à la mort, à la mise au tombeau et à la résurrection de Jésus ? De manière incroyable ! Tandis que les femmes partent accomplir leur mission, les gardes et les chefs des prêtres répondent à l’ « intervention suprême de Dieu dans l’existence humaine »83 par le mensonge et la corruption.
Les femmes cherchent les onze apôtres pour leur communiquer le message de l’ange à propos du tombeau vide et de la résurrection de Jésus (« Il n’est pas ici, car il est ressuscité », 28:6). Quelques soldats communiquent ce même message aux « chefs des prêtres » (28:11). Pourtant, au lieu de se réjouir à l’occasion de la Pâque, ces derniers se sont à nouveau réunis avec « les anciens » et ont conçu un plan machiavélique. Ils avaient payé Judas pour qu’il dise ce qu’il savait ; maintenant, ils acceptent de payer les gardes afin qu’ils ne disent pas ce qu’ils savent. Et, tout comme leurs mesures de sécurité précédentes, leur nouvelle tentative de faire taire la vérité contribue au contraire à la faire entendre davantage. Doriani qualifie de « savoureuse ironie » le fait que les autorités qui s’efforcent de « dissimuler la résurrection » contribuent plutôt à « propager l’histoire du tombeau vide ».84
Le Mandat Missionnaire (28:16–20)
Matthieu ne détaille pas la rencontre entre les femmes et les disciples. Mais ils ont certainement reçu le message de Jésus cinq sur cinq, « Allez dire à mes frères de se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront » (28:10), comme l’indique le verset 16 : « Les onze disciples allèrent en Galilée, sur la montagne que Jésus leur avait désignée ». Leur obéissance et le terme employé par Jésus pour évoquer la restauration de la relation (« mes frères ») prouve qu’il leur a pardonné leur apostasie temporaire. De plus, le cadre de leur rencontre (sur une montagne en Galilée) peut être considéré comme un rappel de leur mandat apostolique. La dernière fois que la « Galilée » et une « montagne » ont été mentionnées, c’était en 4:12‑5:1, un texte qui parle de l’appel des premiers disciples et des instructions que Jésus leur adresse (le Sermon sur la montagne). Une fois qu’ils rencontrent Jésus, leur adoration, bien qu’imparfaite (« Quand ils le virent, ils se prosternèrent [devant lui], mais quelques-uns eurent des doutes », 28:17) atteste également que la relation est restaurée et qu’ils reconnaissent l’identité véritable de Jésus (cf. 14:33).85 Même le doute peut être considéré comme une hésitation temporaire dans le sens où ils se demandent peut-être a) « Est-ce bien Jésus ? » et b) « Est-il légitime en tant que Juifs monothéistes d’adorer Jésus ? »
Puisqu’ils sont restaurés en tant que disciples, leur Seigneur ressuscité les appelle à faire des disciples. Les thèmes clés de l’évangile de Matthieu sont réunis dans le mandat missionnaire [Great Commission] de Jésus : l’autorité absolue de Jésus, la mission envers les Juifs et les non-Juifs, la fidélité nécessaire aux enseignements de Jésus, et la promesse de la présence de Christ. La répétition du mot « Tout/toutes/tous » sépare habilement ces thèmes : tout (pasa) pouvoir, toutes (panta) les nations, tout (panta) ce qu’il a prescrit, et avec vous tous (pasas) les jours.
Les thèmes clés de l’évangile de Matthieu sont réunis dans Mandat Missionnaire de Jésus : l’autorité absolue de Jésus, la mission envers les Juifs et les non‑Juifs, la fidélité nécessaire aux enseignements de Jésus, et la promesse de la présence de Christ.
Avant que Jésus leur confie cette mission (« Allez »), il indique pourquoi son commandement sera honoré : « Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre » (28:18). Jésus est plus que le Roi des Juifs ; il est Roi de la Création, étant donné que son « pouvoir absolu »86 s’applique sur toute la « terre » et s’étend à toute la matière créée au-delà de celle‑ci (« le ciel »).87
Ensuite, Jésus passe à la mission en elle-même. Il emploie quatre verbes, aller, faire des disciples, baptiser et enseigner : « Allez [donc], faites de toutes les nations des disciples, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit et enseignez-leur à mettre en pratique tout ce que je vous ai prescrit » (28 : 19– 20). Le verbe « aller » est un verbe subordonné (un participe circonstanciel) à l’impératif aoriste principal « faire des disciples », mais « aller » et « faire » vont ensemble : cette mission implique un mouvement (Actes 1:8) ! La mission principale qui consiste à faire des disciples a pour champ « toutes les nations » (Ap 5:9 ; 14:6), et son contenu est centré sur le baptême et l’enseignement. Ceux qui acceptent Jésus comme Sauveur et Seigneur doivent être baptisés « au nom » ou « pour le nom » trinitaire de Dieu (« du Père, du Fils et du Saint-Esprit », Mt 28:19). Il faut leur apprendre à se saisir des commandements vastes et variés de Jésus, ancrés dans ses impératifs, mais aussi ses proverbes, ses paraboles, ses prophéties, ses malédictions et ses avertissements.
Et si les disciples d’alors, et tout au long de l’histoire, récoltent les fruits de la croissance de l’Évangile (c’est-à-dire, font de nouveaux disciples), c’est en raison du pouvoir absolu de Jésus et de sa présence permanente : « Et moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (28:20b). Jésus, qui est « Emmanuel, ce qui signifie « Dieu avec nous » (1:23), sera avec son Église, la mettant au travail pour la mission, jusqu’à son retour. En d’autres termes : les garanties que Jésus donne à la première personne (« j’ai tout pouvoir et je suis avec vous tous les jours »), permettent à son Église de garder ses commandements donnés à la deuxième personne : vous, faites tous des disciples en allant, en baptisant et en enseignant.88
Douglas Sean O’Donnell, Matthew: All Authority in Heaven and on Earth, Preaching the Word (Wheaton, Illinois, États-Unis : Crossway, 2013), 19. Le thème de Jésus en tant qu’« Emmanuel » (« Dieu avecnous »), Mt 1:23 ; cf. « Et moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Matt 28:20) pourrait constituer un quatrième thème majeur.
Ibid., 74.
David L. Turner, « Matthew », Cornerstone Biblical Commentary (Carol Stream, Illinois, États-Unis: Tyndale, 2006), 62.
O’Donnell, Matthew, 88.
L’expression « Dès ce moment » est répétée à trois reprises (Mt 4:17 ; 16:21 ; 26:16) et certains spécialistes avancent qu’il s’agit du marqueur structurel fondamental de l’Évangile.
John Stott, Through the Bible, Through the Year (Grand Rapids, États-Unis: Baker, 2006), 154.
Matthieu 4:12–25, suivi du Sermon sur la montagne (Mt 5:1–7:29), est le premier de cinq passages narratifs et discours (Matt 8:1–11:1 ; 11:2–13:53 ; 13:54–18:54 ; 19:1–25:46). Ces discours ont en commun le même cadre et les mêmes mots-clés, tels que « dit » et « disciples ».
Michael Green, The Message of Matthew, The Bible Speaks Today (Downers Grove, Illinois, États-Unis: InterVarsity, 2000), 151.
O’Donnell, Matthew, 370. Ce sont les termes de Robert Gundry, dans Mark: A Commentary on His Apology for the Cross (Grand Rapids, États-Unis : Eerdmans, 1993), 206.
Douglas Sean O’Donnell, O Woman, Great is Your Faith: An Exploration into the Nature of Faith in Matthew(Eugene, Oregon, États-Unis: Pickwick, 2021).
Bien entendu, son reproche en plein sauvetage (« Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » Mt 14:31b) démontre que Jésus ne dissocie pas la christologie de la vie de disciple et du besoin constant pour l’homme de reconnaître sa pauvreté spirituelle. Pour Matthieu, la foi nécessite aussi bien de la confiance en Christ que du courage au travers de Christ.
Pour mon étude sur ce thème, voir O’Donnell, O Woman,Great is Your Faith.
R. T. France, Gospel according to Matthew, Tyndale New Testament Commentaries (Grand Rapids, États-Unis : Eerdmans, 1985), 289.
O’Donnell, Matthew, 597 ; Frederick Dale Bruner, The Churchbook: Matthew 13‑28, 2èédition révisée (Grand Rapids, États-Unis : Eerdmans, 2004), 353, 355.
O’Donnell, Matthew, 607.
Ibid., 626.
Ibid., 629, citation tirée de Gundry, Matthew, 439. Notes de Calvin (A Harmony of the Gospels, 2:109) : « Cela ne sert à rien de se quereller à propos de l’habit de noce pour savoir s’il représente la foi ou une vie sainte et pieuse ; en effet, la foi ne peut pas être dissociée des bonnes œuvres et les bonnes œuvres procèdent uniquement de la foi. »
O’Donnell, Matthew, 648.
Ibid., 649.
David E. Garland, Mark, The NIV Application Commentary (Grand Rapids, États-Unis : Zondervan, 1996), 476.
O’Donnell, Matthew, 659.
Robertson et Plummer, cités dans William Barclay, The Gospel of Matthew, édition révisée 2 vol. (Philadelphie, États-Unis : Westminster, 1975), 2:288.
Par exemple, « On peut le comprendre en regardant une chaîne de montagnes. De loin, des montagnes qui peuvent être très éloignées les unes des autres peuvent sembler très proches ; mais quand vous vous approchez, votre perspective change et vous commencez à mesurer les distances réelles qui séparent un sommet d’un autre. C’est souvent ce qui se produit avec la prophétie de l’Ancien Testament. Prenez, par exemple, l’exemple classique d’Esaïe. Il voit la destruction de Babylone et le jour dernier du Seigneur comme s’il s’agissait d’un même jour de jugement divin. Le modèle est le même dans les deux cas, mais nous savons que de nombreux siècles s’écoulent entre ces deux événements, et qu’une grande distance sépare ces deux points culminants, pour ainsi dire. Mais compte tenu de leurs similitudes, ils sont tous deux appelés « le jour du Seigneur » dans les derniers chapitres de la prophétie d’Esaïe. » David Jackman et William Philip, Teaching Matthew: Unlocking the Gospel of Matthew for the Expositor (Fearn, Ross-shire, Écosse : Christian Focus, 2003), 203.
Daniel M. Doriani, Matthew, Reformed Expository Commentary, 2 vol. (Phillipsburg, New Jersey, États-Unis: P&R, 2008), 2:353–54.
Daniel a prophétisé que sept « semaines » (qui symbolisent des périodes de sept années) s’écouleraient avant que le Christ (« le Messie », Dn 9:25) meure (soit « exclu », Dn 9:26). Au milieu de la dernière semaine, une « abomination » dans le temple entraînerait la fin des sacrifices. Cette « abominable dévastation » (Mt 24:15) s’est produite après la mort de Jésus, quand les soldats romains idolâtres ont rasé le temple en 70 apr. J.-C.
Riddlebarger, A Case for Amillennialism: Understanding the End Times(Grand Rapids, États-Unis: Baker, 2003), 171, 178.
J. C. Ryle, Matthew: Expository Thoughts on the Gospels, Crossway Classic Commentaries (Wheaton, Illinois,États-Unis:Crossway, 1993), 242.
Observez le contraste entre les verbes dynamiques et passifs. Bruner, Churchbook, 554, 556. Les verbes d’action comme « travailler » et « gagna » sont employés pour les deux premiers serviteurs, alors que les verbes « creuser » et « cacha » sont employés pour le troisième serviteur.
O’Donnell, Matthew, 744.
Bruner, Churchbook, 563.
Rudolf Schnackenburg, The Gospel of Matthew, trad. Robert R. Barr (Grand Rapids, États-Unis: Eerdmans, 2002), 255
Je défends l’idée que « ces plus petits de mes frères » (Mt 25:40) sont des chrétiens, et ce pour trois raisons. Premièrement, les premiers auditeurs de Jésus étaient ses disciples (Mt 24:3–4; cf. 26:2), un groupe auquel il venait de dire qu’ils souffriraient pour l’Évangile (Mt 24:14). Comme indiqué ailleurs dans le Nouveau Testament, ces souffrances comprenaient la prison, la pauvreté, l’absence de domicile, la maladie, la soif, la faim et le manque de vêtements. Deuxièmement, le mot « frères » est utilisé pour désigner les chrétiens dans tout le Nouveau Testament, y compris dans Matthieu (par exemple, Mt 23:8, 28:10). Dans les évangiles, le terme « mes frères » est utilisé uniquement par Jésus pour parler de ses disciples. Troisièmement, l’expression « ces plus petits » est le superlatif de l’adjectif « petit », et Jésus a appelé ses disciples « petits » dans Mt 10:42 ; 18:6, 10, 14. Ainsi, dans Matthieu 25:40, 45, comme dans Actes 9:3–5, Jésus est spirituellement uni à son Église souffrante.
O’Donnell, Matthew, 752.
Martin Kaähler, cité dans Bruner, Churchbook, 586.
Avec cette phrase de transition, Matthieu fait entrer le lecteur dans la cinquième et dernière section de son évangile (Mt 7:28 ; 11:1 ; 13:53 ; 19:1 ; 26:1).
O’Donnell, Matthew, 762.
Ibid., 764.
Ibid., 769.
Ibid., 770, quoting Donald Senior, The Passion of Jesus in the Gospel of Matthew (Collegeville, MN: Liturgical Press, 1985), 55, et W. D. Davies et Dale C. Allison Jr., A Critical and Exegetical Commentary on the Gospel according to Saint Matthew, International Critical Commentary, 3 vol. (Édimbourg, Écosse: T&T Clark, 1988–1997), 3:448.
O’Donnell, Matthew, 772.
Robert Stein, « Last Supper », DJG(1992), 449.
Jésus n’a oublié ni le mont des Oliviers (en fait, il y retourne, « ils se rendirent au mont des Oliviers », Mt 26:30) ni le discours qu’il y a fait. C’est un homme de la montagne qui vit et respire l’eschatologie.
Bruner, Churchbook, 642.
Charles Haddon Spurgeon, Sermons of the Rev. C. H. Spurgeon of London, troisième série (New York, États-Unis:Sheldon, Blakeman, & Company, 1858), 298
Senior, The Passion of Jesus in the Gospel of Matthew, 84.
St. Jerome, Commentary on Matthew, Fathers of the Church, vol. 117, traduction Thomas P. Scheck (Washington, DC, États-Unis : Catholic University of America, 2008), 304. Cet ouvrage existe en français “Commentaire sur Saint Matthieu » aux éditions du Cerf
Grant R. Osborne, Matthew, Exegetical Commentary on the New Testament (Grand Rapids, États-Unis: 2010), 987.
Le texte contient d’autres éléments relevant de l’ironie : « le Libérateur dans les liens ; le Juge déclaré coupable ; le Prince de la Gloire méprisé ; le Saint condamné pour le péché ; le Fils de Dieu jugé en tant que blasphémateur ; la Résurrection et la Vie condamnées à mourir ! » [trad libre] Stier, cité dans Bengel, 1:298, dans Bruner, Churchbook, 691.
O’Donnell, Matthew, 822. La plupart des mots de cette phrase sont tirés de Davies et Allison. Leur résumé est excellent : « Manifestement, ce passage est, à l’image de 16.13–20, une confluence paroxystique des principales rivières christologiques qui coulent tout au long du texte » [trad libre] (Matthew, 3:520).
« Il s’est rendu vers les chefs des prêtres dans le temple mais pas vers le Grand-prêtre qui est le temple. Judas aurait dû aller à Jésus qui compatit à nos faiblesses et est prêt à pardonner toutes nos transgressions. Il aurait dû courir jusqu’à l’arbre du Calvaire pour recevoir la vie. Au lieu de cela, il a couru jusqu’à un autre arbre pour recevoir la mort. » [trad libre] O’Donnell, Matthew, 833.
Ibid., 829.
« Une majorité des membres du comité ont estimé que le texte original de Matthieu comportait le double nom dans les deux versets et que [le nom de Jésus devant Barabbas] a été délibérément supprimé dans la plupart des récits par égard pour Jésus. » [trad libre] Bruce M. Metzger, A Textual Commentary on the Greek New Testament, 2e éd. (Stuttgart, Allemagne : Société biblique allemande, 1994), 56.
Pilate prononce sept phrases, dont six sont des questions (Mt 27:11, 13, 17, 21, 22, 23). Seule sa dernière phrase est une double affirmation. Cette structure littéraire permet sans doute un accent plus théologique.
Voir les commentaires de Davies et Allison sur ces diverses ironies (Matthew, 3:593–94).
Bruner, Churchbook, 726.
Derek Tidball, The Message of the Cross, The Bible Speaks Today (Downers Grove, IL : InterVarsity, 2001) 20.
Jésus a certainement été attaché à un poteau et battu avec un fouet qui comportait une série de longues lanières en cuir, dont certaines contenaient des fragments de métal ou d’os. En raison de la perte de sang, combinée à la déchirure des muscles et tendons, la flagellation pouvait parfois provoquer la mort.
O’Donnell, Matthew, 852.
Ibid., 868–69.
Ibid., 875.
« La scène qui suit la crucifixion dans Matthieu est aussi spectaculaire (voire plus spectaculaire) que les os qui se lèvent et marchent dans Ézéchiel. Les saints dans la ville sainte après l’événement le plus saint de toute l’histoire, quel panorama fantastique ! Matthieu croit en la résurrection du corps ! Il ne peut même pas attendre la Pâque pour nous la raconter. » [trad libre] Ibid., 879.
Ibid., 876, 880. « Non seulement la mort de Jésus est assez forte pour séparer le voile du Saint des Saints et ainsi annihiler le péché mais elle est également assez forte pour ouvrir les tombes et annihiler la mort. Le péché et la mort sont les deux plus grands problèmes de l’humanité, et la mort de Jésus triomphe des deux. » [trad libre] Bruner, Churchbook, 760.
Davies et Allison, Matthew, 3:633.
Le voile mentionné pourrait également être le voile intérieur qui sépare le lieu saint du lieu très saint (le livre des Hébreux expose en détail cette réalité, voir notamment He 10:19‑22). Si c’est le cas, J. C. Ryle (Matthew, 284) a raison d’affirmer qu’une fois « que le véritable Grand-prêtre est enfin apparu, que le véritable Agneau de Dieu a été mis à mort et que le véritable propitiatoire a été révélé… plus aucun grand-prêtre terrestre, plus aucun propitiatoire, plus aucune effusion de sang, plus aucune offrande d’encens et plus aucun jour d’expiation ne sont nécessaires » [trad libre].
Dans le contexte, il apparaît clairement que les hommes qui ont torturé Jésus dans le prétoire de Pilate sont aussi ceux qui ont amené Jésus à Golgotha, l’ont crucifié et l’ont gardé jusqu’à ce qu’il meure. Ce sont les « ils » de Matthieu 27:32–37. Ceux qui « le gardèrent » (Mt 27:36) sont ceux qui ont fait cette confession en même temps que l’officier romain (« ceux qui étaient avec lui pour garder Jésus », Mt 27:54).
Luther, cité dans Bruner, Churchbook, 764.
Voir m. Roš Haš. 1:8 ; Josèphe, Les Antiquités judaïques 4.219.
Davies et Allison, Matthew, 3:637.
H. N. Ridderbos, Matthew(Grand Rapids, États-Unis : Zondervan, 1987), 540–41.
Donald A. Hagner, Matthew 14-28, Word Biblical Commentary, vol. 33b (Nashville, États-Unis : Thomas Nelson, 1993), 864.
Chrysostome, cité dans Bruner, Churchbook, 777, caractères italiques ajoutés.
R. E. Brown, « The Resurrection of Jesus », dans The New Jerome Biblical Commentary (Englewood Cliffs, New Jersey, États-Unis: Prentice Hall, 1990), 1373.
Doriani, Matthew, 2:517.
Jésus est adoré à dix reprises dans Matthieu (Mt 2:2, 8, 11 ; 8:2 ; 9:18 ; 14:33 ; 15:25 ; 20:20 ; 28:9, 17), dont deux fois après la résurrection (Mt 28:9, 17). Sur ce thème, voir les pages 198–99 dans Douglas Sean O’Donnell, « Insisting on Easter: Matthew’s Use of the Theologically Provocative Vocative (κύριε) in the Suppliant Narratives », dans The Earliest Perceptions of Jesus in Context: Essays in Honour of John Nolland, Aaron W. White, David Wenham et Craig Evans (Édimbourg, Écosse : Bloomsbury T&T Clark, 2018).
Naissance de Jésus et début de son ministère 1.1–4.25
Généalogie et naissance de Jésus-Christ
1 Voici la généalogie de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham. 2Abraham eut pour fils Isaac; Isaac eut Jacob; Jacob eut Juda et ses frères; 3Juda eut Pérets et Zérach de Tamar; Pérets eut Hetsrom; Hetsrom eut Aram; 4Aram eut pour fils Aminadab; Aminadab eut Nachshon; Nachshon eut Salmon; 5Salmon eut Boaz de Rahab; Boaz eut Obed de Ruth; 6Obed eut pour fils Isaï; Isaï eut David.
Le roi David eut Salomon de la femme d’Urie; 7Salomon eut pour fils Roboam; Roboam eut Abija; Abija eut Asa; 8Asa eut pour fils Josaphat; Josaphat eut Joram; Joram eut Ozias; 9Ozias eut pour fils Jotham; Jotham eut Achaz; Achaz eut Ezéchias; 10Ezéchias eut pour fils Manassé; Manassé eut Amon; Amon eut Josias; 11Josias eut pour descendants Jéconias et ses frères, à l’époque de la déportation à Babylone.
12Après la déportation à Babylone, Jéconias eut pour fils Shealthiel; Shealthiel eut Zorobabel; 13Zorobabel eut pour fils Abiud; Abiud eut Eliakim; Eliakim eut Azor; 14Azor eut pour fils Sadok; Sadok eut Achim; Achim eut Eliud; 15Eliud eut pour fils Eléazar; Eléazar eut Matthan; Matthan eut Jacob; 16Jacob eut pour fils Joseph, l’époux de Marie, de laquelle est né Jésus, qu’on appelle le Christ.
17Il y a donc en tout 14 générations depuis Abraham jusqu’à David, 14 générations depuis David jusqu’à la déportation à Babylone et 14 générations depuis la déportation à Babylone jusqu’au Christ.
18Voici de quelle manière arriva la naissance de Jésus-Christ. Marie, sa mère, était fiancée à Joseph; or, avant qu’ils aient habité ensemble, elle se trouva enceinte par l’action du Saint-Esprit. 19Joseph, son fiancé, qui était un homme juste et qui ne voulait pas l’exposer au déshonneur, se proposa de rompre secrètement avec elle. 20Comme il y pensait, un ange du Seigneur lui apparut dans un rêve et dit: «Joseph, descendant de David, n’aie pas peur de prendre Marie pour femme, car l’enfant qu’elle porte vient du Saint-Esprit. 21Elle mettra au monde un fils et tu lui donneras le nom de Jésus car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés.»
22Tout cela arriva afin que s’accomplisse ce que le Seigneur avait annoncé par le prophète: 23La vierge sera enceinte, elle mettra au monde un fils et on l’appellera Emmanuel, ce qui signifie «Dieu avec nous».
24A son réveil, Joseph fit ce que l’ange du Seigneur lui avait ordonné et il prit sa femme chez lui, 25mais il n’eut pas de relations conjugales avec elle jusqu’à ce qu’elle ait mis au monde un fils [premier-né] auquel il donna le nom de Jésus.
Matthieu
Matériel d'introduction
Peu après la destruction du temple d’Hérode en 70 apr. J.-C., l’apôtre Matthieu raconte l’histoire du Messie juif à des lecteurs majoritairement judéo-chrétiens. Il annonce que Jésus de Nazareth est le « Christ », l’oint de l’Éternel, le roi issu de la lignée de David (« fils de David », 1:1) qui avait été promis. Ce souverain envoyé par Dieu, “Emmanuel, ce qui signifie « Dieu avec nous »” (1:23), est venu sur terre pour établir le royaume des cieux, le règne éternel promis à David et à sa descendance (2 S 7). Or, ce royaume davidique a des racines abrahamiques qui s’étendent dans le monde entier et offrent la bénédiction abondante de Dieu aussi bien aux Juifs qu’aux païens.
Jésus, qui est le « Christ » et « fils de David », est également « fils d’Abraham » (1:1). En tant que tel, il apporte la bénédiction du salut promise par Dieu à toutes les « nations » (Gn 17:4 ; Mt 24:14 ; 28:19). Après la naissance de Jésus, « des mages venus d’Orient » (2:1) se rendent à Bethléhem pour se prosterner devant le roi et, après la mort de Jésus, un soldat romain déclare, « Cet homme était vraiment le Fils de Dieu. » (27:54). Au moment de sa mort, le voile du temple se déchire en deux et, avant ce point culminant, l’accès à Dieu est offert aux pécheurs, Juifs comme païens (par exemple les collecteurs d’impôts juifs ou une femme cananéenne) par la foi en Jésus. Pour l’apôtre Matthieu, comme pour l’apôtre Paul, « l’Évangile de Dieu » est « la puissance de Dieu pour le salut de tout homme qui croit, du Juif d’abord, mais aussi du non-Juif », Rm 1:1, 16). Du reste, il considère la foi qui sauve comme une foi agissante (« l’obéissance de la foi parmi toutes les nations », Rm 1:5, version Darby).
Si le premier des évangiles était une symphonie, les trois notes principales de la ligne mélodique seraient « tout pouvoir », « toutes les nations », et « tout mettre en pratique ». « Jésus a tout pouvoir afin que toutes les nations puissent obéir à tout ce qu’il a prescrit. »1
Concernant le thème de l’allégeance, les disciples chrétiens sont appelés à donner la première place à Jésus (« Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi »), à suivre ses enseignements sur l’adultère et l’idolâtrie, l’aumône et l’anxiété, la colère et l’évangélisation, le jeûne et le pardon, la luxure et l’amour, l’argent et le mariage, la pureté et la prière, et à supporter les conséquences de leur choix de suivre Jésus (« Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi ») sans perdre de vue la récompense éternelle (« Celui qui conservera sa vie la perdra, et celui qui perdra sa vie à cause de moi la retrouvera », 10:37–39).
Objectif
L’évangile de Matthieu a été écrit pour présenter aux gens de toutes nations le Roi Jésus, à qui tout pouvoir a été remis dans les cieux et sur la terre et qui invite ceux qui sont appelés par Dieu à porter leur croix et à le suivre.
Verset clé
““Jésus s’approcha et leur dit : «Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre. Allez [donc], faites de toutes les nations des disciples, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit et enseignez-leur à mettre en pratique tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. »”
— Matthieu 28:18–20 S21
Plan
I. La « genèse » de Jésus (1:1–1:25)
II. Tout cela arriva afin que s’accomplisse ce que le Seigneur avait annoncé (2:1–2:23)
III. Baptêmes dans le désert (3:1–17)
IV. La tentation dans le désert (4:1–11)
V. La lumière en Galilée (4:12–25)
VI. Le sermon sur la montagne (5:1–7:29)
A. Les béatitudes (5:1–12)
B. Sel et lumière (5:13–48)
C. Vus et récompensés par Dieu (6:1–18)
D. Trésor et confiance (6:19–34)
E. Mises en garde (7:1–29)
VII. Le Fils de Dieu s’est chargé de nos maladies (8:1–9:34)
A. La purification du lépreux (8:1–4)
B. La guérison du serviteur de l’officier romain (8:5–13)
C. La fièvre guérie (8:14–17)
D. Le prix à payer pour vivre en disciple (8:18–22)
E. Deux exorcismes (8:23–34)
F. La guérison du paralytique (9:1–8)
G. L’appel de Matthieu (9:9–17)
H. Deux filles (9:18–26)
I. Les aveugles voient (9:27–31)
J. Les muets parlent (9:32–34)
VIII. La moisson est grande (9:35–10:42)
IX. La réponse à ses prodiges (11:1–30)
X. Seigneur du sabbat (12:1–50)
XI. Les paraboles de Jésus (13:1–53)
XII. Le rejet de Jésus et la décapitation de Jean (13:54–14:12)
XIII. L’adoration de JE SUIS (14:13–36)
XIV. L’absence de foi, le peu de foi, la grande foi (15:1–16:28)
A. La « grande foi » de la femme cananéenne (15:21–28)
B. 4 000 personnes nourries (15:29–39)
C. « C’est faussement qu’ils m’honorent » (16:1–12, voir 15:1–20)
D. « Tu es le Messie » (16:13–28)
XV. Qui était présent à la croix ? (17:1–23)
XVI. Leçons sur la vie de disciple (17:24–20:34)
A. Le paiement de l’impôt du temple (17:24–27)
B. Qui est le plus grand ? (18-1–6)
C. Se séparer du péché (18:7–9)
D. La parabole de la brebis perdue (18:10–14)
E. La discipline d’église (18:15–20)
F. La parabole du serviteur impitoyable (18:21–35)
G. Le divorce (19:1–12)
H. Les derniers seront les premiers (19:13–20:19)
I. La véritable grandeur dans le royaume (20:20–28)
J. « Seigneur, Fils de David ! » (20:29–34)
XVII. Ô Jérusalem ! (21:1–46)
A. L’entrée triomphale (21:1–11)
B. Jésus purifie le temple (21:12–16)
C. Jésus maudit un figuier stérile (21:17–22)
D. Par quelle autorité ? (21:23–27)
E. La parabole des deux fils (21:28–32)
F. La parabole des vignerons (21:33–46)
XVIII. Nouvelles questions posées à Jésus (22:1–46)
A. La parabole du festin des noces (22:1–14)
B. Rendez à Dieu (22:15–21)
C. Le mariage et la résurrection (22:22–33)
D. Le plus grand commandement (22:34–40)
E. « Le Seigneur a dit à mon Seigneur » (22:41–46)
XIX. Malheur aux spécialistes de la loi et aux pharisiens (23:1–39)
XX. Le discours sur le mont des Oliviers (24:1–25:46)
A. La chute de Jérusalem (24:1–26, 32–35)
B. Le retour de Christ (24:27–31, 36–51)
C. La parabole des dix jeunes filles (25:1–13)
D. La parabole des récompenses (25:14–30)
E. La parabole des brebis et des boucs (25:31–46)
XXI. « Le Fils de l’homme est livré entre les mains des pécheurs » (26:1–56)
A. Jésus oint à Béthanie (26:1–16)
B. Le dernier repas (26:17–29)
C. En route pour Gethsémané (26:30–56)
XXII. Jésus arrêté et jugé (26:57–27:26)
XXIII. La passion et la mort du Christ (27:27–54)
A. Le Roi ridiculisé (27:27–31)
B. La crucifixion du Fils de Dieu (27:32–44)
C. La vie en sa mort (27:45–54)
XXIV. « Lui qui a été crucifié » (27:55–28:20)
A. La mise au tombeau de Jésus (27:57–61)
B. Les gardes devant le tombeau (27:62–66)
C. La résurrection : la réaction des femmes qui croient (28:1–10)
D. La résurrection : la réaction des hommes qui ne croient pas (28:11–15)
E. Le Mandat Missionnaire (28:16–20)
La « genèse » de Jésus (1:1–1:25)
Les quatre Évangiles mettent l’accent sur la même personne (Jésus en tant que Dieu le Fils venu pour sauver les pécheurs), racontent la même histoire (des enseignements et des miracles de Jésus, suivis de sa passion, de sa mort et de sa résurrection), et partagent le même objectif global (inviter les gens à croire en Jésus-Christ). Cependant, les deux premiers chapitres de Matthieu sont les seuls qui nous présentent la généalogie de Jésus, l’annonce de sa naissance faite à Joseph, la visite des mages et le début du ministère de Jésus accomplissant les prophéties de l’Ancien Testament. Marc, Luc et Jean contiennent de nombreuses références et allusions aux Écrits hébraïques et à l’histoire d’Israël auxquels ils font écho, mais l’évangile de Matthieu en est rempli.
Matthieu commence par une généalogie. Le mot grec traduit par « généalogie » en français est genesis (genèse). Avec cette nouvelle genèse en Jésus, Matthieu ne fait pas qu’introduire la trame du récit de son évangile, il apporte également une emphase théologique, à savoir que Dieu offre à sa création, en Jésus, une re-création sous la forme du pardon des péchés.
Par ailleurs, avec les trois titres suivants donnés à Jésus – « le livre de la généalogie de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham », Matthieu souligne le fait que Jésus de Nazareth est le Messie promis aux Juifs (le « Christ »), et qu’il est venu pour accomplir les promesses faites à David et à Abraham (« fils de David, fils d’Abraham », 1:1). Même si, d’un point de vue chronologique, Abraham est venu avant David, David est probablement mentionné en premier pour renforcer le thème de la royauté. Jésus est plus qu’un Juif (un fils d’Abraham, 1:2) issu de la tribu de Juda (1:2–3 ; voir 2:6), il est, par Joseph (« Joseph, descendant de David », 1:20), un descendant royal du roi David (1:6). Il est « le roi des Juifs qui vient de naître » (2:2), envoyé pour accomplir la promesse divine d’un règne éternel (« le royaume des cieux », 4:17 ; voir « et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son ancêtre. Il régnera sur la famille de Jacob éternellement, son règne n’aura pas de fin. » Luc 1:32–33 ; 2S 7).
Le récit de la naissance (Mt 1:18–25) devrait plutôt être rebaptisé « la conception de Christ ». En effet, l’accent est placé non pas sur le travail et l’accouchement de Marie, mais sur le rôle de l’Esprit dans la conception (« car l’enfant qu’elle porte vient du Saint-Esprit », 1:20 ; « elle se trouva enceinte par l’action du Saint-Esprit », 1:18) et sur la compréhension qu’a Joseph de l’identité de l’enfant dans le ventre de Marie. Grâce à sa rencontre avec un ange, Joseph n’envisage plus de répudier Marie à cause de ce qu’il considérait comme de la fornication, mais il décide de l’épouser (« il prit sa femme [Marie] chez lui », 1:24) et donne un nom à l’enfant (« auquel il donna le nom de Jésus », 1:25). De ce fait, il accorde au fils de Marie le statut de descendant de David. Au verset 23, le lecteur (ou l’auditeur) apprend que tout ceci arriva afin que s’accomplisse Ésaïe 7:14 : « La vierge sera enceinte, elle mettra au monde un fils et l’appellera Emmanuel. » Cette prophétie, donnée à la « dynastie de David » (Es 7:13), est accomplie parfaitement en Jésus, qui affermit « le trône de David » et continue de le « soutenir par le droit et par la justice, dès maintenant et pour toujours » (Es 9:6–7).
Après avoir présenté à ses lecteurs Jésus comme le « Christ » et le « Fils de David », Matthieu le décrit ensuite comme le « Fils d’Abraham » (Mt 1:1). Il associe ainsi la venue de Jésus à l’alliance abrahamique. La « bonne nouvelle du royaume » (4:23; 9:35; 24:14) sera une bénédiction pour toutes les nations (Gn 12:1–3 ; 17:4 ; 18:18 ; 22:18). Cette bénédiction, qui a été répandue en partie durant l’histoire de la rédemption sous l’ancienne alliance (au moins trois païens sont mentionnés dans la généalogie de Jésus), arrive maintenant à son apogée avec la venue de Jésus-Christ. Les premiers à s’incliner devant lui et à le reconnaître comme roi sont des païens, « des mages venus d’Orient » (Mt 2:1). Jésus commence son ministère dans la « Galilée à la population étrangère » (4:15), et la lumière du royaume de Dieu arrive jusqu’à une multitude d’autres païens (« Le peuple assis dans les ténèbres a vu une grande lumière », 4:16), dont une femme cananéenne et un officier romain.
Dans Matthieu 1:1 (« Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham »), l’évangéliste souligne le lien entre l’ascendance messianique de Jésus et deux des principales promesses de l’Ancien Testament. De par la structure de la généalogie (« Il y a donc en tout 14 générations depuis Abraham jusqu’à David, 14 générations depuis David jusqu’à la déportation à Babylone et 14 générations depuis la déportation à Babylone jusqu’au Christ », 1:17), il établit probablement un lien symbolique entre le moment de la naissance de Jésus et David (en hébreu, chaque lettre à une valeur numérique, et le total des trois lettres du nom David est égal à quatorze), et assurément un lien entre la venue de Jésus et la fin de l’exil. Les mages étaient des païens originaires d’Arabie, de Perse ou de Babylone. S’il s’agit de Babylone, un lieu qui était connu pour ses « sages » (magos, Dn 2:2, 10 LXX), alors l’exil babylonien est assurément terminé.
Le peuple ne sera cependant pas délivré d’une puissance militaire telle que Babylone ou Rome, mais de la puissance infiniment supérieure du péché. Joseph doit donner à son fils le nom de « Jésus » « car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés » (Mt 1:21). « Son peuple » comprendra même les pécheurs notoires figurant dans sa généalogie (comme Rahab, la prostituée) ainsi que tous ceux qui viennent à lui par la foi tout au long du récit évangélique (comme Matthieu, le collecteur d’impôts). « Jésus » signifie « Yahvé sauve ». La mission de Jésus est décrite sobrement, mais avec une grande profondeur, de la manière suivante : « appeler … des pécheurs » (9:13) au salut.
Tout cela arriva afin que s'accomplisse ce que le Seigneur avait annoncé (2:1–2:23)
2:1–3 Après avoir souligné le lien entre la naissance de Jésus et l’Ancien Testament, Matthieu 2 poursuit le thème de la continuité des Écritures en mettant en lumière comment l’enfance de Jésus accomplit cinq prophéties. Les deux premières concernent le récit de la visite des mages (2:1–12). Lorsque « des mages venus d’Orient » arrivent à Jérusalem, ils se renseignent dans la ville : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? » (2:1–2). Ils posent cette question car ils ont suivi une étoile qui les a conduits vers la ville sainte (« En effet, nous avons vu son étoile en Orient et nous sommes venus pour l’adorer 2:2). La mention de l’étoile comme « son étoile » est une référence à l’oracle de Balaam (« un astre sort de Jacob, un sceptre s’élève d’Israël », Nb 24:17), prophétie d’un roi parfait venu d’entre les juifs pour le monde. Hérode découvre ce que recherchent les mages et il est « troublé » (Mt 2:3). Il est troublé car un roi juif idéal ne serait pas idéal pour sa domination impie. Matthieu appelle Hérode le tétrarque « le roi » à trois reprises. Le lecteur peut déceler l’ironie et comprendre en filigrane que le nouveau-né issu de la lignée du « roi David » (1:6) est le vrai roi d’Israël, celui qui allait bientôt renverser tous les royaumes iniques.
2:4–6 La manière dont Matthieu introduit le deuxième accomplissement des prophéties est également pleine d’ironie. Constatant son ignorance sur le sujet, Hérode rassemble « tous les chefs des prêtres et spécialistes de la loi que comptait le peuple » pour savoir « où le Messie devait naître » (2:4). La hiérarchie religieuse indifférente déclare : « A Bethléhem en Judée, car voici ce qui a été écrit par le prophète : Et toi, Bethléhem, terre de Juda, tu n’es certes pas la plus petite parmi les principales villes de Juda, car de toi sortira un chef qui prendra soin d’Israël, mon peuple » (2:5–6 ; citant Mi 5:2, 4). De la ville de David viendra un autre « berger-roi » qui régnera sur le peuple de Dieu avec amour (2S 5:2 ; Ez 34).
Intérieur de la grotte de l’Église de la Nativité, une église du 4e siècle construite au-dessus d’une grotte à Bethléhem, qui marque l’emplacement traditionnel du lieu de naissance de Jésus
2:7–18 Hérode n’est assurément pas ce roi, comme il le démontre par la suite. En effet, il cherche à éliminer l’enfant Jésus en massacrant nourrissons et enfants en bas-âge dans Bethléhem et sa banlieue. Après que les mages ont découvert l’endroit où se trouvait Jésus (« ils virent l’étoile » et « étant entrés dans la maison »), là où ils « virent le petit enfant » et se sont mis à l’adorer (« se prosternant, ils lui rendirent hommage » et « ils lui offrirent des dons », 2:11, version Darby), Hérode réalise qu’il s’est fait berner. Les sages ne sont pas revenus dire à Hérode où se trouvait l’enfant. Il a donc ordonné de « tuer tous les enfants de deux ans et au-dessous qui étaient à Bethléhem et dans tout son territoire » (2:16). Ce « massacre des innocents », comme il est souvent appelé, a eu lieu, selon Matthieu, pour accomplir « ce que le prophète Jérémie avait annoncé : « On a entendu des cris à Rama, des pleurs et de grandes lamentations : c’est Rachel qui pleure ses enfants et n’a pas voulu être consolée, parce qu’ils ne sont plus là. » Dans Jérémie 31:15, Rachel, qui symbolise la mère de tout Israël, est décrite en train de pleurer devant le tombeau familial à Rama lorsque les enfants d’Israël ont été exilés à Babylone. Ici, elle pleure à nouveau avec les mères de Bethléhem à cause de cette grande tragédie. Dans son contexte original toutefois, cette expression de chagrin est suivie d’un impératif : « Retiens tes pleurs ainsi que les larmes de tes yeux. » (Jr 31:16). La raison pour laquelle les déportés peuvent sécher leurs larmes, c’est que l’exil va bientôt se terminer. Les membres du peuple de Dieu « reviendront du pays de l’ennemi » (Jr 31:16), et « serviront l’Eternel, leur Dieu, et David, leur roi » (Jr 30:9). Avec cette allusion à la situation en vigueur du temps de Jérémie, Matthieu veut souligner que, avec Jésus comme roi, l’exil prend fin et une nouvelle alliance est inaugurée (Jr 31:33–34 ; voir Mt 26:28).
Matthieu nous raconte comment Jésus a pu échapper au plan du Roi Hérode. Il a eu la vie sauve parce que Joseph a obéi à l’avertissement qu’il a reçu en songe : « « Lève-toi, prends le petit enfant et sa mère, fuis en Egypte et restes-y jusqu’à ce que je te parle, car Hérode va rechercher le petit enfant pour le faire mourir.» Joseph se leva, prit de nuit le petit enfant et sa mère et se retira en Egypte. Il y resta jusqu’à la mort d’Hérode. » Matthieu cite ensuite Osée 11:1, affirmant que l’exode de Jésus en Égypte, puis son retour, accomplissent ce qui avait été annoncé : « j’ai appelé mon fils à sortir d’Égypte ». Ici, Jésus est à la fois l’incarnation d’Israël (il est le « Fils bien-aimé » du Père (Mt 3:17 ; 17:5) et un résumé de l’exode d’Israël. Jésus descend en Égypte puis sort d’Égypte. Un motif important apparaît ici. A l’instar de la nation d’Israël qui, nouvellement constituée, a souffert hors de la Terre promise sous la férule d’un Pharaon au cœur endurci, le bébé Jésus a dû lui aussi s’enfuir en Égypte à cause de la domination tyrannique d’Hérode Antipas.
2:19–23 Matthieu 2 s’achève avec le retour de la sainte famille en Terre promise, événement qui accomplit la cinquième et dernière prophétie du chapitre. Encore une fois, Joseph écoute l’Éternel et conduit sa famille en lieu sûr jusqu’à la destination désignée par Dieu. Un ange vient à lui dans un rêve, l’informe de la mort d’Hérode et lui ordonne : « va dans le pays d’Israël » (2:20). Sur le chemin, encore une fois, un ange l’informe pendant son sommeil qu’il lui faut éviter la Judée en raison de l’hostilité d’Archélaüs, le fils d’Hérode. Ils arrivent dans la région de Galilée, dans la ville de Nazareth. C’est là que Jésus va vivre durant toute son enfance. Le lecteur de Matthieu comprend que c’est « afin que s’accomplisse ce que les prophètes avaient annoncé : « Il sera appelé nazaréen. » » (2:23). Nazareth a reçu ce nom suite à la promesse d’Esaïe 11:1, « Puis un rameau sortira du tronc d’Isaï, [le père de David] et un rejeton [neser] naîtra de ses racines. » Jésus naîtrait dans la ville de David et serait élevé dans la ville appelée ainsi en raison de la promesse de son royaume éternel (neser/eth). Jésus est le rameau, une longue pousse qui s’étend jusqu’aux nations (« les nations la rechercheront », Es 11:10, Darby). Ce qu’Esaïe annonce, c’est précisément ce que Matthieu veut souligner ! Deux notions se recoupent sous l’inspiration divine. Collectivement, « les prophètes » combinent l’accomplissement de l’alliance davidique (tout pouvoir, pour toutes les époques) avec celui de l’alliance abrahamique (pour toutes les nations qui se confient dans le Messie d’Israël).
Baptêmes dans le désert (3:1–17)
Dans les deux premiers chapitres, Matthieu souligne le lien entre la naissance et les premières années de la vie de Jésus et bon nombre des principaux événements et des principales promesses de l’Ancien Testament : l’appel d’Abraham et l’alliance abrahamique, l’autorité de David et l’alliance davidique, l’exode, l’exil et le retour de l’exil. Dans 3:1–17, il poursuit sur ce thème de la continuité entre les deux testaments incarnée par Jésus. Le ministère de Jean-Baptiste -qui prépare « le chemin de l’Eternel »- accomplit Esaïe 40:3, et le baptême de Jésus, d’après les paroles de Jésus lui-même, accomplit « tout ce qui est juste » (Mt 3:15). Cette section se termine par la déclaration d’inspiration divine selon laquelle Jésus n’est pas seulement « fils de David » et « fils d’Abraham » (1:1), mais également le bien-aimé du Père (« Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute mon approbation. » 3:17).
L’identité de Jésus et la réponse initiale d’Israël à l’annonce du royaume à venir sont les deux principaux thèmes abordés en 3:1–17. Comme indiqué ci-dessus, le début et la fin du texte mettent l’accent sur l’identité divine de Jésus (« Seigneur »//« Fils bien-aimé » de Dieu, 3:3, 17). Jean-Baptiste, qui a annoncé le royaume à venir en Jésus, lui qui « prêchait dans le désert de Judée » le message « Changez d’attitude, car le royaume des cieux est proche », est décrit comme « la voix de celui qui crie dans le désert » et qui prépare « le chemin du Seigneur » (3:1–3 ; citant Es 40:3). Le mot grec traduit par « Seigneur » est kurios, désignation habituelle de YHWH dans la Septante [traduction grecque de la Bible]. Le témoignage de Jean est confirmé plus loin par la comparaison qu’il établit entre lui et son baptême, d’une part, et la personne et l’œuvre de Jésus, d’autre part. Jean, au sujet duquel Jésus affirmera par la suite que « parmi ceux qui sont nés de femmes, il n’est venu personne de plus grand que Jean-Baptiste » (Mt 11:11), dit de lui-même qu’il n’est pas « digne de porter » les sandales de Jésus. Plus tard, lorsque Jésus souhaite être baptisé, Jean répond : « C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par toi » (3:14).
Jean considère Jésus comme absolument saint et se voit donc entièrement indigne au regard de la justice incomparable de Christ. Jean considère également Jésus comme quelqu’un de puissant. Le baptême de Jean est un baptême d’eau (« Moi, je vous baptise d’eau en vue de la repentance ») alors que le baptême de Jésus implique une conversion spirituelle (« Lui, il vous baptisera du Saint-Esprit », voir Jean 3:5–8 ; Actes 2:2–3, 38). Pour certains, le baptême « de feu » désigne la régénération ; pour d’autres, il représente le jugement. Ce Jésus qui est puissant pour sauver (Jean déclare « celui qui vient après moi est plus puissant que moi », Mt 3:11), est également le juge tout-puissant : « Il a sa pelle à la main; il nettoiera son aire de battage et il amassera son blé dans le grenier, mais il brûlera la paille dans un feu qui ne s’éteint pas » (3:12).
Plus loin, le Père et l’Esprit vont confirmer le témoignage de Jean quant à la personne de Jésus et à sa mission après son baptême. « Dès qu’il fut baptisé » (3:16), Matthieu veut que ses lecteurs « contemplent » (2x) le témoignage céleste : « Alors le ciel s’ouvrit [pour lui] et il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Au même instant, une voix fit entendre du ciel ces paroles : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute mon approbation.» » Les mots du Père reprennent à la fois Psaume 2:7 et Esaïe 42:1. Psaume 2 met l’accent sur le Fils de Dieu, qui est le Roi davidique du royaume éternel de Dieu. Esaïe 42 commence ainsi : « Voici mon serviteur, celui. . .qui a toute mon approbation. J’ai mis mon Esprit sur lui ; il révélera le droit aux nations. » (Esaïe 42:1). Plus tard dans Esaïe, le prophète déclare que son serviteur bien-aimé est également un serviteur souffrant, et que, par ses souffrances, les transgressions seraient expiées : « Après tant de trouble, il verra la lumière et sera satisfait. Par sa connaissance, mon serviteur juste procurera la justice, à beaucoup d’hommes ; c’est lui qui portera leurs fautes. » (Es 53:11).
Le Jourdain | Crédit photo : Phil Thompson, CC BY-SA 4.0
Dans le désert, le baptême de Jésus préfigure la croix. Jésus convainc Jean de le baptiser « car il est convenable que nous accomplissions ainsi tout ce qui est juste » (Mt 3:15). Jésus accomplit non seulement certaines des alliances et des prophéties de l’Ancien Testament, mais il remplit également toutes les exigences de justice contenues dans la Loi en ce que, de par son baptême, le premier de ses actes de substitution salvateurs, Jésus s’identifie aux pécheurs (il est né pour les sauver) et à leurs besoins les plus profonds. Cette identification est le moyen par lequel Dieu sauve « son peuple de ses péchés » (1:21) par le sacrifice incarné de Jésus. Comme je l’ai écrit ailleurs,
Cela nous amène au-delà du thème essentiel d’un second exode dans Matthieu 1–4, à savoir que, tout comme Israël a été conduit hors d’Égypte à travers la mer Rouge puis dans le désert, Jésus est lui aussi conduit hors d’Égypte, baptisé dans les eaux, puis conduit dans le désert. À la différence du peuple d’Israël impie, Jésus, en tant que « véritable Israël », accomplit tout ce qui est juste dans cet acte en trois parties (hors d’Égypte, à travers les eaux, dans le désert). Mais ce n’est pas tout. À travers son baptême, il guide son peuple inique mais repentant à travers le nouvel exode, une libération finale et définitive de l’esclavage du péché ! En clair, Jésus a été baptisé non pas pour lui-même mais pour nous (cf. Galates 3:13 ; 2 Corinthiens 5:21). L’immersion dans les eaux du baptême est un symbole de la purification de nos péchés. Comme l’eau est répandue sur notre tête, nous sommes rendus purs aux yeux de Dieu. Lorsque Jésus est descendu dans les eaux du Jourdain, c’est l’inverse qui s’est produit. Il a commencé à prendre notre péché, notre saleté, toute la pourriture de tous les baptisés. Chaque goutte d’eau qui a pu entrer dans sa bouche était un avant-goût de la coupe de la colère divine, qu’il boirait entièrement à la croix. Jésus, le Fils et le Serviteur, a été baptisé pour accomplir « tout ce qui est juste », afin de réaliser le plan divin de substitution pour les péchés.2
Ainsi, dans son baptême, Jésus « accomplit pleinement » les exigences de justice divines dans « le motif récurrent et les prophéties de l’Ancien Testament au sujet du Messie ».3 En tant que Serviteur souffrant, il satisfait le Père en obéissant parfaitement à sa volonté (Es 53:11) et en s’associant également au besoin de repentance du peuple de Dieu et à son besoin d’un Sauveur parfaitement juste (Es 53:12). Dans son baptême, Jésus est reconnu comme le Messie Davidique, le Fils bien-aimé et le Serviteur souffrant, honoré par l’Esprit.
Le thème de la réponse initiale d’Israël à l’annonce du royaume à venir précède le baptême de Jésus, et pourtant il préfigure la réponse qui reviendra tout au long de l’Évangile. À l’image d’Élie (voir Mt 11:14 ; cf. 2R 1:8 ; Mal 4:5), l’accoutrement de Jean (« un vêtement en poil de chameau et une ceinture de cuir autour de la taille »), le lieu où il officiait (« dans le désert »), son régime alimentaire (« Il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage ») et son message (« Changez d’attitude » Mt 3:1–2, 4) l’identifient clairement comme un prophète. Son message concernant le royaume à venir rencontre un succès sans précédent (« Les habitants de Jérusalem, de toute la Judée et de toute la région du Jourdain se rendaient vers lui. Reconnaissant publiquement leurs péchés, ils se faisaient baptiser par lui dans les eaux du Jourdain. » 3:5–6). Même les chefs religieux venaient à lui (« beaucoup de pharisiens et de sadducéens venir se faire baptiser par lui » 3:7). Toutefois, les reproches que Jean leur adresse (« Races de vipères, qui vous a appris à fuir la colère à venir ? Produisez donc du fruit qui confirme votre changement d’attitude », 3:8), introduit le thème de l’hypocrisie au sein de l’ordre religieux en place. L’idée qu’ils se font d’eux-mêmes les aveugle sur le jugement de Dieu à venir, ainsi que sur l’invitation pleine de grâce qu’il adresse aux laissés pour compte (« et ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes : ‘Nous avons Abraham pour ancêtre !’ En effet, je vous déclare que de ces pierres Dieu peut faire naître des descendants à Abraham. Déjà la hache est mise à la racine des arbres ; tout arbre qui ne produit pas de bons fruits sera donc coupé et jeté au feu. » 3:9–10). Dans les chapitres suivants, le lecteur de Matthieu sera témoin du désintérêt croissant de la foule et de l’hostilité des chefs religieux envers Jésus, mais il verra aussi comment des laissés pour compte juifs et des pécheurs d’entre les païens ouvrent sincèrement leur cœur à Jésus.
La tentation dans le désert (4:1–11)
S’il subsistait quelques doutes quant au fait que Jésus est le « Fils bien-aimé » du Père qui a toute son approbation, le récit de la tentation, dans lequel Jésus résiste sans fléchir aux séductions du diable, prouve qu’il est bien « le Fils de Dieu » (4:3, 5) qui continuera de recevoir son approbation en remplissant fidèlement la mission que Dieu lui a confiée par l’obéissance à la Parole écrite de Dieu. L’annonce du Fils puissant, saint, juste et obéissant en 3:1–17 est suivie d’une démonstration irréfutable de cette filiation divine à travers son triomphe sur le mal. Contrairement à Adam dans le Jardin et à Israël tout au long de son histoire, Jésus sort victorieux de toutes les épreuves qu’il doit affronter.
La tentation de Jésus a été ordonnée par Dieu (« emmené par l’Esprit dans le désert », 4:1; « l’Esprit poussa Jésus dans le désert » Marc 1:12). Cependant, ce ne sont pas le Père et l’Esprit qui tentent le Fils, mais Satan (« pour être tenté par le diable », Mt 4:1b). Ceci dit, le Seigneur reste souverain sur la tentation de son serviteur, et il utilise Satan pour accomplir ses desseins.
De même que Matthieu 1–3, le passage de Matthieu 4:1–11 est étroitement lié à l’Ancien Testament. Les parallèles sont nombreux : le décor (« dans le désert », 4:1 ; où Israël a été éprouvé, voir Dt 6–8), la durée (« 40 jours », Mt 4:2, l’allusion à l’errance d’Israël dans le désert pendant quarante ans, Dt 8:2), et le type de tentation. Ils ont pour but de montrer que Jésus, en tant qu’incarnation par excellence du peuple de Dieu (« mon Fils », Mt 2:15), réussit là où Israël a échoué.
Les tentations sont à la fois des « épreuves » et des « tentations » en ce que Jésus est éprouvé afin de démontrer qu’il est le Fils fidèle à Dieu et fidèle au plan de salut du Père, et tenté de faire valoir ses droits, de céder aux convoitises de la chair et à l’orgueil (voir 1Jn 2:16) et de coiffer la couronne sans endurer d’abord la croix.
4:3–4 La première tentation vise à inciter Jésus à utiliser son statut divin (en tant que Fils de Dieu) et sa puissance (sa capacité à transformer les pierres en pain) pour se servir lui-même plutôt que de servir la mission. La tentation du tentateur devait être extrêmement séduisante pour un homme qui « eut faim » après avoir survécu aux températures extrêmes et aux bêtes sauvages du désert sans aucune nourriture aussi longtemps qu’un homme peut survivre (« Après avoir jeûné 40 jours et 40 nuits », 4:2). Mais Jésus a résisté aux paroles du diable « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains » en se souvenant des priorités de sa mission qui puise sa source dans la primauté de la révélation écrite de Dieu : « Il est écrit : L’homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » (4:4). Sa réponse vient de Deutéronome 8:3. Dans le désert, Israël ne s’est pas souvenu que Dieu pourvoit jour après jour mais Jésus, lui, se souvient que Dieu pourvoit d’une manière encore plus grande, par sa Parole même. Les êtres humains ont besoin de pain pour vivre, mais nos besoins les plus profonds sont satisfaits lorsque nous assimilons les commandements et les promesses de Dieu.
4:5–7 Le premier round a été remporté par Jésus. Mais le combat n’est pas terminé. « Le diable le transporta alors dans la ville sainte [Jérusalem], le plaça au sommet du temple [peut-être l’angle sud-est qui fait face à la vallée du Cédron] » et, faisant encore une fois référence à la filiation divine de Jésus (« Si tu es le Fils de Dieu »), lui demanda de démontrer la protection aimante de son Père envers lui-même (« jette-toi en bas ! », 4:5–6). Tordant les Écritures pour tenter le Fils, il cite le Psaume 91:11–12 : « Il donnera ordre à ses anges… Ils te porteront sur les mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. » L’image est incroyable : Jésus qui saute du sommet du temple et, alors qu’il est sur le point de se briser le crâne contre une pierre dans la vallée, une myriade de créatures célestes descendent du ciel, le saisissent et l’emmènent en lieu sûr. Lors de cette deuxième tentation, Jésus répond à l’eiségèse du tentateur par une exégèse simple et correcte de Deutéronome 6:16 : « Il est aussi écrit: Tu ne provoqueras pas le Seigneur, ton Dieu » (Mt 4:7). Contrairement à Israël qui a « provoqué… Dieu » à Massa en lui demandant de l’eau pour voir s’il était parmi eux ou non, Jésus refuse de mordre à l’appât. Le Fils remporte le deuxième round.
4:8–11 Avec la troisième tentation, Satan essaie de récupérer de sa défaite. Il conduit Jésus peut-être jusqu’au mont Hermon au nord (« le transporta encore sur une montagne très élevée ») pour lui montrer que la puissance et la gloire de sa domination terrestre pourraient revenir à Jésus (« lui montra tous les royaumes du monde et leur gloire ») si Jésus s’incline devant lui (« si tu te prosternes pour m’adorer », 4:9). Jésus rejette cette proposition effrontée, impudente et blasphématoire. Il choisit au contraire la gloire éternelle de l’alliance davidique promise (voir Ps 2:8) : c’est le « Fils de l’homme » qui peut affirmer « Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre » (Dn 7:13–14 ; Mt 28:18). À l’inverse d’Israël dans le désert ou même du Roi Salomon dans toute sa gloire, Jésus n’est pas un idolâtre. Bien au contraire, il est le Serviteur Souffrant, le Fils puissant, saint, juste et obéissant.
Pour l’instant, le diable est sonné. Bientôt, même très bientôt, il sera terrassé. Jésus reprend les choses en main avec un ordre aux notes d’exorcisme (« Retire-toi, Satan ! » 4:10a), puis il cite pour la troisième et dernière fois le cinquième livre de la Bible (« C’est le Seigneur, ton Dieu, que tu adoreras et c’est lui seul que tu serviras. » 4:10b, Dt 6:13). Le serpent repart en rampant (« Alors le diable le laissa »), et l’armée des anges de Dieu descend alors pour venir en aide à Jésus (« des anges s’approchèrent de Jésus et le servirent » Mt 4:11).
Jérôme, un des pères de l’église, dit de la triple réponse de Jésus à la triple attaque de Satan : « Les flèches mensongères du diable tirées des Écritures se brisent sur le bouclier véritable des Écritures. »4 Ou, pour reprendre les mots de Paul, Jésus tient le « bouclier de la foi » pour éteindre « les flèches enflammées du mal » (Ep 6:16). Lorsqu’il est tenté de se nourrir de la bonne création de Dieu, de sauter du sommet du lieu saint de Dieu, et qu’il entend les Saintes paroles de Dieu tordues par le diable, le Fils se protège contre chaque attaque satanique au moyen des Écritures (« Il est écrit », 4:4, 7, 10). Jésus, qui a accompli les Écritures les unes après les autres (Mt 1–3), s’appuie sur les Écritures pour s’assurer de l’amour de son Père et être gardé dans la course pour accomplir les plans de son Père.
La lumière en Galilée (4:12–25)
4:12–17 Les préparatifs au ministère de Jésus sont terminés (1:1–4:11). Il se rend ensuite en Galilée, un lieu qui revêt une grande importance. La structure géographique de l’Évangile est la suivante : ministère de Jésus en Galilée (4:12–16:21), voyage de Jésus à Jérusalem (16:21–20:34) et ministère à Jérusalem (21:1–28:10), puis retour de Jésus en Galilée (28:16–20). L’Évangile de Matthieu se termine en Galilée ! « Les onze disciples allèrent en Galilée… Jésus s’approcha et leur dit : « Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre. Allez [donc], faites de toutes les nations des disciples » » (28:16–19). Et le premier aperçu de l’accomplissement du Mandat Missionnaire se trouve dans le premier ministère public de Jésus. Après l’arrestation de Jean, Jésus se retire dans la région de Galilée (4:12) et installe son quartier général « à Capernaüm, ville située près du lac, dans le territoire de Zabulon et de Nephthali » (4:13). Il ne s’agissait pas d’une manœuvre militaire ou politique astucieuse, mais, encore une fois, d’un acte divinement orchestré accomplissant le plan annoncé par Dieu. Esaïe a écrit au sujet des anciennes tribus de Nazareth et de Capernaüm, et Jésus a repris ces paroles à son compte :
« Territoire de Zabulon et de Nephthali, route de la mer, région située de l’autre côté du Jourdain, Galilée à la population étrangère ! Le peuple assis dans les ténèbres a vu une grande lumière, et sur ceux qui se trouvaient dans le pays de l’ombre de la mort une lumière s’est levée. » (4:15–16 ; citant Es 9:1–2)
Jésus s’est peut-être enfui dans les régions du nord de la Palestine pour échapper au danger (Jean venait d’être mis à mort pour avoir dit la vérité et annoncé le royaume) ou parce qu’il pensait que son message serait mieux reçu dans cette contrée que dans la capitale. Mais surtout, s’il s’est installé à Capernaüm, une ville apparemment sans importance, c’est parce qu’il devait commencer à accomplir la promesse tant attendue faite à Abraham, celle d’amener la lumière de Dieu aux nations qui étaient autrefois dans l’obscurité (voir Es 42:6 ; 49:6 ; 52:10 ; 60:3). Il était également là pour prêcher ce que Jean avait prêché (« Dès ce moment5 Jésus commença à prêcher, et à dire : « Changez d’attitude, car le royaume des cieux est proche.» » Mt 4:17) et à apporter la lumière de la bonne nouvelle de son règne à ses premiers disciples.
Ruines de Capernaüm
4:18–22 Jésus appelle de façon souveraine deux paires de frères : Simon et André, puis Jacques et Jean. Même si Matthieu a déjà dit clairement, et il le dira encore plus clairement par la suite (Mt 8:5–13, 28–34 ; 15:21–31, 24:14 ; 28:19), que la mission de Jésus vise les Juifs et les païens (« Galilée à la population étrangère », 4:15), il commence par appeler quatre pêcheurs juifs pour qu’ils prennent part à sa mission : devenir des pêcheurs d’hommes. Les deux courts récits des appels de ces quatre pêcheurs suivent une trame similaire.
« et vit deux autres frères, Jacques, fils de Zébédée, et son frère Jean, qui étaient dans une barque avec leur père Zébédée et qui réparaient leurs filets » (4:21)
« Il les appela » (4:21)
« … aussitôt ils laissèrent la barque et leur père et le suivirent » (4:22)
Le seul détail qui diffère dans leurs réponses, c’est que Jacques et Jean « laissèrent. . . leur père » (4:22). Cette réponse met en évidence l’engagement radical qu’ils ont tous pris sur le plan financier et familial. Parce que Jésus les a choisis, ils l’ont choisi en priorité par rapport à leur père et à leur mère (10:37) et par rapport à la sécurité financière que leur apportait leur métier de classe moyenne (6:24). Ce faisant, ils représentent un exemple de ce qu’est un disciple. Ils prêtent entièrement allégeance à Jésus. En quittant le commerce de la pêche qu’ils ont toujours exercé (en mourant à soi pour que d’autres puissent vivre), ils ont accepté d’être des apôtres annonçant l’Évangile (en sauvant des vies au moyen de la proclamation du royaume des cieux).
4:23–25 Cette section se termine en soulignant les deux éléments récurrents du ministère itinérant de Jésus avant sa passion : « Jésus parcourait toute la Galilée ; il enseignait dans les synagogues, proclamait la bonne nouvelle du royaume et guérissait toute maladie et toute infirmité parmi le peuple » (4:23) ; et « tous ceux qui souffraient de maladies et de douleurs de divers genres, des démoniaques, des épileptiques, des paralysés » qu’on lui emmenait, « il les guérissait » (4:24). En tout et pour tout, c’était un jour magnifique. Le royaume des cieux n’était plus seulement proche, il était là !
Conséquence de la puissance extraordinaire de Jésus -son ministère du ciel-maintenant-descendu-sur terre- sa popularité grandit (« Sa réputation gagna toute la Syrie », 4:24 ; « De grandes foules le suivirent, venues de la Galilée, de la Décapole [des contrées majoritairement païennes], de Jérusalem, de la Judée [les épicentres juifs], et de l’autre côté du Jourdain [jusqu’aux extrémités de la terre !] » 4:25).
Le sermon sur la montagne (5:1–7:29)
Matthieu 1–4 est rempli de parallèles entre les débuts de la vie et du ministère de Jésus et l’Ancien Testament. Par exemple, John Stott le résume ainsi : « De même qu’Israël a été opprimé en Égypte sous la férule de Pharaon, de même l’enfant Jésus est devenu un réfugié en Égypte sous le règne tyrannique d’Hérode. De même qu’Israël est passé à travers les eaux de la mer Rouge, de même Jésus est passé par les eaux du baptême de Jean dans le Jourdain. De même qu’Israël a été éprouvé dans le désert de Tsin pendant quarante ans, Jésus a été éprouvé dans le désert de Judée pendant quarante jours. » Il existe un autre parallèle évident entre Moïse et Jésus, le nouveau législateur et bien plus grand libérateur : « De même que Moïse a donné à Israël la loi depuis le mont Sinaï, de même Jésus a révélé à ses disciples depuis le mont des Béatitudes la véritable interprétation de la loi, élargissant au passage sa portée. »6
Vue aérienne du monastère des Béatitudes, l’emplacement traditionnel du Sermon sur la montagne de Jésus
On pourrait parler d’un serre-livres au sein de l’évangile de Matthieu : nous avons au début Jésus présenté comme roi des Juifs (1:17 ; 2:2) puis Jésus revêtu de l’autorité divine sur toutes les nations (28:18) d’une part, et concernant le thème de l’autorité, on le voit particulièrement présent au début du Sermon sur la montagne puis à la fin. Jésus se tient dans une position d’autorité (« Il s’assit ») et dans un lieu associé dans les Écritures à l’autorité (« Jésus monta sur la montagne », 5:1). À sept reprises dans Matthieu, les moments-clés du ministère de Jésus se déroulent au sommet d’une montagne (4:8 ; 5:1 ; 14:23 ; 15:29 ; 17:1 ; 24:3 ; 28:16). La réponse donnée au message de Jésus depuis le sommet de la montagne renforce également ce thème prédominant de l’autorité : « les foules restèrent frappées par son enseignement, car il enseignait avec autorité » (7:28–29a).
Les béatitudes (5:1–12)
Le thème de l’autorité revient tout au long du Sermon, par exemple quand Jésus déclare « je suis venu. . . pour accomplir » la loi et les prophètes (5:17) ; « Ceux qui me disent: ‘Seigneur, Seigneur!’ n’entreront pas tous dans le royaume des cieux, mais seulement celui qui fait la volonté de mon Père céleste » (7:21). Ce même thème apparaît dans les Béatitudes notamment en lien avec l’entrée dans le royaume. Par exemple, dans la première béatitude (« Heureux ceux qui reconnaissent leur pauvreté spirituelle, car le royaume des cieux leur appartient ! » 5:3) Jésus fixe les conditions pour entrer dans le royaume ; dans la dernière béatitude, il promet une récompense future à ceux qui souffrent à cause de son nom (« Heureux serez-vous lorsqu’on vous insultera, qu’on vous persécutera et qu’on dira faussement de vous toute sorte de mal à cause de moi. Réjouissez-vous et soyez dans l’allégresse, parce que votre récompense sera grande au ciel » 5:11–12a).
Les huit béatitudes présentent la même structure de type déjà/pas encore. Jésus déclare qu’une personne qui est « bénie » par Dieu maintenant (« Heureux ceux qui sont doux ») seront bénis dans la fin des temps (« car ils hériteront la terre ! » 5:5). La promesse d’entrée dans le royaume (« le royaume des cieux leur appartient »), de consolation (« ils seront consolés »), de domination (« ils hériteront la terre »), et de contentement (« ils seront rassasiés », 5:4–6) s’adresse à ceux qui admettent leur dénuement spirituel (« ceux qui reconnaissent leur pauvreté spirituelle », 5:3) avec humilité de cœur (« ceux qui sont doux », 5:5), qui pleurent sur leurs péchés et sur les péchés du monde déchu (« ceux qui pleurent », 5:4) et qui désirent ardemment que la volonté de Dieu soit faite sur la terre et aspirent à la vivre bientôt dans le ciel (« ceux qui ont faim et soif de la justice » 5:5). En effet, ceux qui aiment les autres (« ceux qui font preuve de bonté. . . ceux qui procurent la paix »), alors que certaines personnes leur livrent une guerre sans merci (« persécutés pour la justice »), recevront de Dieu « la bonté », la filiation (« appelés fils de Dieu ») et l’accès au royaume (« le royaume des cieux leur appartient »), et jouiront de la vision béatifique (« verront Dieu », 5:7–12).
Sel et lumière (5:13–48)
Jésus a décrit l’attitude et les actions envers Dieu et les autres qui caractérisent ses disciples (les Béatitudes). Maintenant, Jésus affirme clairement que ses disciples auront une présence visible dans le monde entier. À l’aide de deux métaphores tirées du quotidien, Jésus les appelle « le sel de la terre » et « la lumière du monde » (5:13–14). Par leur « belle manière d’agir » (les nombreuses attitudes et actions ordonnées tout au long du Sermon), les disciples de Jésus sont appelés à rendre le royaume visible afin que les autres puissent être attirés à lui (« célèbrent la gloire de votre Père céleste », 5:16).
Jésus revient ensuite sur le thème de l’autorité et de l’accomplissement des Écritures et déclare « Ne croyez pas que je sois venu pour abolir la loi ou les prophètes [l’Ancien Testament] ; je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir. » (5:17). À la différence des spécialistes de la loi et des pharisiens, qui enfreignent les commandements de Dieu, les disciples de Jésus incarnent une justice (« si votre justice ne dépasse pas celle des spécialistes de la loi et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux », 5:20) qui s’attache à la Parole (qui ne prend pas à la légère « l’un de ces plus petits commandements », 5:19) et qui comprend que Jésus seul est l’interprète final et infaillible de la révélation de Dieu et qu’il en personnifie les promesses.
En Matthieu 5:17–20, et tout au long de 5:18–48, Jésus utilise l’expression « je vous le dis » (5:18, 22, 26, 28, 32, 34, 39, 44), expression qui renforce le thème de l’autorité. Jésus n’enseigne pas comme les chefs religieux juifs (qui étaient prompts à citer leur tradition orale pour défendre un point d’interprétation scripturaire ; « Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens », 5:21 ; cf. 5:27, 31, 33, 38, 43). Fort de son autorité divine, il appelle les disciples à imiter l’amour parfait (« Soyez donc parfaits comme votre Père céleste est parfait », 5:48). Ici, la perfection ne signifie pas une perfection morale absolue, mais un amour pour tous les gens sans distinction. Dieu prend soin du « juste comme du méchant » (« il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons », 5:45), et les disciples sont eux aussi appelés à aimer « ceux qui vous aiment » (5:46, cf. « Tu aimeras ton prochain » 5:43) mais également les autres (« Aimez vos ennemis », 5:44).
En Matthieu 5:21–42, Jésus donne cinq exemples d’un tel amour en action. Haïr quelqu’un alors que vous adorez Dieu, ce n’est pas de l’amour (5:21–26). Avoir des relation sexuelles avec quelqu’un qui n’est pas votre époux ou votre épouse, ce n’est pas de l’amour (5:27–30). Demander un divorce simple et rapide parce que c’est à votre seul avantage, ce n’est pas de l’amour (5:31–32). Faire de faux serments, ce n’est pas de l’amour (5:33–37). Rendre le mal pour le mal, ce n’est pas de l’amour (5:38–42).
Au lieu de vous mettre en colère et de traiter d’« imbécile » la personne à côté de laquelle vous vous tenez dans le temple (5:22), Jésus vous commande ceci : quittez l’office religieux (« laisse ton offrande devant l’autel et va d’abord te réconcilier avec ton frère » (5:24–25). Les vrais disciples ne peuvent aimer Dieu qu’en aimant les autres. Un tel amour se manifeste au-delà, par la pureté sexuelle, en prenant les mesures les plus radicales (« Si ton œil droit est pour toi une occasion de chute, arrache-le », 5:29) afin de ne pas regarder « une femme pour la convoiter », ce qui constitue un adultère intérieur (il « a déjà commis un adultère », 5:28) avec des conséquences accablantes (« jeté dans la géhenne », 5:29, 30). Les cas de divorce illicite lorsqu’un homme donne à sa femme (pour quelque raison que ce soit) « une lettre de divorce » (5:31) amènent également à commettre l’adultère. S’il le fait pour des raisons illégitimes (autres que l’« infidélité »[l’immoralité sexuelle]), il la force à devenir adultère si elle se remarie (« l’expose à devenir adultère ») et lui aussi le devient s’il se remarie (« celui qui épouse une femme répudiée commet un adultère », 5:32). Dans le royaume des cieux, Jésus proscrit ce genre de comportements immoraux.
Il bannit également les serments illicites et les représailles inutiles. Les chrétiens sont des personnes qui disent la vérité et qui ne jurent pas par le trône de Dieu sur terre, qui est son marchepied (5:34–35). Lorsqu’ils disent « oui » à quelque chose ou affirment qu’ils feront quelque chose, on peut être certain que leur parole est digne de confiance (5:36). Ils sont en outre des artisans de paix (« Heureux ceux qui procurent la paix », 5:9) qui s’acquittent de leurs responsabilités contre-culturelles. Au lieu de se livrer à la vengeance (« œil pour œil », 5:38), ils s’attachent à « ne pas résister au méchant » (5:39). Si on les frappe sur la « joue droite », ils lui tendent « aussi l’autre [joue] » (5:39) ; si on leur demande leur vêtement (« chemise »), ils offrent tout ce qu’ils portent sur eux (« encore ton manteau », 5:40) ; si on les force à « faire un kilomètre », ils en feront deux (5:41). Ils donnent au mendiant et prêtent au nécessiteux (5:41). Ils sont sel et lumière. Leur justice dépasse de loin celle de leurs contemporains religieux. Ils font preuve d’un amour parfait, semblable à celui de Dieu à l’égard des autres.
Vus et récompensés par Dieu (6:1–18)
Dans la seconde moitié de Matthieu 5, les six antithèses de Jésus (« Vous avez entendu qu’il a été dit. . .. Mais moi, je vous dis ») soulignent à la fois le non-respect des critères éthiques de l’Ancien Testament de la part des scribes et des pharisiens et l’accent que Jésus place sur « ce qu’il y a de plus important dans la loi : la justice, la bonté et la fidélité » (23:23). Dans la première moitié de Matthieu 6, il démontre par ailleurs leur hypocrisie par le biais de ses réprimandes divines. Il commence par un avertissement : « Gardez-vous bien de faire des dons devant les hommes pour qu’ils vous regardent » (6:1). S’appuyant sur ce que les scribes et les pharisiens considéraient comme les actes de piété les plus importants -l’aumône, la prière et le jeûne- Jésus enseigne que les œuvres caractérisées par un amour parfait sont accomplies pour être vues et récompensées par Dieu, et non par des hommes.
Le type d’aumône que Dieu agrée et récompense n’a rien à voir avec une mise en scène égocentrique et qui vise à l’auto-justification (les hypocrites qui donnent de l’argent aux nécessiteux sur les places publiques afin que les hommes les louent pour leur générosité, 6:2). Dieu est glorifié (5:16) quand celui qui donne s’oublie lui-même et oublie ce qu’il a fait l’instant d’après. Le don désintéressé fait partie de son ADN spirituel. Il ne peut pas faire autrement. C’est aussi naturel que lorsqu’un pianiste appuie sur les touches sans réfléchir aux notes.
Après l’aumône, Jésus passe à la prière et au jeûne. Comme pour l’aumône, il commence par un petit enseignement sur « Comment il ne faut pas prier » et « Comment il ne faut pas jeûner ». Les disciples ne doivent pas prier comme les scribes et les pharisiens, qui feignent la piété en se tenant au centre de la scène dans les lieux saints (« dans les synagogues ») et sur les marchés animés (« aux coins des rues ») cherchant « leur récompense », à savoir l’admiration des autres (« ils aiment prier debout. . . pour être vus des hommes », 6:5). Les disciples ne doivent pas non plus jeûner « comme les hypocrites » qui modifient délibérément leur apparence (« présentent un visage tout défait », 6:16) afin que les autres puissent être impressionnés par leur piété. Au lieu de rechercher l’estime des hommes, les disciples s’efforcent de plaire à leur Père céleste afin de recevoir humblement ses louanges (« et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra », 6:18). Ainsi, le jeûne, tout comme l’aumône, se fait en secret. Seul Dieu connaît les sacrifices réalisés.
De même, la prière ne doit pas avoir pour but de recevoir les louanges des autres (« Lorsque tu pries », ne prie pas pour « être vus des hommes », 6:5). Le mieux, c’est de se tenir dans un lieu de solitude, où Dieu seul peut voir (« entre dans ta chambre, ferme ta porte et prie ton Père », 6:6). En outre, la prière d’un disciple de Jésus ne doit pas ressembler à celle d’un païen, qui est sous-tendue par la théologie selon laquelle plus la prière est longue, plus il existe des chances que Dieu l’écoute. Au lieu de répéter de vaines prières (en multipliant « les paroles comme les membres des autres peuples », 6:7), les chrétiens font des prières, longues ou courtes (le ‘Notre Père’ est assez court !), parce qu’ils savent que rien n’est caché aux yeux de Dieu (« votre Père sait de quoi vous avez besoin avant que vous le lui demandiez », 6:8). L’instruction de Jésus concernant la prière (la seule instruction explicite de la Bible sur ce sujet !-« Voici donc comment vous devez prier », 6:9) suit immédiatement :
Notre Père céleste !
Que la sainteté de ton nom soit respectée,
que ton règne vienne,
que ta volonté soit faite
sur la terre comme au ciel.
Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien ;
pardonne-nous nos offenses,
comme nous aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ;
ne nous expose pas à la tentation,
mais délivre-nous du mal, [car c’est à toi qu’appartiennent, dans tous les siècles, le règne, la puissance et la gloire. Amen !]
Si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera aussi ; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos fautes. (6:9–15).
Les six demandes ci-dessus peuvent être résumées en sept observations.
Le trésor et la confiance (6:19–34)
Ensuite, dans Matthieu 6:19–34, Jésus, qui développe la question de la providence quotidienne de Dieu (« Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien », 6:11), fait un lien entre le thème du trésor et celui de la confiance. Ceux qui appellent Dieu leur « Père céleste » (6:26, 32) se confieront en lui plus qu’en n’importe qui ou en n’importe quoi d’autre, en particulier en l’argent (6:19–24), afin qu’il pourvoie à leurs besoins physiques (6:25–34). Les disciples de Jésus écoutent les corrections que Jésus apporte par le biais de deux commandements. Premièrement, « Ne vous amassez pas des trésors sur la terre, . . . mais amassez-vous des trésors dans le ciel » (6:19–20). C’est Dieu, et non pas l’argent, qui doit être le maître car lui seul est éternel et digne de foi. Deuxièmement, « Ne vous inquiétez pas de ce que vous mangerez [et boirez] pour vivre » (6:25, cf. 6:31, 34), mais « Recherchez d’abord le royaume et la justice de Dieu » (6:33). Jésus donne trois raisons de ne pas s’inquiéter : l’anxiété est improductive (« Qui de vous, par ses inquiétudes, peut ajouter un instant à la durée de sa vie ? » 6:27), inutile (« Regardez les oiseaux du ciel », « votre Père céleste les nourrit » 6:26) et n’en vaut pas la peine (« La vie n’est-elle pas plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement? », 6:25). Pourquoi s’inquiéter si l’on sait que Dieu pourvoira ? Le chrétien se soucie avant tout d’étendre le règne de Christ sur la terre.
Mises en garde (7:1–29)
Au chapitre 7, Jésus termine avec plusieurs commandements, notamment « Ne jugez pas » (7:1), « enlève d’abord la poutre de ton œil » (7:5), « Ne donnez pas les choses saintes aux chiens » (7:6), « Demandez et l’on vous donnera » (7:7), « Tout ce que vous voudriez que les hommes fassent pour vous, vous aussi, faites-le de même pour eux » (7:12), « Entrez par la porte étroite » (7:13), « Méfiez-vous des prétendus prophètes » (7:15), qui sont suivis d’une exhortation finale à écouter et mettre en pratique ses paroles (« toute personne qui entend ces paroles que je dis et les met en pratique, je la comparerai à un homme prudent qui a construit sa maison sur le rocher », 7:24).
7:1–12 De prime abord, les thèmes abordés en 7:1–12 semblent n’avoir aucun rapport entre eux. À y regarder de plus près, cependant, des liens thématiques apparaissent entre les disciples et d’autres disciples (7:1–5), entre les disciples et des incroyants hostiles (7:6) et entre les disciples et Dieu (7:7–11). Ce qui est souvent appelée la Règle d’Or (7:12) vient résumer ce qui précède. Ces fils conducteurs ont plus de sens si l’on retourne quelques versets en arrière. Matthieu 7:7–11 se concentre sur la prière. Parce que les disciples de Christ croient que le « Père céleste donnera […] de bonnes choses » à ceux qui les lui demandent (7:11), ses enfants doivent « demander » (le verbe revient cinq fois, ou « frapper » [deux fois] à la porte des cieux) pour obtenir du secours. Pourquoi se tourner urgemment et constamment vers Dieu dans la prière ? La réponse se trouve directement dans les questions abordées dans le contexte précédent. Un cœur plein d’amour pour les autres (7:12) et un discernement juste à l’égard des autres (7:1–6) figurent en bonne place parmi les « bonnes choses » que Dieu donne « à ceux qui les lui demandent » (7:11).
La Règle d’Or (le résumé que Jésus fait de la loi de l’Ancien Testament, à savoir : « Tout ce que vous voudriez que les hommes fassent pour vous, vous aussi, faites-le de même pour eux, car c’est ce qu’enseignent la loi et les prophètes », 7:12) s’applique en particulier à l’art d’ôter la paille de l’œil son prochain. La première partie de ce commandement pointe vers soi. Qui voudrait vraiment que quelqu’un fasse pour lui ce qui est écrit aux versets 3 et 4, c’est-à-dire qu’une personne hypocrite, fière de sa propre justice et moralisatrice, ayant elle-même un gros problème avec le péché (symbolisé par une « poutre » dans l’œil), juge de loin (les poutres sont plutôt allongées) le moindre petit péché (la « paille qui est dans l’œil de [s]on frère ») ? Personne ne souhaite bénéficier de ce genre d’attitude dépourvue d’amour. Agir avec amour, c’est d’abord demander à Dieu d’avoir une bonne vision de soi pour voir la poutre dans notre œil avant de s’occuper de la paille dans l’œil de notre frère. Cela ne signifie pas qu’un autre croyant (« un frère ») ne puisse exercer un jugement, mais voici la manière de procéder : « Ne jugez pas afin de ne pas être jugés, car on vous jugera de la même manière que vous aurez jugé et on utilisera pour vous la mesure dont vous vous serez servis » (7:1). Dit différemment : ne critiquez pas les autres avant d’avoir en premier soigneusement examiné vos défauts.
Dans un chapitre où Jésus met l’accent sur le jugement de Dieu (et plus particulièrement sur le fait que Jésus soit lui-même juge, voir 7:19, 21–23, 24–27), ici, au début, Jésus enseigne à ses disciples de garder le Jour du jugement à l’esprit chaque fois qu’ils veulent porter un jugement sur un frère ou sur une sœur. Il veut également que ses disciples gardent les priorités du royaume à l’esprit (« Recherchez d’abord le royaume et la justice de Dieu », 6:33) lorsqu’ils rencontrent de l’adversité. Le commandement donné en 7:6 peut sembler déroutant : « Ne donnez pas les choses saintes aux chiens et ne jetez pas vos perles devant les porcs, de peur qu’ils ne les piétinent et qu’ils ne se retournent pour vous déchirer. » Encore une fois, il est question ici de discernement dans l’amour. Les disciples doivent discerner qui est un « frère » (un autre croyant) et qui est un « chien » ou un « porc » (un incroyant hostile et impur qui rejette catégoriquement la « perle » à la valeur inestimable de l’Évangile). Le propos est simple. Les disciples ne doivent pas perdre leur temps à présenter ce précieux Évangile à des ennemis du royaume de Dieu qui ont le cœur endurci. Ils doivent, comme les apôtres l’ont montré plus tard « secoue[r] la poussière » (10:14 ; Actes 13:46 ; 18:6) de leurs pieds lorsque les gens restent « endurcis et incrédules » (Actes 19:9). Ils doivent « porte[r] un jugement juste » (Jean 7:24).
7:13–28 Ce thème du jugement juste reste présent dans la seconde moitié de Matthieu 7. Toutefois, l’accent est mis non plus sur les disciples de Jésus qui jugent les autres (le croyant pécheur et l’incroyant hostile) mais sur Jésus qui juge tous les peuples. Il donne trois avertissements.
Premièrement, il adresse de vifs reproches à ceux qui veulent mener une vie d’aisance. « Entrez par la porte étroite » (7:13). Le chemin qui mène au royaume est réservé à « ceux qui reconnaissent leur pauvreté spirituelle » et à ceux qui sont prêts à être injuriés parce qu’ils encouragent et mettent en pratique les valeurs du royaume (5:3, 10–11), et non pas aux orgueilleux qui ne veulent pas porter leur croix et suivre Jésus.
Le deuxième avertissement concerne les enseignants trompeurs (« Méfiez-vous des prétendus prophètes »), des dirigeants d’église (« Ils viennent à vous en vêtements de brebis ») qui sont à la fois dangereux (« au-dedans ce sont des loups voraces », 7:15) et impies (« Vous les reconnaîtrez à leurs fruit », 7:16, 20), plus précisément leurs « mauvais fruits » venant d’un cœur mauvais (7:17). L’orthodoxie et l’orthopraxie doivent aller de pair. Même ceux qui font une confession christologique et étalent leurs références charismatiques (« N’avons-nous pas chassé des démons en ton nom » et « N’avons-nous pas fait beaucoup de miracles en ton nom ? »7 :22) n’ont pas une place garantie dans le royaume : « Ceux qui me disent : ‘Seigneur, Seigneur !’ n’entreront pas tous dans le royaume des cieux, mais seulement celui qui fait la volonté de mon Père céleste » (7:21).
Le troisième avertissement s’appuie sur le deuxième. Au lieu d’écouter les faux enseignants et d’imiter leur vie d’aisance et d’immoralité (en choisissant le chemin « spacieux », 7:13 et en commettant le mal, 7:23), le chrétien authentique écoute Jésus et obéit à ses commandements (« entend ces paroles que je dis et les met en pratique », 7:24), ce qui représente le seul fondement sûr au Jour du jugement.
Le Sermon sur la montagne, qui se rapporte au thème du jugement, se termine sur une note négative. La personne qui écoute et obéit ressemble à « un homme prudent qui a construit sa maison sur le rocher », de sorte que lorsqu’une tempête a éclaté (« La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont déchaînés contre cette maison »), elle a résisté à la tempête (« elle ne s’est pas écroulée ») parce que ses fondements étaient sûrs, posés sur les enseignements de Jésus (« elle était fondée sur le rocher », 7:25). Il n’en va pas de même de l’insensé, qui a compris ce que Jésus a enseigné mais n’a pas tenu compte de ses commandements. Il ressemble « à un fou qui a construit sa maison sur le sable ». Quand la tempête a éclaté, sa maison « s’est écroulée et sa ruine a été grande » (7:27).
« [L]es foules restèrent frappées par son enseignement » (7:28). Pourquoi ? L’une des raisons, c’est que Jésus termine son sermon par la question du jugement ; une autre raison, c’est qu’il affirme de manière retentissante que l’acceptation ou le rejet de sa seigneurie conditionnera la destinée finale de chacun. Dans Esaïe 33:22, le prophète déclare : « l’Eternel est notre juge, l’Eternel est notre législateur, l’Eternel est notre roi, c’est lui qui nous sauve. » Cette prophétie est accomplie en Jésus, qui est le juge (« Alors je leur dirai ouvertement : ‘Je ne vous ai jamais connus. Eloignez-vous de moi, vous qui commettez le mal!’» Mt 7:23), le législateur (« je vous dis »), le roi (il est qualifié à juste titre de « Seigneur »), et le sauveur (la maison a été préservée de la tempête, 7:25 ; voir 1:21 ; 8:17).
Le Fils de Dieu s’est chargé de nos maladies (8:1–9:34)
Après son sermon sur la montagne (« A la vue de ces foules, Jésus monta sur la montagne », 5:1),7 Jésus redescend (« Lorsque Jésus fut descendu de la montagne »). Encore une fois, « une grande foule le suivit » (8:1). Cependant, Matthieu met l’accent non pas sur la foule mais sur quelques visages en particulier, sur ceux et celles que Jésus guérira miraculeusement. Dans Mattieu 8:1–9:34, l’évangéliste enchaîne dix récits miraculeux. Un grand thème se dégage de ces récits : l’autorité de Jésus. Celui qui enseigne dans les synagogues et proclame la bonne nouvelle du royaume guérit également « toute maladie et toute infirmité » (4:23; 9:35). Ce que la foule a déclaré après le dernier miracle, la guérison du muet par Jésus, résume bien le sentiment général à propos de ces miracles in toto : « On n’a jamais rien vu de pareil en Israël » (9:33). Ces miracles démontrent également l’identité et la mission de Jésus, ainsi que la nature de la vie de disciple. L’identité de Jésus nous est révélée par la suite : il est « Seigneur » (7x), « Fils de Dieu » (8:29), « le Fils de l’homme » (8:20 ; 9:6), et « le marié » (9:15). Sa mission consiste à détruire les œuvres du diable (8:29–32) en se chargeant des « faiblesses » et des « maladies » de l’humanité (8:17) afin de sauver les gens de la mort (8:25–26 ; 9:25) et de les pardonner et les purifier de leurs péchés (9:6 ; 8:3). Cette offre de salut exclusive est inclusive. Comme l’illustrent ces chapitres, Jésus est « venu appeler. . . des pécheurs » (9:13), qu’il s’agisse de laissés-pour-compte juifs, d’un soldat romain, du chef d’une synagogue, d’une femme cananéenne, de riches collecteurs d’impôts ou de mendiants aveugles. Ces disciples manifestent tous la nature de la vie de disciple : la foi en Jésus et la volonté de le suivre et de prendre part à sa mission.
La purification du lépreux (8:1–4)
En 8:1–17, Matthieu décrit trois miracles remarquables qui se sont produits le même jour : la purification du lépreux, la guérison du serviteur de l’officier, et celle de la fièvre de la belle-mère de Pierre. A la fin de la journée, il souligne également que Jésus a accompli des miracles durant toute la journée : « Le soir venu, on amena vers Jésus de nombreux démoniaques. Il chassa les esprits par sa parole et guérit tous les malades » (8:16). Matthieu affirme en 8:17 que le but de ces nombreux miracles était d’accomplir Esaïe 53:4, « ce sont nos souffrances qu’il a portées, c’est de nos douleurs qu’il s’est chargé ». Pour Matthieu, ces miracles pointent vers la croix où Jésus se chargera de toutes les maladies inhérentes au péché de son peuple (voir 1P 2:24).
Le premier miracle qui pointe parfaitement vers ce symbole, c’est la purification du lépreux par Jésus. D’après Nombres 5:2, les lépreux devaient vivre à l’écart et, d’après Lévitique 13:45–46, s’ils rencontraient quelqu’un, ils devaient crier « Impur ! Impur ! » C’est peut-être ce que le lépreux a fait lorsqu’il s’est approché de Jésus, ou peut-être qu’il n’était pas versé dans la loi de l’Ancien Testament. Dans tous les cas, il est venu à Jésus avec audace, il « se prosterna devant lui », l’appela « Seigneur », et a demandé humblement, « si tu le veux, tu peux me rendre pur » (Mt 8:2). Notez l’expression de sa confiance absolue dans les capacités de Jésus. Il ne dit pas « si tu le peux, rends-moi pur » mais « si tu le veux, tu peux me rendre pur ». En guise de réponse, Jésus le touche et le guérit. « Jésus tendit la main, le toucha et dit : « Je le veux, sois pur ». Aussitôt il fut purifié de sa lèpre. » (8:3). En touchant le lépreux, Jésus incarne le message de l’Évangile, démontrant à la fois sa compassion et son rôle de substitut pour le péché. D’après Lévitique 5:3, le fait de toucher un lépreux le rendait impur. Pourtant, Jésus, qui est venu pour accomplir la loi, transcende la loi sans l’abolir. En touchant le lépreux, Jésus n’est pas devenu impur, mais c’est le lépreux qui est devenu pur. Il préfigure ainsi son œuvre à la croix, où il prendra toutes les impuretés de son peuple et le rendra parfaitement pur aux yeux de Dieu. Cependant, puisque la mort expiatoire de Jésus n’a pas encore eu lieu, et puisqu’il désire à la fois respecter la loi et ne pas être mal compris, le récit se termine par deux impératifs : garde le silence (« Fais bien attention de n’en parler à personne ») et obéis (« mais va te montrer au prêtre et présente l’offrande que Moïse a prescrite, afin que cela leur serve de témoignage. » Mt 8:4).
La guérison du serviteur de l’officier romain (8:5–13)
Le deuxième miracle est aussi extraordinaire que le premier. Alors que Jésus entre dans Capernaüm, un autre étranger aux promesses s’approche de lui. Un officier romain ! Le récit est surprenant à plus d’un titre. Il est surprenant qu’un homme puissant qui commande une centaine de soldats et est revêtu de l’autorité de César vienne demander de l’aide à Jésus et l’appelle « Seigneur ». Il est surprenant que cet homme fasse appel à Jésus au nom de son jeune serviteur. Un tel altruisme en faveur d’un esclave domestique est étonnant car la plupart des maîtres dans le monde gréco-romain n’avaient que peu d’égard envers leurs travailleurs forcés. Il est également surprenant que Jésus, un Juif, accepte d’aider deux païens. Jésus répond « J’irai et je le guérirai. » (8:7). Remarquez à la fois la confiance de Jésus dans ses capacités (« Je le guérirai ») et son empressement à dépasser les barrières sociales. L’officier répond en manifestant la même confiance dans les capacités de Jésus et en reconnaissant que lui, un pécheur païen, n’est pas digne de recevoir un rabbin pieux dans sa maison : « Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, mais dis seulement un mot et mon serviteur sera guéri » (8:8). Quelle confiance absolue dans l’autorité de Jésus ! L’officier qui commande à ses soldats d’obéir à ses ordres (« je dis à l’un : ‘Pars !’ et il part, à un autre: ‘Viens!’ et il vient, et à mon esclave: ‘Fais ceci!’ et il le fait » 8:9) est tout aussi convaincu que Jésus a le pouvoir de guérir son serviteur à distance par une simple parole.
Pas étonnant que cette foi incroyable impressionne Jésus : « Après l’avoir entendu, Jésus fut dans l’admiration, et il dit à ceux qui le suivaient : « Je vous le dis en vérité, même en Israël je n’ai pas trouvé une aussi grande foi. » » (8:10). On pourrait même dire que la foi de cet homme a surpris Jésus ! Jésus annonce ensuite quelque chose d’extraordinaire : des païens croyants qui reçoivent Jésus et des Juifs incroyants (« les fils », version Darby) qui rejettent Jésus. Cette déclaration a dû surprendre ses premiers auditeurs : « Or, je vous le déclare, beaucoup viendront de l’est et de l’ouest et seront à table avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux. Mais ceux à qui le royaume était destiné seront jetés dans les ténèbres extérieures, où il y aura des pleurs et des grincements de dents. » (8:11–12). Bien entendu, le lecteur de l’évangile de Matthieu comprend déjà l’importance de l’inclusion des païens dans le ministère de Jésus ; et le lecteur versé dans les Saintes Écritures réalise à nouveau que le Messie accomplit tout simplement sa mission.
Après toutes ces surprises, peut-être que le miracle en lui-même constitue le détail le moins surprenant. « Puis Jésus dit à l’officier : « Vas-y [et] sois traité conformément à ta foi. » Et au moment même le serviteur fut guéri. » (8:13). Matthieu résume en un verset l’un des plus grands miracles de l’histoire du monde !
La fièvre est guérie (8:14–17)
Le dernier des trois premiers miracles nous présente une autre personne en difficulté. Jésus arrive dans la maison de Pierre et voit que la belle-mère de Pierre est tellement malade qu’elle ne peut pas le saluer ni l’accueillir comme il se doit (elle était « couchée, avec de la fièvre », 8:14). Aussitôt, il s’occupe d’elle (« Il lui toucha la main et la fièvre la quitta »). La guérison a été si rapide et efficace qu’elle « se leva et le servit » (8:15). Ce miracle est significatif en ce qu’il souligne à nouveau l’incroyable autorité de Jésus. Il présente également un aspect important de sa mission, à savoir que Jésus est venu pour rassembler « les exilés d’Israël » (Ps 147:2) dans son royaume : un lépreux, une femme, et bientôt un collecteur d’impôts, une femme qui perdait du sang, et un homme aveugle et muet. Même si la belle-mère de Pierre n’était pas étrangère aux promesses destinées à Israël, à l’époque de Jésus, bon nombre d’hommes l’auraient considérée comme une citoyenne de seconde classe. Dans certaines traditions juives, toucher la main d’une femme, comme l’a fait Jésus, rendait un homme impur. Autrefois, les hommes juifs pieux priaient chaque jour les dix-huit bénédictions. Voici l’une d’entre elles : « Seigneur, je te loue que je ne suis pas né esclave, païen ou femme. » Dans le royaume des cieux, comme Paul le déclarera plus tard et comme Matthieu l’illustre ici, « Il n’y a plus ni Juif ni non-Juif, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme, car vous êtes tous un en Jésus-Christ » (Ga 3:28).
Emplacement traditionnel de la maison de Pierre à Capernaüm
Le prix à payer pour vivre en disciple (8:18–22)
Dans Matthieu 8:18–22, l’évangéliste introduit le thème du discipulat dans le récit de ces dix miracles. Il le fait même à deux reprises. En 9:9–13, une personne a priori peu encline à le faire (Matthieu, le collecteur d’impôts qui est assis à son bureau des taxes) répond à l’appel souverain de Christ (« Suis-moi ») et obéit immédiatement et sans hésiter (« Cet homme se leva et le suivit. », 9:9). Alors que le collecteur d’impôts était prêt à tout quitter (voir Luc 5:28) pour suivre Jésus, les deux hommes qui rencontrent Jésus au chapitre 8 ont des réticences importantes à surmonter.
Le premier disciple, un scribe, dont on ne comprend le problème qu’après la réponse de Jésus à l’engagement fort qu’il a pris (« Maître, je te suivrai partout où tu iras. » Mt 8:19), doit renoncer à sa vie d’aisance. Jésus, qui n’est pas un simple « maître » (8:19) mais « le Fils de l’homme » (8:20, ou le « Seigneur », comme l’appellent le lépreux et l’officier romain !) l’enseigne au moyen d’une analogie étrange : « Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids, mais le Fils de l’homme n’a pas un endroit où il puisse reposer sa tête. » (8:20). L’idée principale est que, si quelqu’un veut suivre Jésus, le chemin ne sera pas simple. Cela peut impliquer de se retrouver sans domicile fixe pendant quelque temps, d’affronter une tempête sur la mer en pleine nuit (Mt 8:23–24a) ou de subir la persécution verbale et physique. Lisez à nouveau les Béatitudes. Lisez à nouveau les Actes des apôtres. « Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi » (10:38).
Le deuxième homme, qui est décrit comme « Un autre, parmi les disciples » (8:21), a également besoin d’être enseigné sur ce qu’est la vie de disciple. Il désirait lui aussi suivre Jésus partout où il irait, mais il a commencé par demander une faveur, « Seigneur, permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père » (8:21). Cet homme appelle Jésus « Seigneur » à juste titre, mais il place ses priorités au mauvais endroit. Jésus lui adresse alors un reproche sévère : « Suis-moi et laisse les morts enterrer leurs morts » (8:22). L’expression « enterrer mon père » renvoie à la question des responsabilités familiales et de la sécurité financière. Cet homme doit continuer d’aider son père à gérer l’entreprise familiale afin qu’il ne perde pas son héritage à la mort de son père. Les termes « d’abord » dans la requête de l’homme (« permets-moi d’aller d’abord » m’occuper de questions d’ordre financier) se heurtent précisément au thème que Jésus a abordé lors du Sermon sur la montagne : « Vous ne pouvez pas servir Dieu et l’argent » (6:24). Comme Jésus l’enseignera plus tard (10:37), ils se heurtent également à un autre thème : Dieu d’abord, la famille ensuite. Les morts spirituels s’assureront que l’héritage soit établi et transmis aux descendants (« laisse les morts enterrer leurs morts », 8:22). Choisis la vie maintenant. Le Christ et son royaume doivent avoir la première place.
Deux exorcismes (8:23–34)
Les deux scènes suivantes, dans lesquelles Jésus calme la tempête (8:23–27) et chasse des démons de deux hommes (8:28–34), mêlent de manière remarquable les thèmes de l’identité de Jésus et de la vie de disciple. En sauvant ses disciples sur le bateau après avoir calmé une tempête en pleine mer et en sauvant deux hommes après avoir chassé dans la mer les démons qui les tourmentaient, Jésus dompte la mer, qui représente Satan, et les créatures conduites par Satan, confirmant ainsi sa filiation divine. Après ce premier miracle où il domine sur la nature, la question est posée : « Quel genre d’homme est-ce ? Même les vents et la mer lui obéissent ! » Ce sont les démons eux-mêmes qui y répondent : Jésus est le « Fils de Dieu » (8:29). Il est le « Seigneur » qui sauve des pécheurs (8:25) et juge le mal (8:29–32).
La leçon principale à retenir sur ce thème du discipulat concerne la nature de la foi. Les gardiens des troupeaux de cochons réagissent à l’exorcisme exercé par Jésus en le laissant et en allant à la ville raconter tout ce qui s’est passé (8:33). Ensuite, les gens de la ville répondent en priant Jésus « de quitter leur territoire » (8:34), probablement parce qu’il menaçait leur sécurité financière. À l’inverse, les disciples sur le bateau qui ont tout quitté pour suivre Jésus ont continué à le suivre lors de son voyage de Capernaüm jusqu’au pays des Gadaréniens (« Il monta dans la barque et ses disciples le suivirent », 8:23). Même s’ils se confiaient en lui pour leurs besoins de chaque jour (ils ont tout quitté pour le suivre), il voulait leur enseigner une autre leçon sur la vie de disciple, à savoir qu’ils pouvaient lui confier leur vie entière.
Le même jour, sur la mer, « il s’éleva […] une si grande tempête que la barque était recouverte par les vagues » (8:24). Comme Jésus dormait pendant que la tempête se déchaînait (« Et lui, il dormait », 8:24), épuisé par la journée et assuré que Dieu, dans sa souveraineté, veillait sur eux, « ils s’approchèrent et le réveillèrent en disant: «Seigneur, sauve-nous, nous allons mourir!» » (8:25). Ils pensaient qu’ils allaient mourir. Ils savaient que lui seul pouvait les aider. Mais il leur a reproché leur foi incomplète, « Pourquoi êtes-vous si craintifs, hommes de peu de foi ? » (8:26). Remarquez comment Jésus, au beau milieu de cette tempête qui menace la vie de ses disciples, calme d’abord leur angoisse avant d’apaiser la mer agitée. Remarquez également que la foi est le contraire de la peur (« peu de foi » fait écho à « craintifs »). Et Jésus de calmer la tempête en mer (« Alors il se leva, menaça les vents du lac et il y eut un grand calme », 8:26), et les disciples, de s’émerveiller à juste titre devant l’autorité exercée par Jésus sur la création (« Ces hommes furent très étonnés et dirent: «Quel genre d’homme est-ce? Même les vents et la mer lui obéissent !» » 8:27). Mais Jésus leur enseigne d’abord une leçon sur la vie de disciple. Les chrétiens qui se placent sous l’autorité d’« un seul chef […], le Christ » (23:10) doivent apprendre les leçons suivantes : le Christ sauvera ceux qui crient à lui par la foi (« Seigneur, sauve-nous, nous allons mourir! », 8:25) mais il appelle également les disciples à avoir une confiance ferme en lui et à croire que, même quand il dort, la création est sous son contrôle.
La guérison du paralytique (9:1–8)
Après avoir chassé des démons parmi les païens, Jésus, accompagné de ses disciples les plus proches, traverse le lac de Galilée jusqu’à Capernaüm, le quartier général de son ministère, que Matthieu appelle « sa ville » (9:1). Encore une fois, la structure « récit d’un miracle puis discours sur la vie de disciple » est énoncée.
Dans son récit de la guérison du paralytique (9:2–8), Matthieu ne mentionne pas les détails bien connus qui figurent dans Marc (alors que Jésus prêche dans une maison bondée, quatre hommes portent leur ami paralytique sur le toit, découvrent le toit et descendent l’homme, Marc 2:1–4). Matthieu va droit au but théologique qu’il tient à souligner : le pardon des péchés en Jésus. Parce que ces hommes, tout comme le lépreux et l’officier, croyaient que Jésus peut guérir (« Voyant leur foi »), il a voulu combler les besoins les plus profonds de cet homme : « Jésus dit au paralysé : « Prends courage, mon enfant, tes péchés te sont pardonnés.» » (Mt 9:2). Cette phrase en apparence choquante a précisément pour objectif de susciter la controverse. Certains scribes se disent en eux-mêmes, « Cet homme blasphème » (9:3). Pour eux, seul Dieu peut pardonner les péchés de la manière qu’il a lui-même ordonnée, à savoir un sacrifice expiatoire offert par le prêtre dans le temple. Pour eux, Jésus était un homme, et non pas Dieu. Pour eux, son affirmation était donc blasphématoire, et c’est pour ce crime passible de la peine capitale (voir Lv 24:10–16) qu’il sera condamné à mort par le Sanhédrin (« Vous venez d’entendre son blasphème. Qu’en pensez-vous ?» Ils répondirent : « Il mérite la mort. » »Mt 26:65–66).
Pour Jésus, cependant, cette affirmation lors de son procès et dans cette maison à Capernaüm n’est pas blasphématoire en raison de qui il est et de ce qu’il peut faire. Après avoir reproché à ces personnes atteintes de paralysie spirituelle leurs mauvaises pensées (« Pourquoi avez-vous de mauvaises pensées en vous-mêmes ? » 9:4), Jésus démontre qu’en tant que « Fils de l’homme » il a reçu « sur la terre le pouvoir de pardonner les péchés » (9:6a) en guérissant cet homme : « « lève-toi – dit-il alors au paralysé –, prends ta civière et retourne chez toi.» L’homme se leva et rentra chez lui » (9:6b–7). Comme il le dira clairement dans son discours sur le mont des Oliviers et au Calvaire, plus aucun temple sur terre ne sera nécessaire. Le pardon vient maintenant en Jésus, l’incarnation ultime du sacrifice, du prêtre et du temple.
L’appel de Matthieu (9:9–17)
Contrairement à ce que la réponse de la foule laisse entendre (elle « célébra la gloire de Dieu, qui a donné un tel pouvoir aux hommes », 9:8), Jésus démontre à nouveau qu’il possède l’autorité divine pour pardonner les péchés en appelant un pécheur notoire et ses amis. En passant à côté du bureau des taxes de Matthieu, il a appelé ce traître indifférent à le suivre. L’appel du Seigneur « Suis-moi » fait écho à un autre miracle, une résurrection de ceux qui sont spirituellement morts ! (« Cet homme se leva et le suivit », 9:9). Après sa conversion, Matthieu est devenu un évangéliste. Il a servi à Jésus « un grand festin dans sa maison » (Luc 5:29) et a invité tous les moins que rien de Capernaüm du premier siècle de notre ère à rencontrer son nouveau Sauveur. Mais « Comme Jésus était à table » avec « beaucoup de collecteurs d’impôts et de pécheurs » (Mt 9:10), la police des mœurs a protesté (« Pourquoi votre maître mange-t-il avec les collecteurs d’impôts et les pécheurs? » 9:11). Jésus répond à leur objection par un autre enseignement. Citant Osée 6:6, il déclare, « Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades. Allez apprendre ce que signifie : Je désire la bonté, et non les sacrifices. En effet, je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs » (Mt 9:12–13). Comme l’illustre parfaitement l’appel de Matthieu, Jésus avait pour mission de sauver des pécheurs (1Tm 1:15).
Vraisemblablement, au cours de ce même repas dans la maison de Matthieu, les disciples de Jean-Baptiste se sont approchés de lui. Les pharisiens ont remis en cause la compagnie de Jésus ; les disciples de Jean remettent en cause l’acte même de manger : « Pourquoi nous et les pharisiens jeûnons-nous [souvent], tandis que tes disciples ne jeûnent pas ? » (Mt 9:14). Le jeûne dont ils parlent ne reposait pas sur un commandement biblique, mais sur une tradition rabbinique du premier siècle. Les Juifs pieux jeûnaient le lundi et le jeudi. Jésus n’est pas contre le jeûne (6:16–18) et il ne s’oppose pas frontalement à leur tradition (« Vous avez appris qu’il a été dit, mais moi je vous dis »). Il déclare au contraire que ses disciples ont parfaitement le droit de manger un bon repas un jour de jeûne à cause de qui il est. Jésus répond à leur question par une autre question (« Les invités à la noce peuvent-ils être tristes tant que le marié est avec eux ? ») suivie d’une affirmation concernant le moment où il conviendra de jeûner (« Les jours viendront où le marié leur sera enlevé [probablement une allusion à l’ascension de Jésus], et alors ils jeûneront », 9:15). Pour dire les choses simplement, personne ne jeûne lors d’un mariage. De même, il n’est pas approprié de jeûner pendant le ministère de Jésus.
À deux reprises, Jésus parle de lui comme du « marié », un titre utilisé par Jean pour décrire Jésus (« l’ami du marié [Jean], qui se tient là et qui l’entend [Jésus], éprouve une grande joie à cause de la voix du marié », Jean 3:29), et un titre réservé à YHAWH dans l’Ancien Testament (Ez 16:7–8 ; Jr 2:2 ; Es 54:5–8 ; cf. Os 2:14–20) et utilisé pour désigner Christ dans le Nouveau Testament (Ep 5:23 ; 2Co 11:2 ; Ap 19:7 ; 22:17). Ce titre revêt à n’en pas douter un caractère christologique ! Encore une fois, miracles après miracles, et discours après discours, Jésus révèle son identité.
Jésus poursuit sa réponse avec une autre comparaison. Il déclare : « Personne ne coud un morceau de tissu neuf sur un vieil habit, car la pièce ajoutée arrache une partie de l’habit et la déchirure devient pire. On ne met pas non plus du vin nouveau dans de vieilles outres, sinon les outres éclatent, le vin coule et les outres sont perdues ; mais on met le vin nouveau dans des outres neuves, et le vin et les outres se conservent » (9:16–17). Le « vin nouveau » symbolise la bonne nouvelle du royaume qui est venu en Jésus. Les « vieilles outres » représentent les traditions du judaïsme pharisaïque qui contredit ou remplace les enseignements bibliques et le royaume à venir. Quand il entre en contact avec les vieilles outres des pratiques religieuses d’origine humaine, le vin nouveau de l’Évangile révèle la fragilité de ces vielles outres et finit par les étirer et les craquer, les rendant inutilisables et permettant à l’Évangile de s’écouler dans des vases réceptifs.
Deux filles (9:18–26)
Matthieu 9:18–31 présente les quatre derniers miracles des chapitres 8 et 9 qui concernent deux femmes et trois hommes. Aux versets 18 à 26, l’évangéliste entremêle l’histoire de deux filles (le terme « fille » est employé pour désigner la fillette morte, 9:18, et la femme mourante, 9:22). Le père de la fillette, qui est le chef d’une synagogue, s’approche de Jésus. Son attitude et sa requête témoignent d’une foi extraordinaire : « Ma fille est morte il y a un instant ; mais viens, pose ta main sur elle et elle vivra » (9:18). Il croit que Jésus peut ressusciter les morts simplement en les touchant de la main ! Jésus relève le défi. Accompagné de ses disciples, il se rend vers la fillette.
Mais sa mission est interrompue : « C’est alors qu’une femme » (9:20). Matthieu fait état de son problème (elle « souffrait d’hémorragies depuis 12 ans ») et de son espérance pleine de foi en un miracle. Cette espérance est mise en pratique par des moyens peu orthodoxes (elle « s’approcha par-derrière et toucha le bord de son vêtement », car elle se disait : « Si je peux seulement toucher son vêtement, je serai guérie » 9:20–21). Même si certains érudits considèrent sa volonté de toucher le vêtement de Jésus comme de la superstition, Jésus loue le courage de la femme et sa confiance en son pouvoir (« Prends courage, ma fille, ta foi t’a guérie », version Louis Segond), établissant un lien direct entre sa foi et sa guérison (« Et cette femme fut guérie dès ce moment », 9:22). À noter qu’il ne dit pas « Je t’ai guérie ». Il fait plutôt l’éloge de sa foi, « ta foi t’a guérie », ou sauvée, (version Segond 21). Elle est sauvée de l’impureté rituelle (voir Lv 15:19–33) mais aussi d’une mort lente. Sa foi peut sembler puérile, mais Jésus la considère plutôt comme la foi d’un enfant (Mt 19:14).
Le récit se poursuit dans la maison du chef de la synagogue et décrit les sombres réalités de la mort de sa fille. La femme a reçu une vie nouvelle (9:22), mais la fillette, elle, est toujours morte. Cependant, pour Jésus, la situation n’est pas désespérée. Il dit aux pleureuses professionnelles de se retirer car « la jeune fille n’est pas morte, mais elle dort » (9:24). En réalité, elle est vraiment morte mais, pour lui, la mort de la fillette est comme un sommeil profond. Alors que la foule n’a eu que du mépris pour lui (« ils se moquaient de lui », 9:25), il a accompli l’un des plus grands miracles consignés dans les Saintes écritures. Il « prit la main de la jeune fille, et la jeune fille se leva » (9:25). Encore une fois, par un simple toucher, Jésus donne la vie. Jésus aurait dû être rendu doublement impur, après avoir été touché par la femme qui perdait du sang et après avoir touché la fillette morte, mais il transcende à nouveau la loi. Il purifie les impurs. Il triomphe de la malédiction. Il ressuscite les morts.
Les aveugles voient (9:27–31)
Le neuvième miracle est un autre miracle fantastique et sans précédent. Jésus guérit deux aveugles. Matthieu les décrit comme persévérants. Jésus est passé devant eux sur la route et ils l’ont suivi (9:27a). Puis ils se sont mis à crier, « Aie pitié de nous, Fils de David » (9:27b). À ce moment-là, Jésus ne s’est pas arrêté. Finalement, quand il est retourné à la maison de Pierre, « les aveugles s’approchèrent de lui » (9:28a). Ils illustraient ce que Jésus avait enseigné sur la prière : « Demandez et l’on vous donnera, cherchez et vous trouverez, frappez et l’on vous ouvrira » (7:7). Jésus mettait l’accent sur la confiance dans la prière. À sa question, « Croyez-vous que je puisse faire cela ? », ils ont répondu aussitôt, « Oui, Seigneur » (9:28). Ils croyaient sincèrement qu’il était « Seigneur » (« l’Eternel ouvre les yeux des aveugles », Ps 146:8) et ils ont été les premiers dans le premier évangile à le reconnaître comme le roi promis issu de la lignée royale de David (« Fils de David », voir Mt 1:1). Encore une fois, Jésus touche les intouchables (« il toucha leurs yeux », 9:29a), guérissant immédiatement leur cécité (« et leurs yeux s’ouvrirent », 9:30) et louant leur foi (« Soyez traités conformément à votre foi », 9:29b). Le récit s’achève sur l’avertissement sévère qui leur est adressé (« Faites bien attention que personne ne le sache ! », 9:30), suivi de leur acte de désobéissance (« mais, à peine sortis, ils parlèrent de lui dans toute la région », 9:31). Même s’il était favorable à ce qu’ils partagent la bonne nouvelle, Jésus les a sérieusement mis en garde car il ne voulait pas que le peuple se méprenne sur la nature de sa domination. Il est venu comme un agneau sacrificiel, non pas comme un guerrier. Il est le « Fils de David », mais aussi le Serviteur souffrant.
Les muets parlent (9:32–34)
Le dernier miracle, la guérison du sourd-muet (« on amena à Jésus un démoniaque muet. Il chassa le démon et le muet se mit à parler », 9:32–33) met davantage en lumière les réactions au miracle que le miracle lui-même. D’abord, « La foule disait, émerveillée : « On n’a jamais rien vu de pareil en Israël» » (9:33). Étaient-ils émerveillés à la vue de ce dernier miracle ou de tous les miracles ? Probablement de tous les miracles. Mais leur émerveillement illustre bien quelle est l’intention probable de Matthieu envers ses lecteurs ou ses auditeurs quand il écrit ces deux chapitres.
Les pharisiens, eux, ne manifestent aucune admiration. Ils sont outrés et prétendent que « c’est par le prince des démons qu’il chasse les démons » (9:34). Voilà leur réponse ! Ils accusent Jésus d’œuvrer pour Satan ! Les pauvres aveugles voient, mais ces élites religieuses sont aveugles. Peut-être que l’apôtre Jean, réfléchissant plus tard au témoignage de Matthieu, a bien résumé cette scène, à savoir les malédictions adressées ensuite par Jésus aux scribes et aux pharisiens (« Espèces de fous aveugles! », Mt 23:17, cf. 23:16, 19, 24, 26) et sa propre description des chefs religieux endurcis, en utilisant les mots de Jésus lui-même : « Je suis venu dans ce monde pour un jugement, pour que ceux qui ne voient pas voient et pour que ceux qui voient deviennent aveugles » (Jean 9:39).
La moisson est grande (9:35–10:42)
Matthieu 9:35–38 récapitule les chapitres 8 et 9 et présente la mission que Jésus confie aux douze. Comme « Jésus parcourait toutes les villes et les villages ; il enseignait dans les synagogues, proclamait la bonne nouvelle du royaume et guérissait toute maladie et toute infirmité » (9:35), il accorde ensuite aux apôtres qu’il a choisis « le pouvoir de chasser les esprits impurs et de guérir toute maladie et toute infirmité » (10:1). Ils doivent suivre le Seigneur dans son double ministère de prédication (« En chemin, prêchez en disant : ‘Le royaume des cieux est proche.’ » 10:7) et de guérison (« Guérissez les malades, [ressuscitez les morts,] purifiez les lépreux, chassez les démons », 10:8). Ils doivent également être animés des mêmes sentiments que lui pour la mission (« A la vue des foules, il fut rempli de compassion pour elles », 9:36) et cultiver de la même manière que Jésus leur dépendance envers Dieu. Leur dépendance sera démontrée par la prière (« La moisson est grande, mais il y a peu d’ouvriers. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers dans sa moisson », 9:37–38) et par la providence accordée par le biais du peuple de Dieu (« Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement. Ne prenez ni or, ni argent, ni monnaie dans vos ceintures, ni sac pour le voyage, ni deux chemises, ni sandales, ni bâton, car l’ouvrier mérite sa nourriture. Dans chaque ville ou village où vous arrivez, informez-vous pour savoir qui est digne de vous accueillir et restez chez lui jusqu’à votre départ », 10:8b–11).
Parce que les chefs religieux d’Israël n’ont pas pris soin du peuple de Dieu (« car elles étaient blessées et abattues, comme des brebis qui n’ont pas de berger », 9:36 ; cf. 23:4 ; Ez 34:4), Pierre, André, Jacques, Jean, Philippe, Barthélémy, Thomas, Matthieu, Jacques, fils d’Alphée, Thaddée, Simon le Cananite et Judas l’Iscariot (Mt 10:2–3) sont mandatés pour aller « vers les brebis perdues de la communauté d’Israël » (10:6 ; tiré de Jr 50:6) en leur offrant le repos en Jésus (Mt 11:28). À ce moment de l’histoire du salut, l’étendue de leur mission était limitée (« N’allez pas vers les non-Juifs et n’entrez pas dans les villes des Samaritains, 10:5). Plus tard, onze de ces hommes (tous sauf Judas, « qui trahit » Jésus, 10:4) seront envoyés pour porter l’Évangile à « toutes les nations » (28:19).
Cette mission dans les nombreuses villes d’Israël avant la mort de Jésus (10:23) recevra un accueil mitigé. Certains recevront les messagers et leur message (10:12–13), d’autres non. Le jugement à l’encontre de ces derniers est sévère (« Lorsqu’on ne vous accueillera pas et qu’on n’écoutera pas vos paroles, sortez de cette maison ou de cette ville et secouez la poussière de vos pieds. Je vous le dis en vérité, le jour du jugement, le pays de Sodome et de Gomorrhe sera traité moins sévèrement que cette ville-là. », 10:14–15).
La mission est dangereuse (« Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups »), aussi les disciples doivent-ils être sages (« Soyez donc prudents comme les serpents ») et irréprochables (« et purs comme les colombes », 10:16). La persécution sera importante (« ils vous livreront aux tribunaux et vous fouetteront dans leurs synagogues », 10:17), mais la prédication suivie de persécution entraînera des occasions uniques de témoigner de la vérité (« vous serez conduits devant des gouverneurs et devant des rois pour leur apporter votre témoignage, à eux et aux non-Juifs », 10:18), des témoignages que Dieu lui-même inspirera et suscitera (« Mais, quand on vous fera arrêter, ne vous inquiétez ni de la manière dont vous parlerez ni de ce que vous direz: ce que vous aurez à dire vous sera donné au moment même. En effet, ce n’est pas vous qui parlerez, c’est l’Esprit de votre Père qui parlera en vous », 10:19–20).
La mission sera à la fois dangereuse et clivante (« Vous serez détestés de tous à cause de mon nom », 10:22 ; « on vous persécutera dans une ville », 10:23), y compris au sein d’une famille : « Le frère livrera son frère à la mort et le père son enfant; les enfants se soulèveront contre leurs parents et les feront mourir » (10:21) ; « l’on aura pour ennemis les membres de sa famille » (10:36). Mais tout cela fait partie du plan. Jésus n’est pas venu « apporter la paix, mais l’épée ». Il est venu « mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère » (10:34–35). Israël doit choisir entre son véritable Messie et ses allégeances familiales (« Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi, et celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi », 10:37). Les disciples doivent choisir de se consacrer entièrement au royaume de Christ qui passe par la croix avant la couronne (« Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi », 10:38) mais qui promet la vie éternelle (« Celui qui conservera sa vie la perdra, et celui qui perdra sa vie à cause de moi la retrouvera », 10:39). Christ appelle ses disciples à une vie de conformité à la croix (« Le disciple n’est pas supérieur au maître, ni le serviteur supérieur à son seigneur », 10:24). S’il a été calomnié, ils le seront aussi (« S’ils ont appelé le maître de la maison Béelzébul, ils appelleront d’autant plus volontiers ainsi les gens de sa maison ! », 10:25b).
Bien que la mission des douze soit dangereuse et clivante, Jésus leur rappelle qu’ils ne doivent pas craindre les ennemis de l’Évangile (« N’ayez donc pas peur d’eux », 10:26 ; « Ne redoutez pas ceux qui tuent le corps mais qui ne peuvent pas tuer l’âme », 10:28), car la méchanceté de leur opposition sera manifestée au grand jour (10:26). Ils doivent craindre Dieu (10:28), ce qui implique notamment de se confier en ses soins providentiels. Si « deux moineaux » qui sont vendus « pour une petite pièce » ne tombent pas par terre en dehors de la volonté de Dieu, et si les disciples de Christ valent « plus que beaucoup de moineaux » (10:31, « Même vos cheveux sont tous comptés » par le Père, 10:30), « N’ayez donc pas peur » (10:31) de ce qui peut se passer. Une récompense attend la personne qui se déclare publiquement pour Jésus (« je me déclarerai moi aussi pour elle devant mon Père céleste », 10:32). Du reste, cette moisson est associée au Père et au Fils (« celui qui m’accueille accueille celui qui m’a envoyé »), au Fils et à ses apôtres (« Si quelqu’un vous accueille, c’est moi qu’il accueille », 10:40) et aux douze et à ceux qui les accueillent (« celui qui accueille » les disciples « ne perdra pas sa récompense », 10:41–42).
La réponse à ses prodiges (11:1–30)
11:1–6 « Lorsque Jésus eut fini de donner ses instructions à ses douze disciples », il a continué son ministère d’enseignement itinérant (« il partit de là pour enseigner et prêcher dans leurs villes », 11:1). Pendant ce temps, Jean-Baptiste, qui est en prison, entend parler de ce que « faisait » (11:2) Jésus et fait demander à Jésus, « Es-tu celui qui doit venir [« Christ », 11:2], ou devons-nous en attendre un autre? » (11:3). D’un côté, il est surprenant que Jean ait des doutes concernant la messianité de Jésus compte tenu de ce qu’il a dit de Jésus avant son baptême (« celui qui vient après moi est plus puissant que moi ») et a peut-être entendu de Jésus après le baptême (« Celui-ci est mon Fils bien-aimé », 3:11, 17). D’un autre côté, cela n’est pas surprenant car Jean s’attendait à ce que le Messie juge les méchants (« il vous baptisera … de feu », « Il a sa pelle à la main ; il nettoiera son aire de battage », et « il brûlera la paille dans un feu qui ne s’éteint pas », 3:12 ; cf. 3:7–10). Ceci explique pourquoi Jean appelle le Christ « celui qui doit venir », une référence à Ésaïe 35:4 et au jugement de Dieu à venir (« Voici votre Dieu: elle viendra, la vengeance »).
Jésus répond en restant dans Ésaïe 35. Dieu déclare au prophète, « Dites à ceux qui ont le cœur battant : « Fortifiez-vous, n’ayez pas peur ! Voici votre Dieu : elle viendra, la vengeance… Il viendra lui-même pour vous sauver. » » En tant que Fils de Dieu, Jésus jugera et sauvera. C’est le salut qui vient en premier, et Jésus explique les signes de ce salut : « Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et ce que vous voyez: les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent et la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres » (Mt 11:4–5, citant Es 35:5–6a).
11:7–19 Tandis que les disciples de Jean retournent pour rapporter à Jean la réponse de Jésus à ses doutes et réserves sincères, Jésus juge « cette génération » de Juifs, dont certains ont probablement été baptisés par Jean (« Qu’êtes-vous allés voir au désert? » Mt 11:7). Ces personnes considéraient à juste titre Jean comme un prophète (« Qu’êtes-vous donc allés voir ? Un prophète ? Oui », 11:9a). Pour parler de Jean, Jésus utilise cependant l’expression « plus qu’un prophète » (11:9b). En effet, en tant que précurseur du Messie, il faisait lui-même l’objet d’une prophétie : « c’est celui à propos duquel il est écrit : Voici, j’envoie mon messager devant toi pour te préparer le chemin », 11:10, citant Ml 3:1). De plus, Jean qui est venu « avec l’esprit et la puissance d’Elie » (Luc 1:17 ; « c’est lui l’Elie qui devait venir », Matt 11:14 ; 17:12 ; Jean 1:21 ; Ml 4:5) et qui est plus grand que Moïse et Élie (« Je vous le dis en vérité, parmi ceux qui sont nés de femmes, il n’est venu personne de plus grand que Jean-Baptiste », Mt 11:11) a fait équipe avec Jésus pour inaugurer une ère nouvelle et encore plus belle de l’histoire du salut (« le royaume des cieux », 11:11, 12). Pourtant, cette génération rejettera à la fois Jean et Jésus : « En effet, Jean est venu, il ne mange pas et ne boit pas, et l’on dit : ‘Il a un démon.’ Le Fils de l’homme est venu, il mange et il boit, et l’on dit : C’est un glouton et un buveur, un ami des collecteurs d’impôts et des pécheurs’ » (11:18–19).
11:20–24 Jean et Jésus ont prêché la repentance. Et même après avoir assisté aux « miracles » que Jésus avait faits à Chorazin, Bethsaïda et Capernaüm, ces villes « n’avaient pas changé d’attitude » (11:20). Pour cette raison, Jésus accuse ces villes et leurs habitants, déclarant à propos de Tyr et de Sidon que, si elles avaient assisté aux miracles de Jésus, « il y a longtemps que leurs habitants se seraient repentis, habillés d’un sac et assis dans la cendre » (11:21). C’est pourquoi, « le jour du jugement, Tyr et Sidon seront traitées moins sévèrement que vous » (11:22, cf. 11:24). Les prophètes ont prononcé des oracles de jugement contre les nations (Es 13–20 ; Jr 46–51 ; Ez 25–32) ; Jésus annonce le malheur à venir sur le peuple élu de Dieu (les Juifs) et sur la Terre sainte de Dieu (Israël).
Les ruines de Chorazin
11:25–30 Jésus passe ensuite (« A ce moment-là », Mt 11:25) d’une condamnation à une invitation. La foule qui écoute (11:7) ainsi que les lecteurs de Matthieu sont invités à venir à Jésus pour trouver « du repos » (11:28). Nous sommes en présence d’un double paradoxe. Les seules personnes qui viendront à Jésus sont celles à qui le Dieu souverain (« Père, Seigneur du ciel et de la terre », 11:25), par sa seule volonté (11:26), accorde une compréhension et une révélation qui proviennent de Jésus seul (« Mon Père m’a tout donné, et personne ne connaît le Fils, si ce n’est le Père; personne non plus ne connaît le Père, si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler », 11:27). L’invitation est valable pour tous (« vous tous qui êtes fatigués et courbés sous un fardeau ») et implique une responsabilité humaine (il faut venir, 11:28). Cependant, le Père et le Fils prennent seuls l’initiative du point de vue de l’élection. Le second paradoxe, c’est que ceux qui sont souverainement attirés, et qui trouveront du repos, reçoivent du travail ! C’est en venant à Jésus en prenant son « joug » (11:29, version Louis Segond) que l’on trouve le repos. Le joug se rapporte aux enseignements (« Prenez mon joug sur vous et recevez mes instructions », version Louis Segond) de ce maître « doux et humble de cœur » (11:29). À la différence des « fardeaux pesants » (23:4) des scribes et des pharisiens, mettre en pratique tout ce que Jésus a prescrit (28:20) ne représente pas un véritable fardeau (1Jn 5:3). Ses exigences sont « bonnes » et son fardeau « léger » (Mt 11:30).
Le Seigneur du sabbat (12:1–50)
12:1–2 Le chapitre 11 se termine par l’invitation de Jésus à venir à lui pour trouver du repos. Le chapitre 12 commence par un enseignement de Jésus, qui se proclame lui-même Seigneur du Sabbat. Un samedi, alors que Jésus et ses disciples traversaient « des champs de blé » pour se rendre à la synagogue voisine, les disciples ont assouvi leur faim en arrachant et en mangeant « des épis » (12:1). Ils avaient le droit de le faire. En effet, d’après Lévitique 19:9 et Deutéronome 23:25, le cultivateur ne devait pas moissonner les bords de son champ afin que les pauvres et les voyageurs puissent se nourrir. Pour les pharisiens, cependant, un tel comportement était interdit et ils n’ont pas tardé à le faire savoir : « Regarde, tes disciples font ce qu’il n’est pas permis de faire pendant le sabbat » (12:2). Le quatrième commandement (Ex 20:8–11) interdit tout « travail », et d’autres passages définissent comme travail le fait d’allumer du feu (35:3), de porter des fardeaux (Jr 17:21–27), et d’acheter et de vendre (Ne 10:31 ; 13:15–17). Mais entre cette période et l’époque de Jésus, les rabbins juifs avaient ajouté trente-neuf catégories de travaux qui profanaient le sabbat, parmi lesquels faire ou défaire des nœuds, faire plusieurs points de couture, et récolter, vanner, battre ou préparer un repas (voir m. Sabb. 7.2).
12:3–8 Jésus répond à leur accusation en s’appuyant sur quatre textes de l’Ancien Testament (« N’avez-vous pas lu », Mt 12:3, 5), des exemples provenant de la Loi et des Prophètes. Il défend les agissements de ses disciples par une illustration tirée de la vie du roi David (quand David « est entré dans la maison de Dieu et a mangé les pains consacrés » accompagné de ses hommes, 12:4, ils ont mangé le pain de proposition parce qu’ils étaient affamés, 1S 21:1–6). Ensuite, il rappelle que le travail dans le temple l’emporte sur le repos du Sabbat (quand ils exercent leur sacerdoce, « les prêtres violent le sabbat dans le temple sans se rendre coupables », Mt 12:5). L’argument de Jésus n’est valable que s’il est lui-même un roi plus grand que David et, comme il le dira lui-même plus tard, s’il est « plus grand que le temple » (12:6). « Si ce qu’a fait le roi David profane le temple, et si le temple profane le repos du Sabbat, il s’ensuit de manière logique que si quelqu’un de plus grand que David (cf. 1:1) et de plus grand que le temple est là, incarné en la personne de Jésus, alors les disciples de Jésus peuvent se faire un petit casse-croûte à base de blé le jour du Sabbat. »8Jésus peut affirmer ce qu’il affirme non seulement parce que l’idée derrière la loi sur le Sabbat, c’est d’apporter la miséricorde aux hommes (« Si vous saviez ce que signifie: Je désire la bonté, et non les sacrifices[Os 6:6], vous n’auriez pas condamné des innocents », Mt 12:7) mais également parce que Jésus, en tant que « Fils de l’homme », est le « Seigneur du sabbat » auto-proclamé (12:8). Celui à qui Dieu confère un royaume glorieux et éternel (« On lui [le Fils de l’homme] a donné la domination, la gloire et le règne, et tous les peuples, les nations et les hommes de toute langue l’ont servi. Sa domination est une domination éternelle » Dn 7:14) a le pouvoir de dénoncer la malveillance de l’enseignement des pharisiens concernant le Sabbat et de déclarer légitimes les actions de ses disciples.
12:9–14 Jésus va mettre en pratique ce qu’il a prêché. Il entre dans la synagogue. On lui présente un homme « qui avait la main paralysée ». Les pharisiens demandent, « Est-il permis de faire une guérison le jour du sabbat ? » (12:10a). En réalité, ils lui tendent un piège. Ils demandent cela « afin de pouvoir l’accuser » d’enfreindre leur loi sur le Sabbat (12:10b). Jésus qui connaît, se concentre sur et obéit aux questions les plus importantes de la Loi, parle de miséricorde : « Il leur répondit : « Lequel de vous, s’il n’a qu’une brebis et qu’elle tombe dans un trou le jour du sabbat, n’ira pas [travailler !] la retirer de là ? Or, un homme vaut beaucoup plus qu’une brebis ! Il est donc permis de faire du bien les jours de sabbat. » (12:11–12). Parce que l’amour de son prochain l’emporte sur toutes les lois d’origine humaine sur le Sabbat, Jésus saute à pieds joints dans leur piège théologique. Il invite le pauvre homme à croire en lui : « Tends la main » (12:13a). L’homme s’exécute. Il « la tendit » et sa main droite est devenue aussi saine que sa main gauche (« elle devint saine [comme l’autre], 12:13). La vie de cet homme n’était pas menacée. Jésus aurait pu attendre de le guérir en privé après l’office. Il aurait pu attendre le lendemain. Cet homme n’avait même pas demandé à être guéri. Ici, Jésus provoque donc délibérément les pharisiens. Son incroyable autorité (il ne prononce que quelques mots !) et sa miséricorde suscitent leur indignation : « Les pharisiens sortirent et tinrent conseil sur les moyens de le faire mourir » (12:14). Leur réaction est à la fois terrible et impitoyable, car le seul « travail » que Jésus ait fait en ce jour de Sabbat, c’est de prononcer trois mots.
12:15–21 Jésus, qui « sut » quels étaient leurs projets malveillants à son égard, « s’éloigna de là » (12:15a). L’heure de sa mort n’était pas encore venue. Ensuite, il manifeste encore sa bonté (« Une grande foule le suivit. Il guérit tous les malades », 12:15b) puis encourage à la prudence à son encontre (« et leur recommanda sévèrement de ne pas le faire connaître », 12:16). Et encore une fois,9 les actes de Jésus rappellent à Matthieu ce qui est écrit dans Ésaïe 42:1–4, 9 :
Cela a eu lieu « afin que s’accomplisse ce que le prophète Esaïe avait annoncé :
« Voici mon serviteur que j’ai choisi, mon bien-aimé qui a toute mon approbation.
Je mettrai mon Esprit sur lui, et il annoncera la justice aux nations.
Il ne contestera pas, il ne criera pas, et personne n’entendra sa voix dans les rues. Il ne cassera pas le roseau abîmé et n’éteindra pas la mèche qui fume encore, jusqu’à ce qu’il ait fait triompher la justice. Les nations espéreront en son nom. »
Il s’agit de la plus longue citation de l’Ancien Testament contenue dans l’évangile de Matthieu. Elle résume parfaitement la théologie du livre. Jésus est à la fois le Serviteur souffrant (« mon serviteur ») et le Fils « bien-aimé » du Père (Mt 3:17 ; 17:5). Le Saint-Esprit (« Je mettrai mon Esprit sur lui », 12:18), qui est descendu sur Jésus lors de son baptême, l’aide à persévérer dans sa mission. Cette mission vise non seulement « les brebis perdues de la communauté d’Israël » (10:6 ; 15:24) mais également les nations (« il annoncera la justice aux nations », 12:18). Matthieu 12:18 est une affirmation choquante pour ceux qui ne sont pas imprégnés des promesses faites à Abraham, aussi choquante que la dernière phrase : « Les nations espéreront en son nom » (12:21). Oui, Jésus met en lumière la thématique de l’incorporation des païens après la controverse sur le Sabbat dans la synagogue.
Ceci dit, Jésus n’est pas venu comme un révolutionnaire politique (« Il ne contestera pas, il ne criera pas, et personne n’entendra sa voix dans les rues », 12:19), mais pour rassembler les exclus dans son royaume. Le Serviteur servira le marginalisé. Il ramènera à la vie ceux dont l’existence ressemble à un « roseau abîmé » ou une « mèche qui fume encore ». Il fera « triompher la justice ». Ce Fils du roi David règne avec humilité et en faveur des humbles. Il apporte repos et justice.
12:22–24 Dans la péricope suivante, Jésus continue de corriger les pharisiens et de condamner l’incrédulité. Jésus fait recouvrer la parole et la vue à « un démoniaque aveugle et muet » (12:22), ce qui provoque deux types de réaction. « Toute la foule » était si étonnée par ce spectacle qu’elle considérait l’idée que Jésus soit le Messie, « N’est-ce pas là le Fils de David ? » (12:23). La réponse à leur question est « Oui ». Les laissés-pour-compte comprennent : les aveugles le savent (9:27 ; 20:30, 31), tout comme la femme cananéenne (15:22) ! Les spécialistes religieux juifs, quant à eux, sont aveugles : « Lorsque les pharisiens entendirent cela, ils dirent : «Cet homme ne chasse les démons que par Béelzébul, le prince des démons.» » (12:24). Parce que Jésus faisait le contraire de ce qu’ils attendaient du Messie (par exemple, il n’a pas milité pour que le peuple soit libéré de la domination romaine et a même reçu des soldats romains dans le royaume !), ils en ont déduit que ses pouvoirs surnaturels étaient sataniques.
12:25–29 Jésus réfute leur affirmation de manière logique, au moyen d’un raisonnement par l’absurde (reduction ad absurdum) : « Tout royaume confronté à des luttes internes est dévasté, et aucune ville ou famille confrontée à des luttes internes ne peut subsister. Si Satan chasse Satan, il lutte contre lui-même. Comment donc son royaume subsistera-t-il ? » (12:25–26). Leur logique est absurde. Pensent-ils que leurs propres disciples « chasse[nt] les démons par Béelzébul » (12:27) ? Bien sûr que non. Mais alors comment Jésus pourrait-il le faire ? Au contraire, comme s’il pillait la maison d’un homme fort en l’attachant à une chaise (12:29), Jésus chasse les démons « par l’Esprit de Dieu » (12:28). À n’en pas douter, « le royaume de Dieu » est arrivé (12:28). Le Fils de David est là !
12:30–37 Il s’ensuit que quiconque n’est pas avec Jésus est son adversaire (« Celui qui n’est pas avec moi est contre moi », 12:30). Et ceux, à l’image des pharisiens, qui attribuent à Satan ce que le Père a accompli en Jésus au moyen de l’Esprit, commettent le péché impardonnable (« le blasphème contre l’Esprit ne leur sera pas pardonné… celui qui parlera contre le Saint-Esprit, le pardon ne lui sera accordé ni dans le monde présent ni dans le monde à venir », 12:31–32). Même si cette condamnation aura lieu au « jour du jugement » (12:36), Jésus annonce déjà leur sort futur. Il qualifie la descendance de Satan de « Races de vipères » (12:34) et les maudit en raison du mauvais « fruit » (12:33) qui sort de leur bouche mais vient des profondeurs de leur cœur (12:35). Leurs paroles mauvaises (12:35) et inutiles seront suffisantes pour les condamner à la peine éternelle (« d’après tes paroles tu seras condamné », 12:37).
12:38–45 Le reproche de Jésus n’est pas bien passé auprès des élites religieuses juives. « Alors quelques-uns des spécialistes de la loi et des pharisiens » l’ont interrompu en lui demandant d’attester de ses compétences afin de confirmer ses enseignements, « Maître, nous voudrions voir un signe miraculeux de ta part » (12:38). Un démon chassé, une main paralysée guérie ou un lépreux purifié, tout cela ne leur suffit pas. Ils veulent un signe, un miracle venu du ciel comme une colonne de feu dans le désert. Le seul signe incontestable que Jésus donnera pour confirmer sa messianité, c’est le signe « du prophète Jonas » (12:39), c’est-à-dire sa mort et sa résurrection : « En effet, de même que Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre d’un grand poisson », puis a été régurgité sur le rivage, « de même » Jésus (« le Fils de l’homme ! ») sera enseveli pendant une courte période (« trois jours et trois nuits dans la terre ») avant de revenir à la vie (12:40). Seule une « génération mauvaise et adultère réclame » (12:39) plus que ce signe perpétuel et suffisant.
Jésus insiste sur la condamnation de cette « génération mauvaise » (12:45) en livrant ce témoignage qui les accable : les païens, eux, répondent de manière positive aux œuvres de Dieu. Les méchants Assyriens (« les habitants de Ninive ») qui « ont changé d’attitude à la prédication de Jonas » (12:41) et la Reine du Midi qui a rendu visite au roi Salomon et s’est délectée de sa sagesse (« elle est venue des extrémités de la terre pour entendre la sagesse de Salomon ») « se lèveront » ensemble lors du jugement et « condamneront » la « génération » qui a rejeté Jésus, le prophète (« il y a ici plus que Jonas »), le roi (« il y a ici plus que Salomon », 12:42), et le prêtre (il a affirmé plus tôt à son propre sujet « il y a ici plus grand que le temple », 12:6). Jésus est également juge et clôt à ce titre son conflit avec les scribes et les pharisiens par un jugement. Il compare cette génération à un homme possédé duquel le démon sort pendant quelques temps pour mieux revenir avec « sept autres esprits plus mauvais que lui » (12:45). Ils entrent dans la demeure vide, y établissent domicile, « et la dernière condition de cet homme est pire que la première » (12:45).
12:46–50 Ce chapitre se termine avec une autre illustration de l’affirmation de Jésus « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi, et celui qui ne rassemble pas avec moi disperse » (12:30). À ce moment-là de son ministère, même sa propre famille s’oppose à lui : « Comme Jésus parlait encore à la foule, sa mère et ses frères, qui étaient dehors, cherchaient à lui parler » (12:46). D’après les récits de Marc et de Jean (Marc 3:20–21 ; Jean 7:1–5), il est clair que la famille de Jésus ne comprend pas le but de sa mission (« ses frères non plus ne croyaient pas en lui », Jean 7:5). Ils veulent lui parler afin de le dissuader de se heurter aux autorités. Voilà pourquoi il a répondu, « Qui est ma mère et qui sont mes frères ? » (Mt 12:48). Il ne renie ni Marie ni ses frères et sœurs (13:55–56). Il redéfinit les priorités et indique sans détour que la relation avec Dieu à travers lui l’emporte sur toutes les autres : « Puis il tendit la main vers ses disciples et dit : « Voici ma mère et mes frères. En effet, celui qui fait la volonté de mon Père céleste, celui-là est mon frère, ma sœur, ma mère. » » (12:49–50). Dans le contexte immédiat des chapitres 8 à 12, la volonté de Dieu équivaut à suivre Jésus, croire en lui, l’écouter, se reposer en lui et reconnaître son autorité.
Nous arrivons à la fin du chapitre 12. Comme Michael Green l’a bien résumé, pour le lecteur de Matthieu, « l’importance de prendre une décision quant à son propre rapport à Jésus atteint son apogée. Il est tout à fait possible d’être religieux comme les pharisiens mais de ne pas faire partie du royaume de Dieu. Il est tout à fait possible d’avoir des liens de parenté avec le Messie lui-même mais de ne pas faire partie du royaume de Dieu. Les pratiques religieuses ainsi que le pédigrée religieux sont complètement insuffisants pour faire entrer quiconque dans le royaume. Il faut reconnaître qui est Jésus et se décider résolument à le suivre. »10
Les paraboles de Jésus (13:1–53)
« Ce jour-là », Jésus s’est déplacé (il « sortit de la maison et s’assit au bord du lac », 13:1). La foule qui « se rassembla autour de lui » était « si nombreuse qu’il monta dans une barque » et s’éloigna vers le large (13:2). Assis dans le bateau, il enseignait la foule restée sur le rivage, prêchant en paraboles. La première parabole était « la parabole du semeur » (13:18). Un semeur sema sur quatre types de sols : « le long du chemin… dans un sol pierreux… parmi les ronces… [et] dans la bonne terre (13:4–7). Seul le dernier sol a été fertile ; la semence « donna du fruit avec un rapport de 100, 60 ou 30 pour 1 » (13:8). La semence semée dans les autres sols n’a rien produit parce que « les oiseaux vinrent et la mangèrent » (13:4), parce qu’elle « ne trouva pas un terrain profond » pour que des racines se développent (13:5), et parce que les ronces « poussèrent et l’étouffèrent » (13:7).
Avant d’interpréter cette parabole, Jésus invite premièrement la foule à écouter (« Que celui qui a des oreilles [pour entendre] entende », 13:9). Ses disciples sont perplexes. Ils s’approchent du bateau et demandent, peut-être en chuchotant, « Pourquoi leur parles-tu en paraboles ? » (13:10). Il leur répond, peut-être en chuchotant également car sa voix risquerait d’être portée par les eaux, « Parce qu’il vous a été donné, à vous, de connaître les mystères du royaume des cieux, mais qu’à eux cela n’a pas été donné. En effet, on donnera à celui qui a et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on enlèvera même ce qu’il a. C’est pourquoi je leur parle en paraboles, parce qu’en voyant ils ne voient pas et qu’en entendant ils n’entendent pas et ne comprennent pas » (13:11–13). Pour appuyer son affirmation, il cite une prophétie d’Ésaïe et déclare qu’elle est en train de s’accomplir (voir 13:14–15 ; Es 6:9–10). Plus tard, après avoir analysé la façon dont Jésus enseignait, Matthieu précisera que « Jésus dit toutes ces choses en paraboles à la foule, et il ne lui parlait pas sans parabole » (13:34) pour accomplir le Psaume 78:2 : « afin que s’accomplisse ce que le prophète avait annoncé: J’ouvrirai ma bouche pour parler en paraboles, je proclamerai des choses cachées depuis la création [du monde] » (Mt 13:35).
Pour les disciples, cependant, les paraboles servent un objectif différent. Les paraboles dissimulent et révèlent. Pour ceux qui persistent dans l’incrédulité, le mystère de la bonne nouvelle du royaume est caché. Mais pour ceux qui sont réceptifs à ce que Dieu accomplit en Jésus, les paraboles sont comme le soleil qui inonde de lumière la nef d’une église à travers ses vitraux. Jésus réaffirme les privilèges spirituels uniques des douze : « Mais heureux sont vos yeux parce qu’ils voient, et vos oreilles parce qu’elles entendent ! Je vous le dis en vérité, beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l’ont pas entendu » (13:16–17).
« Vous donc, écoutez » (13:18), déclare Jésus aux disciples afin que, par la grâce souveraine de Dieu, « ils voient de leurs yeux, qu’ils entendent de leurs oreilles et que leur cœur comprenne » (13:15). En effet, quand Jésus termine son enseignement sur le bateau, il retourne vers les douze et leur demande, « Avez-vous compris tout cela ? » et ils répondent, « Oui » (13:51). Ils ont été choisis pour être des spécialistes de la loi « formés » par Jésus pour se saisir du « trésor » du « royaume des cieux » et le partager autour d’eux (13:52).
Aux versets 18 à 23, Jésus explique la parabole du semeur. Lorsque celui qui prêche l’Évangile (« le semeur ») prêche « la parole du royaume » (« ce qui a été semé », 13:18–19), les gens répondent de quatre manières différentes. Les trois premiers groupes de personnes (représentés par trois types de sols) ont une réponse à l’Évangile immédiatement négative, ou qui se révélera négative au final. Intérieurement, la semence ne prend pas racine parce qu’ils sont endurcis, superficiels ou aiment trop leur propre confort ; extérieurement, elle ne pousse pas à cause de Satan, des persécutions, des épreuves et des tentations. ²
Les pharisiens représenteraient bien le premier type de sol (la semence semée « le long du chemin »), celui où la parole est clairement enseignée et expliquée, et pourtant « le mauvais vient et enlève ce qui a été semé dans son cœur », (13:19). Beaucoup d’auditeurs parmi la foule sont comme le second type de sol (« un sol pierreux », 13:20). Ils entendent avec joie la parole jusqu’à ce que le prix à payer pour vivre en disciple devienne trop important (« mais il n’a pas de racines en lui-même, il est l’homme d’un moment et, dès que surviennent les difficultés ou la persécution à cause de la parole, il trébuche », 13:21). Judas représente parfaitement le troisième type de sol (« qui a reçu la semence parmi les ronces »). En effet, il a entendu la parole (et l’a même prêchée lui-même !) et pourtant « les préoccupations de ce monde et l’attrait trompeur des richesses étouffent cette parole et la rendent infructueuse » (13:22).
Toutefois, la parabole de Jésus se termine sur une note incroyablement positive. On peut conclure que le dernier type de sol (« la bonne terre ») constitue l’apogée de la parabole et vise à encourager les douze dans leur mission auprès d’Israël et dans un second temps auprès de toutes les nations. Certains entendront et comprendront la parole, et les fruits seront surabondants (« porte du fruit avec un rapport de 100, 60 ou 30 pour 1 », 13:23). « Le bon auditeur, qui n’est ni endurci, ni superficiel, ni trop soucieux de son propre confort, reçoit la parole immédiatement afin que Satan ne puisse pas l’enlever, en profondeur afin qu’elle ne puisse pas être atrophiée par la persécution, et de manière exclusive afin que les autres préoccupations ne l’étouffent pas. »11
Jésus continue d’enseigner en paraboles, mais maintenant il le fait à la fois aux disciples et à la foule (« leur », 13:24 ; cf. 13:10, 34). Il cite six paraboles supplémentaires qui portent sur trois thèmes : la progression de l’Évangile, le jugement inhérent à l’Évangile et le gain que procure l’Évangile.
On retrouve le thème de la progression de l’Évangile aux versets 8, 12, 23, et probablement 47–48, où le royaume est comparé à un énorme filet jeté dans la mer et qui en ressort « rempli ». Les paraboles du grain de moutarde et du levain (13:31–33) se rapportent clairement à ce thème. Au départ, « le royaume des cieux » sera insignifiant (comme « la plus petite de toutes les semences » plantée dans un champ). Puis, « quand elle a poussé, elle est plus grande que les légumes » (13:32). Sur cet « arbre », des personnes de toutes les nations se rassembleront avec Israël (« les oiseaux du ciel vien[dro]nt habiter dans ses branches », 13:32). Par ailleurs, comme une petite dose de levain qui passe inaperçue dans une grande quantité de farine (« trois mesures », 13:33), le royaume s’étendra bien au-delà des projections initiales. Malgré le rejet, les hérésies, les apostasies et l’opposition, l’Évangile se répandra de Jérusalem à la Judée et jusqu’aux extrémités de la terre (Actes 1:8). Ce que le semeur sème dans la bonne terre produira « une foule immense que personne ne pouvait compter » (Ap 7:9).
Le jugement inhérent à l’Évangile est le deuxième thème de ces six paraboles. Jésus a dit qu’il était venu apporter l’épée (Mt 10:34). Dans ses paraboles, l’épée agit de deux manières opposées : soit pour donner la joie à ceux qui croient en l’Évangile, soit pour apporter la tristesse à ceux qui ne croient pas. La parabole de la mauvaise herbe et du bon grain et celle du filet se terminent toutes deux par cette déclaration de Jésus : « et les jetteront [« les enfants du mal », 13:38, « ceux qui commettent le mal », 13:41] dans la fournaise de feu, où il y aura des pleurs [du chagrin] et des grincements de dents [des regrets] » (13:42, 50). Dans la première parabole, les « moissonneurs » (les anges) arracheront « la mauvaise herbe », la lieront en gerbes, et la brûleront ; dans la seconde, tout comme les bons poissons sont préservés (placés « dans des paniers »), et les poissons gâtés sont rejetés dans la mer ou mis à la poubelle (« ce qui est mauvais » est jeté, 13:48), lors du jugement dernier (« à la fin du monde », 13:39, 40, 49) les anges « viendront séparer les méchants d’avec les justes » et jeter les méchants « dans la fournaise de feu » (13:49–50). Lorsque le Fils de l’homme reviendra avec ses anges (16:27 ; 24:30 ; 26:64), son jugement à l’encontre des méchants sera une bonne nouvelle pour les justes qui, dès ce jour et à jamais, « resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père » (13:43).
Le troisième thème, le gain que procure l’Évangile, ressort clairement des paraboles du trésor caché et de la perle de grande valeur. Elles commencent toutes deux par l’expression « Le royaume des cieux ressemble » (13:44, 45) et se terminent par deux actions radicales liées à la valeur inestimable de l’Évangile. L’homme pour lequel découvrir l’Évangile est comme trouver un « trésor caché dans un champ » et le marchand qui trouve « une perle de grande valeur » (13:44–45) ont une réaction naturelle : tout sacrifier pour s’approprier cette joyeuse découverte (« dans sa joie, il va vendre tout ce qu’il possède et achète ce champ », 13:44, « il est allé vendre tout ce qu’il possédait et l’a achetée », 13:45). Se saisir de l’Évangile a bien plus de valeur que le prix à payer pour vivre en disciple.
Rejet de Jésus et décapitation de Jean (13:54–14:12)
13:54–58 Ici, Matthieu nous raconte comment Jésus est rejeté à Nazareth, ce que Witherington résume en ces termes « Renié par les siens ».12 Après le discours de Jésus dans leur synagogue, les habitants de sa ville natale étaient « étonnés ». À travers six questions rhétoriques qui présentent une structure en chiasme, ils expriment leur étonnement (13:54–56) :
« D’où lui viennent cette sagesse et ces miracles ? »
« N’est-il pas le fils du charpentier ? »
« N’est-ce pas Marie qui est sa mère ? Jacques, Joseph, Simon et Jude ne sont-ils pas ses frères ? »
« Et ses sœurs ne sont-elles pas toutes parmi nous ? »
« D’où lui vient donc tout cela ? »
Par leurs questions, ils confirment les réalités historiques et reconnaissent explicitement la sagesse et les pouvoirs extraordinaires de Jésus. Mais ces questions traduisent également leur scepticisme. Ils refusent de croire qu’un homme qu’ils connaissaient comme étant le fils de Marie d’un point de vue biologique et le fils de Joseph d’un point de vue légal (Mt 1:18–25) puisse être le Messie. Évidemment, les lecteurs de Matthieu comprennent que Jésus est bien plus qu’un quelconque « fils de charpentier » né d’une femme. Il est le « Fils bien-aimé » (3:17 ; 17:5) du Père céleste. Il est essentiel de savoir d’où vient Jésus.
La semence semée dans la synagogue a été rapidement enlevée, étant donné que leur étonnement n’a pas tardé à se transformer en indignation : « Et il représentait un obstacle pour eux » (13:57a). Ils ne faisaient pas que refuser de reconnaître l’identité réelle de Jésus révélée par ses paroles et ses actes, mais le fait qu’il partage avec eux des liens familiaux a également suscité leur mépris.
Leur « incrédulité » hostile leur a valu un jugement de la part de Jésus : « Il ne fit pas beaucoup de miracles à cet endroit » (13:58). Dans ce lieu, et pour la première fois, Jésus limite sa puissance. La foi est la réponse humaine qui laisse l’autorité divine de Jésus s’exercer. En revanche, l’incrédulité constitue une véritable offense à son égard. En 11:20–24, Jésus a accusé Chorazin, Bethsaïda et Capernaüm et a annoncé leur jugement futur : « le jour du jugement » (11:22, 24), ces villes incrédules seront « abaissée[s] jusqu’au séjour des morts » (11:23). Nazareth fait déjà l’expérience d’un jugement : son refus de connaître la guérison. Pris dans leur contexte, « les mots prononcés par l’officier romain, « je ne suis pas digne » et « dis seulement un mot » (8:8), sont aux antipodes de l’opprobre et de l’incrédulité collectives de Nazareth. Par ailleurs, comme nous le verrons, « la confession pleine de foi que la femme cananéenne adresse à Jésus (« Fils de David » et « Seigneur ») semble aussi éloignée de la question rhétorique que les habitants de Nazareth posent à propos de Jésus (« N’est-il pas le fils du charpentier ? ») que le ciel l’est de l’enfer. »13
14:1–12 Au chapitre 14, Matthieu passe du rejet de Jésus dans sa ville natale à la décapitation de Jean-Baptiste par Hérode. « Hérode avait fait arrêter Jean… et mis en prison à cause d’Hérodiade, la femme de son frère Philippe, car Jean lui disait: «Il ne t’est pas permis de l’avoir pour femme» »(14:3–4). Jean a prévenu courageusement le tétrarque qu’il enfreignait Lévitique 18:16 et 20:21, ainsi que d’autres lois de l’Ancien Testament. Hérode était coupable d’inceste (c’était à la fois sa belle-sœur et sa nièce) et de polygamie (il avait déjà une femme). Depuis quelques temps déjà, Hérode « voulait le faire mourir », mais à cause du peuple juif qui « considérait Jean comme un prophète » (14:5), il a repoussé ce moment jusqu’à ce qu’il n’ait plus le choix.
Après une danse séductrice lors de sa fête d’anniversaire (« la fille d’Hérodiade dansa au milieu des invités »), elle « plut à Hérode » au point que ce dernier fit un serment complètement irréfléchi : « … il promit avec serment de lui donner ce qu’elle demanderait » (14:6–7). « A l’instigation de sa mère », la tête pensante derrière le complot destiné à tuer Jean cette nuit-là, elle n’a pas hésité à faire une demande pour le moins macabre, « Donne-moi ici, sur un plat, la tête de Jean-Baptiste » (14:8). Hérode a été « attristé » (14:9) parce que, comme Marc le précise dans son récit, il savait que Jean était « un homme juste et saint », qu’il « protégeait » afin de pouvoir l’écouter prêcher (« c’était avec plaisir qu’il l’écoutait », Marc 6:20). Pourtant, parce qu’il a plus craint les hommes que Dieu (« à cause de ses serments et des invités »), il a péché au mépris du bon sens : il a ordonné de faire « décapiter Jean dans la prison » et a vu la « tête » de Jean « apportée sur un plat et donnée à la jeune fille, qui l’apporta à sa mère » (Mt 14:9–11). Étouffé par les préoccupations de ce monde, Hérode choisit de conserver son pouvoir temporel plutôt que de se soumettre au message du prophète concernant le royaume.
Machéronte, la forteresse d’Hérode bâtie sur une montagne, lieu de la danse devant Hérode Antipas, de l’emprisonnement de Jean-Batiste et de l’exécution de Jean
Adoration de JE SUIS (14:13–36)
14:13–21 Lors de ce retour en arrière sur la mort de Jean, Matthieu souligne que la conscience d’Hérode était troublée, ou, du moins, que son esprit était relativement embrumé : « A cette époque-là, Hérode le tétrarque entendit parler de Jésus, et il dit à ses serviteurs: «C’est Jean-Baptiste! Il est ressuscité, et c’est pour cela qu’il a le pouvoir de faire des miracles. » » (14:1–2). Matthieu nous place également dans l’intimité de Christ : « A cette nouvelle, Jésus partit de là dans une barque pour se retirer à l’écart dans un endroit désert » (14:13a). Peut-être que le mot « intimité » est un peu exagéré. Pourtant, ce moment est empreint d’humanité. Après avoir appris la mort horrible de Jean (14:12), Jésus veut être seul. Et on peut se demander si, quand il arrive dans « un endroit désert », il pleure la mort d’un ami cher (Jean 11:35) et s’il songe à la mort horrible qui l’attend (Mt 26:36–46). À n’en pas douter, si Matthieu fait ce retour en arrière sur le meurtre infâme de Jean, c’est afin que son auditoire comprenne qu’il préfigure la passion ignominieuse du Christ. Jean a été arrêté, lié et condamné à mort par un dirigeant dépourvu de courage ; la même scène se déroulera dans la vie de Jésus.
Cette compassion qui a poussé Jésus sur la croix l’anime également pour nourrir les 5 000 hommes. Alors que Jésus veut passer du temps seul, il est interrompu encore une fois. Lorsque « la foule » (le mot « foule» apparaît à sept reprises en 14:13–23) apprit où se trouvait Jésus (sur le rivage situé au nord-ouest du lac de Galilée, à « Bethsaïda », Luc 9:10), elle « sortit des villes et le suivit à pied » (Mt 14:13). Les seuls moments qu’il a pu passer seul, c’est sur le bateau ! Pourtant, il a renoncé à lui-même et a sacrifié ses propres besoins. En effet, « Quand Jésus sortit de la barque, il vit une grande foule et fut rempli de compassion pour elle, et il guérit les malades » (14:14). Non seulement son cœur s’est ouvert pour eux (il « fut rempli de compassion », cf. 9:36 ; 15:32 ; 20:34), mais ses mains aimantes ont aussi guéri leurs corps malades et rempli leurs estomacs vides.
Dans ce lieu isolé (« désert », 14:15), Jésus prend « cinq pains et deux poissons » et réussit à créer suffisamment de nourriture pour « 5000 hommes, sans compter les femmes et les enfants ». Tous les estomacs ont été remplis (« Tous mangèrent et furent rassasiés »), et il y avait encore des restes (« et l’on emporta douze paniers pleins des morceaux qui restaient », 14:17–21). Bien entendu, ce miracle fait écho à la provision divine de la manne et de la viande dans le désert (Ex 16 ; Nb 11 ; voir les « restes » laissés par cent hommes qu’Élisée a nourris avec seulement vingt pains, 2R 4:42–44). Matthieu ne cherche pas seulement à faire comprendre que Jésus est plus grand que Moïse et Élisée. Cette confirmation tangible de l’identité de Jésus par le biais de la nourriture indique sa souveraineté sur toute la création.
C’est aussi le cas du miracle suivant. Matthieu a relaté de nombreux miracles jusqu’ici. Entre autres, Jésus a purifié un lépreux (8:3), guéri le serviteur d’un officier romain (8:13), calmé une tempête en mer (8:26), guéri un paralysé (9:7–8), ressuscité une personne (9:25), ouvert les yeux d’un aveugle muet possédé par un démon (12:22) et nourri plus de 5 000 personnes avec cinq pains et deux poissons (14:19). Ces miracles -et le comment, quand et où ils ont été accomplis et qui en a bénéficié- nous éclairent en quelque sorte sur la nature du royaume des cieux, à savoir que quiconque (Juif ou païen, spécialiste religieux ou personne sans instruction, riche ou pauvre, homme ou femme, adulte ou enfant) reconnaît sa pauvreté spirituelle et vient à Christ par la foi pour être sauvé de la maladie, des démons et de la mort trouvera le repos auquel il aspire.
Ces miracles révèlent également l’identité de Jésus en tant que Messie promis (11:4–5) ayant l’autorité divine sur toute maladie et toute infirmité (Mt 4:23–24 ; 8:16 ; 9:35 ; 14:34–36 ; 15:29–31) et le pouvoir de pardonner les péchés (9:2, 6). Ce pardon sera obtenu en définitive à la croix (« ce sont nos souffrances qu’il a portées, c’est de nos douleurs qu’il s’est chargé », Es 53:4 cité dans Mt 8:17). En outre, ces miracles, en particulier ceux où Jésus nourrit les 5 000 hommes et marche sur l’eau, indiquent la nature divine de Jésus.
14:22–33 Jésus démontre et déclare qu’il est Dieu venu en chair. Dans Matthieu, le miracle de Jésus qui marche sur l’eau se décompose en deux parties qui se terminent chacune par des confessions christologiques frappantes (« c’est moi [qui suis] » prononcé par Jésus lui-même, 14:27 ; « Tu es vraiment le Fils de Dieu » prononcé par les disciples, 14:33b) et par l’adoration (« Ceux qui étaient dans la barque vinrent se prosterner », 14:33a).
Après être redescendu de la montagne, où il avait enfin pu passer le moment seul qu’il désirait, « A la fin de la nuit, Jésus alla vers eux en marchant sur le lac » (14:23–25). Les disciples étaient « affolés », et ils « poussèrent des cris », pensant que Jésus était « un fantôme ! » (14:26). Jésus s’écrie, vraisemblablement à travers le grondement des vagues, « Rassurez-vous, c’est moi. N’ayez pas peur ! » (14:27). « C’est moi » (ego eimi) peut-être traduit « C’est moi QUI SUIS », allusion intentionnelle à la déclaration du Seigneur au moment de l’épisode du buisson ardent (Ex 3:14 traduction Septante LXX), mais également allusion probable à la déclaration du Seigneur dans la première section sur le Serviteur en Esaïe 43:1–3, où « je suis l’Eternel, ton Dieu » dit à Israël « N’aie pas peur » parce qu’il l’a sauvé (« je t’ai racheté… Si tu traverses de l’eau, je serai moi-même avec toi »). À noter que l’affirmation de Jésus, « Je suis », se trouve en plein cœur de ce récit.
Jésus ne se contente pas de déclarer qu’il est le divin Fils de Dieu ; il le démontre de quatre manières. Premièrement, alors qu’il a passé la moitié de la journée sur une montagne, il sait exactement où se trouvent les disciples secoués par la tempête, « au milieu du lac » (14:24 ; à environ « cinq kilomètres » du rivage, Jean 6:19). Quelle vue et quel sens de la navigation surnaturels ! Deuxièmement, il marche sur l’eau pour aller vers eux (« en marchant sur le lac », Mt 14:25, 26). Seul Dieu peut dompter les eaux, qui symbolisent souvent dans les Écritures le chaos diabolique de ce monde déchu (« C’est toi qui maîtrises l’orgueil de la mer; quand ses vagues se soulèvent, c’est toi qui les calmes », Ps 89:10 ; « Tout seul, il déploie le ciel, il marche sur les hauteurs de la mer », Job 9:8). Troisièmement, Jésus a permis à Pierre de le rejoindre par le même moyen, en marchant sur l’eau. « Pierre [animé de sa foi éphémère, mais courageuse] lui répondit : « Seigneur, si c’est toi, ordonne-moi d’aller vers toi sur l’eau. » Jésus lui dit : « Viens !» Pierre sortit de la barque et marcha sur l’eau pour aller vers Jésus » (Mt 14:28–29). Quatrièmement, Jésus démontre son pouvoir divin en sauvant un homme de la noyade et en calmant la mer déchaînée. Dès que Pierre a détourné ses yeux de Jésus (« voyant que le vent était fort »), il a eu peur pour sa vie (« il eut peur », 14:30). Il avait des raisons d’avoir peur ! Pierre a commencé à couler. Il s’est écrié, « Seigneur, sauve-moi ! » (14:30). C’est ce que Jésus a fait de bonne grâce et sans tarder : « Aussitôt Jésus tendit la main, l’empoigna et lui dit : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté?» Ils montèrent dans la barque, et le vent tomba » (14:31–32).14
Ces douze versets sont un condensé de l’histoire du salut. En communion avec son Père céleste, Jésus répond aux besoins de son peuple qui périt en descendant des hauteurs les plus élevées jusqu’aux ténèbres les plus profondes. Ainsi, lorsque la lumière du matin apparaît (« alors qu’il faisait encore [partiellement] sombre », comme le matin de Pâques, Jean 20:1), il peut secourir les pécheurs qui s’écrient, « Seigneur, sauve-moi! » (14:30) (Mt 14:30).
14:34–36 La conclusion éclatante de ce chapitre peut sembler décevante à première vue. Mais il s’agit en réalité du point culminant (d’un point de vue spirituel) de l’évangile de Matthieu !
« Après avoir traversé le lac, ils arrivèrent dans la région de Génésareth. Les habitants de cet endroit reconnurent Jésus ; ils envoyèrent des messagers dans tous les environs et on lui amena tous les malades. Ils le suppliaient de leur permettre seulement de toucher le bord de son vêtement, et tous ceux qui le touchèrent furent guéris. » (14:34–36)
Regardez la foi de cette région. Et quelle foi ! Une foi en action. Les patriarches de cet endroit (« les habitants ») savaient qui était Jésus (ils « reconnurent Jésus »), et ils ont répondu en aimant leur prochain, et même leurs ennemis. Les verbes employés à propos de ces chefs sont évocateurs : « ils envoyèrent des messagers dans tous les environs et on lui amena [ce sont eux qui ont fait le travail, comme les amis du paralysé] tous les malades. Ils le suppliaient [après s’être donné de la peine et avoir réussi à atteindre Jésus] de leur permettre seulement de toucher le bord de son vêtement. » Est-ce une foi superstitieuse ? Non ! C’est une foi authentique, la même que celle de la femme qui souffrait d’hémorragies depuis douze ans. Comment le savons-nous ? C’est Jésus qui le dit, et qui le prouve. « … et tous ceux qui le touchèrent furent guéris. »
Absence de foi, petite foi et grande foi (15:1–16:28)
La section suivante décrit de nouveaux miracles accomplis par Jésus et différentes réactions en fonction des régions. Ces réactions peuvent se résumer avec les expressions suivantes : absence de foi, petite foi et grande foi. Les scribes et les pharisiens font preuve d’une absence de foi totale en Jésus. Ils remettent à nouveau en cause le ministère de Jésus et demandent un signe. Les douze continuent de manifester certains aspects d’une foi authentique (ils suivent Jésus, apprennent de lui et Pierre fait une confession magnifique quant à l’identité de Jésus -« Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant », 16:16). Les disciples, en revanche, ne comprennent toujours pas la mission de Jésus (aller jusqu’à la croix) ni la leur (porter leur propre croix). À l’inverse, les gens de la foule, en particulier une femme cananéenne, font preuve d’une foi extraordinaire.
La « grande foi » de la femme cananéenne (15:21–28)
En 15:21–28, Matthieu parle de la « grande foi » d’une femme cananéenne du territoire de Tyr et de Sidon.15 Sa « grande » foi se manifeste de quatre façons différentes. Premièrement, elle reconnaît à juste titre que Jésus est « Fils de David » (15:22) et « Seigneur » (15:22, 25, 27). Deuxièmement, elle a une entière confiance dans la puissance de Jésus pour guérir sa fille, qui est « cruellement tourmentée par un démon » (15:22). Elle croit que Jésus peut vaincre les forces du mal et déverser sa miséricorde sur ceux qui se confient en lui. Troisièmement, elle croit que la mission du Messie juif doit s’étendre aux païens. Et donc, quatrièmement, elle persévère. Elle n’est ni découragée par le mécontentement des disciples (« Renvoie-la », 15:23) ni par le silence initial de Jésus. Face à ce silence de Jésus (« Il ne lui répondit pas un mot », 15:23), elle persévère dans sa prière (« Mais elle vint se prosterner devant lui et dit: «Seigneur, secours-moi!» », 15:25). Et quand Jésus lui répond « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la communauté d’Israël » (15:24) et « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants [Israël] et de le jeter aux petits chiens [les païens] (15:26), elle lui demande de commencer à exécuter le Mandat Missionnaire sans plus tarder : « Oui, Seigneur, dit-elle, mais les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres » (15:27). Jésus partage son avis. Après avoir fait l’éloge de cette femme païenne (que Matthieu décrit comme une « cananéenne », terme archaïque employé pour désigner les anciens ennemis d’Israël), il répond à sa requête («« Femme, ta foi est grande ! Sois traitée conformément à ton désir ». A partir de ce moment, sa fille fut guérie », 15:28). Elle reçoit des « miettes » impressionnantes !
La ville romaine de Tyr
4 000 personnes nourries (15:29–39)
Dans la scène suivante, la guérison des malades et les 4 000 personnes nourries, Matthieu associe le motif récurrent du pain et le thème de l’incorporation des païens. Jésus est monté sur une montagne près du lac de Galilée (15:29–31) puis « s’y assit ». Une foule ayant fait le voyage avec lui a amené « aux pieds » de Jésus ceux qui avaient besoin d’être guéris : « des boiteux, des aveugles, des muets, des estropiés et beaucoup d’autres malades », et « il les guérit » tous (15:30). La réaction des gens semble tout à fait normale. À l’étonnement (« la foule était émerveillée ») a succédé l’adoration (« elle célébrait la gloire du Dieu d’Israël », 15:31).
Ensuite, voyant leur faim, Jésus leur ouvre à nouveau ses entrailles : « Jésus appela ses disciples et leur dit : « Je suis rempli de compassion pour cette foule, car voilà trois jours qu’ils sont près de moi et ils n’ont rien à manger. Je ne veux pas les renvoyer à jeun, de peur que les forces ne leur manquent en chemin. » » (15:32). Les disciples doutent du fait que « dans cet endroit désert », leurs rations (« Sept [pains] et quelques petits poissons »), ajoutées à celles d’autres personnes, puissent suffire à « rassasier une si grande foule » (15:33–34), pas moins de « 4000 hommes, sans compter les femmes et les enfants » (15:38). Jésus prend les choses en main. Il fait asseoir la foule, prend la nourriture et demande aux disciples de la distribuer. Et miraculeusement, la nourriture ne manque pas. La foule est repue (« Tous mangèrent et furent rassasiés ») et, comme la fois où Jésus a nourri les 5 000 hommes, il y a même des restes (« sept corbeilles pleines des morceaux qui restaient », 15:37).
La plupart des commentateurs considèrent que cette foule se composait essentiellement de païens en raison de l’endroit où ce miracle a eu lieu (« la région de la Décapole », Marc 7:31), du contexte littéraire (Jésus vient de « nourrir » la femme cananéenne et sa fille), de cette affirmation unique (« elle célébrait la gloire du Dieu d’Israël », Mt 15:31), et de l’étude des nombres (de même que les douze paniers de restes pour les 5 000 Juifs étaient symboliques de la merveilleuse providence de Dieu envers les tribus d’Israël, les sept paniers de restes pour les 4 000 païens symbolisaient la portée élargie de la mission de Christ). Comme la femme cananéenne l’a déclaré, Jésus est le Messie (« Fils de David ») et sa mission consiste à accomplir la promesse faite à Abraham (« fils d’Abraham », 1:1).
« C'est faussement qu'ils m'honorent » (16:1–12, voir 15:1–20)
Ensuite, Jésus « renvoya la foule, monta dans la barque et se rendit dans la région de Magdala » (15:39). Il y rencontre les pharisiens et les sadducéens (16:1–12). Ici comme en 15:1–20, où il fait face aux chefs religieux juifs, Jésus condamne leur manque de foi et met ses disciples en garde vis-à-vis d’eux.
15:1–20 Les pharisiens et les scribes de Jérusalem interrogent Jésus, « Pourquoi tes disciples transgressent-ils la tradition des anciens? En effet, ils ne se lavent pas les mains quand ils prennent leur repas » (15:2). Replacée dans son contexte, cette question est grotesque. Au lieu de demander à Jésus quelle est l’origine de sa sagesse et de ses prodiges (qui sont manifestés au grand jour dans Matthieu 8 à 14), ou de lui demander humblement, « Qui es-tu ? » ou « Que dois-je faire pour avoir part à ton royaume » ? », ils lui posent une question sur le lavage des mains. Marc donne plus de détails sur leur tradition : « Or, les pharisiens et tous les Juifs ne mangent pas sans s’être lavé soigneusement les mains… Et quand ils reviennent de la place publique, ils ne mangent pas avant de s’être purifiés. Ils tiennent encore à beaucoup d’autres traditions comme le lavage des coupes, des cruches et des vases de bronze » (Marc 7:3–4). Jésus connaît leurs traditions humaines, et elles lui inspirent du dégoût. Il répond en posant lui aussi une question : « Et vous, pourquoi transgressez-vous le commandement de Dieu au profit de votre tradition ? » (Mt 15:3).
Jésus prend ensuite en exemple le lavage des mains pour leur expliquer qu’ils n’observent pas la loi. Il aurait pu leur dire que le commandement relatif au lavage des mains concernait seulement les prêtres avant qu’ils ne s’acquittent de leurs fonctions (Lv 22), mais ne concernait pas le lavage des mains de tout un chacun avant chaque repas. Mais il choisit de se référer à Exode et Ésaïe. Dans Exode 20:12, « Dieu a dit: Honore ton père et ta mère », et dans Exode 21:17 il a déclaré, « Celui qui maudira son père ou sa mère sera puni de mort » (Mt 15:4). Ainsi, Jésus affirme qu’ils annulent « la parole de Dieu » en enseignant que « celui qui dira à son père ou à sa mère : ‘Ce dont j’aurais pu t’assister est une offrande à Dieu’ n’est pas tenu d’honorer son père » (15:5–6). Ici, Jésus fait référence à la tradition du Corban, tradition selon laquelle quelqu’un s’engage à verser au temple de l’argent qui ne peut plus être utilisé pour un usage personnel (comme aider ses parents dans leurs vieux jours). Parce que Jésus avait en horreur la manière dont ils enfreignaient la loi de Dieu ainsi que le commandement d’aimer son prochain (y compris leurs propres parents), Jésus s’est insurgé contre eux : « Hypocrites, Esaïe a bien prophétisé sur vous, quand il a dit : Ce peuple [prétend s’approcher de moi et] m’honore des lèvres, mais son cœur est éloigné de moi. C’est faussement qu’ils m’honorent en donnant des enseignements qui sont des commandements humains » (Mt 15:7–9, citant Es 29:13).
Jésus poursuit en s’adressant non plus aux enseignants des traditions, hommes hypocrites qui enfreignent la loi, mais à « la foule » (Mt 15:10), et notamment à « ses disciples » (15:12), à qui il donne une leçon sur la vraie pureté. En s’appuyant sur les commandements de la deuxième moitié du Décalogue, Jésus enseigne que « ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur, mais ce qui sort de la bouche. Voilà ce qui rend l’homme impur » (15:11). Il prononce un jugement terrible contre les pharisiens et les scribes : « … ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles ». De ce fait, eux et ceux qu’ils conduisent courent à leur ruine (« … si un aveugle conduit un aveugle, ils tomberont tous les deux dans un fossé », 15:14). Il dit aux disciples « Laissez-les » car Dieu les jugera bientôt : « Toute plante que n’a pas plantée mon Père céleste sera déracinée » (15:13–14). Ensuite, Jésus explique « la parabole » de la bouche sale, en déclarant que « manger sans s’être lavé les mains, cela ne rend pas l’homme impur » (15:20). L’impureté vient du cœur et sort de la bouche. Ce n’est pas au niveau des mains et du ventre qu’il faut rechercher l’impureté, mais bien du cœur et de la bouche : « Mais ce qui sort de la bouche vient du cœur, et c’est ce qui rend l’homme impur. En effet, c’est du cœur que viennent les mauvaises pensées, les meurtres, les adultères, l’immoralité sexuelle, les vols, les faux témoignages, les calomnies » (15:18–19).
16:1–12 Matthieu 16:1–4 relate d’autres escarmouches entre Jésus et les chefs religieux juifs. Les pharisiens et les saducéens se liguent pour éprouver Jésus, formant une alliance quelque peu incongrue. En effet, les deux groupes ont des avis divergents sur un grand nombre de points théologiques. « Les pharisiens et les sadducéens abordèrent Jésus et, pour le mettre à l’épreuve, lui demandèrent de leur faire voir un signe venant du ciel » (16:1). La multiplication des pains ne leur suffit pas. Ils veulent que ses prétentions divines (voir Mt 7:21–23 ; 9:2 ; 11:4–6, 27 ; 12:28) soient attestées par quelque miracle céleste, comme la manne venant du ciel ou une nuée qui descendrait sur eux pendant qu’ils parlent. Bien sûr, ce qu’ils demandent est d’inspiration satanique car cela va à l’encontre de la mission de Jésus, à savoir la croix.
La réponse de Jésus est remarquable. Alors qu’ils savent prédire le temps qu’il fera (« [Le soir, vous dites : ‘Il fera beau, car le ciel est rouge’, et le matin : ‘Il y aura de l’orage aujourd’hui, car le ciel est d’un rouge sombre.’), ils ne peuvent pas « discerner les signes des temps »] (16:2–3). Rechercher des signes de la sorte est satanique ! « Une génération mauvaise et adultère réclame un signe [céleste], il ne lui sera pas donné d’autre signe que celui [terrestre] de Jonas » (16:4 ; cf. 12:39). Le modèle du prophète est celui qu’ils devraient rechercher dans le Messie. Le Fils du Père céleste qui vient sur terre, voilà le signe venant du ciel qui leur est donné. Le signe de Jonas évoque certainement la mort, la mise au tombeau et la résurrection de Jésus (Jonas était enfoui dans les profondeurs, comme mort, jusqu’à ce que le grand poisson le délivre de la mort). Il peut également représenter le sacrifice personnel (Jonas voulait être jeté par-dessus bord pour que le bateau soit sauvé) et la mission auprès des païens (malgré ses réticences, Jonas a prêché aux Assyriens et ils se sont repentis). Les disciples de Jésus sont rassasiés par le pain vivant descendu du ciel- la mort sacrificielle et la résurrection extraordinaire du Fils de David qui est venu pour accomplir l’alliance abrahamique.
Dans Matthieu 15 à 16, l’évangéliste rapporte les différentes réactions suscitées par Jésus. Les foules et la femme cananéenne font preuve de foi envers lui. Elles croient qu’il peut sauver, et il sauve. Les chefs religieux, eux, ne manifestent aucune foi. Aussi remettent-ils en cause la personne et la puissance de Jésus. Parfois, les disciples manifestent une foi authentique ; parfois, ils font preuve de ce que Jésus qualifie de « peu de foi ». Dans ces chapitres, trois incompréhensions nous renseignent sur la nature de ce « peu de foi ».
Premièrement, ils ne comprennent pas la puissance de Jésus. « En passant sur l’autre rive », les disciples se sont aperçus qu’ils avaient oublié de prendre du pain (« nous n’avons pas pris de pains », 16:7 ; « les disciples avaient oublié de prendre des pains », 16:5 ; ils raisonnaient en eux-mêmes « sur le fait [qu’ils n’avaient] pas pris de pains », 16:8). Cette discussion est risible car Jésus, « sachant » la teneur de leur conversation, déclare, « Hommes de peu de foi, pourquoi raisonnez-vous en vous-mêmes sur le fait que vous n’avez pas pris de pains ? Ne comprenez-vous pas encore et ne vous rappelez-vous plus les cinq pains des 5000 hommes et combien de paniers vous avez emportés, ni les sept pains des 4000 hommes et combien de corbeilles vous avez emportées ? » (16:8–10). Quel oubli teinté d’incrédulité ! Avaient-ils réellement oublié ce qui s’était passé deux fois quelques jours plus tôt quand ils se trouvaient dans un endroit désert sans avoir assez de nourriture pour eux-mêmes et pour la foule ? Jésus a nourri plus de 5 000 hommes et il y a eu douze paniers de restes, (14:13–21) puis plus de 4 000 hommes et il y a eu sept paniers de restes (15:32–38). Pour Jésus, leur préoccupation (« les disciples avaient oublié de prendre des pains 16:5) ne devait pas être un problème. S’il a nourri 4 000 hommes avec sept pains et 5 000 hommes avec cinq pains, imaginez ce qu’il pouvait faire avec zéro pain.
Deuxièmement, ils ne voient pas les dangers des faux enseignements (15:12). Ce point est particulièrement évident en 16:5–12, où Jésus les avertit à trois reprises : « Méfiez-vous du levain des pharisiens et des sadducéens » (16:6, 11, 12). Comme le levain, leur enseignement peut passer inaperçu, mais ses conséquences sont manifestes : il annule la Parole de Dieu et place des fardeaux insupportables sur le dos des gens. Soit ils ajoutent leur propre enseignement aux Écritures (les rituels du lavage des mains des spécialistes de la loi et des pharisiens, 15:2), soit ils retranchent quelque chose des Écritures (les sadducéens nient la résurrection, 22:23).
Troisièmement, ils ne comprennent pas la mission de Christ. Plus tôt, ils se sont mépris sur l’étendue de la mission de Jésus. Ceci explique en partie pourquoi ils « prièrent » Jésus de renvoyer la femme cananéenne (15:23, version Darby). En 16:13–28, ils ne comprennent pas que la crucifixion de Christ est nécessaire et qu’eux-mêmes doivent mener une vie de conformité à la croix.
« Tu es le Messie » (16:13–28)
16:13–16 Cette péricope, qui se déroule dans « le territoire de Césarée de Philippe », commence par une question de Jésus à propos de son identité, « Qui suis-je, d’après les hommes, moi le Fils de l’homme? » (16:13). Les disciples répondent, « Les uns disent que tu es Jean-Baptiste ; les autres, Elie; les autres, Jérémie ou l’un des prophètes. » (16:14). Qu’il soit l’Élie tant attendu, Jean-Baptiste qui a été exécuté peu de temps auparavant, ou Jérémie, prophète tenu en haute estime par le peuple, revenu d’entre les morts, il est entendu qu’il est plus qu’un simple prophète. Il s’adresse directement à ses disciples à travers une question, « Et d’après vous, qui suis-je ? » (16:15). Simon Pierre donne la bonne réponse, « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant. » (16:16). Jésus se présente comme « le Fils de l’homme », le souverain céleste dont la domination s’étendra sur toutes les nations et sera sans fin. Pierre l’appelle « le Christ » (LSG), c’est-à-dire l’oint qui avait été promis, le roi issu de la lignée de David qui règnera sur le peuple de Dieu (2S 7).
16:17–20 Il s’agit à la fois d’un point culminant (la grande confession !) et d’un tournant (Jésus se dirige maintenant vers Jérusalem) de l’Évangile. Jésus répond en révélant à Pierre la grâce de Dieu envers lui : « Tu es heureux, Simon, fils de Jonas, car ce n’est pas une pensée humaine qui t’a révélé cela, mais c’est mon Père céleste » (Mt 16:17). Mais il ne s’arrête pas là. « Et moi, je te dis que tu es Pierre et que sur ce rocher je construirai mon Église, et les portes du séjour des morts ne l’emporteront pas sur elle. Je te donnerai les clés du royaume des cieux : ce que tu lieras sur la terre aura été lié au ciel et ce que tu délieras sur la terre aura été délié au ciel » (16:18–19).
L’expression « ce rocher » peut faire référence à la confession de Pierre, à Pierre lui-même ou à Jésus. D’un point de vue linguistique, il semble logique que Pierre soit le rocher, étant donné que Jésus est le sujet de la phrase (« je construirai »), que « mon Eglise » soit le complément d’objet, et « sur ce rocher », le lieu de la construction. C’est sur l’autorité apostolique de Pierre que l’Église sera bâtie (voir Actes 1–15, où il est mentionné à 56 reprises). Le jeu de mots de Jésus entre « rocher » (petra) et « Pierre » (Petros) soutient cette hypothèse. Toutefois, il est plus probable que Jésus soit le rocher. Les propos rapportés à la fois dans Matthieu (où Jésus compare ses « paroles » au fait de construire sur un « rocher », 7:24, 25, et se présente comme « La pierre qu’ont rejetée ceux qui construisaient », 21:42) et ailleurs dans le Nouveau Testament confortent cette thèse. Les mots « rocher » et « pierre » sont employés en référence à une seule personne : Jésus (par exemple, « et ce rocher était Christ », 1Co 10:4 ; « une pierre qui fait obstacle, un rocher propre à faire trébucher », Rm 9:33). Même si les apôtres font partie de la « fondation » du projet de construction de Jésus, « Jésus-Christ lui-même », et lui seul, est la « pierre angulaire » (Ep 2:19–22).
Même s’il ne peut pas être qualifié de « rocher », Pierre (tout comme les autres disciples, car le terme « vous » est employé, cf. 18:18) reçoit un rôle unique au sein du royaume. « [L]es clés du royaume des cieux » sont données aux douze, de sorte que ce qu’ils lieront « sur la terre aura été lié au ciel » et ce qu’ils délieront « sur la terre aura été délié au ciel » (16:19). Comme le dit Zwingli, les clés « sont la prédication … de l’Évangile ». Les verbes lier et délier signifient que « celui qui croit cet [Évangile] sera libéré de ses péchés et sauvé » et « celui qui ne croit pas … sera condamné. »16 On ne peut entrer dans le royaume que par le témoignage que les apôtres donnent à propos de Jésus.
16:21–28 Matthieu revient sur la compréhension erronée qu’ont les disciples de la mission de Jésus et de leur propre mission. Il conclut ce chapitre important par les paroles de Jésus, qui annonce sa passion, sa mort et sa résurrection futures, et souligne que ses disciples devront le suivre sur le chemin de la souffrance. Après la confession de Pierre et le mandat conféré par Jésus (lier et délier), « Dès ce moment » (il s’agit du premier des onze passages où Jésus parle de sa mission à Jérusalem)17 Matthieu écrit, « Jésus commença à montrer à ses disciples qu’il devait aller à Jérusalem, beaucoup souffrir de la part des anciens, des chefs des prêtres et des spécialistes de la loi, être mis à mort et ressusciter le troisième jour » (16:21). Voilà où réside la mauvaise compréhension. Lorsque Pierre pense au « Christ », il pense au « Christ conquérant », pas au « Christ crucifié ». Il imagine une guerre sainte et une victoire sainte dans la ville sainte. Alors Pierre prend Jésus à part et le reprend, « Que Dieu t’en garde, Seigneur ! Cela ne t’arrivera pas » (16:22). Mais Jésus le reprend plus fortement encore, « Arrière, Satan, tu es un piège pour moi, car tes pensées ne sont pas les pensées de Dieu, mais celles des hommes » (16:23). Comme Satan, Pierre incitait Jésus à renoncer à Gethsémané et à Golgotha et à choisir directement la gloire. Mais Jésus a refusé de porter la couronne avant la croix. Il a aussi indiqué clairement à ses disciples que sa passion serait aussi la leur : « Alors Jésus dit à ses disciples : «Si quelqu’un veut être mon disciple, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive! En effet, celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui la perdra à cause de moi la retrouvera. Que servira-t-il à un homme de gagner le monde entier, s’il perd son âme ? Ou que pourra donner un homme en échange de son âme ?» » (16:24–26).
Dans son excellent commentaire, Frederick Dale Bruner répond à la question, « Quelles sont les caractéristiques d’un chrétien ? » par deux critères : 1) confesser Jésus en tant que Christ (christocentrisme) et 2) suivre Jésus en tant que Christ souffrant (crucio-christocentrisme).18 Pour obtenir la victoire finale, le chrétien fait face à ce paradoxe : il doit perdre sa vie (renoncer à lui-même et se charger de sa croix) pour trouver la vie éternelle. Pourquoi vivre une vie centrée sur la croix ? À la fin, ceux qui se sont unis à Christ dans cette vie célébreront la victoire quand il viendra pour juger (« le Fils de l’homme va venir dans la gloire de son Père, avec ses anges, et alors il traitera chacun conformément à sa manière d’agir », 16:27). Ceux qui ont sacrifié leur temps, leur argent, leurs avantages, leur confort et leur sécurité pour servir de manière désintéressée la cause de Christ et son peuple souffrant, par exemple en donnant à manger à ceux qui avaient faim, en donnant à boire à ceux qui avaient soif, en accueillant les étrangers, en habillant ceux qui étaient nus, en rendant visite aux malades et en allant vers ceux qui étaient en prison (voir 25:31–46), recevront la gloire éternelle, une gloire manifestée lors du retour de Christ mais également lors de la transfiguration (« Je vous le dis en vérité, quelques-uns de ceux qui sont ici ne mourront pas avant d’avoir vu le Fils de l’homme venir dans son règne [sa gloire] », 16:28).
Qui était présent à la croix ? (17:1–23)
La section suivante se termine par la détresse des disciples (« Ils furent profondément attristés », 17:23b). Ils étaient troublés car Jésus leur a annoncé sa mort prochaine (« Le Fils de l’homme doit être livré entre les mains des hommes ; ils le feront mourir et le troisième jour il ressuscitera », 17:22–23a). Remarquez à nouveau la façon dont Jésus se présente. Trente fois dans Matthieu, il se présente comme « Fils de l’homme ». C’est le titre qu’il utilise le plus, et de loin, pour parler de lui. Un titre qui correspond bien à son héritage davidique, mais également à la transfiguration.
17:1–8 « Six jours après » (une allusion à la fois au récit de la création, Gn 1:31, et à la rencontre de Moïse avec la gloire de Dieu sur une montagne où le Seigneur l’a appelé au bout de six jours, Ex 24:16), Jésus emmène son cercle apostolique restreint, c’est-à-dire Pierre, Jacques et Jean, « sur une haute montagne » (Mt 17:1), pour montrer à ces futures colonnes de l’Église quelle est la pierre angulaire sur laquelle ils doivent construire. Le Fils de l’Homme est le Fils bien-aimé de Dieu.
Cette vérité est proclamée à l’occasion d’un formidable spectacle son et lumière : « Il fut transfiguré devant eux ; son visage resplendit comme le soleil et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière » (17:2). Le mot grec metemorphōthē peut désigner un changement de constitution. Ici, cependant, l’accent n’est pas mis sur un changement de forme (Jésus ne redevient pas un être invisible, comme avant son incarnation), mais d’aspect. Jésus resplendit « comme le soleil lorsqu’il brille dans toute sa force » (Ap 1:16). Le parallèle poétique et l’allitération dans Matthieu 17:2 renforcent cet argument :
Cette vision éclatante pointe à l’évidence vers la gloire divine de Jésus, la gloire de la Shekhina qui a guidé Israël dans le désert (Ex 13:21), est descendue sur Moïse au Sinaï (24:15–18), a rempli le tabernacle et le temple (40:34–35 ; 2Ch 7:1–3). Et ce jour-là, « une nuée lumineuse les couvrit » pendant que Jésus reprenait Pierre. L’éclat de Jésus est aussi grand que celui de son Père qui a déclaré depuis cette nuée, « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute mon approbation : écoutez-le! » (Mt 17:5).
Les paroles prononcées lors de cette théophanie (« écoutez-le ! ») sont particulièrement marquantes compte tenu de la scène à laquelle les trois disciples viennent d’assister (« Moïse et Elie leur apparurent ; ils s’entretenaient avec lui », 17:3). Pierre était tellement émerveillé par le fait que les deux plus grands prophètes des Écritures qu’il connaissait se tenaient là devant lui, qu’il est passé à côté de cette vérité essentielle : « la Loi » (Moïse) et « les Prophètes » (Elie) pointent vers Jésus et sont accomplis en lui. En fait, pour le lecteur attentif, Matthieu 17:3 est juste une confirmation visuelle de la déclaration de Jésus en 5:17. Pierre, qui utilise le bon titre pour désigner Jésus mais ne réalise pas que Jésus est le Seigneur de Moïse et d’Élie, répond « Seigneur, il est bon que nous soyons ici. Si tu le veux, faisons ici trois abris : un pour toi, un pour Moïse et un pour Elie » (17:4). Pour corriger la compréhension erronée de Pierre (Emmanuel n’a pas besoin d’un mini-temple sur une haute montagne à côté de deux de ses serviteurs), Dieu envoie un signe venant du ciel, une voix forte au milieu d’une nuée lumineuse : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute mon approbation : écoutez-le ! » (17:5). La voix du Père, qui se fait entendre uniquement en cette occasion et lors du baptême de Jésus, reprend à la fois le Psaume 2:7(« Tu es mon fils », écrit en référence au roi oint) et Ésaïe 42:1 (écrit à propos du Serviteur Souffrant, « qui a toute mon approbation »). Pierre, Jacques et Jean sont légitimement effrayés par ces mots (ils « tombèrent le visage contre terre et furent saisis d’une grande frayeur » Mt 17:6). Mais Jésus manifeste aussitôt sa grâce envers eux par un geste (« Jésus s’approcha d’eux, les toucha ») et par sa parole (« Levez-vous, n’ayez pas peur ! », 17:7). Puis il apporte une correction visible (« Ils levèrent les yeux et ne virent plus que Jésus seul », 17:8). Jésus seul ! Il n’est pas l’un des prophètes, il est « le prophète » (Dt 18:15) et plus qu’un porte-parole humain (il est le Fils bien-aimé du Père). À ce titre, il est la parole ultime de Dieu : « Après avoir autrefois, à de nombreuses reprises et de bien des manières, parlé à nos ancêtres par les prophètes, Dieu, dans ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils » (He 1:1–2a).
17:9–13 En redescendant, Jésus a ordonné au trio de garder pour eux ce à quoi ils avaient assisté (« Ne parlez à personne de ce que vous avez vu ») jusqu’à ce qu’ils observent l’histoire complète du salut se dérouler sous leurs yeux (« jusqu’à ce que le Fils de l’homme soit ressuscité », Mt 17:9). Plus tard, au verset 23, les douze seront ébranlés quand Jésus parlera de sa mort, et ici, au verset 9, Pierre, Jacques et Jean sont troublés : le Fils de l’homme mort ? Ils demandent alors à Jésus des éclaircissements, « Pourquoi donc les spécialistes de la loi disent-ils qu’Elie doit venir d’abord ? » (17:10), une référence à Malachie 2:23 où Dieu parle d’envoyer Élie pour apporter la restauration avant « le jour de l’Eternel, ce jour grand et redoutable ». Jésus répond en évoquant « Jean-Baptiste » (Mt 17:13). Il affirme que Jean était ce type d’Élie (« mais je vous le dis : Elie est déjà venu », 17:12, cf. Luc 1:17) qui a apporté la restauration à travers sa prédication de la repentance. Pourtant, ceux qui « ne l’ont pas reconnu » comme tel l’ont entièrement rejeté (« et ils l’ont traité comme ils ont voulu », Mt 17:12). Jean a été décapité (14:1–11), une mort cruelle qui devait préfigurer le sort réservé à Jésus (« De même le Fils de l’homme souffrira de leur part », 17:12).
Sur la montagne, Jésus enseigne à Pierre, Jacques et Jean une leçon sur le paradoxe fondateur de la foi chrétienne :
Le Christ glorifié, portant des vêtements resplendissants, se tenant sur une haute montagne, flanqué de deux géants religieux d’autrefois, entouré de lumière, est aussi le Christ humilié dont les vêtements ont été arrachés et partagés, celui qui a été élevé en croix, flanqué de deux criminels de droit commun, tandis que les ténèbres envahissent la terre. Quel contraste entre la transfiguration (17:1–8) et la crucifixion (27:33–54) ! La lumière et les ténèbres, deux saints et deux pécheurs ; et, au milieu de tout cela, Jésus. La voix de Dieu qui se fait entendre du ciel déclare « Celui-ci est mon Fils bien-aimé » (17:5) et le soldat païen affirme peu de temps après la crucifixion, « Cet homme était vraiment le Fils de Dieu », (27:54).19
17:14–23 Une fois que Jésus, Pierre, Jacques et Jean sont arrivés dans la vallée, un homme parmi la foule s’est approché de Jésus et l’a imploré, « Seigneur, aie pitié de mon fils qui est épileptique et qui souffre cruellement; il tombe souvent dans le feu ou dans l’eau. » (17:15). Si cet homme s’approche de Jésus ainsi, c’est parce que neuf apôtres sur neuf ont échoué (« Je l’ai amené à tes disciples et ils n’ont pas pu le guérir », 17:16 ; ils n’ont « pas pu chasser ce démon », 17:19). L’échec des disciples et le monde infesté de démons dans lequel Jésus pénètre à nouveau exaspèrent Jésus. Reprenant les idées et les paroles exprimées par YHWH (Dt 31:19 ; 32:5, 20 ; Nb 14:11, 26-27 ; Es 46:12a), Jésus déclare, « Génération incrédule et perverse […] jusqu’à quand serai-je avec vous? Jusqu’à quand devrai-je vous supporter ? Amenez-le-moi ici » (17:17). Jésus prend le problème à bras-le-corps. Il lui faut moins d’une seconde pour chasser le démon : « Jésus menaça le démon, qui sortit de l’enfant, et celui-ci fut guéri à partir de ce moment-là » (17:18).
Les disciples sont frappés non par le miracle mais par leur propre impuissance. Ainsi, les disciples s’approchent « en privé » de Jésus et lui demandent, « Pourquoi n’avons-nous [ils croient encore en eux-mêmes !] pas pu chasser ce démon ? » (17:19). Encore une fois, Jésus identifie leur manque de foi comme l’origine du problème. « C’est parce que vous manquez de foi ». « Je vous le dis en vérité, si vous aviez de la foi comme un grain de moutarde, vous diriez à cette montagne : ‘Déplace-toi d’ici jusque-là’, et elle se déplacerait ; rien ne vous serait impossible » (17:20). La différence entre une petite foi et une foi de la taille d’un grain de moutarde, c’est la différence entre l’échec des disciples et le succès du Père. Alors que Jésus a accordé aux douze la capacité et le pouvoir de chasser les démons (10:1, 8), ils se sont probablement confiés en leur propre force. Dans le récit parallèle de Marc, Jésus déclare, « Cette espèce-là ne peut sortir que par la prière » (Marc 9:29). Pas de prière, pas de puissance. À l’inverse, le père du jeune garçon supplie Jésus : il vient à lui, s’agenouille devant lui, appelle Jésus « Seigneur » et implore sa pitié. C’est avec ce genre de prière, une humble dépendance envers Jésus et une entière confiance en sa puissance toute suffisante, que cet homme déplace une montagne.
Leçons sur la vie de disciple (17:24–20:34)
Alors que Jésus et ses disciples poursuivent leur voyage jusqu’à Jérusalem, Jésus enseigne et illustre dix leçons sur la vie de disciple.
Le paiement de l’impôt du temple (17:24–27)
La première leçon, c’est que les enfants du royaume doivent user de leur liberté pour aimer les autres. Cela est illustré en Matthieu 17:24–27, où il est question du paiement de l’impôt du temple. Lorsque Jésus et les disciples sont retournés à Capernaüm, « ceux qui percevaient l’impôt annuel s’approchèrent de Pierre et lui dirent : « Votre maître ne paie-t-il pas l’impôt annuel ?» « Si», dit-il » (17:24–25a). Il s’agissait d’un impôt annuel pour l’entretien et les réparations du temple d’Hérode, selon le commandement d’Exode 30:12–14 : « … chacun d’eux paiera à l’Eternel le rachat de sa propre personne » en donnant « une demi-pièce d’après la valeur étalon du sanctuaire… prélevée pour l’Eternel. »
En privé, Jésus a enseigné à Pierre la leçon ci-dessus. « Qu’en penses-tu, Simon ? Les rois de la terre, de qui perçoivent-ils des taxes ou des impôts ? De leurs fils ou des étrangers ? » (17:25). Pierre a répondu, « Des étrangers », après quoi Jésus a ajouté, « Les fils en sont donc exemptés » (17:26). En somme, les enfants du royaume sont exemptés de taxes. La remarque de Jésus est pleine de subtilité (que Pierre n’a sans doute pas décelée). Elle sous-entend qu’il n’est pas nécessaire de payer l’impôt du temple si Jésus est plus grand que le temple puisqu’il remplacera le temple (Mt 12:6 ; 21:12–23 ; 24:2). Pourquoi payer des prêtres, des matières sacrificielles et des murs en pierre alors que Jésus a tout payé avec son propre sang (« le Fils de l’homme est venu […] donner sa vie en rançon », 20:28) ?
Ceci étant, Jésus est conscient que le temple est toujours debout, et toujours fonctionnel. Par conséquent, pour ne pas « choquer » (17:27) ceux qui contribuent à maintenir le système en place, Jésus pourvoit de manière miraculeuse, afin qu’ils puissent payer l’impôt. Il dit à Pierre, « … va au lac, jette l’hameçon et tire le premier poisson qui viendra » (17:27). Il lui annonce d’avance que, quand Pierre ouvrira la bouche du poisson, il trouvera une pièce d’argent (shekel) pour couvrir leurs dépenses (17:27). Comme on pouvait s’y attendre, tout se passe comme prévu. La leçon que Jésus enseigne ici est reprise en 1 Corinthiens 9:12 où Paul demande de supporter « tout afin de ne pas créer d’obstacle à l’Évangile. »
Qui est le plus grand ? (18:1–6)
La deuxième leçon a trait à l’humilité. Les disciples s’approchent de Jésus et demandent, « Qui donc est le plus grand dans le royaume des cieux ? » (18:1). Jésus répond à leur question sur ce qui est élevé au moyen d’une réprimande visuelle et verbale relative à l’entrée dans le royaume : « Jésus appela un petit enfant, le plaça au milieu d’eux et dit : « Je vous le dis en vérité, si vous ne vous convertissez pas et si vous ne devenez pas comme les petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. C’est pourquoi, celui qui se rendra humble comme ce petit enfant sera le plus grand dans le royaume des cieux » » (18:2–4). Il appelle ses disciples présomptueux à se repentir (se convertir) et à se souvenir de leur disposition de cœur initiale, celle d’une confiance enfantine (« devenir comme les petits enfants »). Devenir comme les petits enfants est synonyme d’humilité – « celui qui se rendra humble comme ce petit enfant » (18:4), un enfant qui a fait confiance à Jésus quand il l’a appelé (« appela un petit enfant ») et a obéi à ce qu’il lui demandait de faire (« le plaça au milieu d’eux »). C’est la seule manière d’entrer dans le royaume. Et la seule manière de s’y élever, pour ainsi dire, c’est de s’abaisser. Le chrétien s’abaisse dans la grandeur.
Se séparer du péché (18:7–9)
L’humilité, qui constitue le fondement d’une relation juste avec Dieu, est tout aussi nécessaire pour des relations saines à l’intérieur du royaume. Jésus poursuit son enseignement au sujet des attitudes et actes appropriés envers les « enfants » (à prendre au sens littéral) et les « petits » (un terme métaphorique pour les marginalisés au sein du royaume, qui peuvent être des enfants, mais pas seulement). Il appelle ceux qui sont mûrs sur le plan spirituel (ceux qui sont véritablement grands dans le royaume) à mortifier leur propre chair afin de ne pas faire « trébucher un seul de ces petits qui croient en moi » (18:6). C’est la troisième leçon.
Jésus est conscient que ses disciples vivent dans un monde séduisant (« Les pièges sont inévitables »), mais la dernière chose qu’il souhaite, c’est que des disciples mûrs fassent pécher des disciples immatures (« mais malheur à l’homme qui en est responsable ! » 18:7) en ne veillant pas à leur propre pureté.
« Si ta main ou ton pied te poussent à mal agir, coupe-les et jette-les loin de toi. Mieux vaut pour toi entrer dans la vie boiteux ou manchot que d’avoir deux pieds ou deux mains et d’être jeté dans le feu éternel. Et si ton œil te pousse à mal agir, arrache-le et jette-le loin de toi. Mieux vaut pour toi entrer dans la vie avec un seul œil que d’avoir deux yeux et d’être jeté dans l’enfer de feu » (18:8–9).
Remarquez que l’appel de Jésus à se séparer du péché est urgent, radical, total et douloureux. Remarquez également que les jugements sont plus terribles que la mortification. « [L]e feu éternel » (18:8) ou « l’enfer de feu » (18:9) sont des images similaires de la colère de Dieu ; Pour celui qui la subit, elle revient à ce « qu’on suspende à son cou une meule de moulin [une grosse pierre circulaire de deux tonnes] et qu’on le jette au fond de la mer » (18:6). Ces images horribles ont pour but de sortir les disciples de leur mollesse spirituelle.
La parabole de la brebis perdue (18:10–14)
Aux versets 7 à 9, Jésus traite des actions réalisées en rapport avec les « petits ». Aux versets 10 à 14, il traite des attitudes. Il commence par un avertissement, « Faites bien attention de ne pas mépriser un seul de ces petits » (18:10a). Pour le dire de façon plus positive : accordez de l’importance aux faibles. Pourquoi ? Parce qu’ils sont précieux pour Dieu. Il demande à ses anges de veiller sur eux (« car je vous dis que leurs anges dans le ciel sont continuellement en présence de mon Père céleste », 18:10). Les anges qui voient la face de Dieu les servent et les protègent.
L’importance qu’ils ont pour Dieu est illustrée par la parabole de la brebis perdue. Celle-ci s’inscrit dans le cadre du dernier enseignement, en y ajoutant une notion d’assurance. La quatrième leçon, c’est que Dieu ne laissera pas son peuplé périr.
« Qu’en pensez-vous ? Si un homme a 100 brebis et que l’une d’elles se perde, ne laisse-t-il pas les 99 autres sur les montagnes pour aller chercher celle qui s’est perdue ? Et s’il la trouve, je vous le dis en vérité, il en a plus de joie que des 99 qui ne se sont pas perdues. De même, ce n’est pas la volonté de votre Père céleste qu’il se perde un seul de ces petits » (18:12–14).
Dieu s’engage à chercher la brebis égarée et se réjouit de sa restauration.
La discipline d’église (18:15–20)
La cinquième leçon se rapporte à l’enseignement que Jésus donne sur la façon dont l’Église doit confronter l’Église. Parce que les chrétiens, tout comme leur Père céleste, attachent de l’importance à une seule brebis égarée et croient que la réprimande est un acte d’amour (Lv 19:17–18), Jésus décline quatre mesures claires en rapport avec la discipline d’Église.
Lorsque l’Église se rassemble pour juger une affaire relevant de la discipline d’Église, Christ est particulièrement présent (« En effet, là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux », 18:20). Et si l’Église se met d’accord pour réprouver un pécheur (« si deux d’entre vous s’accordent sur la terre pour demander quoi que ce soit »), cette réprobation est considérée comme la volonté de Dieu (« cela leur sera accordé par mon Père céleste », 18:19). L’Église sur terre, placée sous l’autorité de Christ, peut pardonner au pécheur repentant et condamner l’impénitent (« Je vous le dis en vérité, tout ce que vous lierez sur la terre aura été lié au ciel et tout ce que vous délierez sur la terre aura été délié au ciel » 18:18).
La parabole du serviteur impitoyable (18:21–35)
Nous en arrivons à la sixième leçon. Jésus enseigne que ceux qui sont pardonnés par Dieu doivent pardonner aux autres. Avant cet enseignement, Pierre pose à Jésus une question, « Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère, lorsqu’il péchera contre moi ? Est-ce que ce sera jusqu’à 7 fois ? » (18:21). Alors que Pierre s’adresse à Jésus de manière appropriée (« Seigneur ») et est ouvert à son enseignement sur le pardon, il veut bêtement fixer une limite. Jésus répond par une affirmation claire sur la nature illimitée du pardon (« Je ne te dis pas jusqu’à 7 fois, mais jusqu’à 70 fois 7 fois », 18:22) dans « le royaume des cieux » (18:23) et enchaîne avec une parabole pour illustrer sa déclaration.
La parabole du serviteur impitoyable se divise en trois scènes. Dans la première scène, un roi cherche à se faire rembourser l’argent que ses serviteurs lui doivent (« régler ses comptes avec ses serviteurs », 18:23). Alors, « on lui en amena un qui devait 10’000 sacs d’argent » (18:24). « 10’000 sacs d’argent » représentent la plus grande dette imaginable. En effet, le texte original parle de talents, soit l’unité monétaire la plus élevée, et dix mille est le nombre grec le plus élevé. De toute évidence, ce serviteur « n’avait pas de quoi payer » (18:25a) cette somme astronomique. Par conséquent, le roi décide de vendre sa famille et ses biens (« sa femme, ses enfants et tout ce qu’il avait », 18:25) pour récupérer une partie de la somme due. Lorsque le serviteur l’apprend, il « se prostern(e) » et commence à le supplier de lui laisser du temps. Il lui adresse cette requête irrationnelle, « prends patience envers moi et je te paierai tout » (18:26). Le roi change d’avis et, « Rempli de compassion… le laissa partir et lui remit la dette » (18:27). Le roi est « rempli compassion » (cette expression est également employée pour désigner les émotions et les actes de Jésus en 9:36, 14:14, 15:32 et 20:34), et lui remet entièrement sa dette.
La deuxième scène décrit le comportement inattendu, inexplicable et méchant du serviteur pardonné. Aucun mot exprimant la gratitude n’est mentionné. Au contraire, la première chose qu’il fait, c’est aller trouver « un de ses compagnons qui lui devait 100 pièces d’argent » pour le saisir violemment (« Il l’attrapa à la gorge et se mit à l’étrangler en disant : ‘Paie ce que tu me dois’ » 18:28). Le roi lui a remis sa dette de 10 000 sacs d’argent (60 000 000 pièces d’argent) ; son compagnon lui doit seulement 100 pièces d’argent, environ quatre mois de salaire d’un ouvrier moyen. Ce serviteur endetté fait et dit alors exactement la même chose que le serviteur pardonné un peu plus tôt : « Son compagnon tomba [à ses pieds] en le suppliant : ‘Prends patience envers moi et je te paierai’ » (18:29). Pourtant, au lieu de se remémorer la miséricorde dont il vient de bénéficier, il « ne voulut pas » effacer sa dette et « alla le faire jeter en prison jusqu’à ce qu’il ait payé ce qu’il devait » (18:30).
Ces deux premières scènes pourraient résumées en ces termes : « Soyez donc miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux » (Luc 6:36). Ceux qui sont pardonnés par Dieu pardonnent aux autres. La troisième scène détaille la réaction du roi devant ce qui s’est passé entre ses deux sujets. Il a fait venir l’homme pardonné et l’a condamné : « ‘Méchant serviteur, je t’avais remis en entier ta dette parce que tu m’en avais supplié. Ne devais-tu pas, toi aussi, avoir pitié de ton compagnon comme j’ai eu pitié de toi ?’ Et son maître, irrité, le livra aux bourreaux jusqu’à ce qu’il ait payé tout ce qu’il devait » (Mt 18:32–34). Payer ce qu’il devait peut vouloir dire qu’il sera à nouveau pardonné une fois qu’il aura lui-même pardonné (6:14–15). Ou plus probablement que la dette, qui ne peut pas être payée, symbolise l’ « enfer de feu » ou la « peine éternelle » (18:9 ; 25:46). Il est condamné à la prison des débiteurs pour l’éternité ! L’avertissement est sérieux, le propos sans ambigüité. « C’est ainsi que mon Père céleste vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère de tout son cœur » (18:35).
Le divorce (19:1–12)
Jésus se déplace à nouveau (« il quitta la Galilée et alla dans le territoire de la Judée, de l’autre côté du Jourdain », 19:1 -ce verset marque la fin de son ministère en Galilée qui a commencé en 4:12). Il délaisse provisoirement son ministère d’enseignement (« Lorsque Jésus eut fini de prononcer ces paroles », 19:1) pour son ministère de guérison : « De grandes foules le suivirent, et là il guérit les malades » (19:2). Lorsque les pharisiens le poussent à enseigner, il introduit la septième leçon de cette section plus vaste qui englobe les thèmes du mariage, du divorce et du célibat.
Ils essayent de « lui tendre un piège » théologique, en lui demandant : « Est-il permis à un homme de divorcer de sa femme pour n’importe quel motif ? » (19:3). Replacée dans son contexte, c’est-à-dire après que Jésus a guéri « De grandes foules » (19:2), cette question confirme leur aveuglement spirituel et leurs intentions diaboliques. Au lieu de l’interroger sur ses pouvoirs miraculeux, ils le questionnent sur le divorce pour voir de quel côté du débat il se rangerait. Le courant conservateur, représenté par le Rabbin Shammaï, considérait que l’expression « quelque chose de honteux » mentionnée en Deutéronome 24:1 (« Lorsqu’un homme a pris et épousé une femme qui viendrait à ne pas trouver grâce à ses yeux parce qu’il a découvert en elle quelque chose de honteux, il écrit pour elle une lettre de divorce ») désignait l’« infidélité sexuelle », alors que le courant libéral, représenté par le Rabbin Hillel, considérait que les mots « quelque chose » faisaient référence à n’importe quel manquement, y compris quelque chose d’aussi futile que de laisser brûler un repas. Les pharisiens espéraient très probablement que Jésus serait d’accord avec les conservateurs car cela le placerait dans une position délicate. Rappelez-vous ce que Hérode a fait à l’homme qui l’avait averti, « Il ne t’est pas permis d’avoir pour femme l’épouse de ton frère » (Marc 6:18) ?
Jésus se range du côté des conservateurs (Mt 19:9) et maintenant que Jérusalem est devant lui, il sait que le sort de Jean-Baptiste l’attend lui aussi. Il répond à leur question en remettant en question leur connaissance des Écritures (« N’avez-vous pas lu ? ») à propos des premières paroles de Dieu concernant le mariage, paroles qui ont font la fondation (« que le Créateur, au commencement, a fait l’homme et la femme et qu’il a dit : ‘C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et les deux ne feront qu’un’ » ? 19:4–5). D’après Genèse 1:27, auquel il fait allusion, et Genèse 2:24, qu’il cite, il n’existait dans le paradis aucune disposition relative au divorce parce que Dieu considérait que le mariage entre un homme et une femme était pour la vie. Continuant à paraphraser Genèse, il se concentre sur la nature de l’unité instituée par Dieu et met en garde contre le fait de briser cette unité (« Ainsi, ils ne sont plus deux mais ne font qu’un. Que l’homme ne sépare donc pas ce que Dieu a uni » Mt 19:6).
Les pharisiens ripostent aussitôt avec une seconde question s’appuyant directement sur Deutéronome 24:1, « Pourquoi donc, lui dirent-ils, Moïse a-t-il prescrit de donner une lettre de divorce à la femme lorsqu’on la renvoie ? » En réponse, Jésus leur apporte une double correction : « Il leur répondit : «C’est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de divorcer de vos femmes; au commencement, ce n’était pas le cas.» » (Mt 19:8). Premièrement, il corrige leur vocabulaire. Moïse n’a pas prescrit le divorce, il l’a permis. Dans Deutéronome 24:1–4, il déclare qui si un homme divorce de sa femme puis qu’elle se remarie et que le deuxième mari divorce d’elle, elle ne peut pas retourner épouser son premier mari. La loi vise à corriger la vision du premier mari, en l’avertissant de ne pas divorcer précipitamment. Deuxièmement, même si Moïse a effectivement permis le divorce, c’est seulement en réponse au péché humain. Le divorce n’a jamais été l’intention initiale. Les disciples doivent méditer Genèse 2 avant d’appliquer Deutéronome 24.
Jésus clôt le débat par sa déclaration pleine d’autorité (l’Écriture dit, 19:4, 5, 8, devient maintenant « je vous le dis » 19:9a) : « … celui qui renvoie sa femme, sauf pour cause d’infidélité, et qui en épouse une autre commet un adultère » (19:9b). Cette réponse suscite la réaction honnête de ses disciples, « Si telle est la condition de l’homme vis-à-vis de la femme, il vaut mieux ne pas se marier » (19:10). Jésus ne les corrige pas et ne fait pas un séminaire sur le thème « Comment préserver un mariage sain ». Au contraire, il s’attarde sur la question qu’ils ont soulevé : le célibat. Il loue les célibataires et leur lance un appel : « Tous ne comprennent pas cette parole, mais seulement ceux à qui cela est donné. En effet, il y a des eunuques qui le sont dès le ventre de leur mère [une anomalie congénitale affectant un organe sexuel], d’autres le sont devenus par les hommes [par exemple, par castration pour surveiller le harem d’un roi], et il y en a qui se sont faits eux-mêmes eunuques [au sens spirituel et non pas physique, par une décision volontaire de rester célibataire] à cause du royaume des cieux. Que celui qui peut comprendre comprenne » (19:11–12). Le célibat pour le royaume est un cadeau de Dieu qui ne peut être reçu que par celui à qui Dieu le fait.
Les derniers seront les premiers (19:13–20:19)
La huitième leçon, qui s’étend de Matthieu 19:13 à Matthieu 20:19, est résumée par Jésus en 20:16 (« les derniers seront les premiers et les premiers seront les derniers »), en 19:30 (« Bien des premiers seront les derniers et bien des derniers seront les premiers ») et en 20:27 (« si quelqu’un veut être le premier parmi vous, qu’il soit votre esclave »). Alors que Jésus annonce sa mort pour la troisième fois (« Nous montons à Jérusalem et le Fils de l’homme sera livré aux chefs des prêtres et aux spécialistes de la loi. Ils le condamneront à mort et le livreront aux non-Juifs pour qu’ils se moquent de lui, le fouettent et le crucifient ; le troisième jour il ressuscitera » 20:18–19), il donne des enseignements et propose des images sur le thème de l’humilité, en rapport notamment avec l’entrée dans le royaume.
19:13–30 Comme cela est relaté dans Matthieu 19:13–30, Jésus commence en dressant un parallèle entre les petits enfants qui viennent à lui (19:13–15) et l’homme riche qui a refusé de le suivre (19:22). Jésus accueille les enfants parce qu’ils représentent tout ce qui est nécessaire pour pouvoir entrer dans le royaume (« Laissez les petits enfants, ne les empêchez pas de venir à moi, car le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent », 19:14). Auparavant, Jésus a expliqué en quoi les enfants qui venaient à lui illustraient la manière d’entrer dans le royaume. Il a parlé de don divin (« Je te suis reconnaissant, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents et les as révélées aux enfants », 11:25) et d’humilité (« Je vous le dis en vérité, si vous ne vous convertissez pas et si vous ne devenez pas comme les petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. C’est pourquoi, celui qui se rendra humble comme ce petit enfant sera le plus grand dans le royaume des cieux » 18:2–4).
L’homme riche est diamétralement opposé aux enfants. Bien qu’il vienne lui aussi à Christ (ce qui est bien) et reconnaisse son besoin (« Maître, que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle ? » 19:16), il ne reconnaît pas Jésus comme « Seigneur » et ne comprend pas que Dieu seul est bon et qu’il ne peut rien « faire de bon » pour obtenir la « vie éternelle ». Il faut recevoir « le royaume de Dieu comme un petit enfant » (Marc 10:15). Du reste, il ne se repent ni de son idolâtrie ni de son amour de l’argent.
Jésus lui rappelle que Dieu seul est bon (« Pourquoi m’appelles-tu bon ? Personne n’est bon, si ce n’est Dieu seul. » Mt 19:17a) puis examine si la vie de cet homme est conforme à la loi. Jésus énumère quelques-uns des Dix commandements (« Tu ne commettras pas de meurtre ; tu ne commettras pas d’adultère ; tu ne commettras pas de vol; tu ne porteras pas de faux témoignage; honore ton père et ta mère ») et résume ensuite la seconde moitié de la loi, « tu aimeras ton prochain comme toi-même » (19:18–19 ; citant Lv 19:18). Sans hésiter, le « jeune homme » répond, « J’ai respecté tous ces commandements [dès ma jeunesse]. Que me manque-t-il encore ? » (Mt 19:20). Quel orgueil teinté d’ignorance ! Il ignore, par exemple, ce que Jésus a enseigné dans le Sermon sur la montagne à propos des pensées lubriques, d’un cœur plein de haine et de l’impossibilité de servir à la fois Dieu et l’argent. Il n’a pas parfaitement respecté la loi.
Jésus rebondit ensuite sur le premier et le dixième commandement : « Si tu veux être parfait, va vendre ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel. Puis viens et suis-moi » (19:21). Cet homme n’obéit pas (« Lorsqu’il entendit cette parole, le jeune homme s’en alla tout triste ») parce qu’il aimait ses « grands biens » (19:22) plus que Dieu et son prochain.
L’homme riche savait qu’il lui manquait quelque chose. Ceci explique pourquoi il adresse cette question à Jésus. Mais il pensait que ce qui lui manquait pouvait simplement être ajouté à sa vie. Or, ce qui lui manquait, c’était dépendre de Christ comme un petit enfant. Ainsi, notre Seigneur, qui cherchait à amener cet homme riche et maître de sa propre vie à ce stade de dépendance, l’a mis à l’épreuve afin qu’il se détache de ses richesses (« va vendre ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres ») et lâche les rênes de sa vie (« viens et suis-moi »). Dans ce passage, notre Seigneur ne nous demande pas de donner l’aumône (donner quelque chose à quelqu’un) mais de tout lui donner et tout donner aux autres.20
Comme l’homme s’en va, Jésus instruit ses disciples sur le danger des richesses et la nécessité de chercher premièrement le royaume de Dieu : « Je vous le dis en vérité, il est difficile à un riche d’entrer dans le royaume des cieux. Je vous le dis encore, il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu » (19:23–24). Les disciples sont interloqués par ce qu’ils entendent. « Quand les disciples entendirent cela, ils furent très étonnés et dirent : « Qui peut donc être sauvé ?» » (19:25). Ils sont arrivés à la conclusion que, si un homme bon (fidèle à la loi) et riche (béni par Dieu) ne pouvait pas entrer dans le royaume, alors qui le pouvait ? Jésus répond en des termes absolus que le salut est monergistique [NDT : cela signifie que Dieu est le seul acteur de notre salut] : « Aux hommes cela [= entrer dans le royaume en faisant des bonnes œuvres] est impossible, mais à Dieu tout est possible » (19:26). Cette impossibilité qui est rendue possible est expliquée dans le détail en 20:18–19. Voici comment un chameau peut passer par un trou d’aiguille : « le Fils de l’homme sera livré aux chefs des prêtres et aux spécialistes de la loi. Ils le condamneront à mort et le livreront aux non-Juifs pour qu’ils se moquent de lui, le fouettent et le crucifient ; le troisième jour il ressuscitera. » Jésus meurt pour le pardon des péchés. Jésus ressuscite et reçoit tout pouvoir. Et les pécheurs, par la repentance et la foi, reçoivent le pardon des péchés en son nom.
Pierre répond à cette affirmation de Jésus, « Aux hommes cela est impossible, mais à Dieu tout est possible » (19:26), de façon puérile mais aussi à la manière d’un enfant : « Voici, nous avons tout quitté et nous t’avons suivi. Que se passera-t-il pour nous ? » Ce qu’il dit est puéril en ce que les enseignements de Jésus ci-dessus n’évoquent pas quelque chose à gagner par loyauté envers le Seigneur. Mais il parle à la manière d’un enfant en ce sens que les paroles de Pierre sont vraies. Les apôtres ont définitivement quitté leur travail, ils ont aussi laissé leurs maisons et leurs familles pour un peu de temps, prêtant une allégeance totale à Jésus et dépendant entièrement de lui. Jésus fait l’éloge de cette foi d’enfant avec ces mots réconfortants : « Je vous le dis en vérité, quand le Fils de l’homme, au renouvellement de toutes choses, sera assis sur son trône de gloire, vous qui m’avez suivi, vous serez de même assis sur douze trônes et vous jugerez les douze tribus d’Israël. Et toute personne qui aura quitté à cause de moi ses maisons ou ses frères, ses sœurs, son père, sa mère, sa femme, ses enfants ou ses terres, recevra le centuple et héritera de la vie éternelle. Bien des premiers seront les derniers et bien des derniers seront les premiers » (19:28–30). Parce que les apôtres ont mis Jésus à la première place, lorsque Jésus montera au ciel pour gouverner son royaume sur la nouvelle terre, les douze apôtres gouverneront avec lui en jugeant le reste fidèle d’Israël.
20:1–19 Jésus explique cette question des premiers qui seront les derniers dans la parabole des ouvriers dans la vigne (20:1–16), qui se termine sur ces mots : « Ainsi les derniers seront les premiers et les premiers seront les derniers. » En résumé, la parabole enseigne deux types de réactions appropriées au cadeau du salut de Dieu. Premièrement, les disciples ne doivent pas se plaindre d’une grâce imméritée. Deuxièmement, les disciples ne doivent pas en vouloir à Dieu de faire preuve d’une générosité inégale.
Dans cette parabole, le « propriétaire » représente Dieu, et les « ouvriers pour sa vigne » représentent les disciples de Jésus (20:1). Le propriétaire promet « une pièce d’argent par jour » aux ouvriers (20:2). Il loue des ouvriers à cinq heures différentes : tôt le matin, à la troisième heure (9 h), à la sixième heure (midi), à la neuvième heure (15 h) et à la onzième heure (17 h). Il donne du travail aux désœuvrés, ce qui fait probablement référence à la moisson de l’Évangile. Jésus continue, « Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : ‘Appelle les ouvriers et paie-leur le salaire, en allant des derniers aux premiers.’ Ceux de cinq heures de l’après-midi vinrent et reçurent chacun une pièce d’argent. Quand les premiers vinrent à leur tour, ils pensèrent recevoir davantage, mais ils reçurent aussi chacun une pièce d’argent » (20:8–10). Leur attitude jalouse s’est répercutée sur leurs actions. Quand ils ont reçu leur salaire, « ils murmurèrent contre le propriétaire en disant : ‘Ces derniers arrivés n’ont travaillé qu’une heure et tu les as traités comme nous, qui avons supporté la fatigue du jour et de la chaleur !’ » (20:11–12).
Quelle réaction inappropriée à la grâce ! Les premiers ouvriers n’ont pas mérité d’avoir été choisis par le propriétaire, pas plus que les derniers. Jésus poursuit en expliquant à l’un d’entre eux que le propriétaire n’a pas commis d’injustice : ‘Mon ami, je ne te fais pas de tort. N’as-tu pas été d’accord avec moi pour un salaire d’une pièce d’argent ? Prends ce qui te revient et va-t’en. Je veux donner à ce dernier arrivé autant qu’à toi. Ne m’est-il pas permis de faire ce que je veux de mes biens ? Ou vois-tu d’un mauvais œil que je sois bon ?’ (20:13b–15). Le don du salut de Dieu est juste (il fera « ce qui sera juste », 20:4 ; et ne fera « pas de tort », 20:13). Comme le résume R. T. France : « Personne ne reçoit moins que ce qu’il mérite, mais certains reçoivent bien plus ».21
La véritable grandeur dans le royaume (20:20–28)
La neuvième leçon s’attarde sur ce thème des premiers et des derniers, plus particulièrement en lien avec la grandeur dans le royaume. En quoi consiste cette leçon ? Dans le royaume des cieux « si quelqu’un veut être le premier parmi vous, qu’il soit votre esclave », c’est-à-dire le « dernier » (20:27). Le contexte est le suivant : « la mère des fils de Zébédée » demande respectueusement à Jésus de promettre à Jacques et Jean qu’ils auront l’honneur suprême d’être « assis l’un à ta droite et l’autre à ta gauche » dans son royaume (20:20–21).
« Jésus répondit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire [ou être baptisés du baptême dont je vais être baptisé] ?» « Nous le pouvons », dirent-ils » (20:22). Il n’est pas particulièrement reluisant de demander à leur mère de poser la question à leur place, et leur ambition est certainement teintée d’orgueil. Il n’en demeure pas moins qu’ils croient que le royaume de Jésus vaincra et ils sont prêts à souffrir pour cela. Jésus reconnaît qu’ils partageront effectivement ses souffrances (« Vous boirez en effet ma coupe »), mais il n’accède pas à leur demande car le fait d’être assis à sa droite et à sa gauche « ne dépend pas » de lui (20:23a). Il s’agit de la prérogative de son Père (« ne sera donné qu’à ceux pour qui mon Père l’a préparé », 20:23b).
Lorsque les dix autres apôtres ont entendu la requête de Jacques et de Jean, ils « furent indignés contre les deux frères » (20:24). Leur colère découlait de leur propre soif d’ambition et d’honneur. C’est pourquoi Jésus les a tous repris et instruits. Ils ne doivent pas agir comme les dirigeants païens : « Vous savez que les chefs des nations dominent sur elles et que les grands les tiennent sous leur pouvoir. Ce ne sera pas le cas au milieu de vous » (20:25–26a). Ils doivent au contraire imiter le sacrifice personnel de Jésus. Le parallèle établi met en avant un paradoxe :
si quelqu’un veut être grand parmi vous
il sera votre serviteur
si quelqu’un veut être le premier parmi vous,
qu’il soit votre esclave
Pour Jésus, la grandeur consiste à servir les autres. Ce paradoxe est aussi radicalement contre-culturel que le sacrifice personnel de Jésus pour les autres est profondément contre-intuitif : « C’est ainsi que le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup » (20:28). Le fait que le Fils de l’homme, la figure royale décrite dans Daniel 7:13–14, soit « venu. . . pour servir » est saisissant ; le fait que le Fils de l’homme, qui règnera sur un royaume éternel, soit « venu. . . donner sa vie » (mourir ! voir les termes « mort », 20:18 ; « crucifient », 20:19) l’est tout autant. Pour Matthieu, le mystère de la croix est le paradoxe du Fils de l’homme et du Serviteur souffrant réunis en une seule personne.
L’identité de Jésus (qui il est) est aussi importante que sa mission (ce qu’il a accompli). Sa mission peut être résumée en trois petits mots tirés de l’expression « en rançon pour beaucoup » (20:28). Le terme « rançon » décrit la mort de Jésus comme un paiement pour libérer les pécheurs. Ce paiement revêt un caractère substitutif. La préposition « pour » pourrait être traduite « à la place de ». Jésus a bu la coupe de la colère divine à la place de ses disciples (« la coupe que je vais boire », 20:22 ; « ma coupe », 20:23 ; « que cette coupe s’éloigne de moi », 26:39 ; cf. Ps 75:8 ; Es 51:17). Cette expiation est pour « beaucoup », une référence aux élus de Dieu (le Serviteur a été « frappé à cause de la révolte de mon peuple », il a « porté le péché de beaucoup d’hommes », Es 53:8, 12 ; cf. Mt 1:21).
« Seigneur, Fils de David ! » (20:29–34).
La dixième leçon se concentre sur la christologie, la manière dont les disciples doivent considérer Jésus. Tout au long de Matthieu 17:24–20:34, l’identité de Jésus nous est révélée. Qui d’autre que le Fils de Dieu peut savoir qu’un poisson a avalé un statère (la somme exacte nécessaire pour payer l’impôt du temple) et qu’il s’agirait du premier poisson pêché par Pierre (17:27) ? Qui d’autre que le Fils de Dieu peut être le moyen par lequel la dette de l’humanité, qui se chiffre en milliards de milliards de dollars, est effacée (voir 18:27 ; 20:28) ? Qui d’autre que le Fils de Dieu viendra juger le monde et régner sur lui (19:28) ?
Cette section concernant l’identité de Jésus se termine par un point d’exclamation. Deux aveugles reconnaissent Jésus pour qui il est. Jésus se rend de Jéricho à Jérusalem quand « Deux aveugles, assis au bord du chemin. . . crièrent : « Aie pitié de nous, Seigneur, Fils de David !» » (20:29–30). La foule les reprend et cherche à les faire taire. Au lieu de se plier aux exigences de la foule, ils persévèrent dans leur prière, « Aie pitié de nous, Seigneur, Fils de David ! » (20:31). Jésus s’arrête (« s’arrêta » -voir Ps 146:8), les appelle, les écoute (« Que voulez-vous que je fasse pour vous? »/« Seigneur, que nos yeux s’ouvrent »), et les guérit (« Rempli de compassion, Jésus toucha leurs yeux; aussitôt ils retrouvèrent la vue et ils le suivirent », Mt 20:33–34).
Ces aveugles incarnent trois aspects essentiels de la vie de disciple. Premièrement, ils reconnaissent à juste titre Jésus comme le Messie promis (« Fils de David », 2x) et le « Seigneur » (3x) plein de compassion, un lien que Jésus établit lui-même (22:41–45). Sans une once de honte, ils confessent Jésus devant les autres (Mt 10:32). Deuxièmement, ils implorent sa grâce. Troisièmement, ils suivent Jésus. Marc ajoute « sur le chemin » (Marc 10:52), c’est-à-dire sur le chemin qui mène à la croix (Mt 20:18, 19, 28).
Ô Jérusalem ! (21:1–46)
L’entrée triomphale (21:1–11)
Ce voyage qui le conduira à la croix (« Lorsqu’ils approchèrent de Jérusalem ») s’interrompt provisoirement à « Bethphagé » (21:1), où deux prédictions sont accomplies. La première est une prédiction de Jésus. Il envoie deux des douze en ville et leur assure que, dès qu’ils arriveront (« tout de suite »), ils trouveront « une ânesse attachée et un ânon avec elle » (21:2a). Leur mission est simple : « détachez-les et amenez-les-moi » (21:2b). Deuxièmement, la réalisation de cette prédiction (Mt 21:6–7) constitue l’accomplissement d’une prophétie antérieure :
« Or [tout] ceci arriva afin que s’accomplisse ce que le prophète avait annoncé :
Dites à la fille de Sion : ‘Voici ton roi qui vient à toi, plein de douceur et monté sur un âne, sur un ânon, le petit d’une ânesse’ » (21:4–5).
La citation ci-dessus est tirée de Zacharie 9:9. Dans Zacharie 9:9–10, le prophète exhorte le peuple de Dieu à célébrer la promesse d’un roi juste qui viendra apporter la délivrance. Ce qui est inhabituel, c’est que ce roi arrive non pas sur une monture de guerre mais sur un ânon humble et modeste. Cette promesse étrange est accomplie en Jésus ! Jésus monte sur l’animal indompté (« le petit d’une ânesse », Jean 12:14) et le dompte (comme le vent et les vagues un peu plus tôt !) tandis qu’il se dirige vers la ville sainte.
Dans la Vallée du Cédron, en face du Mont du Temple. Dôme du Rocher visible au-dessus de la muraille de Jérusalem, et mont des Oliviers en arrière-plan.
Jésus purifie le temple (21:12–16)
Ce faisant, « Une grande foule de gens » (Mt 21:8a) qui se rendait à Jérusalem pour la Pâque se met à louer spontanément Jésus en tant que Messie. Ils « étendirent leurs vêtements sur le chemin ; d’autres coupèrent des branches aux arbres et en jonchèrent la route. Ceux qui précédaient et ceux qui suivaient Jésus criaient : « Hosanna au Fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna dans les lieux très hauts ! » (21:8–9 ; citant Ps 118:25–26). Cette célébration s’est probablement étendue sur près de deux kilomètres et l’enthousiasme autour de Jésus s’est amplifié avec l’altitude. En effet, « Lorsqu’il entra dans Jérusalem, toute la ville fut troublée. On disait : « Qui est cet homme ?» La foule répondait : « C’est Jésus, le prophète de Nazareth en Galilée.» » (Mt 21:10–11). Ils ont raison. Jésus a grandi à Nazareth et est effectivement « le prophète » (Dt 18:15). Mais il est bien plus que la voix de Dieu tant attendue (« écoutez-le », Mt 17:5) et que le souverain promis envoyé par Dieu (« fils de David »). Il est, comme je l’ai indiqué ailleurs, « le Fils de Dieu sur le petit d’une ânesse [un ânon], celui qui est venu pour nous sauver (1:21) » ou, comme Bruner l’a exprimé de façon merveilleuse, « le Seigneur revêtu d’humilité, Dieu fait homme. . . . Emmanuel . . . le vrai Dieu-avec-nous présent sous une forme authentiquement humaine , à notre niveau : Dieu sur un ânon. »22 Jésus est venu pour sauver, « Hosanna ».
Mais avant de sauver son peuple humble, il juge les présomptueux. Jésus entre dans le temple et, marchant dans le parvis des non-Juifs, il « chassa tous ceux qui vendaient et qui achetaient dans le temple, et il renversa les tables des changeurs de monnaie et les sièges des vendeurs de pigeons » (21:12). Il a fait cela parce que ces personnes enfreignaient la loi de Dieu. D’après Deutéronome 12:5–7, les gens devaient apporter des animaux de leur propre troupeau en vue du sacrifice, et non pas les acheter dans le temple. Le temple n’est pas un marché. Le parvis des non-Juifs n’est pas un endroit où les Juifs et les prosélytes peuvent acheter, au prix fort, un animal « agréé ». Citant en partie Ésaïe 56:7, Jésus déclare, « Il est écrit: ‘Mon temple sera appelé une maison de prière’, mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs » (21:13). Comme cela apparaît dans Marc 11:17, ce verset d’Ésaïe se termine par les mots « pour toutes les nations ». Jésus n’est pas venu pour débarrasser le saint temple des païens impurs. Au contraire, accomplissant l’alliance abrahamique, il a purifié le temple pour les païens et non pas des païens. Le temple ne doit pas être un lieu où les hypocrites peuvent se cacher (« une caverne de voleurs », voir Jr 7:1–11) dans leur fausse sécurité religieuse. Ceux qui sont agréables à Dieu se rendent au temple pour prier. Ceux qui sont agréables à Dieu porteront du fruit de repentance. Et ceux qui reconnaissent ce que Dieu accomplit maintenant en Jésus viendront à lui. C’est précisément ce que font « Des aveugles et des boiteux » ; ils « s’approchèrent de lui dans le temple, et il les guérit » (Mt 21:14). Ils vont eux aussi louer Jésus, tout comme les enfants dans le temple qui ont crié « Hosanna au Fils de David ! » (21:15).
Le Mur occidental est un mur de soutènement du second temple d’Hérode
Bien entendu, un tel comportement n’est pas bien accueilli par « les chefs des prêtres et les spécialistes de la loi » (21:15) qui, fous de rage (« indignés », 21:15), demandent à Jésus, « Entends-tu ce qu’ils disent? » (21:16a). Jésus entend. Et il est d’accord. Citant le Psaume 8:2, il répond, « Oui ». « N’avez-vous jamais lu ces paroles : ‘Tu as tiré des louanges de la bouche des enfants et des nourrissons’? » C’est remarquable. Non seulement Jésus accepte ce titre messianique (« Fils de David ») et les louanges (« Hosanna »), mais il cite un psaume parlant des enfants qui louent YHWH et applique ces louanges à lui-même.
Jésus maudit un figuier stérile (21:17–22)
Après avoir quitté le temple, Jésus séjourne à quelques kilomètres de là, à Béthanie, puis retourne à Jérusalem le lendemain matin. Matthieu rapporte que Jésus avait faim (Mt 21:17–18). Ce qui arrive ensuite est aussi inattendu que la purification du temple. Jésus repère un figuier au bord du chemin, s’approche de lui et voit qu’il n’a pas de fruit (« il n’y trouva que des feuilles », 21:19a). Alors, voyant ce figuier stérile, il l’a maudit (« Que jamais plus tu ne portes de fruit ! »), une malédiction qui a entraîné sa mort (« Le figuier sécha immédiatement », 21:19b). Le figuier séché était une illustration du temple stérile. Le temple avait beau fourmiller d’activités religieuses, il était spirituellement mort. Les feuilles étaient vertes. Il aurait dû y avoir du fruit. Mais il n’y en avait pas. Et tout comme Jésus a détruit le figuier stérile, Israël et son culte dans le temple allaient être détruits.
En lien avec le culte dans le temple, sujet développé par Paul et d’autres auteurs du Nouveau Testament, Jésus utilise l’arbre flétri pour donner une leçon sur la vie de disciple. Matthieu déclare : « Voyant cela, les disciples furent étonnés et dirent : « Comment ce figuier a-t-il pu devenir immédiatement sec ?» » (21:20). La réponse de Jésus met l’accent sur la foi : « Jésus leur dit alors : « Je vous le dis en vérité, si vous avez de la foi et que vous ne doutez pas, non seulement vous ferez ce qui a été fait à ce figuier, mais même si vous dites à cette montagne : ‘Retire-toi de là et jette-toi dans la mer’, cela arrivera. Tout ce que vous demanderez avec foi par la prière, vous le recevrez.» » (21:21–22). J’ai intitulé ailleurs les versets 12 à 20 « Le culte dans le temple : infidélité et stérilité » et les versets 21 à 22 « Le culte dans le temple : fidélité et fertilité »,23. J’ai posé trois questions à propos des deux derniers versets. Voici mes réponses.
Q. La foi en qui ?
R. Suivez l’exemple des enfants ! Jésus le fils de David.
Q. Quel est le lieu où adorer ?
R. Pas dans le temple (il sera bientôt détruit, 23:38), mais en la personne de Jésus qui, par sa mort et sa résurrection (27:51 ; 28:20), devient le nouveau temple, un temple éternel. Il est effectivement « plus grand que le temple » (12:6). Il est le grand-prêtre, le sacrifice d’expiation et la glorieuse présence de Dieu.
Q. La foi pour quoi ?
R. Pour « tout » (21:22). Si le croyant prie avec confiance et en s’attendant à Dieu par Jésus, Dieu exaucera même l’impossible. Même la montagne du temple pourrait se jeter dans la mer !
Par quelle autorité ? (21:23–27)
Le verset 23 décrit le retour de Jésus au temple et le thème central est donc encore une fois Jésus et le temple. Le thème de l’autorité de Jésus et de l’opposition des chefs religieux réapparaît également : « pendant qu’il enseignait, les chefs des prêtres et les anciens du peuple vinrent lui dire : « Par quelle autorité fais-tu ces choses, et qui t’a donné cette autorité ?» » Ils ne l’interrogent pas sur le contenu de son enseignement, mais sur ses actes (« fais-tu ces choses »). Quelles sont les « choses » que Jésus a faites la veille ? Il a renversé des tables, a chassé des personnes qui se livraient à du racket religieux, a accueilli les pauvres dans le parvis des non-Juifs pour qu’ils puissent le toucher et être guéris et a reçu des louanges de la bouche des enfants.
Les autorités du temple (« les chefs des prêtres et les anciens du peuple ») posent une question accusatrice, la première de quatre questions formulées par quatre personnes différentes (21:23–22:46). Jésus y répond également par une question : « Je vous poserai moi aussi une question et, si vous m’y répondez, je vous dirai par quelle autorité je fais ces choses. Le baptême de Jean, d’où venait-il ? Du ciel ou des hommes ? » (21:24–25). La réponse devrait être évidente, mais elle ne l’était pas pour eux. Ils ont discuté entre eux. D’un côté, s’ils admettent que Jean a été envoyé par Dieu (« Si nous répondons : ‘Du ciel’ »), Jésus leur répondra, « Pourquoi donc n’avez-vous pas cru en lui ? » (21:25) ; d’un autre côté, s’ils déclarent que Jean n’a pas été envoyé par Dieu (mais simplement envoyé par « des hommes »), ils craignent de perdre le soutien de la population (« car tous considèrent Jean comme un prophète », 21:26). Ils n’ont pris aucun risque et ont préféré retenir leur langue (« ils répondirent à Jésus : « Nous ne savons pas » « ). Jésus a fait de même (« Moi non plus, je ne vous dirai pas par quelle autorité je fais ces choses », 21:27). Pour Jésus, s’ils étaient incapables de faire preuve du moindre discernement en reconnaissant que Jean venait du ciel, ils étaient naturellement incapables de se prononcer sur son identité et sur la source de son autorité.
La parabole des deux fils (21:28–32)
Jésus prolonge ensuite sa réponse évasive avec deux paraboles qui répondent à la question, « Par quelle autorité ? ». Jésus est le Fils envoyé par Dieu (tel qu’il est présenté dans la parabole des vignerons, 21:33–46) auquel Jean a préparé le chemin (tel qu’il est présenté dans la parabole des deux fils, 21:28–32).
Dans la première petite parabole, Jésus raconte l’histoire d’un père qui avait deux fils. Le père « s’adressa au premier et lui dit : ‘Mon enfant, va travailler aujourd’hui dans ma vigne.’ » (21:28). Le fils a répondu, « ‘Je ne veux pas’ mais, plus tard, il montra du regret et y alla » (21:29). Le deuxième fils a fait le contraire. Il a répondu par l’affirmative (« Je veux bien, seigneur), mais a désobéi (« il n’y alla pas », 21:30). Jésus demande, « Lequel des deux a fait la volonté du père ? » (21:31a). La réponse est évidente : « Ils répondirent : « Le premier.» » (21:31a). Après cette réponse évidente, Jésus leur adresse un reproche inattendu, puis interprète cette parabole : « Je vous le dis en vérité, les collecteurs d’impôts et les prostituées vous précéderont dans le royaume de Dieu, car Jean est venu à vous dans la voie de la justice et vous n’avez pas cru en lui. En revanche, les collecteurs d’impôts et les prostituées ont cru en lui et vous, qui avez vu cela, vous n’avez pas ensuite montré de regret pour croire en lui » (21:31–32). Ainsi, dans la parabole ci-dessus, le père des deux fils symbolise Dieu, le premier fils, les collecteurs d’impôts et les prostituées, et le second, les chefs d’Israël. Tandis que les collecteurs d’impôts et les prostituées ont d’abord refusé d’obéir à la Parole de Dieu, ils ont fini par écouter la voix de Jean, se sont détournés de leur péché et ont suivi Jésus. En revanche, les spécialistes de la loi et les Pharisiens honoraient Dieu des lèvres, prétendant être pleins de zèle dans leur obéissance, et pourtant ils n’ont écouté ni Jean ni Jésus, qui étaient les émissaires autorisés de Dieu.
La parabole des vignerons (21:33–46)
Dans la seconde parabole (la parabole des vignerons, Mt 21:33–41), Jésus donne une explication symbolique et condensée de l’histoire du salut. Le « propriétaire », c’est Dieu (« Il y avait un propriétaire qui planta une vigne », 21:33). Ici comme dans d’autres passages (Es 5:1–2), cette « vigne » symbolise Israël. Les « vignerons » à qui le propriétaire a loué la terre désignent les chefs d’Israël. Leur travail consistait à protéger la terre et à s’assurer que les fruits soient prêts pour la récolte. Les « fruits » (Mt 21:43) représentent le fruit de la repentance (3:8, 10). Les « serviteurs » envoyés par le propriétaire représentent les prophètes, peut-être les premiers prophètes (« il envoya ses serviteurs », 21:34) et les derniers prophètes (« Il envoya encore d’autres serviteurs », 21:36). La brutalité des vignerons à l’égard des serviteurs (« ils battirent l’un, tuèrent l’autre et lapidèrent le troisième », 21:35) symbolisent les persécutions à l’encontre des prophètes. Le « fils » que le propriétaire a envoyé est Jésus, le Fils de Dieu. Au lieu d’être accueilli avec respect par les vignerons (« Ils auront du respect pour mon fils », 21:37), « ils s’emparèrent de lui, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent » (21:39), une description imagée de la passion et de la crucifixion de Jésus. Les chefs d’Israël ont comploté (21:38), l’ont arrêté (21:46) et l’ont tué (21:39) hors de la vigne ou, comme le déclare Hébreux 13:12, « hors de la porte [de la ville] ». Les « autres vignerons » (Mt 22:41) mentionnés dans la réponse des chefs symbolisent « un peuple qui en produira les fruits » (21:43), c’est-à-dire les élus du « royaume de Dieu » (21:43), une nouvelle communauté qui n’est pas définie en des termes ethniques mais spirituels comme rassemblant ceux dont la foi produit du fruit.
La parabole se termine sur cette question de Jésus (« Maintenant, lorsque le maître de la vigne viendra, que fera-t-il à ces vignerons ? » 21:40), et sur la réponse de ses auditeurs, « Il fera périr misérablement ces misérables, et il affermera la vigne à d’autres vignerons, qui lui en donneront le produit au temps de la récolte ». (21:41). Cette réponse est correcte. Elle résume et symbolise le jugement de Dieu à venir, aussi bien le jugement dernier à la fin des temps que le jugement à l’encontre du temple en 70 apr. J.-C.
Comme Jésus le déclare, le Fils de Dieu remplace ce temple fait de main d’homme : « N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : ‘La pierre qu’ont rejetée ceux qui construisaient est devenue la pierre angulaire ; c’est l’œuvre du Seigneur, et c’est un prodige à nos yeux’ » (21:42, citant Ps 118:22–23). Il poursuit, « C’est pourquoi, je vous le dis, le royaume de Dieu vous sera enlevé et sera donné à un peuple qui en produira les fruits. Celui qui tombera sur cette pierre s’y brisera et celui sur qui elle tombera sera écrasé. » (21:43–44). En tant que pierre, Jésus peut sauver ou écraser. Ceux, comme « les chefs des prêtres et les pharisiens » qui ont « entendu ses paraboles », « comprirent que c’était d’eux que Jésus parlait ». Ils l’auraient arrêté s’il n’y avait pas eu la foule (« ils redoutaient les réactions de la foule, parce qu’elle considérait Jésus comme un prophète », 21:45–46), mais ils allaient bientôt prendre la mesure du poids du jugement divin.
Nouvelles questions posées à Jésus (22:1–46)
Plus haut, Jésus répond peut-être à la question centrale de l’évangile de Matthieu (« Par quelle autorité fais-tu ces choses, et qui t’a donné cette autorité ? » 21:23) par deux paraboles dans lesquelles il affirme clairement qu’il est le Fils envoyé du Père et la pierre angulaire que Dieu a placée pour bâtir l’Église.
Matthieu 22 relate quatre épisodes supplémentaires de questions-réponses avec Jésus. La structure de 21:23–22:46 ressemble à ce qui suit :
La parabole du festin des noces (22:1–14)
Ainsi, en 22:1–14, Jésus continue de répondre aux autorités du temple en racontant une troisième parabole pour les fustiger eux et les pharisiens. Ces chefs religieux ressemblent à un fils désobéissant (qui dit qu’il va obéir mais n’obéit pas), à des serviteurs meurtriers (qui iront jusqu’à tuer le fils du propriétaire) et maintenant, dans la parabole du festin des noces, à des invités à un mariage (qui ont refusé de se joindre aux célébrations organisées par le roi à l’occasion du mariage de son fils).
22:1–7 Dans cette parabole, qui se décompose en deux parties, Jésus s’adresse à deux catégories de personnes à deux époques différentes. La première partie de la parabole est une prophétie à propos d’Israël, adressée à Israël, et en particulier aux chefs religieux juifs de l’époque de Jésus. Cette époque se situe entre 33 apr. J.-C. et 70 apr. J.-C. Les personnages (« roi » = Dieu, « son fils » = Jésus, « festin » = banquet messianique, 8:11 ; 26:29 ; « serviteurs » [5x !] = prédicateurs de l’Évangile, « invités », 22:3, 4 = Israël en général et leurs chefs en particulier, « troupes » = armée romaine commandée par Titus mais sous les ordres souverains de Dieu [« ses » troupes]), l’action (les sujets du roi ont rejeté l’invitation au mariage du fils et ont agi avec violence envers ses messagers), et le point culminant (« le roi se mit en colère; il envoya ses troupes, fit mourir ces meurtriers et brûla leur ville », 22:7) décrivent la progression de l’Évangile depuis les débuts du ministère de Jésus jusqu’à la destruction du temple à Jérusalem. Avec patience et persévérance, Dieu a invité son peuple à le rejoindre pour célébrer le banquet messianique de son Fils (« venez aux noces », 22:4). La plupart des Israélites de l’époque de Jésus ont rejeté cette invitation, certains se montrant trop occupés et indifférents (« Mais eux, négligeant l’invitation, s’en allèrent l’un à son champ, un autre à ses affaires », 22:5), d’autres faisant preuve d’une violente indignation (« Les autres s’emparèrent des serviteurs, les maltraitèrent et les tuèrent », 22:6). Face à cette réponse inexplicablement atroce, Dieu a envoyé « ses troupes » pour raser « leur ville » (22:7).
22:8–14 La deuxième partie de la parabole est une prophétie à propos de ce qui arrivera dans « les derniers jours » (Actes 2:17), c’est-à-dire les jours allant de la destruction du temple jusqu’au retour de Christ et au jugement dernier. Comme dans la première moitié de la parabole, la structure est identique :
Invitations (22:2–3a, 4 // 22:8–9, 11–12a)
Réponses (22:3b // 22:10, 12c)
Jugements (22:7 // 22:13b)
Par ailleurs, certains personnages (le roi, les serviteurs) et le décor de l’invitation (des noces) ne changent pas. Mais deux nouveaux types de personnages apparaissent : « les serviteurs » et « les invités ». Les « serviteurs » représentent les anges, qui ligotent les coupables en vue du jugement (22:13 ; cf. Mt 13:41–42) et les « invités » représentent l’Église. Matthieu 22:8–13 est donc une « petite histoire qui symbolise la longue histoire des missions dans le monde : le rassemblement de l’Église mais aussi le jugement de l’Église ».24
Les versets 8 à 10 illustrent le rassemblement réussi de l’Église mixte. La proposition gracieuse du roi, rejetée de façon répétée aux versets 5 et 6, est maintenant acceptée.
« Alors il [Dieu le roi] dit à ses serviteurs [les messagers de l’Évangile] : ‘Les noces [le banquet messianique] sont prêtes, mais les invités [Israël] n’en étaient pas dignes [Actes 13:46]. Allez donc [le Mandat Missionnaire] dans les carrefours et invitez aux noces tous ceux que vous trouverez.’ » Et ces serviteurs sont allés sur les routes et ont rassemblé tous ceux qu’ils ont trouvé, les méchants comme les bons. De sorte que la salle de noces s’est retrouvée remplie d’invités. (Mt 22:8–10)
Matthieu 22:11–13 décrit le jugement de cette congrégation mixte, que Jésus a comparée précédemment à du blé et de la mauvaise herbe (13:24–25) et qu’il comparera plus tard à des brebis et des boucs (25:31–46). Jésus termine sur cette note sombre.
Le roi [Dieu] entra pour voir les invités [l’Église rassemblée au jour du jugement], et il aperçut là un homme qui n’avait pas mis d’habit de noces. « Il lui dit : ‘Mon ami [la prochaine fois que ce terme sera employé, ce sera pour parler de Judas, « Mon ami, ce que tu es venu faire, fais-le », 26:50], comment as-tu pu entrer ici sans avoir d’habit de noces?’ [la foi attestée par des « bonnes œuvres » ou « des œuvres manifestes de justice »,25 voir 25:31–46] ? Cet homme resta la bouche fermée. Alors le roi dit aux serviteurs [les anges] : ‘Attachez-lui les pieds et les mains et jetez-le dans les ténèbres extérieures, où [en enfer] il y aura des pleurs et des grincements de dents [des expressions de honte, de regret et de colère].’ (Mt 22:11–13)
La faute incombe uniquement au pécheur, qui est mis à nu et est condamné à un exil éternel. Pourtant, le contraste présent à la fin de la parabole, « En effet, beaucoup sont invités, mais peu sont choisis » (22:14), souligne la souveraineté divine. Dans ce contexte, le mot « invités » (utilisé en 22:3, 8, 9) signifie le fait d’accepter l’invitation de Dieu aux noces de son Fils par le biais de ses serviteurs. Toutefois, le mot « choisis » n’implique assurément pas la notion d’oisiveté. Pour Jésus, celui qui est choisi agit par la foi. Il aime, obéit, fait des bonnes œuvres et persévère jusqu’à la fin.
Rendez à Dieu (22:15–21)
Les pharisiens, qui ont entendu les paraboles de Jésus et ont réalisé que « c’était d’eux que Jésus parlait » (21:45), ont répondu à la parabole du festin des noces en se réunissant pour se concerter « sur les moyens de prendre Jésus au piège de ses propres paroles » (22:15). Une fois le plan ficelé, « Ils envoyèrent vers lui leurs disciples avec les hérodiens » (22:16a). Les pharisiens et les hérodiens formaient une alliance improbable, dans la mesure où les pharisiens étaient des nationalistes fervents opposés à la domination romaine, tandis que les hérodiens soutenaient et appuyaient la domination romaine dans la Judée d’Hérode. Ils ont fait cause commune contre un même ennemi. En outre, ils avaient l’avantage de représenter les deux points de vue dans le cadre du débat soulevé par la question : « est-il permis, ou non, de payer l’impôt à l’empereur ? » (22:17). Les pharisiens auraient répondu « non » (même s’ils payaient l’impôt) et les hérodiens « oui ». En se liguant, ils voulaient que Jésus réponde « non », afin que les hérodiens puissent l’accuser de vouloir se soustraire à l’impôt (une forme de trahison), ou « oui », ce qui aurait irrité ceux de Jérusalem (c’est-à-dire les pharisiens et leur base) qui ne supportaient pas la domination romaine. « Ils cherchaient à l’arrêter » (21:46).
Jésus, qui est conscient de leur mauvaises intentions (« leur méchanceté », 22:18a), n’est pas dupe de leurs flatteries (22:16b) et de leur piété feinte (leur hypocrisie, 22:18). Il répond : « Pourquoi me tendez-vous un piège, hypocrites ? Montrez-moi la monnaie avec laquelle on paie l’impôt » (22:18–19a). Ils essayent de lui tendre « un piège » mais il les met lui aussi à l’épreuve en leur demandant une pièce païenne alors qu’il se trouve dans le saint « temple » (21:23; 24:1). Ils lui amènent « une pièce de monnaie » (22:19). Jésus n’avait pas de pièce païenne en sa possession. En fait, il avait renversé « les tables des changeurs de monnaie » la veille (21:12). Pourtant, ces chefs juifs ont une pièce romaine sur eux, une pièce sur laquelle apparaît sur une face une femme assise (symbolisant probablement la Pax Romana) et sur l’autre une représentation de Tibère, avec les inscriptions « Dieu et grand-prêtre » et « Tibère César Auguste, fils du divin Auguste. »
Dans le temple, en voyant ces représentations idolâtres et ces inscriptions blasphématoires, Jésus demanda : « De qui porte-t-elle l’effigie et l’inscription ? » (22:20). Ce à quoi ils ont répondu aussitôt : « De l’empereur » (22:21a). La réponse qu’il fit à leur réponse était à la fois simple et logique, elle les a stupéfaits et réduits au silence (« Etonnés de ce qu’ils entendaient, ils le quittèrent et s’en allèrent », 22:22). Alors il leur dit : « Rendez donc [ou restituez, apodote] à l’empereur ce qui est à l’empereur et à Dieu ce qui est à Dieu.» Ils demandent, « est-il permis, ou non, de payer » ou littéralement de « donner à » (dounai) l’empereur ? Jésus déclare en substance, « Allez-y, payez cet impôt parce que si la pièce appartient à César et qu’il veut la récupérer, rendez-la-lui ». Jésus n’est pas anti-gouvernement, et il n’est pas venu pour renverser la domination romaine. De plus, Jésus est pro-Dieu, et il établit le royaume des cieux sur terre par ses paroles et par ses œuvres. Et ceux qui font partie de ce royaume rendent « à Dieu ce qui est à Dieu » (22:21), comme par exemple l’amour venant du cœur et l’obéissance à ses commandements. Si les disciples devaient payer l’impôt (qui s’élevait seulement à quelques pièces d’argent) à César, le fils du soi-disant « divin » Auguste, quand il le demande, ils devaient tout autant donner leur cœur, leur âme, leur esprit et leur force au Dieu Très-Haut.
Le mariage et la résurrection (22:22–33)
Jésus a gagné une manche, mais la partie n’est pas terminée. L’interrogatoire se poursuit quand, « Le même jour », les sadducéens, « qui disent qu’il n’y a pas de résurrection » (22:23, cf. Actes 23:8), lui ont posé une question justement à propos de la résurrection.
Leur devinette se réfère à la loi du lévirat : « Lorsque des frères habiteront ensemble et que l’un d’eux mourra sans laisser d’enfant, la femme du défunt ne se mariera pas en dehors de la famille avec un étranger. C’est son beau-frère qui s’unira à elle, la prendra pour femme et l’épousera comme beau-frère. C’est son beau-frère qui s’unira à elle, la prendra pour femme et l’épousera comme beau-frère. Le premier-né qu’elle mettra au monde succédera au frère mort et portera son nom, afin que ce nom ne soit pas effacé d’Israël » (Dt 25:5–6). Cette loi visait à perpétuer le nom de famille et à apporter une protection sociale et économique à la veuve. Pour les sadducéens, cependant, cette loi était la preuve irréfutable que la notion de résurrection, dans certaines situations, était invraisemblable, voire grotesque.
Jésus a répondu à cette question biblique, délicate sur le plan logique et sournoisement complexe, de manière directe (« Vous êtes dans l’erreur »), puis leur a adressé un double reproche (« parce que vous ne connaissez ni les Écritures, ni la puissance de Dieu » 22:29). Premièrement, Jésus écarte l’idée, sous-tendant leur point de vue, que le mariage humain fait partie des réalités célestes : « En effet, à la résurrection, les hommes et les femmes ne se marieront pas, mais ils seront comme les anges de Dieu dans le ciel » (22:30). « Le célibat sera la structure sociale du ciel, et une dévotion résolue, sa réalité quotidienne. »26 Les humains élus rejoindront les anges élus dans le service parfait de Dieu, la communion parfaite avec lui, et une adoration sans flottement, sans fatigue ni péché. Deuxièmement, Jésus leur reproche leur lecture superficielle de la Torah et formule un commentaire court mais percutant sur Exode 3:16 : « En ce qui concerne la résurrection des morts, n’avez-vous pas lu ce que Dieu vous a dit: ‘Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob’? [Commentaire :] Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants » (Mt 22:31–32).
Au lieu de monter un dossier s’appuyant sur tout un tas de preuves [par exemple, Job 19:25–26 ; Es 26:19 ; Dn 12:2], par ce seul verset, Jésus a rappelé aux sadducéens, dans les termes les plus simples, qu’au cœur de l’alliance se situe la promesse d’une relation réelle, vivante et durable entre YHWH et son peuple. Avec des mots si simples qu’un enfant d’un an pourrait les mémoriser, Jésus ré-ancre les enseignants d’Israël dans Ancien Testament 101, leçon 1 : Puisque la Torah enseigne que Dieu est un Dieu d’alliance, il est inconcevable que les promesses et les bénédictions de Dieu cessent quand son peuple meurt. La compréhension qu’ont les sadducéens de la mort comme la fin de toute chose, sans aucun espoir de résurrection, implique que Dieu est un « Dieu des morts » (cf. 22:32). Jésus leur a rappelé qu’il serait absurde que Dieu s’efforce de protéger son peuple des calamités pendant sa vie, mais qu’il ne le délivre pas de la catastrophe ultime que représente la mort ! Quelle drôle de protection ce serait ! Si la mort a le dernier mot, l’alliance de Dieu a été enfreinte ou rompue.27
Le plus grand commandement (22:34–40)
« La foule qui écoutait » cette réplique magistrale « fut frappée par l’enseignement de Jésus » (22:33). Matthieu ne mentionne aucune réaction de la part des sadducéens, hormis dans sa phrase de transition : « Les pharisiens apprirent qu’il avait réduit au silence les sadducéens. Ils se rassemblèrent » (22:34).
Jésus a réussi à fait taire les saducéens avec ses deux réponses percutantes. Les chefs religieux doivent se replier. Et se concerter à nouveau. Finalement, un expert des Écritures émerge du rang des pharisiens (« Un des spécialistes de la loi », Marc 12:28) : « et l’un d’eux, professeur de la loi, lui posa cette question pour le mettre à l’épreuve: ‘Maître, quel est le plus grand commandement de la loi?’ » (Mt 22:35–36). Ce spécialiste de la loi ne demande pas, « quelles sont les lois dans les Écritures qui doivent être respectées et celles qui peuvent être ignorées », mais « quel est le socle de la loi sur lequel se fondent tous les commandements ? »28
Dans sa réponse, Jésus cite Deutéronome 6:5 et Lévitique 19:18 : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée. C’est le premier commandement et le plus grand. Et voici le deuxième, qui lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (22:37–39). Les commandements de ce double-amour, à savoir la consécration totale à Dieu (« de tout ton cœur…de toute ton âme… et de toute ta pensée ») et l’amour désintéressé qui pousse à aimer de son prochain autant que soi-même, sont les deux fondements inséparables sur lesquels reposent tous les commandements de l’Ancien Testament (« De ces deux commandements dépendent toute la loi et les prophètes » 22:40). La dimension verticale (le commandement d’aimer Dieu) est imbriquée avec la dimension horizontale (le commandement d’aimer les autres) et en découle (cf. 1Jn 4:20–21). Pour Jésus, « le Shema doit être complété et accompli à travers l’amour de son prochain. Il existe donc une distinction entre les deux commandements de l’amour, mais pas une dissociation. Le premier commandement est supérieur au second, et pourtant le premier ne peut pas être honoré si le second n’est pas accompli (et inversement). »29
« Le Seigneur a dit à mon Seigneur » (22:41–46)
Les pharisiens étant regroupés (« Comme les pharisiens se trouvaient rassemblés », 22:41), Jésus saisit cette occasion pour leur poser lui-même une question : « Que pensez-vous du Messie? De qui est-il le fils ? » (22:42a). Ils donnent la réponse orthodoxe attendue, « De David » (22:42b). Le Messie sera issu de la lignée royale de David (2S 7 ; Es 11:1–10 ; Jr 23:5). Mais Jésus veut les faire réfléchir davantage. Il s’appuie dans ce but sur le Psaume 110 pour leur adresser une seconde question : « Comment donc David, animé par l’Esprit, peut-il l’appeler Seigneur lorsqu’il dit : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : ‘Assieds-toi à ma droite jusqu’à ce que j’aie fait de tes ennemis ton marchepied’? Si donc David l’appelle Seigneur, comment peut-il être son fils ? » (22:43–45).
Les pharisiens ont posé une question sur l’impôt, les sadducéens sur la résurrection et le spécialiste de la loi sur la loi. Jésus-Christ interroge quant à lui ses interrogateurs sur la christologie ! Le Messie est un homme, mais est-il plus qu’un simple homme ? Le fils de David selon la chair peut-il aussi être le divin Fils de Dieu (3:17 ; 17:5) ?
Le Psaume 110:1 présente une incohérence apparente : comment David, inspiré par l’Esprit, a-t-il pu écrire que YHWH (le premier « Seigneur » mentionné dans ce passage) invitait un autre ‘Seigneur’ (le second « Seigneur » de ce passage, le « Fils de David » messianique) à s’asseoir à sa droite ? Dans l’Ancien Testament grec, les mots hébreux pour le premier Seigneur (YHWH) et le second Seigneur (Adonaï) sont tous rendus par le terme kyrios. S’il ne doit pas y avoir « d’autres dieux devant » YHWH (Ex 20:3), qui est ce personnage qui s’assoit au même rang que lui ? La seule réponse, que les pharisiens n’ont pas pu donner (« Aucun ne put lui répondre un mot », Mt 22:46), c’est que Jésus est le fils de David et le Seigneur de David et que seul Jésus est à la fois fils de David et Fils de Dieu. La réponse à l’énigme de Jésus se tenait là, au milieu d’eux. Celui qui « est né de la descendance de David » selon la chair est aussi celui qui « du point de vue de l’Esprit saint, a été déclaré Fils de Dieu avec puissance par sa résurrection : Jésus-Christ notre Seigneur » (Rm 1:3–4).
Malheur aux spécialistes de la loi et aux pharisiens (23:1–39)
Ensuite, Jésus passe des questions des chefs religieux juifs à leur dénonciation publique. Il commence son réquisitoire en exhortant « la foule et. . . ses disciples » (Mt 23:1) à prendre garde à leur hypocrisie en lien avec leurs enseignements. Ils ne mettent pas en pratique ce qu’ils prêchent (23:3 ; cf. Rm 2:21–23), et ajoutent des fardeaux insupportables (tels que le nettoyage des coupes, la gradation entre serments, « la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin », Mt 23:23) et des règles qu’ils demandent de respecter sans être d’aucun secours (« Ils lient des fardeaux pesants et les mettent sur les épaules des hommes, mais ils ne veulent pas les remuer du doigt », 23:4).
En revanche, « Toutes leurs actions, ils les font pour se faire remarquer des hommes ». Par exemple, « ils portent de grands phylactères et allongent les franges », s’asseyant aux places d’honneur « dans les festins. . . et dans les synagogues », et « aiment être salués sur les places publiques » (ils aiment « être appelés par les hommes ‘Maître, [Rabbi]’ » 23:5–7). Les disciples de Jésus, au contraire, ne doivent pas se glorifier de tels actes de piété apparente. Pour arriver à dompter leur orgueil, les disciples ne doivent pas accepter les titres pompeux (« ne vous faites pas appeler maître » ou « père ») parce que Christ est leur seul maître (« car un seul est votre maître », « car un seul est votre chef »), et dans le royaume des cieux personne n’est plus important qu’un autre (« et vous êtes tous frères » et « un seul est votre Père, c’est celui qui est au ciel » 23:7–10). Ceux qui sont unis sous la bannière d’un même Dieu (le Père) et d’un même maître (Jésus) sont appelés à vivre selon des normes éthiques contre-culturelles (« Le plus grand parmi vous sera votre serviteur », 23:11) et à recevoir leur récompense en temps voulu (« Celui qui s’élèvera sera abaissé et celui qui s’abaissera sera élevé », 23:12).
En Matthieu 23:13–36, Jésus s’occupe directement du cas des spécialistes de la loi et des pharisiens (l’expression « Malheur à vous » est répétée à sept reprises). Alfred Plummer a comparé ces sept malédictions au « tonnerre qui éclate devant leur dureté péremptoire et à la foudre qui s’abat sur leur prétention implacable. . .. Ils frappent et éclairent tout à la fois. »30 Il s’agit en effet d’une excellente analogie car, dans ces versets, Jésus gronde comme le tonnerre et frappe comme la foudre. Pourtant, la seule métaphore que Jésus utilise pour parler de lui, ce n’est pas celle d’une violente tempête mais d’une tendre mère : « Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés ! Combien de fois j’ai voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous ne l’avez pas voulu ! » (23:37a). Dans les différents récits miraculeux, Jésus est plein de tendresse quand il touche les gens pour les guérir. De même, il est dans ce passage plein de compassion envers le peuple de Dieu, à la fois envers ceux qui refusent de se soumettre à sa domination et envers ceux qui sont aveuglés par des conducteurs aveugles.
Les sept malédictions de Jésus peuvent être regroupées en trois décrets divins de jugement contre les spécialistes de la loi et les pharisiens et d’avertissements pleins d’amour pour ses disciples. S’agissant des disciples, le premier avertissement (Mt 23:15–15) se concentre sur le zèle religieux sans connaissance du royaume.
Le deuxième avertissement de Jésus (Mt 23:16–22) les met en garde contre l’obsession du détail. Les cinq premiers exemples que Jésus donne se rapportent à leur enseignement sur les serments (le terme « jure » est employé dix fois dans les versets 16 à 22, en rapport avec le temple, l’argent du temple, l’autel, l’offrande et le ciel).
Toutes les actions ci-dessus, ainsi que les correctifs et les reproches apportés par Jésus, peuvent se résumer en un seul mot : « aveugles ». Quatre fois, Jésus appelle ces chefs religieux « aveugles », et deux « fois « conducteurs aveugles ». Ces deux termes ne vont pas ensemble. Les chefs sont aveugles parce que les poutres dans leurs yeux sont si grosses qu’elles les empêchent de voir que ce qui compte le plus pour Dieu, c’est d’être franc et de dire la vérité (« Que votre parole soit ‘oui’ pour oui, ‘non’ pour non » Mt 5:33–37).
Dans Matthieu 23:23–24, Jésus cite deux exemples d’obsession du détail. Les spécialistes de la loi et les pharisiens hypocrites versent « la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin », mais négligent « ce qu’il y a de plus important dans la loi : la justice, la bonté et la fidélité », 23:23). C’est comme s’ils s’assuraient avant de boire un verre de vin qu’il a été filtré à travers un tissu fin pour être certain qu’il n’y a pas de petit insecte dedans (« éliminer le moucheron ») mais qu’ils « aval[aient] le chameau » ! (23:24), un animal à la fois grand et impur (Lv 11:4, 23–24, 41). Il s’agit d’une description ironique de la disproportion de leurs valeurs.
Dans la série de malédictions suivante (Mt 23:25–28), Jésus met en lumière l’hypocrisie qui règne au dedans d’eux (« mais à l’intérieur vous êtes pleins d’hypocrisie et d’injustice », 23:28) et souligne le fait qu’ils accordent trop d’importance aux apparences. La critique est cinglante : « vous nettoyez l’extérieur de la coupe et du plat, alors qu’à l’intérieur ils sont pleins du produit de vos vols et de vos excès » (23:25). Jésus les compare à « des tombeaux blanchis qui paraissent beaux de l’extérieur et qui, à l’intérieur, sont pleins d’ossements de morts et de toutes sortes d’impuretés » (23:27). Jésus déclare, « de l’extérieur, vous paraissez justes aux hommes, mais à l’intérieur vous êtes pleins d’hypocrisie et d’injustice » (23:28).
La septième malédiction, et la section finale qui l’entoure (23:29–36), est un jugement contre leur rejet des messagers de Dieu. Ils « construise[nt] les tombeaux des prophètes et [décorent] les tombes des justes » et prétendent qu’ils n’auraient jamais agi comme leurs ancêtres (« Si nous avions vécu à l’époque de nos ancêtres, nous ne nous serions pas joints à eux pour verser le sang des prophètes », 23:29–30), mais Jésus les traite de menteurs. En rejetant à la fois Jean et Jésus à leur époque et en persécutant les évangélistes de Jésus dans les temps à venir (« C’est pourquoi, je vous envoie des prophètes, des sages et des spécialistes de la loi. Vous tuerez et crucifierez les uns, vous fouetterez les autres dans vos synagogues et vous les persécuterez de ville en ville », 23:34), ils agissent comme « les descendants de ceux qui ont tué les prophètes » et comme le diable lui-même (« Serpents, race de vipères! », 23:31, 33). Et à cause de son rejet violent de Jésus (« vous ne l’avez pas voulu », ce qui signifie qu’ils n’ont pas voulu venir à Jésus) et de ses messagers (« Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés ! » 23:37), cette génération subira à la fois des jugements provisoires (le temple sera détruit, « Voici que votre maison vous sera laissée déserte », 23:38 ; cf. 24:2) et un jugement éternel (« Comment échapperez-vous au jugement de l’enfer? » 23:33). Ils porteront « à son comble. . . la mesure de vos ancêtres ! » (23:32) et seront tenus responsables de tout le sang des martyrs versé au cours de la longue histoire d’Israël (« afin que retombe sur vous tout le sang innocent versé sur la terre, depuis le sang d’Abel le juste jusqu’au sang de Zacharie, fils de Bérékia, que vous avez tué entre le temple et l’autel », 23:35).
Le discours sur le mont des Oliviers (24:1–25:46)
Après avoir quitté le temple (24:1), Jésus « s’assit sur le mont des Oliviers » (24:3) et prédit la destruction du temple (« Vous voyez tout cela? Je vous le dis en vérité, il ne restera pas ici pierre sur pierre, tout sera détruit », 24:2). Pour les disciples, le fait que ce temple somptueux (« quelles constructions », Marc 13:1) à propos duquel il est écrit qu’« Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce temple » (Jean 2:20) soit rasé signifie la fin du monde, comme l’avaient annoncé les prophètes (Jr 9:11 ; Mi 3:12). Ils lui demandent donc, « Dis-nous, quand cela arrivera-t-il et quel sera le signe de ton retour et de la fin du monde ? » (Mt 24:3).
Jésus répond à leurs questions sur le moment (« quand ») et sur le signe de cet événement (« quel ») en déclarant que la destruction du temple ne signifie pas la fin du monde, mais un jugement local important qui préfigurera le jugement du monde au dernier jour, souvent appelé « le jour du Seigneur ». Les disciples perçoivent un seul événement, mais Jésus déclare qu’il s’agit en réalité de deux événements distincts.
Dans ce qui suit, Jésus décrit les événements qui se dérouleront avant et pendant la destruction du temple en 70 apr. J.-C., mais également ce qui se produira avant et pendant son retour et au jugement dernier. Par exemple, aux versets 15 à 26, Jésus parle principalement mais pas exclusivement de ce qui se passera avant 70 apr. J.-C. puis, aux versets 27 à 31, de ce qui arrivera avant et pendant sa seconde venue. Cet entremêlement des époques est appelé rapprochement prophétique, ce qui renvoie à « l’idée selon laquelle les événements situés dans un avenir proche et ceux nettement plus lointains sont décrits comme s’ils étaient très rapprochés dans le temps en raison de certaines caractéristiques communes. »31 Dan Doriani dresse le tableau ci-dessous pour résumer ce concept.32
La chute de Jérusalem (24:1–26, 32–35)
Le long récit de Jésus aux versets 4 à 14 ne se rapporte pas aux signes de la fin du monde, mais à ce qui se produira avant. Il commence par un impératif (« Faites bien attention que personne ne vous égare », 24:4), le premier des douze commandements contenus au chapitre 24. Les spécialistes ont beau avoir des désaccords quant à la chronologie des événements, tout le monde devrait être d’accord sur au moins un point : la confusion qui règne en matière d’eschatologie ne devrait pas faire oublier les injonctions claires à faire preuve de discernement, à persévérer et à se tenir prêt. Et ce premier commandement (« Faites bien attention que personne ne vous égare », 24:4) est une invitation à obéir aux injonctions citées précédemment. En effet, Jésus enseigne que, quand les faux Christs et prophètes, la grande apostasie, les guerres et bruits de guerres, les famines et les tremblements de terre se produiront (24:5–8), ce ne sera pas encore « la fin » du monde (24:6). En fait, « Tout cela sera le commencement des douleurs » (24:8). Jésus ne dit pas à quel moment le temple sera détruit, mais seulement qu’il le sera, et que cet événement cataclysmique dans l’histoire d’Israël est le signe que Christ peut revenir à n’importe quel moment (« quand vous verrez toutes ces choses », sachez que le Fils de l’homme « est proche », 24:33).
Dans l’intervalle de temps entre la Pentecôte et la Parousie, voici les missions confiées aux disciples : « supporte les souffrances » et « fais l’œuvre d’un évangéliste » (2Tm 4:5), c’est‑à‑dire d’accomplir le Mandat Missionnaire et de proclamer « dans le monde entier » la « bonne nouvelle du royaume… à toutes les nations » (Mt 24:14). « Alors viendra la fin » (24:14), une fois seulement que l’Évangile aura connu une progression spectaculaire. À travers les persécutions, l’Église ne va pas que survivre : elle va croître. Il y aura beaucoup de faux enseignants et beaucoup de personnes qui chuteront (« Beaucoup de prétendus prophètes surgiront et ils tromperont beaucoup de gens », 24:11 ; « Beaucoup trébucheront alors », 24:10a) et beaucoup de personnes qui trahiront et haïront les chrétiens (« ils se trahiront, se détesteront les uns les autres », 24:10b ; « on vous livrera à la persécution et l’on vous fera mourir; vous serez détestés de toutes les nations à cause de mon nom », 24:9), mais beaucoup accepteront également la bonne nouvelle de Jésus.
Même si « personne ne […] connaît » (24:36) le jour du retour de Christ, le lecteur de Matthieu sait qu’il reviendra de manière soudaine, publique, éclatante, et le signe que le monde arrive à sa fin sera manifeste (Mt 24:27–31). Son retour sera retentissant (« Il enverra ses anges avec la trompette retentissante », 24:31), universel (« tous les peuples » verront Jésus arriver « sur les nuées du ciel », 24:30) et glorieux (« le soleil s’obscurcira… alors le signe du Fils de l’homme apparaîtra dans le ciel… et ils verront le Fils de l’homme venir sur les nuées du ciel avec beaucoup de puissance et de gloire », 24:29–30 ; « En effet, tout comme l’éclair part de l’est et apparaît jusqu’à l’ouest, ainsi sera le retour du Fils de l’homme », 24:27).
Dans les versets 15 à 26, Jésus enseigne à ses disciples d’alors (« cette génération », 24:34) comment faire face à « ces jours de détresse » (24:29), c’est-à-dire la période située avant et pendant le siège romain de Jérusalem (Mt 22:7 ; Luc 21:20) ainsi qu’à la profanation et à la destruction du temple (« l’abominable dévastation », 24:15).33 Matthieu 24:21 résume bien l’ampleur de cette catastrophe, « car alors la détresse sera si grande qu’il n’y en a pas eu de pareille depuis le commencement du monde jusqu’à présent et qu’il n’y en aura jamais plus. » D’après Josèphe, les Romains ont réduit en esclavage près de 100 000 Juifs et en ont massacré ou fait mourir de faim 1,1 million d’autres. Il s’agissait véritablement des « heures les plus sombres d’Israël », d’ « une période de tribulation inégalée dans l’histoire d’Israël. »34
Devant de telles atrocités, Jésus emploie six impératifs : « s’enfuient » (24:16), « ne descende pas » (24:17), « ne retourne pas en arrière » (24:18), « Priez » (24:20), « ne le croyez pas » (24:23, 26b), et « n’y allez pas » (24:26a). C’est un véritable sauve qui peut ! Ceux qui résident en Judée doivent se mettre rapidement en sécurité (24:17–18) et « s’enfuient dans les montagnes » (24:16). En s’enfuyant, ils doivent être attentifs aux faibles (« aux femmes qui seront enceintes et à celles qui allaiteront durant ces jours-là », 24:19) et prier pour que, dans la providence divine, leur « fuite n’arrive pas en hiver, ni un jour de sabbat » (24:20). Pendant qu’ils sont cachés ou sortent de la ville, ils ne doivent pas se laisser tromper par les faux enseignants (24:23–26).
Le retour de Christ (24:27–31, 36–51)
Dans les versets 37 à 51, Jésus enseigne aux disciples qui vivront après la destruction du temple la manière de se comporter en attendant la seconde venue de Jésus, qui sera à la fois éclatante et inattendue. Le caractère inattendu de la seconde venue de Jésus ressort tout particulièrement de trois déclarations (les gens de la génération de Noé « ne se sont doutés de rien jusqu’à ce que le déluge vienne », 24:39, « le Fils de l’homme viendra à l’heure où vous n’y penserez pas », 24:44, « le maître de ce serviteur viendra le jour où il ne s’y attend pas », 24:50) et de quatre illustrations (le déluge, les hommes et les femmes au travail, le voleur dans la nuit et les deux serviteurs ou types de serviteurs, 24:38–51).
Ces illustrations sur l’aspect soudain des événements visent à exhorter les disciples professants à se montrer attentifs et fidèles dans leurs attitudes et leurs actes. Les disciples qui s’appuient sur les paroles rassurantes de Jésus pour l’avenir (24:34–35) sont invités dans le présent à rester « vigilants » (24:42), « éveillé[s] » (24:43), à se tenir « prêts » (24:44), et à faire ce que Jésus les appelle à faire (24:45–25:46). Il s’agit d’une question de vie (le salut éternel, 24:13) ou de mort (le jugement éternel, 24:39, 40, 41, 51; 25:12, 28–30, 33, 41–46). Ceux qui utilisent l’attente du retour de Jésus comme un prétexte pour se laisser gagner par l’indifférence (adonnés à leurs activités quotidiennes, « Ils ne se sont doutés de rien jusqu’à ce que le déluge vienne », 24:39) ou par l’immoralité (« ‘Mon maître tarde à venir’… il mange et boit avec les ivrognes», 24:48–49) seront sévèrement jugés (24:51). Les vrais disciples de Jésus sont prêts, ils utilisent leurs dons pour œuvrer en faveur du royaume et aiment les autres. Jésus déclare en 24:46, « Heureux le serviteur que son maître, à son arrivée, trouvera occupé à son travail! ». Le disciple « fidèle et prudent » (24:45) prend Jésus au mot, fait le bien et non le mal, et attend avec impatience la venue de Jésus et sa récompense (« Je vous le dis en vérité, il [le maître qui symbolise Dieu] l’établira [le bon serviteur] responsable de tous ses biens », 24:47).
La parabole des dix jeunes filles [des dix vierges] (25:1–13)
Dans la poursuite de l’enseignement qu’il donne à ses disciples sur le mont des Oliviers, Jésus répond à la question, « A quoi ressemble la préparation à sa seconde venue ? » en disant dans la parabole des dix vierges qu’il faut attendre en se préparant.
Jésus raconte l’histoire d’un mariage, où dix mariées (« jeunes filles ») prennent « leurs lampes » et vont « à la rencontre du marié » (25:1). Or, « le marié tardait » (25:5a). « Au milieu de la nuit », il est arrivé (25:6) ! Mais toutes les jeunes filles s’étaient endormies (25:5b). Un cri les réveille, « Voici le marié, allez à sa rencontre ! » (25:6). Elles ont toutes préparé leur lampe à huile à la hâte pour le voir (« Alors toutes ces jeunes filles se réveillèrent et préparèrent leurs lampes », 25:7). Cependant, cinq d’entre elles « ne prirent pas d’huile avec elles » (25:3) contrairement aux cinq autres (« les sages prirent, avec leurs lampes, de l’huile dans des vases », 25:4). « Cinq d’entre elles étaient folles et cinq étaient sages » (25:2). Les jeunes filles folles, voyant leurs lampes qui « s’éteign[ai]ent », ont imploré les jeunes filles sages : « Donnez-nous de votre huile » (25:8). Les jeunes filles sages leur ont répondu de manière pragmatique, « Non, il n’y en aurait pas assez pour nous et pour vous [nous serons toutes dans le noir quand il viendra !]. Allez plutôt chez ceux qui en vendent et achetez-en pour vous » (25:9). Elles sont parties. Entre-temps, le marié est arrivé. Il a invité les cinq jeunes filles sages à le rejoindre à la fête (« Celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces et la porte fut fermée », 25:10b). Lorsque les jeunes filles folles sont revenues, elles ont constaté que « la porte fut fermée » et qu’elles ne pouvaient pas se rendre au repas de noces. Elles se sont mises à crier « Seigneur, Seigneur, ouvre-nous ! » (25:11). La réponse est catégorique et peut paraître choquante : « mais il répondit : ‘Je vous le dis en vérité, je ne vous connais pas’ » (25:12). Le propos de cette parabole est simple : « Restez donc vigilants, puisque vous ne savez ni le jour ni l’heure » (25:13). Toute cette histoire peut se résumer à cet avertissement.
Dans cette parabole, « le marié » représente Christ, les « dix jeunes filles » son Église mixte, « les jeunes filles sages » les croyants authentiques, l’« huile » leur état de préparation (cf. Luc 12:35, où « Mettez une ceinture à votre taille » fait écho à « tenez vos lampes allumées ») [c’est-à-dire tenez-vous prêts], les « jeunes filles folles » des chrétiens professants mal préparés et trop présomptueux (« Seigneur, Seigneur », Mt 25:11 ; cf. 7:21) et les jugements du marié envers les deux groupes représentent le jugement dernier : soit la joie du ciel (l’autorisation à entrer pour le festin de noces afin d’être « avec le Seigneur », 1Th 4:17) soit les tourments de l’enfer (l’interdiction d’entrer, le fait d’être « loin de la présence du Seigneur et de la gloire de sa force lorsqu’il viendra, ce jour-là, pour être célébré parmi ses saints », 2Th 1:9–10).
La parabole des récompenses [talents] (25:14–30)
Dans Matthieu 25:14–30, Jésus propose une deuxième parabole qui répond à la question, « A quoi ressemble la préparation à sa seconde venue ? » La réponse implique une foi agissante. Entre la résurrection de Jésus et son retour, l’Église se prépare à ce retour en investissant dans les talents que Dieu a donnés à chaque membre. J. C. Ryle résume à juste titre la parabole des récompenses en la comparant et en l’opposant à la parabole précédente.
La parabole des récompenses ressemble beaucoup à celle des dix jeunes filles. Les deux dirigent nos regards vers le même événement marquant : la seconde venue de Jésus-Christ. Les deux nous conduisent en présence des mêmes personnes : les membres de l’Église professante de Christ. Les jeunes filles et les serviteurs sont les mêmes personnes, considérées depuis des points de vue différents. L’enseignement pratique de chaque parabole constitue la principale différence entre les deux : la vigilance est le thème principal de la première parabole tandis que la diligence est le thème principal de la seconde. L’histoire des jeunes filles appelle l’Église à être attentive ; l’histoire des récompenses appelle l’Église à être active.35
Jésus aborde ce thème dans le cadre de trois scènes distinctes. Dans la première scène, il compare le royaume à venir à « un homme qui, partant pour un voyage, appela ses serviteurs et leur remit ses biens. Il donna cinq sacs d’argent à l’un, deux à l’autre et un au troisième, à chacun selon sa capacité, puis il partit aussitôt » (25:14–15). Cet « homme », qui est également appelé le « maître » à neuf reprises dans le reste de la parabole, représente le Seigneur Jésus. Les « serviteurs » symbolisent les chrétiens professants. Les sacs d’argent [les talents], une unité monétaire élevée (un sac d’argent pourrait équivaloir de nos jours à un million d’euros), représentent davantage que l’argent que Christ met à notre disposition. Ils représentent également les dons de l’intelligence, de la santé, du temps, des vocations, de la famille et des capacités naturelles (dans le sens du mot « talents » tel qu’il est employé aujourd’hui en français).
La deuxième scène décrit ce que les trois serviteurs ont fait de leurs sacs d’argent [talents] : « Celui qui avait reçu les cinq sacs d’argent s’en alla travailler avec eux et gagna cinq autres sacs d’argent. De même, celui qui avait reçu les deux sacs d’argent en gagna deux autres. Celui qui n’en avait reçu qu’un alla creuser un trou dans la terre et cacha l’argent de son maître » (25:16‑18). Les deux premiers serviteurs, qui se sont tout de suite mis au travail, ont doublé le capital de leur maître. L’empressement et le zèle déployés par le troisième serviteur, et les conséquences de ses actes, sont tout autres. Quand il s’est décidé à faire quelque chose de ce qu’il avait reçu, il a simplement creusé un trou et a enterré le sac d’argent.36
La troisième scène décrit la manière dont Jésus juge ce que ses disciples autoproclamés ont fait de ce qu’ils ont reçu (« Longtemps après, le maître de ces serviteurs revint et leur fit rendre des comptes » 25:19). Avec l’expression « Longtemps après », Jésus enseigne que son retour peut prendre nettement plus de temps que prévu et, avec l’expression « rendre des comptes », il souligne qu’il reviendra en tant que juge de tous les peuples des quatre coins du monde (« Toutes les nations seront rassemblées devant lui », 25:32). Les versets 20 à 30 décrivent son jugement des fidèles et des infidèles.
Tout d’abord, les fidèles sont récompensés.
« Celui qui avait reçu les cinq sacs d’argent s’approcha, en apporta cinq autres et dit : ‘Seigneur, tu m’as remis cinq sacs d’argent. En voici cinq autres que j’ai gagnés.’ Son maître lui dit : ‘C’est bien, bon et fidèle serviteur ; tu as été fidèle en peu de chose, je te confierai beaucoup. Viens partager la joie de ton maître.’ Celui qui avait reçu les deux sacs d’argent s’approcha aussi et dit : ‘Seigneur, tu m’as remis deux sacs d’argent. En voici deux autres que j’ai gagnés.’ Son maître lui dit : ‘C’est bien, bon et fidèle serviteur ; tu as été fidèle en peu de chose, je te confierai beaucoup. Viens partager la joie de ton maître.’ (25:20–23).
Au moyen de nombreux parallèles, mis en évidence ci-dessus, Jésus accorde trois types de récompenses à ses travailleurs fidèles : des éloges (« C’est bien, bon et fidèle serviteur »), de plus grandes responsabilités (« tu as été fidèle en peu de chose, je te confierai beaucoup »), et la joie partagée de la présence personnelle d’Emmanuel (« Viens partager la joie de ton maître »).
Ensuite, les infidèles sont punis (25:24–30). Encore une fois (25:12–13), la fin de la parabole insiste sur l’avertissement adressé aux personnes suffisantes sur le plan spirituel. Il ne s’agira pas du dernier avertissement. Le soi-disant serviteur « qui n’avait reçu qu’un sac d’argent s’approcha » (25:24a). Il a honte mais il se trouve des excuses et accuse même l’auteur du don : « Seigneur, je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes où tu n’as pas semé et tu récoltes où tu n’as pas planté. J’ai eu peur et je suis allé cacher ton sac d’argent dans la terre. Le voici, prends ce qui est à toi » (25:24b–25). Il considère son Seigneur, qui est rempli de miséricorde, comme quelqu’un d’impitoyable. Il considère son Seigneur, qui est juste, comme quelqu’un d’injuste. Il ne comprend pas qui est Jésus ni ce qu’il est venu faire. « Il a camouflé sa propre paresse derrière des excuses solennelles et sa fausse vision de Dieu… Il a l’audace de tenir Jésus, le généreux, responsable de son apathie et de son oisiveté. »37
La manière dont ce serviteur perçoit le Sauveur et Juge ne convient pas au Seigneur (25:26‑27). Aussi Jésus va-t-il juger cet homme. Notez que Jésus l’appelle « Serviteur mauvais et paresseux » (25:26). Les deux autres serviteurs sont qualifiés quant à eux de « bon[s] » et « fidèle[s] ». Par conséquent, « paresseux » est l’inverse de « fidèle » et cette paresse constitue une grave offense. Ce péché d’omission est peut-être plus terrible que les péchés de commission car le Juge Jésus rend un triple verdict diamétralement opposé au premier. Ce soi‑disant serviteur reçoit une juste condamnation : aucun éloge, pas de nouvelles responsabilités et aucune réjouissance dans la présence du Seigneur (25:28–30). Il est condamné à ne voir personne ni rien du tout (« ténèbres ») et à être éternellement désœuvré (ne rien faire pour toujours), et pourtant à ressentir de la tristesse et à subir pour toujours des conséquences spirituelles et physiques (« des pleurs et des grincements de dents ») évoquant « les regrets des occasions manquées, des chances gâchées, des choix stupides. »38
La parabole des brebis et des boucs (25:31–46)
Dans Matthieu 25:31–46, Jésus propose une dernière parabole, ou un enseignement ressemblant à une parabole, qui répond à la question, « A quoi ressemble la préparation à sa seconde venue ? » La réponse implique une espérance vigilante (25:1–13), une foi diligente (25:14–30), et un amour sacrificiel (25:31–46). Elle impose de prêter allégeance à Jésus en veillant sur « les plus petits » (25:40).
Le « discours révélateur »,39 selon les termes de Schnackenburg, commence par un portrait de Jésus en tant que divin juge à venir (« Lorsque le Fils de l’homme viendra dans sa gloire avec tous les [saints] anges, il s’assiéra sur son trône de gloire », 25:31 ; Dn 7:9–10). Il est assis en tant que juge, et tous les peuples se tiendront debout devant lui (« Toutes les nations seront rassemblées devant lui »). Il rendra un jugement qui distinguera les justes des impies (« Il séparera les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs; il mettra les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche » Mt 25:32–33 ; Dn 7:18, 26). Quelle image de puissance ! Il vient avec « tous les [saints] anges » pour juger « Toutes les nations » (Mt 25:31, 32).
Comme indiqué dans Matthieu 16:27, ici le jugement de Jésus est fondé sur les œuvres. Ceux qui sont bénis (« Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite: ‘Venez, vous qui êtes bénis par mon Père, prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès la création du monde!’ » 25:34) démontrent leur union avec le roi par l’amour de son Église persécutée40 de six manières concrètes : « En effet, j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire; j’étais étranger et vous m’avez accueilli; j’étais nu et vous m’avez habillé; j’étais malade et vous m’avez rendu visite; j’étais en prison et vous êtes venus vers moi. » (25:35–36).
Les justes sont surpris de ce que leurs actions apparemment insignifiantes en faveur des misérables ont été remarquées et saluées par Jésus : « Les justes lui répondront : ‘Seigneur, quand t’avons-nous vu affamé et t’avons-nous donné à manger, ou assoiffé et t’avons-nous donné à boire ? Quand t’avons-nous vu étranger et t’avons-nous accueilli, ou nu et t’avons-nous habillé ? Quand t’avons-nous vu malade ou en prison et sommes-nous allés vers toi ?’ » (25:37–39). Ils ont oublié que le glorieux Fils de l’homme est solidaire d’un point de vue spirituel avec les plus nécessiteux et les plus persécutés parmi son peuple (« Et le roi leur répondra : ‘Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous avez fait cela à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.’ » 25:40).
Les impies connaissent le sort opposé : « Ensuite il dira à ceux qui seront à sa gauche : ‘Eloignez-vous de moi, maudits, allez dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges !’ » (25:41). Jésus dit aux justes « Venez » (25:34) et aux impies « Eloignez-vous » (25:41) ; les justes sont « bénis » (25:34) et les impies sont « maudits » (25:41) ; les justes reçoivent « la vie éternelle » (25:46b) et les impies sont condamnés à « la peine éternelle » (25:46a) ; les justes prennent « possession du royaume » (25:34) et les impies vont « dans le feu éternel » (25:41). Faisant écho à la parabole des récompenses, « le péché de négligence entraîne la damnation des oisifs. »41 Comme le déclare Jésus, « En effet, j’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’ai eu soif et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais étranger et vous ne m’avez pas accueilli ; j’étais nu et vous ne m’avez pas habillé ; j’étais malade et en prison et vous ne m’avez pas rendu visite. » (25:42–43). Les impies sont aussi surpris que les justes, mais eux le sont de ce que leur foi professée (ils appellent Jésus « Seigneur ») ne suffisait pas et de ce que les œuvres d’amour étaient à la fois nécessaires (« Ils répondront aussi: ‘Seigneur, quand t’avons-nous vu affamé, ou assoiffé, ou étranger, ou nu, ou malade ou en prison et ne t’avons-nous pas servi?’ » 25:44) et intimement liées à Emmanuel (« Et il leur répondra: ‘Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous n’avez pas fait cela à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait.’ » 25:45). La leçon enseignée ici reflète ce que Jésus a déclaré plus tôt dans le Sermon sur la montagne : « Ceux qui me disent : ‘Seigneur, Seigneur !’ n’entreront pas tous dans le royaume des cieux, mais seulement celui qui fait la volonté de mon Père céleste » (7:21).
« Le Fils de l'homme est livré entre les mains des pécheurs » (26:1–56)
Matthieu 26:1–27:61 relate la passion du Christ. Même s’il serait exagéré de prétendre que l’évangile de Matthieu est « un récit de la passion avec une longue introduction »,42 il n’est en revanche pas exagéré d’affirmer que les souffrances et la mort de Jésus constituent le point culminant de la grande histoire de Matthieu.
Après avoir terminé son discours sur le mont des Oliviers (« Lorsque Jésus eut fini de donner toutes ces instructions », 26:1),43 un discours qui met l’accent sur un futur lointain (la destruction du temple et sa seconde venue), Jésus s’attarde sur le futur proche en déclarant à ses disciples : « Vous savez que la Pâque a lieu dans deux jours et que le Fils de l’homme sera arrêté pour être crucifié » (26:2). Alors que Jésus prononce ces paroles prophétiques, sa prophétie commence à s’accomplir : « Alors les chefs des prêtres, [les spécialistes de la loi] et les anciens du peuple se réunirent dans la cour du grand-prêtre, appelé Caïphe, et ils décidèrent d’arrêter Jésus par ruse et de le faire mourir. Cependant, ils se dirent : « Que ce ne soit pas pendant la fête, afin qu’il n’y ait pas d’agitation parmi le peuple. » » (26:3–5). Jésus a déclaré qu’il mourrait durant la Pâque, et les chefs religieux, qu’il mourrait après la Pâque. C’est la parole de Jésus qui se réalisera, pas celle des chefs religieux. En effet, l’ironie réside dans le fait que « dans l’histoire de la Pâque de Jésus [Passover], le peuple de Dieu sera sauvé [au cours de la Pâque] … au moment où le Seigneur n’épargnera pas [Passover]son propre Fils premier-né. »44
Jésus oint à Béthanie (26:1–16)
Pendant que l’aristocratie du temple complote « dans la cour du grand-prêtre » (26:3), Matthieu change de scène et montre Jésus qui arrive à Béthanie et entre « dans la maison de Simon le lépreux » (26:6). Le parallèle entre un endroit pur (où avaient lieu les rites de purification précédant la Pâque, voir Jean 11:55), et la maison impure du lépreux est saisissant, et préfigure ce que Jésus est sur le point d’accomplir. Il purifiera son peuple « de tout péché » (1Jn 1:7) en étant « arrêté pour être crucifié » (Mt 26:2).
« Entre deux scènes de haine, le complot des prêtres (26:3–5) et la trahison de Judas (26:14‑16), se déroule une histoire d’amour. C’est l’une des plus belles histoires d’amour de LA PLUS GRANDE HISTOIRE D’AMOUR jamais racontée. »45 L’histoire est courte, mais magnifique : « une femme s’approcha de lui avec un vase qui contenait un parfum de grande valeur. Pendant qu’il était à table, elle versa le parfum sur sa tête » (26:7). Cet acte d’amour extravagant suscite trois réactions bien distinctes. Premièrement, les douze « s’indignèrent » et se sont interrogés sur cet acte en apparence irrationnel, non conventionnel et impie : « A quoi bon un tel gaspillage ? On aurait pu vendre ce parfum très cher et donner l’argent aux pauvres », 26:8b–9). Marc écrit que Jésus a été oint avec un « parfum de nard pur » qui aurait pu être vendu pour « plus de 300 pièces d’argent » (Marc 14:3, 5), soit une année complète de salaire d’un travailleur ordinaire.
Deuxièmement, Jésus réagit en prenant sa défense. Ce qu’ils appellent « gaspillage », Jésus le qualifie de « bonne action » : « Pourquoi faites-vous de la peine à cette femme? Elle a accompli une bonne action envers moi » (Mt 26:10). Il corrige également leur mauvaise théologie à propos des pauvres : « En effet, vous avez toujours des pauvres avec vous, mais vous ne m’aurez pas toujours » (26:11). Il leur rappelle ce qu’il a enseigné précédemment (Mt 10:37). Jésus est le premier amour de cette femme, et aussi le plus grand. Elle l’aime même plus que ses biens de grand prix. Elle l’aime d’un amour coûteux.
De surcroît, elle l’aime pour ce qu’il a dit qu’il était. Quand Jésus déclare, « En versant ce parfum sur mon corps, elle l’a fait pour mon ensevelissement » (26:12), il peut vouloir dire que son acte dépasse sa compréhension, à savoir que son corps serait embaumé de parfum pour couvrir l’odeur d’un cadavre en décomposition et qu’elle anticipe donc ici le rite funéraire prévu pour Jésus. Il peut également vouloir dire qu’elle a agi selon sa foi, en toute connaissance de cause. Si cette femme est Marie de Béthanie (ce qui est probable), alors elle avait entendu en personne ou de manière indirecte Jésus annoncer sa mort et sa résurrection (16:21 ; 17:22–23 ; 20:17–19 ; 26:2). Si la femme cananéenne a compris que Jésus était « Seigneur » et « Fils de David » (15:22), pourquoi ce disciple juif, ami proche de Jésus, ne comprend-il pas que Jésus doit être enseveli entre sa mort et sa résurrection ?
Peut-être qu’elle comprend Matthieu 1, à savoir que Jésus est Roi et Sauveur. Peut-être que l’objet de son amour est Jésus en tant que Christ, et en tant que Christ crucifié. Peut-être que, contrairement aux chefs juifs… elle croit que Jésus est le Fils de l’homme (elle le baptise ainsi en tant que divin Roi d’un royaume éternel) et que l’avènement de Jésus aura lieu de façon mystérieuse à la croix du Calvaire. Peut-être qu’elle comprend la couronne et la croix.46
Peut-être que nous surinterprétons ses motivations, mais ce n’est pas là l’essentiel. Ce qui est clair, c’est que Jésus loue ses actes à travers l’un des plus beaux compliments de toute la Bible : « Je vous le dis en vérité, partout où cette bonne nouvelle sera proclamée, dans le monde entier, on racontera aussi en souvenir de cette femme ce qu’elle a fait » (26:13). « Et que l’expression « cette bonne nouvelle » désigne l’évangile de Matthieu (ce qui est peu probable), ou simplement ‘le drame de la passion lui-même’ (ce qui est plus probable) ou bien ‘la bonne nouvelle du Messie, une nouvelle qui doit inclure ce récit et donc sa passion’ (ce qui est encore plus probable), son doux parfum qui a embaumé la maison du lépreux remplit maintenant les quatre coins du monde et les sept continents de la planète. »47
La troisième réaction face à l’onction de Jésus par la femme est celle de Judas. « Alors l’un des douze, appelé Judas l’Iscariot, alla vers les chefs des prêtres et dit : « Que voulez-vous me donner pour que je vous livre Jésus?» Ils lui payèrent 30 pièces d’argent. Dès ce moment, il se mit à chercher une occasion favorable pour trahir Jésus. » (26:14–16). Judas, qui vient de reprocher à cette femme de ne pas se soucier des pauvres (puisqu’elle a versé l’équivalent d’un an de salaire sur Jésus) accepte de livrer Jésus pour « 30 pièces d’argent », soit environ quatre mois de salaire. La femme donne généreusement alors que Judas est rempli de cupidité et prend tout ce qu’il peut pour révéler l’endroit où se trouve Jésus. Pendant que des hommes avides réunis dans la cour du palais complotent dans le but de tuer Jésus, l’un des apôtres de Jésus participe à la mise en œuvre de ce complot. Quel plan machiavélique !
Le dernier repas (26:17–29)
Dans Matthieu 26:17–30, l’évangéliste change de décor. Nous sommes le premier des sept jours que compte la fête de Pâque. « Le premier jour des pains sans levain, les disciples s’adressèrent à Jésus pour lui dire : « Où veux-tu que nous te préparions le repas de la Pâque? » » (Mt 26:17). Par la triple répétition du mot « Pâque » (26:17, 18, 19), Matthieu souligne que l’annonce de Jésus relative à sa passion (26:2) est en train de s’accomplir. Son « heure est proche » (26:18b).
Une fois l’endroit trouvé, le repas préparé (26:18–19) et le soleil couché (« Le soir venu »), Jésus « se mit à table avec les douze » (26:20). Deux thèmes majeurs sont introduits au moyen de la même expression : « Pendant qu’ils mangeaient » (26:21, 26).
Premièrement, Jésus annonce qu’il sera trahi : « Je vous le dis en vérité, l’un de vous me trahira » (26:21). De même que Jésus annonce le moment de sa mort (26:2, 18) et sa résurrection corporelle (26:29), il annonce également qu’un des douze le trahira (26:21) et qu’il connaît l’identité de cet homme (26:25). Alors que onze des apôtres demandent, « Est-ce moi, Seigneur ? » (26:22), le traître se trahit lui-même par ses paroles (« Est-ce moi, maître? » Jésus lui répondit : « Tu le dis. » 26:25) et par ses actes (« Celui qui a mis la main dans le plat avec moi, c’est celui qui me trahira », 26:23). L’annonce de Jésus est conforme aux prophéties de l’Ancien Testament (Es 53:7–9 ; Dn 9:26) : « Le Fils de l’homme s’en va, conformément à ce qui est écrit à son sujet, mais malheur à l’homme par qui le Fils de l’homme est trahi! Mieux vaudrait pour cet homme qu’il ne soit pas né. » (Mt 26:24). Et bien que le plan fomenté afin de trahir Jésus fasse partie du plan souverain de Dieu, Judas est tenu personnellement responsable de ses mauvaises actions, comme l’indique la condamnation explicite de Jésus (« malheur à l’homme », 26:24 ; cf. Actes 2:23).
Deuxièmement, Jésus prend le repas de la Pâque avec ses disciples. Ils ont prié tous ensemble (Jésus a béni le pain et a rendu grâces [eucharistēas] pour la coupe, Mt 26:26, 27), mangé le pain (26:26), bu le vin (26:27–28) et chanté « les Psaumes » (26:30, probablement l’un des Psaumes du Hallel, c’est-à-dire les Ps 113 à 118, peut-être le Psaume 118 où il est écrit « La pierre qu’ont rejetée ceux qui construisaient est devenue la pierre angulaire ». Ps 118:22).
Jésus célèbre ce repas pascal de façon unique. Voici cinq observations sur cette célébration. Premièrement, Jésus est peut-être en train de célébrer une version du ‘Séder’, qui a pris sa forme actuelle trente ans après le repas du Seigneur. Cependant, Matthieu donne peu de détails sur le repas et insiste davantage sur l’homme qui le préside et sur les éléments extraordinairement nouveaux qu’il apporte à la célébration de l’Exode (Ex 12:14–27 ; Lv 23:4–6 ; Dt 16:3–4).
Outre le fait de transformer ce repas familial en repas communautaire d’église (ce qui est complètement nouveau ; qui sont ses frères et ses sœurs, si ce n’est ses disciples, Mt 12:46‑50), Jésus recentre la célébration tout entière sur sa propre personne. Au lieu de mettre l’accent sur l’agneau, qui est au cœur du repas pascal [Ex 12:3–11, 21–23, 43‑49 ; Dt 16:2, 5–7], Jésus parle de son corps et de son sang : « mon corps » (26:26) et « mon sang » (26:28). Son corps ? Son sang ? Et le corps et le sang de l’agneau ? Cet agneau n’est mentionné nulle part, ni dans les paroles de notre Seigneur ni dans le récit de Matthieu.48
À travers ces éléments nouveaux et surprenants et ce recentrage, Matthieu défend l’idée que la mort de Jésus constitue une nouvelle Pâque et un nouvel Exode. Ce repas est la dernière Pâque. En effet, il n’est plus nécessaire de célébrer la Pâque parce que l’Agneau de Dieu (Jean 1:29, 36 ; 1Co 5:7), vers lequel ce repas pointait, a versé son sang pour libérer son peuple de l’esclavage du péché.
Deuxièmement, les paroles de Jésus citées ci-dessus indiquent clairement qu’il comprend la portée de sa mort (« le pardon des péchés », Mt 26:28) et que sa passion n’est pas « une tragédie ou une erreur, mais l’acte qui parachève son ministère au sein duquel il verse son sang. Par ce sacrifice, réalisé une fois pour toutes, il assure le rachat « de beaucoup » et garantit une glorieuse consommation à l’avenir. »49
Troisièmement, quand Jésus parle du fait de manger et de boire son sang, il emploie un langage figuré, le pain symbolisant le sacrifice de son corps et le vin son sang versé à la croix. Ce sacrifice pour « beaucoup » indique vraisemblablement que la mort substitutive de Jésus bénéficie directement aux élus (le Serviteur « a porté le péché de beaucoup d’hommes », Es 53:12), qui sont appelés précédemment « mon peuple » (Es 53:8, c’est-à-dire le peuple de l’alliance de Dieu ; cf. « c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés », Mt 1:21).
Quatrièmement, même si le récit de Matthieu concernant le dernier repas ne contient aucun commandement précis permettant d’affirmer que Jésus institue un sacrement devant être célébré à perpétuité par l’Église (à moins de considérer les commandements adressés à ses premiers disciples « Prenez », « mangez » et « buvez » comme des commandements perpétuels), nous savons d’autres récits inspirés (par exemple, Luc 22:19 ; 1Co 11:24) que l’Église primitive célébrait régulièrement ce repas parce que Christ l’avait ordonné clairement. Et, en l’occurrence, il est intéressant d’observer que la seule chose que Jésus ordonne à l’Église de commémorer de façon récurrente, c’est « la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne » (1Co 11:26).
Cinquièmement, cette commémoration de la mort de Jésus revêt une dimension eschatologique, comme Paul l’affirme ci-dessus. Jésus l’exprime en ces termes : « Je vous le dis, je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai nouveau avec vous dans le royaume de mon Père. » (Mt 26:29). Quand les chrétiens d’aujourd’hui mangent le pain et boivent la coupe, ils annoncent leur association future avec Jésus et avec « beaucoup d’hommes » qu’il a sauvés.50
En route pour Gethsémané (26:30–56)
26:30–35 Après le repas pascal, Jésus et ses disciples sont retournés « au mont des Oliviers » (26:30). Et alors qu’ils se rendaient à Gethsémané, Jésus les a avertis : « Vous trébucherez tous, cette nuit, à cause de moi, car il est écrit : Je frapperai le berger et les brebis du troupeau seront dispersées. Mais, après ma résurrection, je vous précéderai en Galilée » (26:31–32). Jésus prophétise :
Ces prophéties s’accomplissent dans les derniers chapitres de Matthieu :
En entendant la prophétie de Jésus concernant l’apostasie des douze, qui est pourtant annoncée par les Écritures, Pierre proteste : « Même si tous trébuchent à cause de toi, ce ne sera jamais mon cas » (26:33). Il rabaisse ses frères (« Même si tous trébuchent ») pour mieux se mettre sur un piédestal (« ce ne sera jamais mon cas »). En plus d’avoir tort, Pierre est blessant. Comme le fait remarquer Bruner, Pierre se trompe sur trois plans : « 1) dans sa condescendance envers les autres disciples, 2) dans la confiance en ce qu’il ferait exception, et 3) dans son opposition aux paroles de son Seigneur. »51 Pierre a repris Jésus, mais Jésus le reprend plus énergiquement encore : « Je te le dis en vérité, cette nuit même, avant que le coq chante, trois fois tu me renieras » (26:34). Cette prophétie va également se réaliser bientôt (26:69–75). Mais Pierre est trop fier et sûr de lui pour capituler. Il contredit à nouveau Jésus ! « Pierre lui répondit : « Même s’il me faut mourir avec toi, je ne te renierai pas.» » (26:35a), et les autres l’imitent dans son outrecuidance (« Et tous les disciples dirent la même chose », 26:35b).
26:36–46 Si, à ce stade, Jésus ne se sentait pas complètement seul dans sa mission, ce serait bientôt le cas. Lorsqu’ils arrivent, tard le soir, dans le jardin de Gethsémané, « il dit aux disciples : «Asseyez-vous [ici] pendant que je m’éloignerai pour prier.» » (26:36). Prenant Pierre, Jacques et Jean avec lui, il fait ce qu’il vient de dire : il « se jeta le visage contre terre et fit cette prière » (26:39) ; « Il s’éloigna une deuxième fois et fit cette prière » (26:42) ; « Il les quitta, s’éloigna de nouveau et pria pour la troisième fois » (26:44). Et entre ses temps de prière personnelle, il exhorte le trio fatigué en leur disant « Restez vigilants et priez » (26:41).
Oliviers du temps de Christ dans le jardin de Gethsémané
Ses heures passées dans la prière, qui provoquent en lui une profonde affliction (« il commença à être saisi de tristesse et d’angoisse », 26:37 ; « Mon âme est triste à en mourir », 26:38 ; Luc 22:44) se concentraient sur la « coupe » qu’il était sur le point de boire : « Mon Père, si cela est possible, que cette coupe s’éloigne de moi! » (Mt 26:39) ; « Mon Père, s’il n’est pas possible que cette coupe s’éloigne [de moi] sans que je la boive, que ta volonté soit faite! » (26:42). Cette coupe qui doit être bue symbolise ses souffrances physiques. Elle évoque également la séparation spirituelle d’avec le Père (qui sera exprimée à la croix par ce cri, « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » 27:46). Cet abandon de la part du Père, sous-entendu dans Matthieu 8:17 et indiqué de manière explicite dans Matthieu 20:28, correspond à l’acte du salut. Le paradoxe est immense : la coupe de la colère de Dieu, habituellement bue par les nations à cause de leurs péchés (Es 51:17, 22 ; Jr 25:15–28), est consommée entièrement par le « Fils de l’homme » (Mt 26:45), la figure divine qui viendra pour juger les nations et dominer sur elles. Le Fils de l’homme et Fils de Dieu boit la colère réservée aux nations ! Charles Spurgeon résume magnifiquement la beauté de ce moment :
L’intégralité de la punition destinée à son peuple a été déversée dans une seule coupe ; aucune [simple] lèvre mortelle ne peut en goûter ne serait-ce que la moindre gorgée. Lorsqu’il l’a portée à ses lèvres, elle était si amère qu’il l’aurait volontiers repoussée : « que cette coupe s’éloigne de moi ! ». Mais son amour pour son peuple était si fort [et nous ajoutons : son attachement à faire la volonté de son Père si inébranlable], qu’il a pris la coupe des deux mains, et « D’un seul trait, poussé par un amour sans faille, il a bu la damnation jusqu’à la dernière goutte ».52
26:47–56 Après avoir terminé son moment de prière avec son Père, Jésus retrouve à nouveau ses trois futurs généraux endormis alors qu’ils sont censés veiller. Il les tire de leur sommeil avant que le tumulte de l’armée tout juste mise sur pied par Judas ne le fasse. « Il parlait encore » (26:47), disant, « Vous dormez maintenant et vous vous reposez! Voici, l’heure est proche et le Fils de l’homme est livré entre les mains des pécheurs. Levez-vous, allons-y ! Celui qui me trahit s’approche » (26:45–46), quand Judas arrive, « avec une foule nombreuse armée d’épées et de bâtons, envoyée par les chefs des prêtres et par les anciens du peuple » (26:47). Judas salue Jésus (« Salut, maître ! » 26:49) et c’est par un baiser qu’il donne à la foule le signal d’arrêter cet homme. « Judas change une salutation amicale…. en signe de mort ».53 L’« un des douze » (26:47) trahit Jésus !
Jésus s’est laissé arrêter par Judas (« Mon ami, ce que tu es venu faire, fais-le »). On s’est emparé de lui (« Alors ces gens s’avancèrent, mirent la main sur Jésus et l’arrêtèrent », 26:50). Cependant, l’un des disciples (« Pierre », d’après Jean 18:10), a cherché à engager le combat. Il « mit la main sur son épée et la tira ; il frappa le serviteur du grand-prêtre et lui emporta l’oreille » (Mt 26:51). Peut-être pensait-il que cela inciterait Jésus et les autres à se joindre à lui. Peut-être l’a-t-il fait pour honorer son serment audacieux : « Même s’il me faut mourir avec toi, je ne te renierai pas » (26:35).
Jésus a guéri l’oreille de l’homme (comme cela nous est rapporté dans Luc 22:51), puis il a adressé un reproche aussi bien à Pierre qu’à la foule (Mt 26:52–54). Une fois encore, Pierre ne comprend ni la mission de Jésus ni la nature de sa propre mission apostolique. La mission de Jésus, comme il l’a définie lui-même en vue d’accomplir les Écritures, consiste à être arrêté, battu et crucifié ; la mission de Pierre consiste à prêcher Christ crucifié et à utiliser l’épée de l’Esprit pour faire mourir des âmes. Pierre sous-estime par ailleurs la puissance divine de Jésus. Si Jésus le voulait, il pourrait rassembler une énorme armée d’anges pour le secourir (une « légion » était composée de 5 000 à 6 000 soldats). Qui a besoin de l’épée de Pierre quand vous disposez d’un accès immédiat à quelque 70 000 anges du Seigneur ? Ou, pour paraphraser Jérôme, « Qui a besoin de la protection de douze apôtres sur terre quand vous avez à votre disposition douze légions d’anges dans le ciel ? »54
Jésus reprend aussi la foule parce qu’elle le traite comme un dangereux criminel : « Vous êtes venus vous emparer de moi avec des épées et des bâtons, comme pour un brigand » (26:55). La violence est-elle nécessaire, notamment compte tenu du fait que les gens le voyaient régulièrement enseigner sans aucune arme ? « J’étais tous les jours assis [parmi vous], enseignant dans le temple, et vous ne m’avez pas arrêté » (26:55). Pourtant, comme Jésus le déclare à Pierre (26:54), « tout cela est arrivé afin que les écrits des prophètes soient accomplis » (26:56). Jésus, qui est le « Fils de l’homme » selon Daniel (Dn 7:13–14), démontrera qu’il est le Serviteur Souffrant d’Ésaïe (Es 52:13–53:12) et le roi abandonné et moqué du Psaume 22, qui inaugure la nouvelle alliance annoncée par Jérémie (Jr 31:31) à travers son sacrifice à la croix.
La scène qui se déroule à Gethsémané se termine sur cette terrible phrase : « Alors tous les disciples l’abandonnèrent et prirent la fuite » (Mt 26:56). Vers le début de l’évangile, « ils laissèrent les filets et le suivirent » (4:20) ; et maintenant, vers la fin, ils délaissent (le même verbe, aphentes) Jésus pour préserver leur sécurité. Jésus, qui sera bientôt abandonné par son Père aimant, est ici abandonné par ses amis les plus proches. « Comme le bouc émissaire le Jour des expiations, Jésus devra affronter son destin seul. »55
Jésus arrêté et jugé (26:57–27:26)
26:57–68 La foule qui a arrêté Jésus l’a amené dans le palais du « grand-prêtre Caïphe », où les membres du sanhédrin (« les spécialistes de la loi et les anciens », 26:57, les « chefs des prêtres », « le Grand-Conseil », 26:59, version Semeur) se sont rassemblés pour assister au procès de Jésus. Et, parallèlement au procès de Jésus, le procès de Pierre commence également (« Pierre le suivit de loin jusqu’à la cour du grand-prêtre, y entra et s’assit avec les serviteurs pour voir comment cela finirait », 26:58). L’intention du sanhédrin est aussi évidente qu’insidieuse (ils « cherchaient un faux témoignage contre Jésus afin de le faire mourir », 26:59). Le problème avec leur plan, c’est que « quoique beaucoup de faux témoins se soient présentés » (26:60), ils ne sont pas parvenus à un consensus. Par exemple, deux témoins ont prétendu que Jésus avait dit, « Je peux détruire le temple de Dieu et le reconstruire en trois jours » (26:61). Il se peut en effet qu’ils aient vu Jésus renverser les tables dans le temple (21:12–13) puis déclarer, « Détruisez ce temple et en 3 jours je le relèverai » (Jean 2:19). Mais ils n’ont pas compris qu’il parlait de manière imagée « du temple de son corps » (Jean 2:21). Leur accusation, si elle était vraie (et si un homme en était capable tout seul !), serait considérée comme une infraction passible de la peine capitale (= la profanation d’un lieu saint).
Jésus ne répond pas à leurs affirmations : « Le grand-prêtre se leva et lui dit : «Ne réponds-tu rien? Pourquoi ces hommes témoignent-ils contre toi ?» Mais Jésus gardait le silence », Mt 26:62–63a). Peut-être a-t-il gardé le silence parce qu’il ne voulait pas approuver leur compréhension erronée de cette métaphore, ou parce qu’il considérait toute cette procédure judiciaire comme un simulacre de justice enfreignant la loi de Dieu (Ex 20:16). Quelle qu’en soit la raison, l’allusion au Serviteur Souffrant est évidente (Es 53:7).
C’est Caïphe qui brise le silence : « Le grand-prêtre [prit la parole et] lui dit : « Je t’adjure, par le Dieu vivant, de nous dire si tu es le Messie [Christ], le Fils de Dieu.» » (Mt 26:63). Jésus répond par l’affirmative : « Tu le dis » (26:64). Pourtant, dans la suite de sa réponse, il indique clairement que sa messianité n’est pas simplement messianique (« Messie » [Christ] est synonyme de « Fils de Dieu »). Il confirme ainsi la corrélation entre « le Christ » et le Messie et celle entre « le Fils de Dieu » et le Fils divin (cf. « Mon Père », 26:39, 42, 44, 53 ; « puissance », 26:64, version Louis Segond) mais aussi la figure exaltée par Daniel 7 (« le Fils de l’homme »). Jésus poursuit, « De plus, je vous le déclare, vous verrez désormais le Fils de l’homme assis à la droite du Tout-Puissant et venant sur les nuées du ciel » (26:64). Caïphe comprend la déclaration de Jésus et, en signe d’indignation (voir 2R 18:37) « déchir[e] ses vêtements » et lance : « Il a blasphémé! Qu’avons‑nous encore besoin de témoins ? Vous venez d’entendre son blasphème. Qu’en pensez-vous ? » (26:65–66a). Le verdict a été rapide (« Il mérite la mort », 26:66b ; Lv 24:16), violent (« Là-dessus, ils lui crachèrent au visage et le frappèrent à coups de poing ; certains lui donnaient des gifles », 26:67) et inconsidéré (« Christ, prophétise-nous qui t’a frappé! » 26:68).56
Il est inconsidéré parce que Jésus accomplit en réalité la prophétie (la sienne et celle des prophètes, notamment Es 50:6) et accomplira, au moment de sa seconde venue, la réponse qu’il donne en Matthieu 26:64. Lors de son retour, l’homme qui a été condamné viendra pour condamner, et celui qui a été assujetti assujettira toutes choses.
Ce que le sanhédrin déclare comme étant un blasphème, Jésus le déclare comme étant vrai. Jésus est le Messie et le Fils de Dieu qui, conformément à 2 Samuel 7:13, construit le temple ; Jésus est le roi de Psaume 110:1 qui est assis à la droite de Dieu ; Jésus est le serviteur souffrant de Ésaïe 50:6 dont le visage subit les crachats, et Jésus est le fils de l’homme de Daniel 7:14 qui viendra sur les nuées du ciel.57
26:69–75 Pendant que Jésus est jugé par le sanhédrin pour savoir s’il est le Messie (« nous dire si tu es le Messie (Christ]», 26:63), Pierre est passé au crible par quelques serviteurs pour savoir s’il fait partie des disciples. La conjonction « Or » du verset 69 signifie « en même temps » (elle est également employée dans le cadre du procès de Jésus au verset 59, versions Darby et Martin). Les talents littéraires de Matthieu sont fantastiques ! Jésus se tient debout dans la maison du grand-prêtre devant le gratin des autorités religieuses de Jérusalem et dit la vérité, tandis que Pierre est assis dehors et ment de façon répétée à de modestes servantes qui l’interrogent. Il renie Jésus à trois reprises.
Le premier reniement est relaté aux versets 69 et 70 : « Or Pierre était assis dehors dans la cour. Une servante s’approcha de lui et dit : « Toi aussi, tu étais avec Jésus le Galiléen. » Mais il le nia devant tous en disant : « Je ne sais pas ce que tu veux dire. » » Feignant l’ignorance (« Je ne sais pas ce que tu veux dire », (26:70), il aggrave sa culpabilité.
Le deuxième reniement, rapporté aux versets 71 et 72, se produit alors qu’il est en train de s’éloigner de Jésus. Le geste de Pierre (« Comme il se dirigeait vers la porte ») reflète l’état de son âme. Ses paroles ne font que le confirmer : « Comme il se dirigeait vers la porte, une autre servante le vit et dit à ceux qui se trouvaient là : « Cet homme [aussi] était avec Jésus de Nazareth. » Il le nia de nouveau, avec serment : « Je ne connais pas cet homme.» » Notez que le deuxième témoin qui s’oppose à lui était « une autre servante ». Remarquez aussi son accusation : il était « avec Jésus ». Effectivement, depuis pas moins de trois ans ! Il se trouve à cet endroit cette nuit-là parce qu’il veut être « avec Jésus ». Mais désormais, il craint pour sa vie. Il ne veut même pas prononcer le nom de « Jésus ». Avec un serment, il appelle Jésus « cet homme ». Il jure devant Dieu qu’il ne connaît pas « le Fils du Dieu vivant » (Mt 16:16). Les servantes disent, « Jésus le Galiléen » et « Jésus de Nazareth ». Lui appelle Jésus « cet homme », et non pas « le Fils de l’homme ». Pierre cherche à sauver sa vie plutôt que de la perdre à cause de Jésus (Mt 16:25). Et pour sauver sa vie cette nuit-là, il passe d’une ignorance feinte à reniement flagrant. Il s’enfonce dans la culpabilité, ajoutant désormais le crime d’avoir porté un faux témoignage sous serment.
Le troisième reniement contient non seulement la même réponse (« Je ne connais pas cet homme ») mais aussi des imprécations contre lui-même (« Alors il se mit à jurer en lançant des malédictions », 26:74, ce qui voulait dire, « Si je mens, que je sois maudit »). Il donne cette réponse après que l’un de « ceux qui étaient là » l’a accusé de connaître Jésus et de faire partie de ses proches : « Certainement, toi aussi tu fais partie de ces gens-là, car ton langage te fait reconnaître », (26:73). Son accent galiléen prononcé le « trahit » !
Et le coq tout près de là vient attester de sa chute. Alors que Pierre affirme catégoriquement, « Je ne connais pas cet homme », Matthieu écrit, « Aussitôt un coq chanta » (26:74). Il s’agit des derniers mots de Pierre rapportés par Matthieu. La dernière fois où on le verra, ce sera lorsqu’il rencontrera Jésus, après la résurrection. Il recevra sa nouvelle mission (quand il sera rétabli dans ses fonctions de leader) et entendra ces paroles pleines de bonté et ô combien nécessaires, « je suis avec vous tous les jours » (28:20). Mais ici, en 26:75, on lit de Pierre que les paroles de Jésus lui reviennent immédiatement en mémoire, « Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois ») après quoi il se retire (« il sortit »), rempli de chagrin et de remords (« et pleura amèrement »). Le soleil se lève, exposant ses ténèbres intérieures au grand jour. Comme tout le monde, le premier parmi les douze a besoin d’un Sauveur.
27:1–10 Matthieu 27:1–23 raconte comment le sanhédrin (27:1–10), Ponce Pilate (27:11–14) et la foule juive (27:15–26) ont tous joué un rôle dans la condamnation à mort de Jésus. Le matin, « tous les chefs des prêtres et les anciens du peuple tinrent conseil contre Jésus pour le faire mourir » (27:1). Tout d’abord, ils ont pris conseil contre l’oint de l’Éternel (Ps 2:1–3). Ensuite, « après l’avoir attaché, ils l’emmenèrent et le livrèrent à [Ponce] Pilate, le gouverneur » (Mt 27:2).
Dans la suite du récit, nous voyons Judas qui se rend devant le sanhédrin : « Alors Judas, celui qui l’avait trahi, voyant qu’il était condamné, fut pris de remords et rapporta les 30 pièces d’argent aux chefs des prêtres et aux anciens en disant : « J’ai péché en faisant arrêter un innocent.» » (27:3–4a). Il se peut que Judas ait vu de ses propres yeux (« Judas… voyant ») Jésus enchaîné, conduit devant Pilate, ce qui annonçait la mort certaine de Jésus. Sa conscience en a été transpercée. Il a compris le sens de la loi (« Maudit soit celui qui accepte un pot-de-vin pour verser le sang d’un innocent ! », Dt 27:25). Il s’est repenti (« fut pris de remords »), a rendu l’argent et a confessé son péché aux chefs des prêtres dans le temple. Selon lui, eux seuls pouvaient expier son péché.58 Leur réponse était tout sauf miséricordieuse : « Qu’est-ce que cela peut nous faire ? Cela ne nous regarde pas, c’est ton affaire !» Mt 27:4- Parole Vivante).
Complètement désemparé, il « jeta les pièces d’argent dans le temple, se retira et alla se pendre » (27:5). Les chefs des prêtres répondent, comme le font souvent les personnes religieuses, en tenant à nouveau conseil (« Après en avoir délibéré », 27:7) et en créant un décret phare à propos d’une doctrine mineure. Dans leur hypocrisie, ils reprennent leur propre argent (« les ramassèrent ! »), déclarent cet argent sale impur (« Il n’est pas permis de les mettre dans le trésor sacré puisque c’est le prix du sang ») et l’utilisent afin d’acheter « le champ du potier, pour y ensevelir les étrangers », un cimetière qu’ils ont appelé « champ du sang » (27:6–8). Biens qu’injustes et impitoyables, leurs actes s’avèrent « fidèles à la souveraineté des Écritures ».59 « Alors s’accomplit ce que le prophète Jérémie avait annoncé : Ils ont pris les 30 pièces d’argent, la valeur à laquelle il a été estimé par les Israélites, et ils les ont données pour le champ du potier, comme le Seigneur me l’avait ordonné » (27:9–10). Même si une grande partie de la prophétie provient de Zacharie 11:12–13, « Jérémie » est mentionné parce que c’est un prophète important et parce qu’il parle de l’achat d’un champ dans la vallée de Ben-Hinnom (où se situe le « champ du sang », Jr 19:1–2), du « sang innocent » versé (Jr 19:4) et du nouveau nom donné au champ pour les ensevelissements (Jr 19:6, 11).
27:11–14 Après la parenthèse concernant la mort de Judas, Matthieu conduit ses auditeurs dans le prétoire de Pilate (ceux qui ont tenu conseil contre Jésus « le livrèrent à [Ponce] Pilate, le gouverneur », Mt 27:2). Lorsque Jésus « comparut devant le gouverneur », Pilate lui demanda : « Es-tu le roi des Juifs ? » (27:11). Ici, Pilate introduit un thème important pour Matthieu tout au long de son évangile, mais particulièrement dans le récit de la passion. Jésus est « le roi » (27:11, 28, 29, 37 ; « le Christ », 27:17, 22). La réponse énigmatique que Jésus donne à Pilate (« Tu le dis », 27:11b) ne devrait pas surprendre les auditeurs de Matthieu, Juifs et chrétiens. Jésus est le Roi, aussi bien des Juifs que de la création (28:18).
Le procès de Jésus devant Pilate se poursuit et le sanhédrin l’accuse de crimes, possiblement de blasphème et de sédition. Encore une fois, Jésus garde le silence devant eux (« il ne répondit rien », 27:12). En fait, il gardera le silence pendant tout le procès : « Alors Pilate lui dit: «N’entends-tu pas tous ces témoignages qu’ils portent contre toi?» Mais Jésus ne répondit sur aucun point, ce qui étonna beaucoup le gouverneur ». (27:13–14 ; cf. Es 53:7). En fait, ses prochaines paroles, qui seront aussi les dernières avant sa mort, prendront la forme d’un cri : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 27:46).
27:15–26 Pilate a eu une idée pour sauver cet homme innocent. « A chaque fête, le gouverneur avait pour habitude de relâcher un prisonnier, celui que la foule voulait » (27:15). Il voulait relâcher Jésus pour deux raisons ; a) il savait que les motivations des chefs religieux juifs étaient mauvaises (« En effet, il savait que c’était par jalousie qu’ils avaient fait arrêter Jésus », 27:18), et b) il voulait tenir compte des craintes de sa femme suscitées par son rêve (« Pendant qu’il siégeait au tribunal, sa femme lui fit dire: «N’aie rien à faire avec ce juste, car aujourd’hui j’ai beaucoup souffert dans un rêve à cause de lui » », 27:19).
Jésus étant un prédicateur populaire et un faiseur de miracles, peut-être Pilate a-t-il pensé que la foule le choisirait à la place du « célèbre prisonnier, un dénommé 60 [Jésus] Barabbas » (27:16). Marc et Luc nomment les crimes dont il est accusé. Barabbas est, « avec ses complices », l’auteur d’un « meurtre qu’ils avaient commis lors d’une émeute » (Marc 15:7 ; Luc 23:19). Donc, quand Pilate a demandé à la foule, « Lequel voulez-vous que je vous relâche : Barabbas ou Jésus qu’on appelle le Christ ? » (27:17), il pensait qu’ils choisiraient le maître respecté et non pas le violent terroriste. Cependant, il a sous-estimé la ferveur nationaliste juive contre Rome et la force de persuasion des « chefs des prêtres » et des « anciens » qui « persuadèrent la foule de demander Barabbas et de faire mourir Jésus » (27:20).
Lorsqu’il pose à nouveau la question, « Lequel des deux voulez-vous que je vous relâche ? », ils ont répondu à l’unisson : « Barabbas » (27:21). Surpris par leur réponse, « Pilate répliqua : « Que ferai-je donc de Jésus qu’on appelle le Christ ?» » (27:22a). Sa surprise n’a fait qu’augmenter : « Tous répondirent : « Qu’il soit crucifié !» » (27:22b). Pilate a contesté leur choix, « Mais quel mal a-t-il fait ? » (27:23a), mais il n’a pas réussi à les faire changer d’avis : « Ils crièrent encore plus fort: «Qu’il soit crucifié!» » (27:23b). Enfin, « Voyant qu’il ne gagnait rien mais que le tumulte augmentait » (27:24a), Pilate a cédé sous la pression de la foule et a prononcé ce double verdict ignoble. Au lieu de gouverner avec justice et courage, le gouverneur velléitaire cherche à sauver sa propre peau : « Pilate prit de l’eau, se lava les mains en présence de la foule et dit : « Je suis innocent du sang de ce juste. C’est vous que cela regarde. » » (27:24b).61 La foule juive a tout fait pour que Jésus soit condamné à la peine capitale. Dans le point culminant du récit du procès, Matthieu relate le moment le plus sombre de toute l’histoire d’Israël : « Et tout le peuple répondit : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants !» » (27:25). Leur condamnation collective marque le cinquième des six paradoxes de cette scène du procès :
1) Jésus, le juge de l’univers, se tient debout devant Pilate, qui est assis pour le juger (Jean 19:13 ; cf. Matthieu 25:31). 2) Alors que les chefs juifs font tout ce qui est en leur pouvoir pour que Pilate condamne Jésus à mort, une femme païenne (qui n’est autre que la femme de Pilate) fait son maximum pour qu’il soit relâché. 3) La foule choisit Barabbas, ce qui signifie « fils (Bar) d’un père (Abbas) », à la place de Jésus, le Fils bien-aimé de son Père céleste (cf. 11:27 ; 24:36). 4) Le fait que Pilate se lave les mains ne fait que confirmer que son verdict est injuste. Et 5) la foule, qui assume sciemment sa responsabilité « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! » (27:25), annonce d’avance sans le savoir sa propre destruction, puisque Rome a massacré des milliers de personnes de cette génération pendant la révolte menée de 66 à 70 apr. J.-C.62
Le procès se termine par le verdict de Pilate. Il clame son innocence mais ses mains sont assurément pleines du sang innocent de Jésus. Remarquez les verbes employés : « Alors Pilate leur relâcha Barabbas ; et, après avoir fait fouetter Jésus, il le livra à la crucifixion » (27:26). Il s’agit là du sixième paradoxe. La croix destinée au coupable, Jésus Barabbas, revient à l’innocent, Jésus de Nazareth. « Le mauvais Jésus a été relâché, le mauvais Jésus fouetté, le mauvais Jésus crucifié, mais Dieu utilise toutes ces erreurs pour faire toutes choses bien. »63 Ce Jésus de Nazareth cloué à la croix prévue au départ pour Jésus Barabbas dépeint l’histoire du salut. En raison de l’acte substitutif de Jésus, les coupables sont relâchés. L’amnistie pascale par excellence !
La passion et la mort du Christ (27:27–54)
Derek Tidball écrit : « La croix se trouve au cœur même de la foi chrétienne : elle manifeste l’amour de Dieu, accomplit le pardon du péché, triomphe des forces hostiles du mal et invite à la réconciliation avec Dieu. »64 Depuis le premier passage où Jésus annonce sa mort (16:21), Matthieu conduit le lecteur jusqu’à ce paroxysme.
Le Roi ridiculisé (27:27–31)
Les soldats romains (« Les soldats du gouverneur ») préparent Jésus pour la crucifixion en l’amenant à l’intérieur (« conduisirent Jésus dans le prétoire », 27:27) pour le déshabiller. Ils l’ont déjà battu cruellement (« après avoir fait fouetter Jésus », 27:26).65 Ici, comme dans tout le récit de la crucifixion, Matthieu se concentre davantage sur les moqueries que sur les violences subies par Jésus. Les moqueries commencent lorsque « toute la troupe » (600 hommes !) se rassemble devant Jésus (27:27) pour regarder ou se joindre aux railleries. Encore une fois, Matthieu introduit un autre paradoxe avec une certaine élégance littéraire. Dans le chiasme ci-dessous, les mots ou actions complémentaires ont été mis en évidence.
27 Les soldats du gouverneur conduisirent Jésus dans le prétoire et rassemblèrent toute la troupe autour de lui.
28 Ils lui enlevèrent ses vêtements et lui mirent un manteau écarlate.
29a Ils tressèrent une couronne d’épines qu’ils posèrent sur sa tête et ils lui mirent un roseau dans la main droite ;
29bpuis, s’agenouillant devant lui, ils se moquaient de lui en disant : « Salut, roi des Juifs !»
30 Ils crachaient sur lui, prenaient le roseau et le frappaient sur la tête.
31a Après s’être ainsi moqués de lui, ils lui enlevèrent le manteau et lui remirent ses vêtements
31b et [les soldats] l’emmenèrent pour le crucifier.
Ce qui se détache de ce chiasme, d’un point de vue structurel et littéraire, c’est que cette troupe adore Jésus comme roi (27:29b), mais en se moquant. La leçon théologique est la suivante : la manière dont ils reconnaissent Jésus en tant que roi et l’adorent comme souverain souffrant correspond précisément à la manière dont les disciples devraient réagir à sa passion et à sa mort. Abstraction faite des motivations consternantes des soldats derrière leurs actes -« une couronne d’épines en guise de couronne dorée, une cape de soldat en guise de manteau royal, un roseau en guise de sceptre et le fait de saluer Christ avec la formule réservée à César »66, ils incarnent la réaction appropriée devant le Roi Jésus.
La crucifixion du Fils de Dieu (27:32–44)
Le récit de la passion se poursuit et Matthieu nous présente un Jésus battu et meurtri qui sort du prétoire. « Lorsqu’ils sortirent » de là pour se rendre au lieu de la crucifixion, les soldats « forcèrent » Simon de Cyrène « à porter la croix de Jésus » à sa place (27:32–33). Cette anecdote révèle l’état de faiblesse dans lequel Jésus se trouvait. Pourtant, Simon et sa prouesse pourraient avoir une portée symbolique : un faire-valoir pour Simon-Pierre (ce nouveau Simon marchera avec Jésus jusqu’à la croix) et une image de la vie du disciple chrétien façonnée par la croix (Mt 16:24).
Simon de Cyrène a porté la croix jusqu’ »à un endroit appelé Golgotha – ce qui signifie « lieu du crâne » » (27:33). « Golgotha » se traduit par calvarium en latin, et calvaire en français. Cet endroit a été baptisé « lieu du crâne » parce que la forme de la colline ressemblait à celle d’un crâne humain et que c’était l’endroit, à l’extérieur de Jérusalem, où les condamnés allaient être crucifiés par les Romains. Certains commentateurs chrétiens anciens et même du Moyen Âge pensaient qu’il s’agissait de l’endroit où le corps d’Adam était enterré. Même si les archéologues ne sont pas en mesure de le confirmer, les théologiens peuvent être certains, quant à eux, que la malédiction d’Adam est levée dans la mort de Jésus !
Vue sur le calvaire de Gordon au premier plan avec la tombe du jardin en arrière-plan
Matthieu souligne à ce moment-là qu’ils « crucifièrent » Jésus (27:35) et le montèrent sur la croix (« descends de la croix! », 27:40), mais il ne met pas l’accent sur les détails physiques de la crucifixion (il ne fait pas directement mention de son sang ou de ses mains et de ses pieds percés). Les moqueries demeurent le thème principal. Les soldats romains n’en avaient pas fini avec leurs railleries (27:27–31). Premièrement, « ils lui donnèrent à boire du vinaigre mêlé de fiel » (27:34a ; Ps 69:19–21). Ce n’est pas de la pitié que Jésus a reçue, mais du mépris, car « quand il l’eut goûté, il ne voulut pas boire » (Mt 27:34b). On peut les imaginer ricaner au moment où il a essayé de recracher la mixture. Deuxièmement, ils ont écrit son crime (« le motif de sa condamnation ») au-dessus de sa tête. Pour eux, le fait de placarder le motif de la condamnation au-dessus de cet homme apparemment sans force devait être drôle. « Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs » (27:37). Troisièmement, après l’avoir cloué au bois et attaché, puis élevé de terre afin qu’il meure d’une mort lente et atroce (« Ils le crucifièrent »), ils « s’assirent » au pied de la croix et, pendant qu’ils observaient Jésus se tordre de douleur et agoniser (ils « le gardèrent », 27:36), ils se sont joués ses vêtements (« ils se partagèrent ses vêtements en tirant au sort », 27:35). Quatrièmement, le fait que Jésus n’ait pas de vêtements sur lui (ou peut-être seulement un pagne), nous indique qu’il est mort nu ou quasiment, une mort absolument honteuse.
Mais le casino improvisé au pied de la croix n’était pas la fin des moqueries que Jésus devait endurer. Ses propres compatriotes se sont aussi moqués de lui. Les foules, qui l’avaient auparavant aimé et acclamé comme le Messie passaient à côté de lui et « l’insultaient et secouaient la tête en disant : « Toi qui détruis le temple et qui le reconstruis en trois jours, sauve-toi toi-même ! Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix !» » (27:39b–40). Elles le tentent comme Satan le fit dans le désert. Cependant, Jésus refuse de céder à cette dernière tentation ô combien séduisante. Les chefs religieux y vont aussi de leurs sarcasmes sur la capacité de Jésus à sauver, son identité messianique et sa relation intime avec le Père : « Les chefs des prêtres, avec les spécialistes de la loi et les anciens, se moquaient aussi de lui et disaient : « Il en a sauvé d’autres et il ne peut pas se sauver lui-même ! S’il est roi d’Israël, qu’il descende maintenant de la croix et nous croirons en lui. Il s’est confié en Dieu ; que Dieu le délivre maintenant, s’il l’aime ! En effet, il a dit : ‘Je suis le Fils de Dieu.’ » » (27:41–43). Et comme si ce n’était pas suffisant, même les « deux brigands » qui étaient crucifiés « l’un à sa droite et l’autre à sa gauche » (27:38), « l’insultaient eux aussi de la même manière » (27:44).
Au cœur de leur mépris se trouvent ses prétentions à être le Roi d’Israël et le Fils de Dieu. Ils n’arrivent pas à comprendre comment l’oint de Dieu pouvait être détruit, comment le Messie tout‑puissant pouvait être mis à mort, comment le Christ triomphant pouvait être crucifié. Ils se sont heurtés à cette pierre d’achoppement. Ils n’ont pas saisi qu’en donnant sa vie, Jésus sauve la nôtre (cf. 16:25). Mais ne nous trompons pas. Il est le Roi d’Israël. Il est le Fils de Dieu. Il se confie en Dieu et Dieu le justifiera. Il est en train de sauver les autres. Chacun de leurs sarcasmes est vrai. Les plus grandes vérités de l’Évangile sortent de la bouche de ces insensés !6
La vie en sa mort (27:45–54)
Matthieu 27:45–54 relate la mort de Jésus (Jésus « rendit l’esprit », 27:50). Cependant, Matthieu ne met pas l’accent sur ce moment précis mais sur ce qui arrive avant et après la mort de Jésus, afin de montrer les conséquences incroyables de la crucifixion de Christ.
Avant que Jésus meure, Dieu envoie quatre signes surnaturels et Jésus pousse deux grands cris. Le premier signe, ce sont les ténèbres : « De midi jusqu’à trois heures de l’après-midi, il y eut des ténèbres sur tout le pays » (27:45). Alors que le soleil était à son zénith (à « midi », la 6è heure), Dieu enveloppe le ciel d’obscurité pour manifester son jugement (Ex 10:22) et sa peine (Amos 8:9–10). Ces ténèbres extérieures reflètent le trouble intérieur de Jésus et son sinistre cri d’abandon. Trois heures plus tard, « Jésus s’écria d’une voix forte : « Eli, Eli, lama sabachthani?» – c’est-à-dire: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? » (Mt 27:46, citant Ps 22:1a). Les derniers mots de Jésus rapportés par Matthieu avant sa mort sont la Parole de Dieu, le début du psaume qui exprime parfaitement la théologie de Matthieu concernant la croix. La citation finale du Psaume 22 (cf. Ps 22:7 dans Matt 27:39 ; Ps 22:8 dans Mt 27:43, Ps 22:18 dans Mt 27:35) met l’accent sur le fait que Jésus a été abandonné par Dieu. Même si, contrairement à Paul, Matthieu ne dit pas que Dieu a fait devenir Jésus péché, lui qui était sans péché, afin que les croyants puissent être pardonnés (voir 2Co 5:18–21), il montre que Jésus est un substitut (27:15–26) innocent (Mt 27:4) et que, en donnant sa vie en rançon (20:28) et en versant son sang (26:27–28), il sauve son peuple de ses péchés (1:21; 26:28).
Jésus pousse son dernier cri sur la croix après que « Quelques-uns de ceux qui étaient là » se soient mépris sur le sens de cette citation tirée du Psaume 22 (ils pensent qu’en employant le mot araméen « Eli », Jésus appelle Élie à l’aide, Mt 27:47–49). Alors qu’ils attendent de voir « si Elie viendra le sauver » (27:49), Jésus meurt : « Jésus poussa de nouveau un grand cri et rendit l’esprit » (27:50). L’expression « Jésus… rendit l’esprit » démontre encore une fois qu’il est souverain, même par rapport à ses souffrances. « C’est comme si le Fils parfaitement obéissant, au moment où son cœur va s’arrêter de battre, ses poumons s’asphyxier ou son sang se vider dans des proportions fatales (quelle que soit la cause physique qui l’aura emporté), remet à son Père son dernier souffle comme un don (cf. Luc 23:46). »68 Jean nous dévoile ce que renferme ce dernier cri : « Tout est accompli » (Jean 19:30). Matthieu veut que tout le monde sache que Jésus meurt victorieusement en consignant par écrit trois signes surnaturels survenus après la crucifixion.
Comme je l’ai résumé ailleurs,
Après que Jésus a rendu « l’esprit », l’Esprit de Dieu se met à l’œuvre dans le monde (27:50). Les cieux multiplient les signes d’approbation et de victoire. La justification de Dieu crie plus fort que la voix du mépris et de la confusion. Le Père n’a pas abandonné son Fils juste et souffrant. Il fait trembler la terre, ouvre les tombeaux et déchire le voile en guise de célébration ! Il proclame de manière éclatante que le sacrifice de Jésus a été agréé… Après toutes les souffrances endurées par Jésus, à la fois physiques (le fouet, la couronne d’épines, le poids de son propre corps sur la croix, la soif, la perte de son sang), psychologiques (les moqueries et la désertion de ses disciples) et spirituelles (l’ « abandon » du Père), Jésus meurt victorieux… Christ triomphe du monde (les ténèbres et le tremblement de terre). Christ triomphe du péché (le voile déchiré). Christ triomphe de la mort (les corps ressuscités).70
Après ces quatre signes surnaturels, nous pouvons peut-être en observer un cinquième : « A la vue du tremblement de terre et de ce qui venait d’arriver, l’officier romain et ceux qui étaient avec lui pour garder Jésus furent saisis d’une grande frayeur et dirent : « Cet homme était vraiment le Fils de Dieu.» » (27:54). Si ce n’est pas un signe, cette réponse est assurément un miracle ! Tout comme la mort de Jésus entraîne la résurrection de ceux qui sont physiquement morts (« les morts revivent par sa mort »71), elle apporte la vie à ceux qui sont spirituellement morts. Le voile de 24 mètres de haut qui séparait le parvis des Juifs du parvis des non-Juifs a été déchiré « depuis le haut jusqu’en bas » (27:51) quand Jésus est mort.72 Mais un groupe de soldats romains a aussi eu le cœur déchiré. Matthieu décrit sous la forme d’un récit ce que Paul écrit sous forme d’affirmation : « vous qui autrefois étiez loin, vous êtes devenus proches par le sang de Christ » (Ep 2:13).
Il y a quelque chose de remarquable dans le fait d’être « saisis d’une grande frayeur » et de confesser « Cet homme était vraiment le Fils de Dieu » (Mt 27:54) après avoir assisté à la fois aux signes cataclysmiques venus du ciel et à la première moitié du signe de Jonas (la mort de Jésus). Il est remarquable que des non-Juifs soient les premiers à faire une telle confession après la crucifixion. Il est encore plus remarquable que ces non-Juifs soient des soldats romains. Et il est éminemment remarquable qu’une telle confession sorte de la bouche des hommes qui l’ont cloué à la croix (27:35) après l’avoir déshabillé, avoir craché sur lui et avoir tourné en ridicule sa royauté (27:28–31).73 En effet, il y a quelque chose de miraculeusement remarquable à ce que ceux qui « se moquaient de lui en disant: «Salut, roi des Juifs!» » (27:29 ; cf. 27:37), le reconnaissent maintenant en tant que Fils de Dieu. Le Psaume 22:7, qui a prophétisé que les nations adoreraient le Roi juste et souffrant, est accompli. Par la croix de Christ, les ennemis de Dieu s’approchent de Dieu (Rm 5:10). Martin Luther fait ce commentaire : « Le sang de Christ réveille non seulement les corps morts, mais aussi les âmes des pécheurs. »74
« Lui qui a été crucifié » (27:55–28:20)
La scène de la crucifixion se termine en présence de « femmes », disciples de longue date (« avaient accompagné Jésus depuis la Galilée »), qui viennent au pied de la croix pour s’occuper de son corps (pour « le servir ») après avoir assisté à la crucifixion « de loin » (27:55). Matthieu braque les projecteurs sur trois femmes en particulier (« Marie de Magdala, Marie la mère de Jacques et de Joseph, et la mère des fils de Zébédée », 27:56). Deux d’entre elles assisteront à la fois à l’ensevelissement (« Marie de Magdala et l’autre Marie étaient là, assises vis-à-vis du tombeau », 27:61) et à la résurrection (« Après le sabbat, à l’aube du dimanche, Marie de Magdala et l’autre Marie allèrent voir le tombeau », 28:1). Cela aussi est remarquable car, alors que leur culture ne considérait pas les femmes comme des témoins crédibles,75 elles sont les seules à devenir les témoins clés de toute l’histoire de l’Évangile, « attestant… du triptyque kérygmatique : Jésus est mort, a été enseveli, est ressuscité. »76
La mise au tombeau de Jésus (27:57–61)
Les femmes se sont occupées du corps de Christ puis, « le soir venu », Joseph d’Arimathée a demandé le corps (27:57). Il est présenté comme étant « un disciple de Jésus » et « un homme riche » (27:57 ; Es 53:9). La fortune de Joseph lui a donné un certain poids auprès de Pilate car, quand il « alla trouver Pilate et demanda le corps de Jésus » … Pilate ordonna de le lui remettre » (27:58). Après avoir obtenu le corps, « Joseph prit le corps, l’enveloppa dans un drap de lin pur et le déposa dans un tombeau neuf qu’il s’était fait creuser dans la roche. Puis il roula une grande pierre à l’entrée du tombeau et s’en alla » (27:59–60).
La tombe du Jardin
Luc nous informe que Joseph était membre du sanhédrin (Luc 23:50) et qu’il ne s’était pas associé à la condamnation de Jésus prononcée par le Conseil (Luc 23:51). Jean précise qu’il était « disciple de Jésus, mais en secret par crainte des chefs juifs » (Jean 19:38). Désormais, son secret est dévoilé au grand jour ! En se rendant vers Pilate, il quitte le camp des timides pour rejoindre celui des courageux, puisqu’il risque à la fois sa réputation auprès de ses pairs et peut-être sa vie auprès de Pilate. De plus, il s’identifie à Jésus en servant le Serviteur des serviteurs. Les six verbes (prit, enveloppa, déposa, creuser, roula et s’en alla, Mt 27:59–60) montrent qu’il a retenu les enseignements de Jésus sur l’obéissance aux aspects les plus importants de la loi, la pureté rituelle et l’amour. En outre, si quelqu’un pouvait confesser le Credo (Jésus « a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort et a été enseveli), c’est bien Joseph, un témoin incroyablement crédible aussi bien pour l’establishment juif que romain de son époque.
La portée historique du récit de Matthieu ne saurait être sous-estimée. Pas plus que sa portée théologique, qui est bien résumée par Herman Ridderbos :
Même si le récit de l’ensevelissement de Jésus est extrêmement succinct et sobre, nous ne devons jamais oublier que, à cette occasion comme dans tout le reste de son évangile, Matthieu raconte l’histoire de Christ. L’absence de détails biographiques concentre toute l’attention sur le thème principal, à savoir que le chemin de l’humiliation emprunté par l’Oint de Dieu conduisait au tombeau, l’endroit où la mort règne en maître et impose sa malédiction de manière implacable (voir Gn 3:19). Christ a été déposé dans le lieu de l’humiliation et de la souillure humaines les plus profondes et a été emprisonné derrière une lourde pierre. Même Ses amis les plus proches pensaient qu’Il était parti pour toujours, comme une figure du passé qu’il fallait maintenant oublier. Ainsi, Jésus a enduré non seulement la douleur, la souffrance et la malédiction de la mort mais également les terreurs de la tombe, afin qu’Il puisse en délivrer son peuple pour toujours.77
Les gardes devant le tombeau (27:62–66)
Le lendemain de l’ensevelissement, « les chefs des prêtres et les pharisiens allèrent ensemble chez Pilate » (27:62). Nous sommes le samedi, le jour du sabbat (la veille correspond à « la préparation », 27:62 ; Matthieu 28:1 commence avec ces mots, « Après le sabbat »). Matthieu souligne l’hypocrisie des chefs religieux juifs qui se réunissent non pas dans la synagogue pour adorer mais avec le gouverneur romain. Ils « allèrent ensemble chez Pilate » pour lui demander de l’aide afin de garder le tombeau : « Seigneur, nous nous souvenons que cet imposteur a dit, quand il vivait encore : ‘Après trois jours je ressusciterai.’ Ordonne donc que le tombeau soit gardé jusqu’au troisième jour, afin que ses disciples ne viennent pas voler le corps et dire au peuple : ‘Il est ressuscité.’ Cette dernière imposture serait pire que la première » (27:63–64). Pilate a répondu à leur demande en disant « Vous avez une garde. Allez-y, gardez-le comme vous le souhaitez ! » (27:65). Puisqu’ils sont appelés soldats du gouverneur en 28:12 et 14, cela signifie, « Allez-y, prenez quelques-uns de mes hommes et rendez le tombeau aussi sûr que possible » (voir 27:65, Bible du Semeur, Bible Martin). Ainsi, les chefs accompagnés des soldats « s’en allèrent et firent surveiller le tombeau par la garde après avoir scellé la pierre » (27:66). Comme Hagner le fait remarquer, l’ironie réside dans le fait que « les adversaires [de Jésus] ont pris ses paroles à propos de la résurrection des morts plus au sérieux que ses propres disciples. »78 Mais l’ironie est aussi dans le fait que ces gardes rejoignent maintenant les femmes et Joseph en qualité de témoins officiels de la réalité de la mort de Jésus et de l’emplacement de son tombeau.
La résurrection : la réaction des femmes qui croient (28:1–10)
Leurs mesures de sécurité (« gardé », 27:64, « garde », 27:65, 66) ne faisaient pas le poids par rapport à la puissance de Dieu ! Jean Chrysostome a exprimé cette vérité de façon magistrale : « Voici… un sceau, une pierre et une garde n’ont pas pu le retenir. »79 Relevons cinq particularités du récit de la résurrection dans Matthieu.
Premièrement, Matthieu emploie le terme « voici » à quatre reprises : « Et voici, il y eut un grand tremblement de terre » (28:2, version Louis Segond) ; « Et voici, il vous précède en Galilée: c’est là que vous le verrez. Voici, je vous l’ai dit » (28:7, version Louis Segond) ; « Et voici que Jésus vint à leur [les femmes] rencontre ». À travers ce mot « voici », il invite ses lecteurs à s’arrêter sur le violent tremblement de terre, sur l’ange et son annonce et sur le Christ ressuscité lui-même.
Deuxièmement, la résurrection a lieu un dimanche (« Après le sabbat, à l’aube du dimanche, Marie de Magdala et l’autre Marie allèrent voir le tombeau », 28:1). Pourquoi Dieu a-t-il choisi le dimanche, au lieu du jour saint pour Israël ? « Peut-être a-t-il choisi un nouveau jour parce qu’une nouvelle ère s’ouvrait dans l’histoire du monde ; une cassure définitive s’est opérée dans le cosmos afin de créer un huitième jour éternel de repos et de réjouissance pour tous ceux qui se reposent et se réjouissent en Christ. »80
Troisièmement, même si « un grand tremblement de terre » se produit, c’est l’ange et non pas le tremblement de terre qui « vint rouler la pierre » (28:2). Et c’est cet ange, de par sa sainte apparition (« Il avait l’aspect de l’éclair et son vêtement était blanc comme la neige », 28:3 ; cf. 17:2), et non pas le tremblement de terre, qui a fait trembler tous les témoins présents devant le tombeau vide : les gardes « tremblèrent de peur et devinrent comme morts » (28:4). C’est aussi lui qui a engagé la conversation avec les femmes effrayées, « n’ayez pas peur » (28:5).
Quatrièmement, l’ange avait un triple message à faire passer. Après avoir essayé de les rassurer, il leur a annoncé la résurrection corporelle de Jésus (« n’ayez pas peur, car je sais que vous cherchez Jésus, celui qui a été crucifié. Il n’est pas ici, car il est ressuscité, comme il l’avait dit », 28:5–6),81 les a invitées à venir « voir l’endroit où le Seigneur était couché » (28:6) et leur a donné pour mission de répandre la nouvelle (« et allez vite dire à ses disciples qu’il est ressuscité. Il vous précède en Galilée. C’est là que vous le verrez. Voilà, je vous l’ai dit », 28:7). En grec, l’expression « il est ressuscité » correspond à un seul mot (ēgerthē, 28:6, 7), un mot sur lequel « repose toute la vérité de l’Évangile, comme dans une pyramide à l’envers ».82
Cinquièmement, alors que les femmes obéissent à l’ange (« Elles s’éloignèrent rapidement du tombeau, avec crainte et une grande joie, et elles coururent porter la nouvelle aux disciples », 28:8 ; Rm 10:15), elles rencontrent Jésus sur le chemin (« Et voici que Jésus vint à leur rencontre et dit: «Je vous salue.» », Matt 28:9a). Il les rassure lui aussi (« N’ayez pas peur ! ») et réaffirme leur mission (« N’ayez pas peur ! Allez dire à mes frères de se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront », 28:10). En réponse à cette théophanie en chair et en os, elles s’approchent de lui, saisissent ses pieds et s’agenouillent devant lui (« s’agrippèrent à ses pieds et se prosternèrent devant lui », 28:9b).
La résurrection : la réaction des hommes qui ne croient pas (28:11–15)
Comment réagissent les incroyants qui ont assisté à la mort, à la mise au tombeau et à la résurrection de Jésus ? De manière incroyable ! Tandis que les femmes partent accomplir leur mission, les gardes et les chefs des prêtres répondent à l’ « intervention suprême de Dieu dans l’existence humaine »83 par le mensonge et la corruption.
Les femmes cherchent les onze apôtres pour leur communiquer le message de l’ange à propos du tombeau vide et de la résurrection de Jésus (« Il n’est pas ici, car il est ressuscité », 28:6). Quelques soldats communiquent ce même message aux « chefs des prêtres » (28:11). Pourtant, au lieu de se réjouir à l’occasion de la Pâque, ces derniers se sont à nouveau réunis avec « les anciens » et ont conçu un plan machiavélique. Ils avaient payé Judas pour qu’il dise ce qu’il savait ; maintenant, ils acceptent de payer les gardes afin qu’ils ne disent pas ce qu’ils savent. Et, tout comme leurs mesures de sécurité précédentes, leur nouvelle tentative de faire taire la vérité contribue au contraire à la faire entendre davantage. Doriani qualifie de « savoureuse ironie » le fait que les autorités qui s’efforcent de « dissimuler la résurrection » contribuent plutôt à « propager l’histoire du tombeau vide ».84
Le Mandat Missionnaire (28:16–20)
Matthieu ne détaille pas la rencontre entre les femmes et les disciples. Mais ils ont certainement reçu le message de Jésus cinq sur cinq, « Allez dire à mes frères de se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront » (28:10), comme l’indique le verset 16 : « Les onze disciples allèrent en Galilée, sur la montagne que Jésus leur avait désignée ». Leur obéissance et le terme employé par Jésus pour évoquer la restauration de la relation (« mes frères ») prouve qu’il leur a pardonné leur apostasie temporaire. De plus, le cadre de leur rencontre (sur une montagne en Galilée) peut être considéré comme un rappel de leur mandat apostolique. La dernière fois que la « Galilée » et une « montagne » ont été mentionnées, c’était en 4:12‑5:1, un texte qui parle de l’appel des premiers disciples et des instructions que Jésus leur adresse (le Sermon sur la montagne). Une fois qu’ils rencontrent Jésus, leur adoration, bien qu’imparfaite (« Quand ils le virent, ils se prosternèrent [devant lui], mais quelques-uns eurent des doutes », 28:17) atteste également que la relation est restaurée et qu’ils reconnaissent l’identité véritable de Jésus (cf. 14:33).85 Même le doute peut être considéré comme une hésitation temporaire dans le sens où ils se demandent peut-être a) « Est-ce bien Jésus ? » et b) « Est-il légitime en tant que Juifs monothéistes d’adorer Jésus ? »
Puisqu’ils sont restaurés en tant que disciples, leur Seigneur ressuscité les appelle à faire des disciples. Les thèmes clés de l’évangile de Matthieu sont réunis dans le mandat missionnaire [Great Commission] de Jésus : l’autorité absolue de Jésus, la mission envers les Juifs et les non-Juifs, la fidélité nécessaire aux enseignements de Jésus, et la promesse de la présence de Christ. La répétition du mot « Tout/toutes/tous » sépare habilement ces thèmes : tout (pasa) pouvoir, toutes (panta) les nations, tout (panta) ce qu’il a prescrit, et avec vous tous (pasas) les jours.
Avant que Jésus leur confie cette mission (« Allez »), il indique pourquoi son commandement sera honoré : « Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre » (28:18). Jésus est plus que le Roi des Juifs ; il est Roi de la Création, étant donné que son « pouvoir absolu »86 s’applique sur toute la « terre » et s’étend à toute la matière créée au-delà de celle‑ci (« le ciel »).87
Ensuite, Jésus passe à la mission en elle-même. Il emploie quatre verbes, aller, faire des disciples, baptiser et enseigner : « Allez [donc], faites de toutes les nations des disciples, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit et enseignez-leur à mettre en pratique tout ce que je vous ai prescrit » (28 : 19– 20). Le verbe « aller » est un verbe subordonné (un participe circonstanciel) à l’impératif aoriste principal « faire des disciples », mais « aller » et « faire » vont ensemble : cette mission implique un mouvement (Actes 1:8) ! La mission principale qui consiste à faire des disciples a pour champ « toutes les nations » (Ap 5:9 ; 14:6), et son contenu est centré sur le baptême et l’enseignement. Ceux qui acceptent Jésus comme Sauveur et Seigneur doivent être baptisés « au nom » ou « pour le nom » trinitaire de Dieu (« du Père, du Fils et du Saint-Esprit », Mt 28:19). Il faut leur apprendre à se saisir des commandements vastes et variés de Jésus, ancrés dans ses impératifs, mais aussi ses proverbes, ses paraboles, ses prophéties, ses malédictions et ses avertissements.
Et si les disciples d’alors, et tout au long de l’histoire, récoltent les fruits de la croissance de l’Évangile (c’est-à-dire, font de nouveaux disciples), c’est en raison du pouvoir absolu de Jésus et de sa présence permanente : « Et moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (28:20b). Jésus, qui est « Emmanuel, ce qui signifie « Dieu avec nous » (1:23), sera avec son Église, la mettant au travail pour la mission, jusqu’à son retour. En d’autres termes : les garanties que Jésus donne à la première personne (« j’ai tout pouvoir et je suis avec vous tous les jours »), permettent à son Église de garder ses commandements donnés à la deuxième personne : vous, faites tous des disciples en allant, en baptisant et en enseignant.88
Bibliographie
Bruner, Frederick Dale. Matthew: A Commentary. Volume 1: The Christbook, Matthew 1–12. Grand Rapids, États-Unis : Eerdmans, 2007.
—————————. Matthew: A Commentary. Volume 2: The Christbook, Matthew 13–28. Grand Rapids, États-Unis : Eerdmans, 2007.
Nolland, John. The Gospel of Matthew. NIGTC. Grand Rapids, États-Unis : Eerdmans, 2005.
O’Donnell, Douglas Sean. Matthew: All Authority in Heaven and on Earth. Preaching the Word. Wheaton, Illinois, États-Unis : Crossway, 2013.
Osborne, Grant R. Matthew. ZECNT 1. Grand Rapids, États-Unis : Zondervan, 2010.
Quarles, Charles L. A Theology of Matthew: Jesus Revealed as Deliverer, King, and Incarnate Creator. Explorations in Biblical Theology. Phillipsburg, New Jersey, États-Unis : P&R, 2013.
Notes de bas de page et autorisations
Le texte de Matthieu, à l’exclusion de toutes les citations de la Bible, est la propriété de The Gospel Coalition, © 2025. TGC Evangile21 vous donne la permission de reproduire intégralement cet ouvrage, sans y apporter aucune modification, en français, à des fins de distribution non commerciale dans le monde entier.
Si vous souhaitez traduire cet ouvrage dans une autre langue, merci de vous reporter à l’original : Matthew
Matthieu 1
Naissance de Jésus et début de son ministère 1.1–4.25
Généalogie et naissance de Jésus-Christ
1 Voici la généalogie de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham. 2Abraham eut pour fils Isaac; Isaac eut Jacob; Jacob eut Juda et ses frères; 3Juda eut Pérets et Zérach de Tamar; Pérets eut Hetsrom; Hetsrom eut Aram; 4Aram eut pour fils Aminadab; Aminadab eut Nachshon; Nachshon eut Salmon; 5Salmon eut Boaz de Rahab; Boaz eut Obed de Ruth; 6Obed eut pour fils Isaï; Isaï eut David.
Le roi David eut Salomon de la femme d’Urie; 7Salomon eut pour fils Roboam; Roboam eut Abija; Abija eut Asa; 8Asa eut pour fils Josaphat; Josaphat eut Joram; Joram eut Ozias; 9Ozias eut pour fils Jotham; Jotham eut Achaz; Achaz eut Ezéchias; 10Ezéchias eut pour fils Manassé; Manassé eut Amon; Amon eut Josias; 11Josias eut pour descendants Jéconias et ses frères, à l’époque de la déportation à Babylone.
12Après la déportation à Babylone, Jéconias eut pour fils Shealthiel; Shealthiel eut Zorobabel; 13Zorobabel eut pour fils Abiud; Abiud eut Eliakim; Eliakim eut Azor; 14Azor eut pour fils Sadok; Sadok eut Achim; Achim eut Eliud; 15Eliud eut pour fils Eléazar; Eléazar eut Matthan; Matthan eut Jacob; 16Jacob eut pour fils Joseph, l’époux de Marie, de laquelle est né Jésus, qu’on appelle le Christ.
17Il y a donc en tout 14 générations depuis Abraham jusqu’à David, 14 générations depuis David jusqu’à la déportation à Babylone et 14 générations depuis la déportation à Babylone jusqu’au Christ.
18Voici de quelle manière arriva la naissance de Jésus-Christ. Marie, sa mère, était fiancée à Joseph; or, avant qu’ils aient habité ensemble, elle se trouva enceinte par l’action du Saint-Esprit. 19Joseph, son fiancé, qui était un homme juste et qui ne voulait pas l’exposer au déshonneur, se proposa de rompre secrètement avec elle. 20Comme il y pensait, un ange du Seigneur lui apparut dans un rêve et dit: «Joseph, descendant de David, n’aie pas peur de prendre Marie pour femme, car l’enfant qu’elle porte vient du Saint-Esprit. 21Elle mettra au monde un fils et tu lui donneras le nom de Jésus car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés.»
22Tout cela arriva afin que s’accomplisse ce que le Seigneur avait annoncé par le prophète: 23La vierge sera enceinte, elle mettra au monde un fils et on l’appellera Emmanuel, ce qui signifie «Dieu avec nous».
24A son réveil, Joseph fit ce que l’ange du Seigneur lui avait ordonné et il prit sa femme chez lui, 25mais il n’eut pas de relations conjugales avec elle jusqu’à ce qu’elle ait mis au monde un fils [premier-né] auquel il donna le nom de Jésus.
Société Biblique de Genève, éd. (2007). La Bible Segond 21 (Mt 1.1–25).