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Cet article est la suite de « La supplication et la reconnaissance – au lieu de la colère »

Pourquoi faut-il crier parfois ?

Un verbe dit cela très fort, c’est le verbe crier, que l’on trouve assez souvent dans les Psaumes. L’Eternel entend quand je crie à lui (Ps 4.4). Et Dieu répond : Tu as crié dans la détresse, et je t’ai délivré (Ps 81.8). 

Faut-il donc que je crie pour que Dieu m’entende, lui qui connaît le fond de mon cœur avant que ma bouche s’ouvre ? La réponse est : pas toujours, mais parfois oui. Pourquoi ? Parce que ce cri (qui peut bien être silencieux, c’est quand même un cri) opère une forme de circoncision du cœur : il y a un voile qui se déchire, comme pour l’enfant qui vient de naître. Il y a un accès qui s’ouvre, une fierté qui tombe, et donc un lien qui se crée. Celui qui appelle au secours n’est plus fier. Dieu va pouvoir tendre sa main secourable pour le rejoindre et le relever.

Mais alors, n’est-ce que pour les chrétiens récalcitrants ? Non, c’est aussi la respiration de chaque jour pour le chrétien qui aime Dieu et qui est aimé de lui, comme l’indique le Notre Père. C’est également nécessaire pour la croissance spirituelle : les étapes de croissance ressemblent à l’étape de la nouvelle naissance, même pour les chrétiens fidèles. Avant la ruine, le cœur de l’homme s’élève ; mais l’humilité précède la gloire (Pr 18.12). Si la gloire nous était accordée sans l’humilité, cela tournerait à notre perte ! On pourrait dire que c’est là le secret de la supplication. 

Cela aussi on le constate dans les récits bibliques, comme par exemple avec Paul qui supplie Dieu de le délivrer de son écharde (2 Co 12.8). Était-il désobéissant ? Non, mais de telles révélations lui avaient été accordées, qu’il courait le risque de devenir orgueilleux (12.7). Nous nous souvenons que Jésus lui-même a crié vers son Père, et qu’il a appris l’obéissance par les choses qu’il a souffertes (Hé 5.8). 

Reconnaissant dans les calamités ?

Nous remarquons que Paul écrit, après avoir évoqué ce combat dans la prière : C’est pourquoi je me plais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les calamités, dans les persécutions, dans les détresses pour Christ ; car quand je suis faible, c’est alors que je suis fort (2 Co 10). 

Le mot ‘faible’, ici, n’est pas un mot pour faire semblant. Il signifie littéralement ‘qui ne tient pas debout tout seul’. Certains pourraient croire que Paul exagère quand il écrit cela. D’autres ont déjà découvert que les richesses de la grâce de Dieu sont au prorata du brisement que nous avons vécu. En tant qu’aumônier hospitalier, j’ai constaté bien des fois qu’une personne peut faire plus de chemin en trois jours, couchée sur une lit d’hôpital, qu’en trente ans à courir dans tous les sens. C’est ainsi. Serait-ce que Dieu est lent à agir ? Non, Dieu agit promptement, mais il est patient. C’est nous qui sommes lents à nous incliner : Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite ! Est-ce notre supplication ?

Il me revient que le 13 août 1727 à Berthelsdorf, en Saxe, la communauté morave s’étant réunie pour un service de Cène, tous se mirent à genoux, à commencer par les pasteurs. Le souffle d’un renouveau spirituel profond visita alors cette assemblée et la marqua durablement. De même, en 1923 à Crest, une vingtaine de pasteurs réunis pour une pastorale sont touchés par l’exhortation de l’un d’eux et se mettent à genoux. Ce sera un des éléments déclencheurs du Réveil de la Drôme. Supplication et reconnaissance ! Faut-il donc se mettre à genoux pour supplier ? Pourquoi pas ?

Toutes les saisons ne se ressemblent pas

Ce qui apparaît dans la Bible, dans l’histoire de l’Église, comme dans nos vies, c’est que toutes les saisons ne se ressemblent pas. On pourrait dire qu’il y a des saisons pour supplier et des saisons pour rendre grâce, sachant que ce que nous appelons ‘saison’, ici, peut durer quelques heures, quelques semaines ou quelques années. L’apôtre Jacques le dit ainsi : Quelqu’un parmi vous est-il dans la souffrance ? Qu’il prie. Quelqu’un est-il dans la joie ? Qu’il chante des cantiques (5.13). 

Certains psaumes sont assurément des psaumes de supplication, écrits – par des croyants – pendant des périodes d’épreuves redoutables. La plupart, cependant, se concluent par la reconnaissance, comme le Psaume 13, le Psaume 73 ou le Psaume 77. Le Psaume 23, lui, n’exprime que la reconnaissance – sans exclure la vallée de l’ombre de la mort. 

Cependant, il est probable qu’un assez grand nombre de fois, la supplication et la reconnaissance se succéderont dans une même période, dans une même journée, dans une même prière. N’avons-nous pas, à tout instant, des sujets de souffrance ou d’intercession, et des sujets de reconnaissance ? Oui, nous les avons. N’est-ce pas aussi ce que laissent entendre les Béatitudes ? Heureux ceux qui pleurent, cela ne peut-il pas, dans un même mouvement paradoxal, nourrir de la supplication et de la reconnaissance ? Un enfant qui pleure dans les bras de sa mère n’est-il pas en même temps habité par une supplication et par la reconnaissance ? 

Les Béatitudes nous parlent de l’espérance chrétienne qui éclaire notre marche présente. Elles nous parlent aussi de la persévérance. Les promesses, en effet (ils seront consolés, ils hériteront la terre…) ont certes un commencement d’exaucement, mais il y a encore un exaucement attendu. Les Réformateurs du XVIème siècle ont bien présenté la persévérance tout à la fois comme un combat (avec des supplications) et comme une grâce que Dieu accorde à ses élus (avec de la reconnaissance) ! 

Qu’as-tu que tu n’aies reçu ?

Dans les Béatitudes, il y a une apologie de la pauvreté. Pas nécessairement de la pauvreté matérielle, mais de l’esprit de pauvreté. Celui qui le possède est tout à la fois dans la supplication et dans la reconnaissance. C’est la bonne posture. Ceux qui sont allés en Afrique noire ont pu l’observer : le dénuement et la joie, la dépendance et la joie. Il semble que ce soit une caractéristique du Royaume de Dieu. 

D’une manière assez semblable, je crois, cela peut se voir chez certaines personnes malades, et même chez certaines personnes en fin de vie : il y a les larmes de devoir tout quitter et, en même temps, une sorte de joie qui n’a peut-être pas été connue comme cela auparavant. Les cantiques d’autrefois disaient cela, célébrant la joie de rencontrer le Seigneur et priant Dieu d’être en soutien dans ce dernier passage.

En situation de guerre ou de persécution, la supplication et la reconnaissance s’expriment autrement qu’en temps de paix. Quand la vie se fait fragile, incertaine, on supplie là où on pensait pouvoir se débrouiller tout seul ; et on est reconnaissant là où on trouvait les choses normales. C’est la découverte que nous ne méritons rien, pas même l’air que nous respirons. Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? (1 Co 4.7). 

Nous nous souvenons que Paul parle de la piété que les enfants doivent avoir vis-à-vis de leurs parents (1 Tm 5.4. Cf. Ep 6.1). Demander et dire merci ! Non pas réclamer, non pas s’emparer ; mais demander et dire merci. L’enfant qui a cette attitude sera heureux. C’est la loi que Moïse a prescrite de la part de Dieu. C’est craindre l’Éternel afin que nous soyons toujours heureux (Dt 6.24). 

C’est pour cela que Jésus parle de la ressemblance avec les enfants (Mc 10.14). C’est pour cela qu’il appelle aussi ses disciples les petits (Mt 10.42 ; 18.6). Quelle que soit leur taille ou leur statut social. J’ai l’âme calme et tranquille comme un enfant sevré dans les bras de sa mère, écrit David (Ps 131). Dépendre de Dieu et être reconnaissant.

Être agréables à Dieu

Si la supplication et la reconnaissance sont toutes les deux justifiées dans notre présent parcours, une des deux, un jour, n’aura plus lieu d’être : la supplication. Tandis que l’autre, la reconnaissance, demeurera toujours !

Je me dis – est-ce que je rêve ? – que cette respiration chrétienne qui conjugue à chaque instant la supplication et la reconnaissance peut s’inscrire sur les visages et les faire ressembler à celui de Jésus. 

L’apôtre Paul exhorte ainsi les chrétiens de l’église de Philippes : Ne vous inquiétez de rien, mais en toute chose faites connaître vos besoins à Dieu par des prières et des supplications, avec des actions de grâce (Ph 4.6). En toute chose, cela signifie en toutes circonstances, à toute occasion ; on pourrait dire tout le temps. Paul ajoute une promesse qui doit s’accomplir avant même l’exaucement : Et la paix de Dieu qui surpasse toute intelligence gardera vos cœurs et vos pensées en Jésus-Christ (6.7). 

Je cite Jean Calvin, dans le même esprit : Celui qui aura une telle affection envers Dieu, quelque chose qu’il advienne, ne se réputera jamais malheureux, et ne se plaindra pas de sa condition, comme pour accuser Dieu. Or, combien cette affection est nécessaire, cela apparaîtra si nous considérons à combien d’accidents nous sommes sujets. Il y a mille maladies qui nous molestent assidûment les unes après les autres : tantôt la peste nous tourmente, tantôt la guerre ; tantôt une gelée ou une grêle nous apporte stérilité, et par conséquent nous menace d’indigence, tantôt par mort nous perdons femmes, enfants et autres parents ; parfois le feu se mettra en notre maison.  (…) Au contraire (de ceux qui maudissent Dieu), il faut que l’homme fidèle contemple en ces choses la clémence de Dieu et sa bénignité paternelle. Soit donc qu’il se voie désolé par la mort de tous ses proches, et sa maison comme déserte, bien loin qu’il cesse de bénir Dieu, il se tournera plutôt à cette pensée que, puisque la grâce de Dieu habite en sa maison, il ne la laissera point désolée. Soit que ses blés et vignes soient gâtés et détruits par gelée, grêle et autre tempête, et que par cela il prévoie danger de famine, encore ne perdra-t-il pas courage et ne se mécontentera-t-il pas de Dieu, mais plutôt persistera en une ferme confiance, disant en son cœur : Nous sommes toutefois en la tutelle du Seigneur, nous sommes les brebis de son pâturage (Ps 79.13). 

Il me semble que nous venons de définir, au moins en partie, ce qu’est la piété. Tout autre chose qu’une morale, elle est la disposition de cœur de ceux et celles qui sont habités par un profond désir d’être agréables à Dieu, se sachant aimés de lui d’un amour parfait. 

Si la supplication et la reconnaissance sont toutes les deux justifiées dans notre présent parcours, une des deux, un jour, n’aura plus lieu d’être : la supplication. Tandis que l’autre, la reconnaissance, demeurera toujours !

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