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Quand on aborde la question de l’œuvre et de la personne du Saint-Esprit, c’est trop souvent dans la confusion. Pour y échapper, Henri BLOCHER, de la rédaction d’ICHTHUS, serre le texte biblique de près. Dans le bouillonnement des recherches contemporaines sur le Saint-Esprit, ces précisions prendront tout leur relief.

1) Pour plus de clarté

« L’Esprit souffle où il veut » (Jean 3:8). Le jeu de mots de Jésus dans son entretien avec Nicodème sert d’excuse à bien des confusions. Jésus tirait une parabole-express du double sens d’un même terme (vent et Esprit) ; il voulait illustrer le « comment » mystérieux de la nouvelle naissance. Un contre-sens malheureux, mais courant, accroche à sa parole une idée tout à fait fausse du Saint-Esprit : l’idée que l’Esprit serait un facteur irrationnel, une puissance capricieuse — avec cette idée, on ne peut guère attendre d’ordre et de clarté dans la doctrine de son œuvre ! Ainsi, avec les meilleures intentions, des chrétiens et des théologiens mélangent-ils les expressions du Nouveau Testament à propos du Saint-Esprit : « réception », « baptême », « plénitude », « dons », sont employés sans discernement pour l’expérience dont on veut parler.

Qu’importe, après tout ! diront certains. Qu’importe le nom qu’on donne pourvu qu’on fasse l’expérience ?

Les disputes de mots sont sans doute inutiles. Mais il y a plus en jeu ici : il y a la vérité de l’expérience, il y a son sens divinement défini. La concentration sur l’expérience n’est pas sans danger : les apôtres se présentent étonnamment peu comme les propagateurs d’une expérience ; ils se veulent d’abord porteurs de la parole de vérité.

La confusion à propos de la réception, du baptême, de la plénitude, du Saint-Esprit, a des conséquences non négligeables et pratiques. II est certain que l’idée qu’on se fait d’avance colore l’expérience et peut déterminer sa forme. Dans une large mesure, l’expérience se coule dans le moule préparé ; nous nous conditionnons nous-mêmes, et il arrive que nous ne laissions pas Dieu agir autrement qu’à la manière prévue par nous ! L’idée et le mot jouent aussi un rôle décisif après, dans la communication de l’expérience et son effet pour la compréhension fraternelle. II importe donc beaucoup que l’idée et le mot soient justes.

Et ce n’est pas tout. Le plus grand danger de la confusion est l’abus de l’Écriture. Avec les mots vont toujours des textes bibliques, et si on s’égare dans les appellations, on tord le sens des paroles. N’est-il pas grave de tordre le sens d’une parole inspirée ? Celui qui tombe dans ce piège commet à la fois les deux péchés d’addition et de soustraction : il ajoute un sens non biblique, et il retranche le sens biblique (cf. Apocalypse. 22:18-19).

Pour avoir sur des aspects et des moments de l’œuvre de l’Esprit la vue claire et correcte qu’il faut, un seul guide : l’Écriture. Le Saint-Esprit a donné une fois pour toutes à l’Église cette mesure sans défaut, pour que, par l’Écriture, toutes les générations sachent reconnaître et interpréter ses œuvres. Si nous étudions l’Écriture selon l’analogie de la foi, selon l’harmonie du plan de Dieu et dans la comparaison de toutes ses parties, nous y trouverons le miroir sans tache de l’Esprit Saint.

Nous voulons interroger l’Écriture sur un point précis : qu’est-ce que la « plénitude » du Saint-Esprit ? Que signifie être « rempli » de l’Esprit ? (Nous laissons de côté les autres éléments de la doctrine du Saint-Esprit, en nous proposant d’y revenir plus tard de diverses manières.)

2) Deux significations ?

Parmi les chrétiens pourvus de notions nettes, on trouve deux façons de comprendre la plénitude du Saint-Esprit. Pour les uns, c’est une expérience soudaine : revêtement, et parfois ravissement, par la puissance divine. Pour les autres, c’est un état qui devrait être permanent, en tout chrétien, et dont la tonalité est moins affective que morale.

Seule une inspection soigneuse de tous les passages bibliques qui emploient l’expression permettra de départager les opinions. En fait, nous donnerons partiellement raison à tous…

Dans l’Ancien Testament, l’expression se rencontre rarement ; elle ne prend pas beaucoup de relief. L’Éternel  dit «remplir d’Esprit » un artiste, Betsaleel (Exode 28:3 ; 31:3 ; 35:31), un chef du peuple, Josué (Deutéronome. 34:9), et un prophète, Michée (Michée. 3:8). Dans les deux premiers cas, l’accent est mis sur la sagesse ; dans le troisième, sur la force. Deux siècles avant Jésus-Christ, le livre de l’Ecclésiastique [1] dit encore qu’Élisée a été « rempli » de l’Esprit d’Élie (Siracide. 48:12). Aucun de ces exemples ne permet de conclusion précise ; le verbe « remplir » ne paraît rien évoquer de plus que l’abondance des dons.

De toute façon, les exemples du Nouveau Testament nous intéressent plus directement, nous qui appartenons à la Nouvelle Alliance, au bénéfice de la grande effusion promise.

Quand on recense tous les passages en cause, on a sans tarder une surprise ! Tous les exemples — sauf un — viennent du même auteur. Ils sont tous de l’évangéliste Luc, soit dans son évangile, soit dans le livre des Actes. La seule exception, dans l’épître aux Éphésiens (5:18) en est-elle une ? On peut se demander si l’influence de Luc, ou de son langage, n’a pas joué ; nous savons en effet par l’épître aux Colossiens, contemporaine de celle aux Éphésiens, que Luc était à cette époque auprès de Paul (Colossiens. 4:14). A cette constatation s’en ajoute une autre : Luc goûte fort la tournure « rempli de ». Elle revient sous sa plume, avec des compléments comme sagesse, grâce (Luc 2:40, etc.).

Ce premier fait doit nous porter à la prudence. Si la plénitude du Saint-Esprit était une expérience très caractérisée, un évènement ou un état extraordinaire, faisant date dans la vie du chrétien, il serait bien étrange que Luc seul nous en parle. Comment Pierre, Jean, Paul dans la plupart de ses lettres, pourraient-ils la passer sous silence ? II est beaucoup plus vraisemblable que les autres auteurs parlent aussi de ce que Luc appelle, avec son style personnel, plénitude du Saint-Esprit (il n’use d’ailleurs pas du substantif, que nous formons par commodité) ; seulement, ils le font avec d’autres mots. Dans ce cas, il ne doit pas s’agir d’une expérience très spéciale, qui exigerait une étiquette bien à elle, et nous ferons bien de ne pas nous laisser fasciner par la seule expression de Luc.

Une deuxième remarque nous conduit davantage au cœur de l’affaire. Dans l’original, deux racines différentes sont employées. Tantôt le verbe traduit par « remplir» est pimplëmi, et tantôt c’est plëroö (ou bien on trouve l’adjectif correspondant plërës). Est-ce un simple hasard, car les deux racines sont de sens habituellement voisins, ou bien la diversité (dualité) est-elle délibérée ? En changeant de verbe, Luc veut-il nous alerter et nous indiquer un changement de sens ? Un autre détail le fait présumer. Sur les huit cas d’emploi de pimplëmi, le temps du verbe est six fois l’aoriste, c’est-à-dire le temps de l’évènement, souvent le temps de l’instantané (les deux cas restants se trouvent l’un au futur, l’autre à l’aoriste subjonctif). Au contraire, la racine plër– est toujours employée d’une façon qui implique la durée : sous la forme de l’adjectif, de l’imparfait du verbe, ou de son impératif présent continu (le cas d’Éphésiens 5:18). Ce contraste ne se rencontrerait pas si Luc avait employé indifféremment les deux racines. II convient donc d’examiner séparément les deux séries de textes.

Quelle sorte de «plénitude» suggèrent les passages pimplëmi ? Les voici. Élisabeth, entendant la salutation de Marie, « fut remplie d’Esprit Saint » et proféra d’une voix forte une bénédiction prophétique (Luc 1:41). Un peu plus tard, c’est au tour de son mari, Zacharie ; « il fut rempli d’Esprit Saint et prophétisa », célébrant la venue du salut promis par un psaume admirablement composé (Luc 1:67). Le jour de la Pentecôte, les disciples « furent tous remplis d’Esprit Saint » et exprimèrent les louanges de Dieu dans des langues d’eux inconnues (Actes 2:4). Comparaissant devant le sanhédrin, Pierre « fut rempli d’Esprit Saint » et sut prêcher aux chefs de Jérusalem un sermon aussi solide que courageux (Actes 4:8) : ils s’étonnaient autant de sa hardiesse que de sa science (v. 13). Les croyants, à son retour, prièrent d’une même voix ; la terre trembla, « ils furent tous remplis du Saint-Esprit, et parlaient la Parole de Dieu avec hardiesse » (Actes 4:31). Paul enfin, devant le proconsul et combattu par le magicien Elymas, prononça « rempli d’Esprit Saint » la condamnation de ce dernier (Actes 13:9 ; Elymas était, lui, « rempli (plërës) d’astuce et de toutes les scélératesses », état permanent). Dans ces six passages (qui ont pimplëmià l’aoriste), la plénitude paraît soudaine. Surtout elle est toujours liée à l’émission d’une parole qui est parole de Dieu : soit qu’il s’agisse plutôt d’oracle prophétique (Élisabeth, Zacharie, Paul), de glossolalie (à la Pentecôte), de prédication ou de témoignage (Pierre et les chrétiens de Jérusalem). Le don semble concerner la capacité de parler, dans des circonstances données.

Dans les deux autres cas d’emploi de pimplëmi, l’accent ne tombe pas sur l’instant de la même façon. Jean-Baptiste « sera rempli d’Esprit Saint dès le sein de sa mère » (Luc 1:15). Ananias est envoyé auprès de Paul pour qu’il recouvre la vue et soit « rempli d’Esprit Saint » (Actes 9:17). Ici, une dispensation plus durable de l’Esprit semble en vue. Comme Jean-Baptiste et Paul, cependant, sont introduits dans un ministère de parole, la « plénitude » dont ils jouiront a trait, sans doute, à l’exercice de ce ministère. La plénitude pimplëmi signifie encore puissance de parler.

Quelle sorte de plénitude suggèrent, quant à eux, les passages plërës et plëroö ? Jésus, « plein d’Esprit Saint » est conduit par l’Esprit au désert (Luc 4:1) ; il s’agit évidemment d’une possession permanente. Les Sept choisis pour seconder les douze doivent être « pleins d’Esprit et de sagesse » (Actes 6:3). Parmi eux Étienne se signale comme un homme « plein de foi et d’Esprit Saint » (Actes 6:5) ; cf. v. 8, « plein de grâce et de puissance ». Lors de son martyre, il nous est encore décrit comme « étant (hyparchön souligne l’état) plein d’Esprit Saint » (Actes 7:55). Barnabas lui aussi est « un homme de bien et plein d’Esprit Saint et de foi » (Actes 11:24). Les nouveaux convertis d’Antioche de Pisidie « étaient remplis de joie et d’Esprit Saint » (Actes 13:52). Paul, enfin, commande aux Éphésiens : « Soyez remplis en (ou par) l’Esprit», opposant cette plénitude à l’ivresse du vin (Éphésiens. 5:18). En lisant ces textes, en remarquant quelles dispositions et quels sentiments sont associés au Saint-Esprit dans les formules de Luc, on ne pense plus à des évènements particuliers, mais au caractère chrétien qu’ont montré les hommes décrits et que doivent reproduire les croyants. La conclusion de l’enquête se tire, dès lors, sans peine.

3) Plénitude-afflux et plénitude-saturation

L’évangéliste Luc maniait son grec avec finesse et grand soin. Son usage de mots différents pour parler de la plénitude du Saint-Esprit n’a pas été assez remarquée [2] Nous pouvons affirmer qu’il y avait pour lui deux types de « plénitude » (sans qu’il ait donné à ce mot favori un très grand poids, ni qu’il ait voulu définir des expériences très en dehors du cours régulier de la vie chrétienne).

II y a la plénitude soudaine, qui est un afflux d’énergie spirituelle au service de la Parole. L’évènement dans lequel le croyant est rempli du Saint-Esprit pour parler n’est pas le don du charisme de parole dont il est souvent question en même temps (prophétie, glossolalie, etc.) ; plutôt, le croyant est « rempli » pour pouvoir mettre en œuvre le charisme reçu. La note dominante dans les récits où il est question de cette plénitude, c’est la « hardiesse », ou « assurance » : ce mot-clé de la spiritualité du N.T., chez Paul et les autres auteurs qui ne reprennent pas le langage de Luc. A ce « franc-parler », du témoignage et de la prédication, les textes paraissent associer la puissance et surtout la sagesse.

II y a ensuite la plénitude durable, qui est une imprégnation, une saturation du caractère chrétien par la présence du Saint-Esprit. Cet état, qui va avec la fermeté de la foi, la constance de la joie, l’équilibre de la sagesse, bref, qui va avec la permanence du fruit de l’Esprit, devrait être, en tout temps, la part de tout chrétien. Nous pensons que Jean décrit cette plénitude lorsqu’il invite « à marcher dans la lumière » (I Jean 1:7), et que Paul n’en est pas très éloigne quand il évoque le bon combat de la foi dans une conscience pure, ou bonne, ou sans reproche. Comment en effet, la conscience serait-elle pure sans l’envahissement de tout son champ par le rayonnement du Saint-Esprit ? Dans cette plénitude, le sang de Jésus purifie journellement de tout péché, et, l’Esprit, Seigneur, transforme le croyant de gloire en gloire…

Deux fois, pour Jean-Baptiste et pour Paul, Luc paraît envisager une plénitude intermédiaire, extension de la plénitude du premier genre, et que nous appellerions « ministérielle ». Les textes de l’A.T. y font penser aussi.

Reste une dernière question : comment atteindre à ces plénitudes ? A coup sûr, l’Écriture ne met  l’accent sur aucune condition particulière à remplir. Dieu donne librement le pouvoir de parler, selon sa promesse, où et quand Il veut. Une fois au moins, Il l’a fait en réponse à la prière, et la prière collective (Actes 4:31). C’est un encouragement à demander chacun et demander ensemble, à demander pour le moment et pour le ministère, ce dont nous avons tant besoin : hardiesse, puissance, sagesse.

Quant à la «saturation» d’Esprit, nous avons un ordre : « Soyez remplis… ». Ce n’est pas une interdiction à prier : bien au contraire ! Mais n’est-ce pas le rappel que le Saint-Esprit nous a été donné, et qu’Il prendra toute la place si seulement nous la lui laissons ? N’est-ce pas le rappel que nous avons en Christ toute plénitude, et qu’il nous suffit de jouir à plein des trésors qui sont à nous en Lui ? Nous qui vivons par l’Esprit, il s’agit de marcher, en effet, par l’Esprit (Galates. 5:25).

[1] L’Ecclésiastique (ou Siracide) fait partie des livres apocryphes de l’Ancien Testament. (N.D.R.L.)

[2] Nous ne l’avons vue relevée nulle part, sauf dans une phrase de James D.G. Dunn, qui semble en discerner la portée: Baptism in the Holy Spirit, (London : SCM Press. 1970)

Note de l'éditeur : 

Ichtus N° 17 novembre 1971
La plénitude du Saint-Esprit par Henri BLOCHER

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