L’un des Psaumes les plus poignants est certainement le Psaume 137, un cantique des exilés, déplacés de leur terre, du royaume sur lequel l’Éternel régnait depuis sa maison sainte à Jérusalem. Déracinés de tout ce qui leur donnait vie, arrachés de tout ce qui faisait leur identité, ils font monter à Dieu cette complainte en mémoire de ce qu’ils venaient de perdre :
« Sur les bords des fleuves de Babylone,
Nous étions assis et nous pleurions
En nous souvenant de Sion. » (verset 1)
Et plus loin, ils poursuivent :
« Si je t’oublie, Jérusalem,
Que ma main droite m’oublie !
Que ma langue reste collée à mon palais,
Si je ne me souviens plus de toi,
Si je ne place pas Jérusalem
Au-dessus de toutes mes joies. » (versets 5 et 6)
Les exilés se rappellent de Jérusalem, mais il ne s’agit pas simplement d’une mémoire vive parce que les évènements étaient récents. Le texte n’indique rien à ce sujet : il peut s’agir de trois mois, de trois ans, ou de trois décennies ! Ou de soixante ans. Le peuple des exilés est peut-être à quelques années de sa restauration par l’édit de Cyrus.
La mémoire est entretenue : « Si je t’oublie, Jérusalem ! » Le langage tient aussi de la promesse, de l’engagement à nourrir la mémoire, à « faire mémoire » de manière consciente et active. Faire mémoire fait partie de la spiritualité des Psaumes. Nous retrouvons ce langage dans les Psaumes 105, 106, ou encore 143. Celui qui suit l’Éternel est appelé à se rappeler des actes merveilleux de Dieu par lesquels Il a œuvré pour libérer, guider, protéger et soigner son peuple. Ces actes passés d’un Dieu qui demeure le même éternellement sont le fondement d’une théologie de la mémoire.
Le Dieu de l’Écriture ne reste lui-même pas inactif, ou de marbre, face aux tragédies de son peuple. Ce ne sont pas que les croyants qui se rappellent, c’est Dieu lui-même ! Dieu se souvient ainsi de Rachel, sans enfants (Genèse 30.22), et de son peuple, le psalmiste écrit avec confiance : « L’Éternel se souvient de nous : il bénira … » (Ps 115.12) Dieu se souvient de son peuple.
Une mémoire active
Dieu fait mémoire, et ceux qui sont re-modelés à son image par le Saint-Esprit, à l’image du Seigneur Jésus-Christ, doivent apprendre à se souvenir.
Dieu fait mémoire, et ceux qui sont re-modelés à son image par le Saint-Esprit, à l’image du Seigneur Jésus-Christ, doivent apprendre à se souvenir. En regardant à Dieu, en plongeant nos regards dans la vie de notre Seigneur, nous apprendrons à nous souvenir. « Faire mémoire », dans notre vie spirituelle, est crucial… comme cela l’était déjà pour le peuple d’Israël.
L’un des principaux souvenirs que le peuple d’Israël était appelé à entretenir était la libération d’Égypte. Ce fut en effet l’un des plus grands actes libérateurs de Dieu, annonçant la libération finale que le Seigneur viendra accomplir en nous libérant, non pas d’un royaume humain, mais du royaume même des ténèbres. Ce rappel nourrit la vie quotidienne du peuple, et motive l’obéissance aux commandements de Dieu. Ainsi… « Tu te souviendras que tu as été esclave en Égypte et tu observeras ces prescriptions et tu les mettras en pratique. » (Deutéronome 16.12) Ce rappel revient, encore et encore, dans le Pentateuque. L’amour du prochain est motivé par l’amour de Dieu (aimer Dieu et son prochain), mais aussi par ce souvenir profond, que chaque Israélite est appelé à entretenir : vous avez été esclaves en Égypte. Faites mémoire de votre esclavage et ainsi, aimez votre prochain.
Apprenons à faire de même. Nous étions esclaves du péché et des ténèbres, et Dieu « nous a délivrés de la puissance des ténèbres et nous a transportés dans le royaume de son Fils bien-aimé, en qui nous sommes rachetés, pardonnés de nos péchés. » (Colossiens 1.13). Ce souvenir d’une si grande délivrance doit nourrir notre amour en ayant compassion de tous ceux qui ne connaissent pas encore le Dieu de Jésus-Christ, ainsi qu’en démontrant la profondeur de notre amour fraternel.
La mémoire de notre peuple
En pratiquant le souvenir dans notre vie chrétienne, il faut faire attention à une grande tentation : celle d’individualiser la mémoire. Nous nous rappelons ce que Dieu a fait pour nous. Je me rappelle ce que Dieu fait pour moi. Le langage de l’Écriture est, quant à lui, beaucoup plus communautaire. Nous sommes appelés à nous rappeler ce que Dieu fait pour son peuple. Nous sommes appelés à faire mémoire de tout le peuple de Dieu. Faire partie du peuple pour lequel le Seigneur Jésus est venu, a vécu, est mort, et a été ressuscité, c’est nous rappeler ce peuple.
Ce peuple est grand et nombreux, s’accroissant toujours par la grâce du Seigneur. C’est le peuple de ceux qui s’assemblent en son nom pour le prier … et prier les uns pour les autres. C’est le peuple de la compassion, de l’amour, et de l’intercession. Maintenant, là où Dieu me donne de vivre, je dois me rappeler que je fais partie d’un peuple persécuté, un peuple qui vit des tragédies sans nombre. Je dois me souvenir de mes frères et sœurs qui vivent leur foi dans des situations politiques, sociales, économiques, et sanitaires qui exigent mes prières persévérantes.
Les crises oubliées
Des choses dont il faut faire mémoire, il y en a malheureusement tellement. Dans une culture de « news » constantes, sans cesse renouvelées, répétées, et remplacées, les besoins dramatiques de tant de populations disparaissent trop rapidement de nos écrans, de nos mémoires, et de nos prières. Certaines crises sociales et politiques s’étendent tellement dans la durée que nous les oublions, non seulement « nous », chrétiens, mais « nous », l’humanité. Nous oublions les crises que vivent d’autres personnes créées images de Dieu.

L’une de ces crises noyées petit à petit dans notre indifférence, ou dans le nombre des autres tragédies, est celle de la République démocratique du Congo. Je mets celle-ci en lumière parce qu’elle me touche personnellement plus encore que d’autres. La situation extrêmement sérieuse des régions de l’Est du Congo n’est pas récente. Ainsi, une ONG chrétienne, Medair, travaille depuis plus de 30 ans dans la RDC, pratiquant cette mémoire que nous sommes appelés à vivre.
Récemment la crise politique et alimentaire que connaissent les habitants du Kivu (par exemple) s’est aggravée par une très sérieuse épidémie de Mpox. L’intercession et le soutien des chrétiens pour le Congo est déterminante, comme ils le sont pour toutes les autres crises que traverse notre monde.
N’oublions pas les crises du Congo, du Yémen, du Sud Soudan, mais aussi en Haïti. N’oublions pas … car nous avons été esclaves des ténèbres et nous sommes désormais les ambassadeurs du royaume.
Pour en savoir plus sur Medair : https://www.medair.org/fr/campaign/urgence-crises-oubliees
Pour être informé sur la situation au Congo : https://www.medair.org/fr/pays/dr-congo
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