Si vous deviez expliquer ce qu’est la prière, à quels mots ou illustrations recourriez-vous ? La prière, pour vous, ressemble-t-elle à une lettre formelle envoyée dans une enveloppe à un bureau administratif anonyme, ou à un message WhatsApp rédigé vite fait pendant que vous attendez à un passage piéton, ou encore à une activité de piété qu’il faut pratiquer pour faire bonne impression à votre pasteur ? C’est hélas ainsi que nous vivons trop souvent la prière et que nous oublions alors l’essentiel, à savoir que la prière est une relation personnelle avec un Dieu vivant. Si nous le saisissons, notre état d’esprit en sera transformé et nous vivrons davantage quatre facettes de la prière, qui nous font si souvent particulièrement défaut : nous prierons avec Passion, Respect, Impuissance et Emotions (quatre mots qui forment l’acronyme « PRIE »).
PRIE : Passion, Respect, Impuissance et Emotions
Quand la prière est frustrante plutôt que passionnante
Il faut reconnaître que nous ne sommes pas toujours passionnés quand nous prions. Paul Miller, dans son livre Une vie en prière, l’exprime ainsi : « La frustration la plus courante est l’activité même de la prière. Nous y passons environ quinze secondes et, venant de nulle part, surgit la liste des choses que nous devons faire ce jour-là, et nos pensées prennent la tangente. Nous nous ressaisissons et, par la seule force de la volonté, nous retournons à la prière. Mais avant de nous en rendre compte, cela se produit de nouveau. Au lieu de prier, nous exprimons un mélange confus de divagations et d’inquiétudes. Puis la culpabilité s’installe. “Il y a quelque chose qui ne marche pas chez moi. Les autres chrétiens ne semblent pas avoir ces difficultés quand ils prient“. Après cinq minutes, nous renonçons en disant : je ne vaux rien en prière. Je ferais mieux d’accomplir quelque chose ».
Le problème n’est pas la prière, mais ma relation avec Dieu
Il nous arrive en effet d’être titillés par cette fausse idée qu’en priant nous sommes en train de perdre notre temps, alors qu’une si longue liste de tâches importantes ou d’activités distrayantes nous attend. Avec un tel état d’esprit, difficile d’être passionné en prière… Ce qui peut nous aider à retrouver cette passion, c’est déjà de nous souvenir que nous avons été créés pour prier. Comme le relève Abraham Kuyper, la faculté de la prière n’est pas à acquérir, elle est inséparable de notre nature.
Le problème n’est pas que la prière serait difficile en soi, mais que notre relation avec Dieu est défaillante, parce que nous ne prenons pas le temps de l’entretenir et que Dieu n’est pas assez devenu notre joie. Plus nous prendrons le temps de connaître Dieu, en nous exposant à sa Parole, en l’écoutant et en prenant l’habitude d’entrer dans un authentique dialogue avec notre Père, plus notre cœur sera impliqué dans nos prières, qui ne ressembleront plus à une simple récitation mais deviendront l’expression naturelle d’un cœur passionné de Dieu.
Par la prière, une prison se transforme en palace
Le respect est une deuxième vertu qui nous fait souvent défaut quand nous prions. Quand nous nous mettons à prier, nous sommes en présence de Dieu : celui qui remplit les cieux et la terre est là, avec nous. John Spilsbury, un chrétien emprisonné à cause de sa foi, a pu ensuite témoigner : « Désormais, je ne craindrai plus une prison comme auparavant, parce que j’ai tellement reçu de la compagnie de mon Père, qu’il en a fait pour moi un palace ». Même si Dieu nous accueille comme un père accueille son enfant, il reste Dieu. Calvin rappelait qu’il n’y a rien de pire à traiter Dieu « comme s’il ne nous était quasiment rien ». Imaginons, commente Timothy Keller dans son livre La prière, que nous soyons invités à serrer la main d’une personne que nous considérons comme un héros. Nous sommes dans la crainte : non parce que nous aurions peur d’être maltraités, mais parce que nous sommes pétrifiés à l’idée de commettre une bévue, de dire une bêtise ou de tout gâcher.
Qui est la chrétienne la plus mature du monde ?
Troisièmement, une belle qualité à développer quand nous prions se résume par le mot « impuissance ». Je ne viens pas devant Dieu avec mes gros sabots, en lui disant ce qu’il doit faire ou avec un excès de confiance en moi. Je m’approche comme l’auteur du Psaume 131 : « Eternel ! Je n’ai ni un cœur arrogant, ni des regards hautains ; je ne m’engage pas dans des questions trop grandes et trop merveilleuses pour moi. Loin de là, j’ai imposé le calme et le silence à mon âme, comme un enfant sevré auprès de sa mère ; mon âme est en moi comme un enfant sevré ». Alors que les enfants savent être impuissants, ainsi que le rappelle Paul Miller, nous, adultes, perdons trop facilement ce sentiment de faiblesse. Pourtant, le paradoxe de la vie chrétienne, c’est que plus on est mature, plus on se sent faible. Et plus on se sent faible, plus on prie. Les chrétiens les plus mûrs sont ainsi souvent des gens qui ne font pas beaucoup de bruit, mais qui prient. Un jour, quelqu’un a demandé à Edith Schaeffer, l’épouse du penseur et évangéliste Francis Schaeffer, qui est selon elle la plus grande chrétienne aujourd’hui ? Sa réponse : « Nous ne connaissons pas son nom. Elle est en train de mourir du cancer quelque part dans un hôpital en Inde ».
Le paradoxe de la vie chrétienne, c’est que plus on est mature, plus on se sent faible. Et plus on se sent faible, plus on prie.
Venir à Dieu dans l’état dans lequel nous sommes
Dieu réagit à notre faiblesse avec compassion et bienveillance, à l’image d’une maman dont le cœur est ému en voyant son petit enfant dans toute sa fragilité et avec tous ses besoins. Ole Hallesby écrit : « Souvent, l’enfant n’a pas même besoin de crier ; il suffit à la maman de regarder cet être si complètement dépendant d’elle pour que ses entrailles soient émues. La faiblesse même de son enfant devient prière, prière plus émouvante que le cri le plus perçant ». Quand nous venons vers Dieu, pas besoin de jouer les durs à cuire ou les héros. Nous pouvons venir tels que nous sommes, dans notre état, qui est parfois un état de délabrement intérieur, un état de lassitude profonde, un état de découragement. Et cela glorifie Dieu, comme le rappelle John Piper : « La prière est l’appel à l’aide à Dieu ; il est glorieusement plein de ressources et nous sommes humblement et joyeusement en besoin de grâce. Le donateur reçoit la gloire. Nous recevons l’aide. C’est l’histoire de la prière ».
Doit-on s’attendre pleurer d’émotions quand on prie ?
Finalement, Dieu aime que nous priions avec nos émotions. Il est bon d’aspirer à vivre quelque chose quand on prie. Beaucoup de pasteurs et théologiens conservateurs d’un autre temps témoignent combien leurs émotions pouvaient être engagées quand ils priaient, à l’image de Jonathan Edwards, qui témoigne avoir été saisi par la gloire du Fils de Dieu pendant un temps de prière. « La personne du Christ apparut ineffablement parfaite, d’une excellence suffisamment forte pour annihiler toute pensée et toute idée. Pendant une heure, pour autant que je puisse en juger, je pleurais à chaude larmes la plupart du temps ». Timothy Keller, qui cite cet exemple, pose la question de savoir comment on peut expliquer de tels sentiments. Réponse : parce que Dieu n’est certes pas « le Même-que-moi », mais il n’est pas pour autant « Loin-de-moi ». Autrement dit, Dieu est un Dieu personnel, vivant et proche ! En tant que tel, il peut toucher notre cœur et susciter de belles émotions pendant que nous lisons sa Parole et que nous prions.
Ce sont les vérités bibliques qui suscitent l’émotion
Ces émotions ne sont cependant pas une fin en soi. Elles ne sont pas non plus déconnectées d’une saine connaissance de la Parole de Dieu. Si Jonathan Edwards a ainsi été saisi, c’est parce que des vérités théologiques qu’il connaissait l’ont particulièrement touché : le Saint-Esprit a agi, pendant ce temps de prière et de contemplation, pour qu’il soit ému. Il n’a pas recherché l’émotion en tant que telle, mais cette émotion a découlé du fait qu’il s’était arrêté, qu’il avait pris du temps pour méditer sur Dieu et sur le salut. Citons encore le puritain John Owen : « Nous devrions tendre à prier en nous concentrant spirituellement avec force dans la contemplation de Dieu en Christ, jusqu’à ce que l’âme soit engloutie par l’admiration et le ravissement, jusqu’à ce qu’elle soit complètement perdue dans l’infini de ces excellences qu’elle admire et adore ».
Pour grandir dans la prière comme une relation vivante avec un Dieu vivant, nous avons ainsi besoin de prier pour que Dieu nous aide à mieux prier, en étant conscients de notre profond besoin de l’assistance de l’Esprit.
Besoin de « l’Esprit de prière »
Pourquoi sommes-nous si souvent bien loin de tels témoignages ? Il y a sûrement plusieurs raisons à notre tiédeur, mais notamment celle-ci : nous ne prenons pas le temps de prier. Nous n’accordons à la prière que quelques moments par-ci par-là. Hélas, nous ne vivrons pas grand-chose, notre cœur ne sera pas remué, si nous ne nous arrêtons pas pour contempler Dieu. La prière nécessite du temps.
Elle nécessite aussi l’aide de « l’Esprit de prière » : seul Dieu, par son Esprit, peut renouveler ma vie de prière, me redonner de la passion dans la prière, me donner la force de combattre dans la prière, mettre en lumière mes péchés pendant que je suis placé devant Dieu en prière, purifier les demandes que je fais pendant que je prie. Pour grandir dans la prière comme une relation vivante avec un Dieu vivant, nous avons ainsi besoin de prier pour que Dieu nous aide à mieux prier, en étant conscients de notre profond besoin de l’assistance de l’Esprit.