La Grâce de Dieu
Definition
La grâce correspond à toute faveur imméritée librement accordée par Dieu, conformément à son caractère.
Summary
La grâce de Dieu est le rayonnement de son caractère par lequel il accorde librement sa bonté et sa générosité à ses créatures qui, pourtant, méritent sa condamnation. La grâce est une qualité constitutive du caractère de Dieu (Deutéronome 5.9-10, Psaume 77. 8-9, Jonas 3.10, etc.) On distingue traditionnellement deux modalités de cette grâce : la grâce commune de Dieu, générosité et providence qu’il accorde à toute l’humanité quelle que soit sa relation avec lui ; et la grâce salvatrice par laquelle Dieu restaure sa relation avec des pécheurs qu’il appelle à la repentance, la foi et la communion avec lui.
Dans le livre des Nombres, l’Éternel transmet à Moïse et Aaron une parole de bénédiction qu’ils sont appelés à prononcer sur le peuple d’Israël :
« Que l’Éternel te bénisse et te garde ! Que l’Éternel fasse briller son visage sur toi et t’accorde sa grâce ! Que l’Éternel se tourne vers toi et te donne la paix. » (Nombres 6.24-26)
Cette formule, donnée par le Seigneur lui-même, exprime de manière poignante la réalité de la grâce. Le Dieu saint devrait en toute logique s’opposer aux hommes pécheurs en raison de notre péché (nous entendons par « péché » cette disposition de cœur qui nous pousse, à la suite de nos premiers parents, à vouloir rejeter l’autorité de Dieu et à vouloir décider pour nous-mêmes ce qui est bon et mauvais.)
Pourtant, il invite ici des hommes à lui demander de faire briller son visage sur eux. Et s’il se « tourne vers » eux, selon cette formule de bénédiction, ce n’est pas pour les rejeter ou les condamner, mais au contraire pour leur « donner la paix ». Voilà la grâce : cette démarche de Dieu par laquelle il décide, au lieu de nous faire subir une juste rétribution, de poser sur nous un regard favorable, et de nous faire bénéficier de son amour et de ses bienfaits. C’est ce qu’exprime l’image de son « visage » qui « brille » sur nous.
Pour l’être humain, il n’y a pas d’enjeu plus fondamental que celui de la grâce. Si c’est bien Dieu qui « donne à tous la vie, le souffle et toute chose » (Actes 17.25), il s’en suit que nous dépendons de sa faveur pour chaque aspect de notre vie. Car le simple fait de nous accorder le souffle de vie est un bienfait que Dieu n’est nullement obligé de nous accorder. Si tous les hommes bénéficient de sa générosité, de sa création, de ses soins, c’est qu’ils sont au bénéfice de sa grâce. Cela nous amène naturellement à la distinction opérée par les Réformateurs en particulier, entre grâce commune et grâce salvatrice. Nous les traiterons dans cet ordre.
La grâce commune
Lorsqu’on lit le récit de la première transgression humaine en Genèse 3, il est frappant que la mise en garde divine du chapitre 2, « … tu ne mangeras pas le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras, c’est certain » (Genèse 2.17) ne se traduit pas, après la faute, par une sentence immédiate. Certes, la condamnation à mort est confirmée (Genèse 3.19, « … tu es poussière et tu retourneras à la poussière »), mais elle est différée. L’homme et la femme ne tombent pas « raides morts » après avoir mangé le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Au contraire, Dieu continue de leur adresser sa Parole, annonce discrètement une délivrance à venir (Genèse 3.15) et prend soin d’eux (3.21). Nous voyons là, déjà, dans le récit même de la « chute », la grâce dite commune à l’œuvre. Il est difficile de discerner si Adam et Eve ont placé en Dieu, par la suite, une foi « personnelle » comme celle d’Abraham bien plus tard. Ce qui est certain, en revanche, est qu’ils ont bénéficié de la part du Créateur (qu’ils venaient de rejeter !) d’une faveur imméritée. Grâce à cette dernière, ils ont pu continuer à remplir leur vocation créationnelle de se reproduire, devenir nombreux, remplir et soumettre la terre (Genèse 1.28). Certes, en tant que pécheurs, c’est désormais de façon tortueuse et décevante qu’ils ont mis en œuvre ce mandat. Pour autant, ce dernier n’a pas été révoqué. Comme le confirmera le récit du déluge quelques chapitres plus loin, l’homme pécheur demeure une créature en image de Dieu (Genèse 9.6) même si cette image est désormais tragiquement brouillée par le péché.
Il en résulte, pour ce qui concerne la condition humaine, un profond tiraillement. L’homme pécheur est spirituellement mort (Éphésiens 2.1), au sens où sa relation avec le Dieu de vie est rompue : le pécheur non régénéré ne reconnaît pas la Seigneurie de Dieu, n’a pas de relation vivante et personnelle avec lui, et mêmes ses efforts pour pratiquer le bien ne peuvent rien faire pour effacer sa situation de culpabilité devant Dieu. En effet, le fait même de chercher à vivre une vie « droite » sans reconnaître l’autorité de Dieu (lui qui donne sens à la notion même de droiture !) est une forme parmi d’autres de rébellion contre lui, c’est à dire de péché. L’homme pécheur est donc inextricablement perdu, et cette perdition prend des formes très diverses : parfois elle se manifeste de façon ouvertement transgressive, par une hostilité consciente et assumée envers la simple notion d’autorité divine. Mais plus souvent, sans doute, elle se manifeste par une simple indifférence ou ignorance vis-à-vis de notre Créateur.
Pourtant, le pécheur continue à bénéficier de la bonté de Dieu, de ses soins au quotidien, de sa providence. Dieu «… fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. » (Matthieu 5.45) L’apôtre Paul décrit cette grâce commune lorsqu’il s’adresse aux païens de Lystre : « … il vous envoie du ciel les pluies et les saisons fertiles, il vous comble de nourriture et remplit votre cœur de joie. » (Actes 14.17) On notera ici que, dans cette grâce commune, Dieu ne se contente pas de pourvoir aux besoins « physiques » de l’être humain mais lui accorde même la joie ! C’est en ce sens qu’on peut légitimement dire que Dieu aime tous les êtres humains : il choisit de prendre soin de tous. Or cette disposition favorable nous est révélée comme l’expression de son caractère. Lorsque Dieu se révèle à Moïse, en effet, il se présente comme « l’Éternel, l’Éternel, un Dieu plein de compassion et de grâce, lent à se mettre en colère, et riche en amour et en fidélité. » (Exode 34.6) Cette description de Dieu est reprise, exactement ou à quelques mots près, à de multiples reprises dans l’Ancien Testament.
Par cette même grâce commune, l’être humain pécheur continue d’aspirer dans une certaine mesure à faire le bien (cf. par ex. Jonas 1.13-14, Matthieu 7.11, Romains 2.14-15, Actes 28.2, …) mais son péché le condamne néanmoins (cf. par ex. Romains 3.9-20).
Une juste compréhension de la grâce commune nous permet d’éviter une théologie déséquilibrée qui, tout en affirmant à juste titre la dépravation totale (cette mort spirituelle qui rend l’homme incapable de faire le bien par lui-même), oublierait ces deux éléments essentiels : d’abord le fait que la création demeure bonne aux yeux de Dieu, bien que tragiquement affectée par le péché. Ensuite, le fait que l’être humain continue de bénéficier de la grâce de Dieu, par laquelle Dieu restreint les effets du péché et permet que de nombreux bienfaits soient encore à l’œuvre au sein de l’humanité. Calvin écrit ainsi :
« Dirons-nous que les philosophes ont été aveugles aussi bien en observant les secrets de la nature avec un grand zèle qu’en les décrivant avec un tel art (…) Dirons-nous que ceux qui ont inventé la médecine étaient fous ? Penserons-nous que les autres disciplines sont insensées ? Bien au contraire, nous ne pourrons pas lire les livres qui ont été écrits sur tous ces sujets sans nous émerveiller. (…) Ainsi ces personnages qui (…) ont fait preuve de tant de génie (…) doivent nous instruire par leur exemple, en nous montrant combien notre Seigneur a laissé de grâces dans la nature humaine après qu’elle a été dépouillée du souverain bien[1]. »
Lorsqu’on a compris que ce reflet du Créateur qui demeure chez l’homme pécheur est grâce, on peut se réjouir du bien que peuvent faire et penser les hommes, sans minimiser aucunement l’accablant verdict biblique concernant la culpabilité de l’homme devant Dieu. Oui, Dieu aurait pu en finir avec l’humanité après la chute, après le déluge, ou à tout autre moment de l’Histoire. Au lieu de cela, il a choisi d’accorder aux pécheurs d’innombrables faveurs. C’est ce que nous affirmons en parlant de grâce commune.
Comme nous l’avons déjà rappelé plus haut, la grâce commune n’ôte pas la culpabilité du pécheur. Elle démontre en revanche la bonté du Créateur, qui tient à accorder aux êtres humains des bienfaits malgré leur démérite. Mais au-delà de cette bonté de Dieu à l’égard de ses ennemis, la grâce commune est ce qui permet de constituer le cadre dans lequel s’opère la grâce salvatrice que nous décrirons un peu plus bas. En d’autres termes, si Dieu préserve le monde qu’il a créé, c’est parce que c’est dans ce monde qu’il rassemble son peuple, les hommes et les femmes qu’il appelle à le connaître. La divine « tolérance » que représente la grâce commune permet ainsi à l’appel de Jésus-Christ de continuer à résonner dans un monde perdu. Plus encore, cette « patience » de Dieu constitue elle-même un appel implicite à l’égard des pécheurs non encore repentis. C’est ce qu’explique l’apôtre Paul : « … méprises-tu les trésors de bonté, de patience et de générosité déployés par Dieu, sans te rendre compte que sa bonté veut t’amener à changer ? » (Romains 2.4)
Ainsi, la grâce commune « plante le décor », en quelque sorte, de la grâce salvatrice qui est le joyau de l’action rédemptrice de Dieu. C’est cette grâce spéciale qu’il convient désormais d’aborder, elle qui ne se contente pas de préserver l’homme pour un temps, mais le sauve pour l’éternité et le comble des bienfaits de Dieu.
La grâce salvatrice
Nous venons de le voir : si la grâce commune restreint les effets du péché, elle ne sauve pas l’homme de ses péchés. Elle n’ôte pas la culpabilité qui, à l’aune de la parfaite justice de Dieu, le condamne immanquablement. Pour cela, il fallait une grâce qui « aille plus loin », par laquelle Dieu décide librement de se réconcilier avec un être humain pourtant pécheur, de restaurer entièrement sa relation avec lui. C’est elle qu’on appelle la grâce salvatrice.
Le fait que celle-ci soit accordée à certains, mais pas à tous, est lié à la question de l’élection qui mérite un traitement spécifique. Toutefois, nous noterons qu’estimer que Dieu « doit » faire grâce à tous revient à annuler toute notion de grâce. Car si la grâce est un dû, elle n’est précisément plus une grâce (Romains 4.4)
Cette grâce « particulière » coule de la même source que la grâce commune. Comme cette dernière, elle implique, de la part de Dieu, une démarche de faveur et de bénédiction qui va à l’encontre de ce que semble exiger la justice. Mais la grâce salvatrice va (infiniment) plus loin que la grâce commune en ce qu’elle ne se « contente » pas d’accorder certains bienfaits, pour un temps, au pécheur condamné. Par cette grâce, Dieu fait bien plus : après avoir suscité chez le pécheur, par Son Esprit, la repentance et la foi, il déclare celui-ci juste à ses yeux (Romains 4.5), l’accueille dans sa présence (1 Jean 1.4 ; Hébreux 12.23) l’adopte comme enfant (Éphésiens 1.3), lui accorde des promesses stupéfiantes (1 Corinthiens 3.21-23 ; Éphésiens 1.18, 1 Pierre 1.4-5…) Comme dans la parabole des deux fils, le Dieu de grâce ne se contente pas de tolérer le pécheur, il court à sa rencontre et « fait la fête » en son honneur (Luc 15.20 ; 24).
La grâce reflète le fait que Dieu n’est pas lié de façon absolue par un principe de rétribution. Au contraire, comme nous l’avons souligné plus haut, son caractère même le pousse à faire grâce (Exode 34.6-7). Toutefois, ce même caractère le « lie » à un impératif de justice, au sens où, Dieu étant parfaitement et absolument juste, il dénonce et condamne tout mal.
Il n’y a en effet jamais de péché sans coût, pour soi, pour les autres, pour le monde, même. Ainsi, un meurtre ne peut jamais être « annulé ». De même, un abus sexuel laisse des traces indélébiles, en tout cas dans la condition présente et à l’échelle humaine. Mais même des offenses aux conséquences moindres ont un coût. Nous le ressentons, par exemple, lorsque nous prenons conscience que nous ne pouvons pas « retirer » une parole blessante (quand bien même nous demandons pardon). Ou lorsque nous constatons qu’une petite injustice du quotidien reste sans conséquence. Le péché a toujours un coût et une justice parfaite exige une condamnation.
Or c’est ici qu’il y a une tension entre justice et grâce. Comment Dieu peut-il faire grâce et renoncer à une juste rétribution contre l’homme pécheur, tout en restant fidèle à sa parfaite justice, qui ne saurait ignorer le mal ou ne pas en reconnaître le coût ? C’est là qu’intervient la croix.
A la croix, dans la personne de Son Fils, Dieu fait chair, Dieu efface la faute en en payant lui-même le prix ; il dénonce et condamne le mal tout en sauvant le pécheur. Dans sa nature humaine, Christ représente l’humanité devant la justice divine et subit la condamnation méritée par celle-ci. Les dogmaticiens précisent que Christ a pris sur lui la culpabilité humaine au sens de l’impératif de restitution (reatus poenae), du prix à payer. (Et il convient de rappeler qu’en Christ, c’est Dieu qui prend sur lui cette culpabilité). En revanche, Jésus-Christ ayant lui-même été parfaitement innocent, il n’a pas revêtu notre culpabilité au sens du démérite personnel (reatus culpae) : autrement dit, l’innocent a payé pour les coupables. Par la croix, Dieu dénonce le mal et satisfait sa propre justice. Ayant encaissé lui-même le « coût » terrifiant de notre péché, Dieu peut « être juste tout en déclarant juste celui qui a la foi en Jésus. » (Romains 3.26) Il pardonne – pleinement et définitivement – le pécheur. C’est le pardon, au cœur de la grâce salvatrice, qui la distingue de la grâce commune. Toutefois, la grâce est une réalité plus large que le pardon car, comme nous l’avons relevé plus haut, elle ne se résume pas à la « non prise en compte » du péché ; bien plus, elle relève, restaure et comble éternellement le pécheur. Parmi les bienfaits dont Dieu nous comble figure, de façon privilégiée, une vie nouvelle par laquelle nous apprenons (par la grâce !) à vivre d’une façon qui plaît à Dieu (Tite 2.11-14).
Lorsque nous prenons conscience que Jésus-Christ a « tout accompli » (Jean 19.30), qu’il a entièrement et parfaitement effacé notre faute, nous comprenons que Dieu « peut », sans démentir sa justice, nous combler des biens qui relèvent de ses perfections et de son éternité : la victoire sur la mort, une plénitude de joie et de paix, la sécurité du salut, la vie éternelle. Là où, dans sa grâce commune, Dieu acceptait de faire du bien malgré la transgression humaine, sa grâce salvatrice est le domaine où il manifeste sa bouleversante générosité, sans limite.
Footnotes
Further Reading
Henri BLOCHER, La doctrine du péché et de la rédemption, Vaux-sur-Seine, Edifac, 2001
Jerry BRIDGES, A l’école de la grâce, Charols, Excelsis, 2015
Jean CALVIN, Institution de la religion chrétienne, trad. en français moderne, Aix-en-Provence, éd. Kerygma/Excelsis
Alain NISUS et al., Pour une foi réfléchie, Romanel-sur-Lausanne, Maison de la Bible, 2011
Cet essai fait partie de la série « Concise Theology ». Tous les points de vue exprimés dans cet essai sont ceux de l’auteur. Cet essai est gratuitement disponible sous licence Creative Commons avec Attribution Partage dans les mêmes conditions (CC BY-SA 3.0 US), ce qui permet aux utilisateurs de le partager sur d’autres supports/formats et d’en adapter/traduire le contenu à condition que figurent un lien d’attribution, les indications de changements et que la même licence Creative Commons s’applique à ce contenu. Si vous souhaitez traduire notre contenu ou rejoindre notre communauté de traducteurs, n’hésitez pas à nous contacter.