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Quel sera l’avenir des Églises au cours du 21e siècle dans les sociétés post-chrétiennes ? Question que nous devons nous poser sérieusement et sans naïveté. De nombreux théologiens se sont bien sûr posé la question. L’un d’entre eux est un théologien américain orthodoxe, Rod Dreher, qui a publié au début 2017 The Benedict Option, maintenant disponible en français sous le titre Comment être chrétien dans un monde qui ne l’est plus. Le pari bénédictin1. Je ne ferai pas une recension, mais j’évoquerai deux points qui demandent notre réflexion. Sur les réseaux sociaux français qui ont découvert cet ouvrage, les commentaires sont plus ou moins positifs. Deux critiques reviennent souvent.

Une guerre des cultures ?

Dreher part d’une observation : « Nous avons perdu la guerre des cultures ». Dès ce constat, nous pouvons nous demander si cette observation n’est pas typiquement américaine. Peut-être même trop. Après tout, ce sont bien les Églises américaines dites « conservatrices » qui ont cru qu’elles pouvaient gagner une guerre de culture dans le domaine social et politique. Peut-être même ont-elles pensé pouvoir transformer la société. De la « majorité morale » des années 1980 aux débats éthiques actuels, une certaine frange des Églises américaines aurait cru pouvoir installer une morale chrétienne dans la sphère socio-politique. Ce ne serait pas le cas des Églises de France qui, ayant mieux compris la place de l’Église dans la société, ne verraient pas leur place comme celle d’un opposant en guerre contre la culture (ou la société), mais comme un partenaire de dialogue construisant une meilleure société.

Bien sûr tout cela est au conditionnel. Comme si le positionnement des Église américaines ne révélait pas quelque chose d’important, quelles que soient les réponses apportées. Et comme si le positionnement des Églises françaises n’était pas sans problèmes. L’un des points de tension porte sur l’expression « guerre des cultures », qui fait souvent reculer le chrétien français, même dit « conservateur ». La réalité est probablement plus compliquée que cela.

Alors, que dire de cette « guerre des cultures » que l’Église semble avoir perdue ? Dans un certain sens, nous pouvons parler d’une opposition culturelle. En effet toute culture est nourrie d’un cœur philosophique ou religieux. Aucune culture n’est neutre devant le Dieu de la révélation. Dans ce sens, une opposition de principe peut-être évoquée. Soit notre culture reflète la présence du Dieu créateur qui soutient, gouverne, et nourrit sa création. Soit notre culture reflète… ma foi, quelque chose d’autre. Si tel est le cas, tout ce que nous faisons dans notre culture se nourrit, soit de la foi en le Dieu de la révélation, le Dieu de Jésus-Christ, soit de quelque chose d’autre. Et il n’y a pas de neutralité. Mais d’un autre côté, parler de « guerre des cultures » sous-entend que la culture est ce que nous devons gagner, voire même qu’il nous est possible de créer et maintenir une « culture chrétienne ». C’est une illusion.

Sommes-nous donc engagés dans une « guerre des cultures » ? Oui et non. Et c’est en quelque sorte la réponse de Dreher que je reformule. Nous vivons dans la culture. Nous sommes des êtres culturels. Nous ne pouvons y échapper, mais nous ne pouvons pas être déterminés, formés, nourris, par la culture post-chrétienne.

Une vision monastique

La réponse de Dreher en quelques mots est simple. La vision bénédictine. Et par bénédictine, il ne parle pas du pape Benoît XVI, mais de la règle monastique de Benoît de Nursie (vers 480 – vers 543), sur laquelle fut fondé l’ordre des Bénédictins. La simple mention « monastique » a donné lieu à quelques réactions négatives sur les réseaux sociaux. En oubliant de lire le livre, bien sûr : mais de nos jours, cela ne semble pas être un problème. Monastique ! L’auteur nous demande de vivre comme des moines ? Impossible. Ou ridicule. Il n’est pas réaliste de vivre dans des communautés séparées qui ne sortiraient pas à l’extérieur ! Bien sûr si c’était cela l’option bénédictine, elle ne serait pas très intéressante.

Mais cette réaction provient d’une mauvaise idée de ce qu’est le monachisme. La vision des moines enfermés dans leur monastère, reclus hors du monde, est en grande partie une fiction. Les monastères eurent souvent une influence sur la culture, sur la société qui les entourait. Service des pauvres dans les villages, présence pastorale dans les campagnes, assainissement de marais, créations architecturales : les moines étaient beaucoup plus actifs que nous ne le croyons souvent. Alors si cette vision d’une église pour le 21e siècle n’est pas un retrait complet du monde, quelle est-elle ?

Dreher fonde son option bénédictine sur une autre intuition monastique fondamentale : la présence alternative dans le monde. Dreher l’explique très, trop, brièvement dans une interview publiée en ligne par Le Figaro :

« Je crois que l’essentiel est la pratique. Il faut créer des communautés, des écoles, des entreprises chrétiennes. Je crois que le modèle monastique doit inspirer les familles. Il faut aussi limiter les nouvelles technologies, notamment auprès des enfants. »2

Et la voilà, la vraie option bénédictine ! L’église comme force alternative dans la société. L’église comme lieu de croissance, d’affermissement, et de transformation radicale des croyants. Une communauté de foi radicalement différente vivant sur des principes différents pétris de l’Évangile. Une communauté qui donne naissance à une nouvelle manière d’être chrétiens dans un monde post-chrétien. Et une telle vision doit être entendue. Pas nécessairement acceptée, mais entendue, d’autant plus qu’elle est un encouragement à la mission, comme le dit l’auteur : « Je crois que nous devons sortir du monde pour mieux nous former, pour ensuite y retourner pour évangéliser. » J’avoue que je trouve cette simple vision d’une église comme communauté radicale, alternative à la société très pertinente pour le monde dans lequel nous vivons.

Faut-il donc adopter l’option bénédictine ? Dans tous les cas, il faut la découvrir. Réfléchir sur sa portée. Ré-imaginer la place de l’église dans une nouvelle société. Et cela ne se fera pas sans prendre le temps de méditer, réfléchir, construire en revenant constamment à la nature du Corps de Christ décrite dans la Bible. Quant à notre place dans la société, il n’y a jamais eu de réponse simple. Nous devons tous être sans cesse interpellés par cette ligne de l’Évangile : « dans le monde, mais pas du monde » (Jn 17.14-18).


2Eugénie Bastié, « Est-il encore possible d’être chrétien dans un monde qui ne l’est plus ? », 6 octobre 2017, Le Figaro, http://www.lefigaro.fr, consulté le 17 octobre 2017.

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