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Texte infaillible ≠ interprétation sans failles

Récemment, je suis tombé sur plusieurs auteurs chrétiens s’interrogeant sur l’intérêt d’affirmer l’inerrance, ou l’infaillibilité biblique, deux notions qui s’intéressent à la relation entre le texte biblique et son interprétation. L’un de ces auteurs trouvait illogique d’affirmer l’infaillibilité du texte, alors même que nous ne sommes que des pécheurs limités, aux facultés tout autant limitées ; étant pervertis par le péché et par notre volonté (orgueil, obstination), notre interprétation de la Bible ne peut alors qu’être imparfaite. Un autre encore affirmait, de manière bien plus catégorique, que la doctrine de l’inerrance biblique ne servait à rien, si ce n’est à appuyer l’arrogance typiquement humaine de l’homme qui veut étendre l’autorité de la Bible à ses déclarations incertaines.

Mais si ces deux objections semblent assez légitimes (la première paraissant même assez logique), elles échouent cependant toutes les deux à faire la différence entre les doctrines sur la Bible-même d’une part, et les revendications théologiques sur notre interprétation d’autre part. En d’autres termes, nos deux auteurs ne font pas la distinction entre :

  • Les doctrines de l’inspiration et de l’illumination ;
  • Leur relation avec le texte biblique.

Inerrance et inspiration versus illumination

Pour que ce soit clair dès le début, la doctrine de l’inspiration porte sur l’origine et la nature du texte biblique. Quant à l’enseignement traditionnel de l’ « inerrance » ou « infaillibilité », (ces deux termes me semblant interchangeables) de la Bible, il porte lui aussi sur la nature de ce texte que Dieu a inspiré dans le passé à des auteurs humains. Grosso modo, l’inerrance correspond à l’idée que tout ce qui est dans la Bible est la véracité absolue : elle est exempte de tout mensonge et ce, quel que soit le sujet qu’elle aborde.

Mais à cause du péché, nous pouvons résister et ne pas croire en la véracité de ce que Dieu a inspiré. La doctrine de l’illumination concerne alors l’action du Saint-Esprit dans notre cœur et dans notre âme pour faire fondre cette résistance. Elle est donc effectivement liée à la Bible, mais ne s’intéresse qu’à sa réception, et non à la manière dont elle a été écrite, ni à sa nature. Ainsi, même si notre approche du texte biblique est effectivement influencée par notre compréhension des deux doctrines, celle de l’illumination concerne surtout la manière dont nous interprétons et comprenons le texte biblique.

De fait, affirmer que la Parole inspirée par Dieu est infaillible ne revient PAS à dire que notre interprétation l’est aussi. Cela reviendrait à faire une allégation sur la théorie de l’illumination qu’aucun théologien de l’Église réformée ne ferait. Dans ce contexte, nous pouvons donc nous poser cette question : quel est l’intérêt de poser l’infaillibilité de la Bible si l’on admet aussi la possible et donc probable imperfection de toute interprétation humaine ?

Je pense qu’au moins deux intérêts sont à dégager.

L’inerrance nous encourage à croire en un Dieu digne de confiance

Le premier intérêt concerne la personne même de Dieu. Dans son livre First Theology (2002), Kevin Vanhoozer1 démontre que nos hypothèses sur la Bible sont étroitement liées à notre perception du Dieu qui l’a conçue. Ce sont deux idées qui se nourrissent mutuellement et qui, bien que distinctes, finissent malgré tout par s’entremêler au sein de la doctrine de la révélation.

Un texte qui n’est pas infaillible implique :

  • soit un Dieu qui se soucie peu de la vérité
  • soit un Dieu distant et indifférent

Aucune de ces deux options ne mène à une profonde confiance en la Bonne Nouvelle, sur laquelle repose pourtant notre salut. Andrew Wilson 2 le dit lui aussi : « Je trouverais cela bizarre d’affirmer aux gens que la Bible tout entière représente la parole de Dieu et que celle-ci est la vérité, et de leur dire ensuite que certains passages, en revanche, ne sont pas complètement avérés. » Pas très rassurant, n’est-ce pas ?

De l’autre côté, un texte infaillible suppose l’idée d’un Dieu entièrement digne de confiance. Un Dieu parfaitement honnête, qui a à cœur de transmettre efficacement la vérité à son peuple. Et sans surprise, c’est cette image de Dieu que la Bible nous donne. Bien entendu, la doctrine de l’accommodation3 de l’Église réformée permet ensuite de comprendre de manière plus nuancée comment Dieu s’abaisse afin de se faire connaître de nous (au travers d’auteurs complètement humains, du langage, de concepts, etc.). Toujours est-il que toute cette réflexion ne trouve son sens que dans la croyance en un Dieu fondamentalement fiable.

L’inerrance nous pousse à étudier le texte plus en profondeur

Le deuxième intérêt que je vois à croire en un texte infaillible est que cela nous donne une véritable raison de chercher à le comprendre véritablement, dans une démarche active. On entend souvent que faire appel à l’inerrance de la Bible coupe court à la conversation et fond notre interprétation avec la Parole même de Dieu. Cette objection pose à l’inverse qu’avoir un texte fiable dans ses fondements mais néanmoins faillible implique que l’on ait à défendre nos points de vue ; cela nous amènerait alors à débattre en toute humilité avec d’autres chrétiens, à découvrir d’autres visions, etc.

Je ne peux pas dire que j’aie jamais trouvé cet argument très convaincant. Oui, ceux des croyants qui ont été formés dans des milieux conservateurs peuvent parfois être tentés de court-circuiter le dialogue et de fuir la confrontation. Oui, il arrive effectivement —et malheureusement— que des questions soient éludées et que certains sujets (comme celui de la foi profonde qu’il faut avoir dans le texte pour continuer à le croire, même lorsqu’il semble questionnable) soient évités. Cela étant, à partir du moment où nous pensons et affirmons que la Bible est la vérité de Dieu, nous devrions tout mettre en œuvre pour chercher à percer son sens.

G.K. Beale4 souligne ainsi qu’avoir une haute opinion du texte biblique et croire en sa véracité, même lorsqu’il semble comporter des contradictions, n’est pas du tout une échappatoire ou une mise entre guillemets de notre intelligence. Au contraire, cela conduit à une étude plus approfondie de la Bible, à la prière et à la discussion avec d’autres chrétiens —tout cela pour pouvoir être certain qu’elle est bien la vérité. De la même manière, garder en tête qu’il s’agit véritablement des paroles de Dieu conduit à une humilité vis-à-vis du texte biblique. Cette approche humble permet de ne pas accorder trop d’autorité à notre propre interprétation, puisqu’elle va de pair avec la peur de déformer la Parole de Dieu.

À l’inverse, avoir un texte bancal conduit à une attitude de fuite : à chaque passage difficile rencontré, explication semblant incompatible avec un autre, ou commandement qui paraît inacceptable, il devient facile de se résigner et de se dire que le texte n’est de toute façon pas infaillible. Une telle attitude ne s’adopte pas du jour au lendemain, mais il faut reconnaître que moins on cherche la confrontation avec le texte, plus il devient facile de l’éviter. Et c’est là toute l’ironie de l’objection : affirmer un texte faillible revient finalement à mettre de côté sa propre raison et capacité de jugement, au profit d’un texte que l’on considère pourtant comme faussé et inexact.

Nous voyons donc combien la notion d’inerrance affecte notre interprétation de la Bible. Elle ne la justifie pas forcément et ne satisfait donc pas notre besoin arrogant d’avoir toujours raison. Elle encourage au contraire une attitude d’humilité, pour écouter la voix de notre Dieu : un Dieu fidèle qui nous parle avec véracité au travers de la Bible.

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Pour aller plus loin et approfondir la réflexion autour des problèmes de l’herméneutique à notre époque post-moderne, le sens de l’inerrance ou la nature de la doctrine, je recommande la lecture du mémoire de Kevin Vanhoozer pour l’Evangelical Theological Society (Société évangélique de la théologie), Lost In Interpretation: Truth, Scripture, and Hermeneutics (en anglais).


1 Kevin Vanhoozer est un théologien américain travaillant sur la lecture, l’explication et l’interprétation du texte biblique (herméneutique).

2 Andrew Wilson est le pasteur de la King’s Church, à Londres.

3 Doctrine développée par Calvin et qui désigne le processus par lequel Dieu, pourtant insondable et inatteignable, se fait partiellement connaître aux hommes en vue de leur salut.

4 Gregory K. Beale est spécialiste de la Bible et professeur de théologie au Westminster Theological Seminary, en Pennsylvanie.

 

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