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Il y a quelques semaines la revue chrétienne « conservatrice » First Thingspubliait une double interview, assez surprenante, celle de Michel Houellebecq et Geoffroy Lejeune. Le premier n’est probablement plus à présenter : Houellebecq est l’un des auteurs français les plus en vue, certains diraient les plus doués. Dans tous les cas, il est certainement celui qui fait le plus parler. Les controverses sur son franc-parler ne manquent pas. Le deuxième est moins connu : Lejeune est directeur de rédaction de Valeurs actuelles, l’un des cinq magazines d’actualité classé plutôt à droite. Si cette interview,« Restauration », est un peu surprenante, ce n’est pas à cause de l’association de ces deux noms. Houellebecq et Lejeune se connaissent bien depuis plusieurs années et partagent certaines positions sociales et morales, voire même philosophiques.

Une théologie sociale et politique

Si vous lisez le début de l’article, vous aurez un peu de mal à voir où vont les deux auteurs. Le titre « Restauration », peut vouloir dire tout et n’importe quoi… restauration ? De quoi ? D’autant plus que Houellebecq commence par un surprenant compte-rendu de sa connaissance personnelle de quelques églises pentecôtistes ! Cela ne s’invente pas ! Je n’avais aucune idée préconçue sur le positionnement religieux de Houellebecq, mais ça vraiment… Il note d’ailleurs que, loin des clichés, les églises pentecôtistes ne touchent pas que des personnes d’origine africaine, comme on l’entend parfois dans certains journaux. Houellebecq conclut : « je dis  ça pour établir, s’il en était besoin, que dès qu’il est question d’« affaires de cœur » (et la religion en est une, et même au plus haut degré), la race n’est pas un paramètre pertinent ». Et il a raison : il suffit de constater le dynamisme et la croissance du pentecôtisme en France (les Assemblées de Dieu en particulier) et à l’échelle mondiale.

Ce qui est tout aussi intéressant, c’est la remarque suivante de Houellebecq : « En somme, il semble que, si les pentecôtistes peuvent récupérer des êtres au bord de l’abîme, ou même parfois un peu plus loin, ils ne peuvent en aucun cas faire ce que l’église catho­lique a si parfaitement réussi, durant de nombreux siècles : organiser le fonctionnement de la société dans son ensemble. » Il est quand même remarquable de voir Houellebecq reconnaître le service spirituel remarquable des églises pentecôtistes ! En même temps, la partie négative de son commentaire est tout aussi remarquable et perspicace. L’église catholique a, en effet, après l’effondrement de l’empire romain, pu servir à la réorganisation de la société et au maintien de certaines structures sociales. Bien sûr, on pourrait demander si c’est bien la place de l’église.

Mais posons-nous la question : la foi que nous avons reçue de Christ, en transformant tout ce que nous sommes, ne doit-elle pas avoir un impact sur la société dans laquelle nous vivons ? Je suis convaincu que c’est bien le cas. Mais jusqu’où ? Cette question est importante, mais peut-être que nous ne nous la sommes pas assez posée. Peut-être que notre théologie a totalement délaissé le domaine de la réflexion sociale et politique. Peut-être même… que nous devrions la poser de nouveau.

Trois remarques sur l’église

Geoffroy Lejeune fait, de son côté, trois remarques qui font réfléchir. Une en particulier touche au témoignage de notre foi : « Il est une blessure qui devrait être soignée par l’Église, c’est celle de ne pas connaître Dieu, ou de ne pas savoir le trouver. » Ne pas croire en Dieu : une blessure. Nous ne pensons généralement pas à cela comme une blessure, mais un rejet, voire une « rébellion ». Bibliquement, c’est bien sûr cela. Mais pour la personne qui ne croit pas, (ou pas encore !), peut-être est-ce beaucoup plusque cela. Peut-être que ne pas pouvoir croire en Dieu est réellement une blessure. Cette simple considération doit nous encourager à essayer de comprendre les personnes que nous rencontrons. Laissons-les exprimer comment elles ressentent et vivent le fait de ne pas croire en Dieu. Laissons-les parler.  Après seulement nous pourrons présenter la personne vivante de Jésus-Christ.

Lejeune fait un deuxième commentaire tout aussi pertinent : « On a chassé le sacré des églises, silencieusement, et on ne l’a remplacé que par du cool, du festif – c’est formidable, mais désespérément humain. » Désespérément humain. Il y a bien une leçon ici : si notre église ressemble trop à la société dans laquelle elle se trouve, elle sera très « tendance » pendant quelques temps. Cependant, elle sera aussi dépassée aussitôt que la société évoluera, et elle évolue tout le temps. Ou alors elle n’aura d’autre choix que de vouloir évoluer constamment. Et Christ pourra malheureusement devenir secondaire. Les programmes, les activités seront prioritaires. Nous serons restés « désespérément humains ». Or nous devons proclamer le Christ qui avait dit, souligne Lejeune avec une certaine simplicité biblique, « Il faut être dans le monde mais pas du monde… L’Église aurait dû le prendre plus au sérieux. »

Enfin, quelle que soit la conviction de foi de Lejeune, il est difficile de ne pas entendre ce regret en forme d’exhortation : « Peut-être l’Église retrouverait-elle un peu de crédibilité si elle cessait de se concevoir comme une ONG vaguement caritative mais qui n’assume pas la source de sa générosité, le Christ. » C’est vrai que Lejeune écrit en particulier avec un « œil » catholique. Mais le danger n’est-il pas présent pour nous aussi ? Nous sommes en souci de la présence sociale de nos églises, et nous avons raison. Mais quelles sont les limites de l’engagement social de l’église ? Autre question qui ne sera pas résolue ici !

La restauration de l’église

Remarques intéressantes. Mais vous allez me demander ce que signifiait le titre de l’article : « Restauration ». Houellebecq nous donne la réponse : « la restauration du catholicisme dans son ancienne splendeur peut-elle réparer notre civilisation endommagée ? Là nous sommes d’accord, c’est beaucoup plus simple, évident presque : la réponse est oui. » C’est de la restauration de l’église catholique dont les auteurs parlaient. Mais les questions posées et les diagnostics formulés devraient nous interpeller. Il est bénéfique, très bénéfique, de voir que nous pouvons nous laisser interpeller par deux figures avec lesquelles nous ne partageons peut-être pas grand chose. Cela doit nous inviter à revenir vers la Bible afin de continuer à vivre fidèlement la foi en Christ. Cette foi doit s’incarner dans toute notre vie, dans toutes les dimensions de la société. Tout ce que nous faisons, disons, pensons, doit refléter la foi que nous avons.

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