Depuis le mois de janvier, nous avons été témoins d’une flambée de souffrances à l’échelle mondiale. Certaines de ces souffrances nous sont arrivées involontairement. Des êtres chers sont tombés malades et sont morts. Des amis ont perdu leur emploi, ainsi que la sécurité financière que ces emplois fournissent. Nous avons volontairement assumé et accepté certaines de nos souffrances. Nous nous sommes abstenus de tout rassemblement public afin de ralentir la propagation du COVID-19, de protéger les plus vulnérables d’entre nous et d’éviter de surcharger nos professionnels de santé.
Avec cette flambée de souffrances apportée par la pandémie mondiale, nous avons aussi assisté à une flambée de tristesse, de peur et d’anxiété. La perte de divers biens, ou la menace de leur perte, a provoqué diverses formes de troubles émotionnels. Dans une telle situation, le désir naturel des chrétiens en général, et des dirigeants chrétiens en particulier, est d’offrir un encouragement à ceux qui sont dans la misère, et une exhortation quant à la façon dont ils pourraient supporter le chemin à venir.
J’ai réfléchi à une approche de l’encouragement pastoral dont j’ai été témoin ces deux derniers mois. Elle a été quelque peu mise en avant sur diverses plateformes de médias sociaux, parmi ceux d’un certain type réformé ou proches des réformés, bien qu’elle ne présente pas une approche véritablement réformée des soins pastoraux.
Cette approche utilise des exhortations bibliques spécifiques pour s’adresser à ceux qui souffrent de formes variées de misère causées par la pandémie : « ne crains pas », « ne sois pas anxieux » et ainsi de suite. De telles exhortations, dans de nombreux cas, sont apportées avec beaucoup de bravade, exhibant le genre de machisme sanctifié qui est devenu étrangement populaire dans certains coins du monde évangélique.
En tant que la Parole divinement inspirée du « Dieu de toute consolation » (2 Cor. 1:3), la Bible est certainement la source suprême de la consolation pour les chrétiens en des temps comme ceux-ci. Toutefois, il y a une façon non biblique de se servir de la Bible pour encourager et exhorter. En fait, il y en a plusieurs.
Toutefois il y a une façon non biblique de se servir de la Bible pour encourager et exhorter.
Celle qui a été décrite ci-dessus semble présupposer une certaine vision du cœur – le centre de la connaissance, de l’évaluation et du mouvement dans les êtres humains. J’ai le sentiment qu’une vision non biblique du cœur sous-tend certaines méthodes d’utilisation des versets de la Bible pour exhorter et encourager.
La meilleure façon de le voir est peut-être de considérer deux métaphores concurrentes pour le cœur.
Le cœur ≠ une tasse
Selon une des métaphores, le cœur est une tasse. Une tasse peut être pleine de café ou pleine de thé mais, dans les circonstances normales, on ne souhaiterait pas remplir cette tasse des deux à la fois.
Il semble que les gens offrent parfois des encouragements bibliques – « n’aie pas peur », « ne sois pas anxieux », etc. – comme si le cœur était une coupe pleine de peur ou d’anxiété qu’il faut vider de ces émotions pour pouvoir la remplird’autres émotions. Mais c’est une erreur.
La métaphore est erronée de deux manières, au moins. Premièrement, elle ne comprend pas que le chagrin, la peur et l’anxiété ne sont pas toujours des émotions pécheresses. En fait, ces émotions peuvent constituer des réponses appropriées à la perte (réelle ou menaçante) de biens réels. L’âme de Jésus était « troublée » lorsqu’il a fait face à la croix (Jean 12, 27 ; cf. Luc 22, 41-44). Paul dit qu’il portait la « pression quotidienne » de « l’anxiété » pour toutes les églises (2 Cor. 11:28).
En second lieu, cette métaphore semble fautive en concevant une eschatologie sur-réalisée. Elle ne comprend pas que, dans une perspective historique rédemptrice, nous sommes dans des jours de douleur (Ps. 126 ; Prov. 14:13 ; 2 Cor. 6:10 ; 1 Pi. 1:6). Ce n’est pas encore le jour où Dieu essuiera toutes larmes de nos yeux une fois pour toutes (Apoc. 21:4).
Le cœur n’est pas une tasse.
Le cœur = une balance
Le cœur est davantage semblable à une balance. Plus précisément, une « balance à deux plateaux », du genre de celle qui est souvent utilisée comme symbole de la justice parce que ses deux plateaux pèsent des arguments et des positions différents dans le processus qui mène à un jugement vrai et juste.
Pour emprunter une analogie à Basile de Césarée (330-379 après J.-C.), le cœur est le tribunal intérieur de l’âme. Ce tribunal interne pèse le sens et la valeur des différentes réalités lorsqu’il cherche à acquérir la sagesse, et il considère les différentes lignes de conduite lorsqu’il cherche à prendre une décision prudente (Rom. 12:2 ; Phil. 1:9-10).
Le cœur est le tribunal intérieur de l’âme.
Un usage approprié des encouragements et des exhortations bibliques tiendra donc compte de cette description du cœur. Des encouragements comme « ne crains pas » et « ne sois pas anxieux » ne doivent pas être proposés (pas dans tous les cas au moins) comme des réprimandes, comme dans « déverse le contenu de ton cœur ; remplis-le d’autre chose ». Ce genre d’« encouragements » peut être la cause de beaucoup de fausses culpabilités chez les croyants sincères.
À la place de cela, les encouragements bibliques devraient être offerts comme des contrepoids. Le faire donnerait à peu près ceci :
Je sais que votre cœur est (à juste titre) lourd de chagrin à cause de la perte d’une ou plusieurs bonnes choses, qu’il est submergé par les circonstances actuelles, qu’il est incertain de ce que demain peut apporter. Cependant, permettez-moi de vous offrir un contrepoids, non pas pour supprimer ces émotions (la métaphore de la coupe), mais pour les placer en rapport avec une réalité plus large : la réalité de la bonté souveraine de Dieu, de son attention et de son dessein, qui offrent de solides raisons d’encouragement et d’espoir au milieu de l’épreuve.
Ces « contrepoids » n’enlèvent pas les autres « poids » de notre cœur. Au contraire, ils apportent des consolations qui permettent à nos cœurs de porter le poids de la douleur, de l’anxiété et de la peur dans cette vallée de larmes (Ps. 84:6) – jusqu’à ce que nous arrivions à notre destination de béatitude sans mélange et inébranlable en présence du Dieu trinitaire (Ps. 84:4).
Bien sûr, une grande partie de la sagesse pastorale consiste à savoir quand offrir de tels encouragements bibliques et quand se taire. Il y a « un temps pour toute chose sous le ciel » (Ecclés. 3:1) – et même « un temps pour se taire » (Ecclés. 3:7).
Traduit de : The Heart Is Not a Cup (There’s a Better Metaphor)