×

« Si Dieu est bon et souverain, pourtant tant de souffrance et de pauvreté dans le monde ? ». Tous les chrétiens ont été questionnés au moins une fois de la sorte par un non-chrétien. Il est juste de chercher à donner des réponses apologétiques théologiquement solides à ces interrogations. Mais il est juste aussi de répondre à une autre question, à la portée éminemment pratique : « Que faire face à cette souffrance et à cette pauvreté dans le monde ? ».

Dans un article précédent, nous avons vu, à partir du livre d’Amos, que Dieu appelle son peuple à pratiquer la justice et l’amour en son sein. Dans le présent article, nous voulons réfléchir à la manière de pratiquer la justice et l’amour envers le monde qui nous entoure, en particulier à l’égard des pauvres. Jacques Blandenier a écrit un petit ouvrage percutant à ce sujet, « Les pauvres avec nous » (éd. LLB, 2006), qui a apporté des éléments utiles à cet article. Le livre « Pour une vie juste et généreuse », de Timothy Keller (Farel, 2018), est aussi chaleureusement recommandé. Nous poserons deux questions : « Pourquoi pratiquer la justice ? » et « Comment pratiquer la justice ? ».

 

Pratiquer la justice… à cause de Dieu

Pourquoi chercher à pratiquer la justice et l’amour envers le monde ? Pourquoi, en particulier, s’intéresser à tous ceux qui souffrent de pauvreté, qu’elle soit matérielle, financière, physique, sociale, morale ou spirituelle ? On peut relever trois raisons. Premièrement : à cause de Dieu, de la personne de Dieu. La Bible le présente comme le père des orphelins et le défenseur des veuves (Psaume 68,5), non parce que les pauvres seraient moins pécheurs que les autres, mais parce qu’ils sont plus vulnérables à toutes sortes d’injustices. Jésus-Christ, qui nous révèle le caractère de Dieu, s’est lui aussi tenu tout proche des pauvres et de ceux qui n’étaient pas considérés par leurs contemporains. D’ailleurs, sa mission même consiste en un abaissement : de riche qu’il était, le Fils de Dieu est devenu pauvre (2 Corinthiens 8,9), subissant même la plus grande injustice de toute l’Histoire.

 

Pratiquer la justice… à cause de la Création

Deuxième raison de s’intéresser aux pauvres : chaque être humain est une créature merveilleuse créée à l’image de Dieu. C’est le cas aussi de votre voisin atteint de démence, des mendiants qui vous vendent de la camelote, du requérant d’asile qui tourne en rond dans les rues sans occupation bien définie. « Qui opprime le pauvre outrage celui qui l’a fait » (Proverbes 14,31) : s’en prendre à un pauvre, c’est s’en prendre à Dieu lui-même. Se taire devant la souffrance des pauvres, c’est oublier que nous avons en face de nous des créatures à l’image de Dieu.

Basile de Césarée a dit un jour : « On appelle brigand celui qui dépouille les voyageurs habillés. Mais celui qui ne revêt pas l’indigent nu mérite-t-il un autre nom ? Le pain que vous enfermez est à celui qui a faim ; l’habit que vous tenez dans vos coffres est à celui qui est nu ; l’or que vous mettez en sécurité est à celui qui en a besoin. Ainsi vous faites tort à tous ceux dont vous pourriez soulager l’indigence ».

 

Pratiquer la justice… à cause de la Rédemption

Israël devait prendre soin des pauvres en se souvenant qu’il avait été lui-même esclave (et donc pauvre) en Egypte. Nous étions nous aussi dans une profonde misère spirituelle, mais Christ est venu nous en tirer. Voilà une troisième bonne raison de chercher à aimer notre prochain pauvre. Jonathan Edwards, très désireux que les chrétiens s’engagent contre la pauvreté, estimait que plus on comprend la grâce de Dieu, plus on désirera aider et aimer les malheureux. Les chrétiens sont ainsi ceux qui devraient avoir la plus grande « fibre sociale ». Mais comment la manifester de manière équilibrée ? C’est notre deuxième question.

 

Lutter premièrement contre l’injustice spirituelle

Au cours de l’Histoire, beaucoup a été dit et écrit concernant l’articulation entre annonce de l’Evangile et justice sociale. Sans refaire tout le débat, il nous semble qu’un chrétien doit chercher à la fois à annoncer la justice de Dieu concernant le péché et la croix (pour que celui qui est injuste devant Dieu soit justifié), et à vivre la justice de Dieu par une aide toute matérielle.

Toutefois, l’annonce de la vérité de l’Evangile est prioritaire. Les disciples n’ont pas été envoyés premièrement pour « faire du social », mais pour « faire de toutes les nations des disciples » et pour leur enseigner à observer tout ce que Jésus-Christ leur a prescrit (Matthieu 28,18-20). Cependant, cet appel à la repentance et à la foi s’accompagne nécessairement d’une envie d’amener la personne à un rétablissement non seulement spirituel, mais aussi matériel, physique et social.

 

Pratiquer la justice sans chercher la rentabilité

On peut ajouter que cette aide toute pratique aux pauvres ne doit être calculée, utilitariste, c’est-à-dire motivée uniquement par le désir de « faire des convertis ». Jacques Blandenier évoque l’épisode où Jésus guérit dix lépreux (Luc 17,11-19). Un seul est venu le remercier, un seul a visiblement obtenu ce qui est le plus important : son salut. Cependant, Jésus a bel et bien guéri les neuf autres quand même, sachant très bien qu’ils ne se convertiraient pas (en tout cas pas à ce moment-là).

Ce récit nous invite à pratiquer le bien sans chercher la rentabilité, mais simplement parce que nous voulons refléter la justice et l’amour de Dieu envers les pauvres et les misérables. Nous avons tous, autour de nous, des « pauvres » que nous aidons : des voisins, des personnes âgées, des gens découragés, à qui nous donnons de notre temps et de notre argent. Ils ne se convertissent pas ? Continuons à les aimer sans calculer.

 

L’exemple du bon Samaritain

La parabole du bon Samaritain nous éclaire aussi sur cette responsabilité que nous avons d’aimer notre prochain de manière désintéressée. Le Samaritain n’avait rien à gagner à aider le pauvre bougre laissé pour mort au bord de la route. Notre société est très utilitariste : on s’engage pour autrui… si c’est utile pour nous. La parabole du bon Samaritain nous montre un homme qui pratique le bien sans rien espérer en retour, qui se laisse déranger dans son programme pour se mettre au service d’un malheureux d’un peuple rival.

Encore une fois, souvenons-nous que Jésus-Christ nous a trouvés alors que nous étions dans une situation de faillite spirituelle totale, laissés pour morts au bord de la route. Nous ne pourrons pas forcément convaincre théologiquement ceux qui ne comprennent pas pourquoi la souffrance existe si Dieu est bon et souverain. Mais nous pourrons certainement les convaincre que le christianisme apporte des réponses à la souffrance, si nous sommes animés d’une vraie compassion pour ceux qui souffrent…

LOAD MORE
Loading