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TÉMOIGNAGE DE ROXANE : Anorexie et image de soi

L’anorexie a pointé le bout de son nez il y a environ 15 ans. J’ai 37 ans aujourd’hui. Je dois l’avouer, mon combat contre le mensonge concernant l’image que j’ai de moi-même n’est pas terminé. Mais contrairement à cette période de chute, aujourd’hui, Dieu fait partie de ma vie. Je me suis convertie il y a quatre ans. Jésus m’a sauvé́ à la croix, mais il m’a également tendu la main, cet été là au moment où, soit il se passait quelque chose dans ma vie, soit j’abandonnais et je me jetais sous un train.

Les quelques premières années de ma vie ont été paisibles, autant que je m’en souvienne. C’est lorsque mon père abandonna le domicile familial pour partir avec une autre femme que tout a pris une tournure dramatique.

L’enchaînement d’épreuves, de problèmes financiers, de chocs émotionnels, a été terrible pour ma mère, mes frères et moi (2 ans pour mon petit frère, 4 ans pour moi et 6 ans pour mon  frère aîné.). Ma maman s’est retrouvée seule avec trois enfants à charge, à devoir travailler quasiment à 100% pour pouvoir nourrir ses enfants, et tenir le coup financièrement. Certaines fins de mois, les placards étaient presque vides. Depuis l’abandon de mon père, j’ai développé cette fragilité́, cette peur viscérale qu’on m’oublie et qu‘on m’abandonne. Mais jusque-là, rien de véritablement surprenant et l’on n’avait aucune crainte à avoir quand à ma vie et à ma santé.

Mes années d’école ont toujours été́ une grande épreuve pour moi. Je n’arrivais pas à me faire des amis et j’avais sans cesse l’impression de ne pas être aimée, et ce, quel que soit mon âge. Le retard scolaire, mon manque de concentration et un professeur vraiment méchant à mon égard sont autant de facteurs qui n’ont en rien aidé la petite fille qui avait perdu son papa qu’elle aimait. Ce périple m’aura valu de me faire redoubler une année, et de survivre le reste de ma scolarité́.

Une immense solitude m’envahissait. Pourtant je restais bonne vivante, toujours prête à aider ma maman à la maison, autant dans les tâches ménagères que dans la cuisine. Je le constate aujourd’hui avec du recul, je cherchais son attention en me rendant indispensable afin que elle, ma maman, ne m’abandonne pas à son tour. Je pense que j’ai développé́ le même réflexe par rapport à mes frères. J’avais besoin de leur regard, de leur attention, notamment de la part de mon grand frère. Après toutes ces histoires avec mon père et les problèmes à la maison, dès qu’il le pouvait, il fuyait le foyer familial et retrouvait du confort chez ses potes. Ce beau gars, grand et fort, était devenu l’image de la masculinité auprès de laquelle je recherchais de l’estime et de la valeur. Il était mon idole ! Malheureusement à cette époque là, et à son jeune âge, il n’avait que faire de sa petite sœur. Et cela m’affectait au plus haut point. J’ai essayé́ de faire mille et une choses pour attirer son attention, dans mes activités, dans ma façon de m’habiller ; j’essayais de lui ressembler, d’aimer ce qu’il aimait, de faire ce qu’il faisait, etc… Mais rien de rien ne le touchait. Devant lui, j’avais l’impression d’être transparente. Je me sentais stupide, incapable de faire des phrases sans bégayer, peu intéressante, moche, dérangeante même. J’avais l’impression qu’il avait honte de moi. Ô combien j’avais la sensation de le décevoir ! Certains de ses amis ne connaissaient même pas mon existence ! À ce jour, je ne peux pas en vouloir à mon grand frère, car lui n’a joué que son rôle de grand frère avec toutes les difficultés qui étaient les siennes. Le problème dans cette histoire- là a été́ que je cherchais en lui le père que je n’avais pas.

Finalement, sur quoi avais-je construit mon enfance, mon adolescence ? Sur quoi avais-je construit la femme que j’étais devenue ? Sur du vent. Sur du mensonge. Mon père était parti et j’avais perdu mes repères. J’ai voulu être ce que je n’étais pas, jouer un rôle qui n’était pas le mien. Durant toutes ces années j’ai cultivé ce poison, ce sentiment d’infériorité́, et du manque d’estime de soi. Je pensais n’avoir aucune valeur aux yeux de l’être qui m’était le plus cher, mon frère aîné́. Alors, quelle valeur pouvais-je avoir aux yeux du monde ? Aucune. Je me sentais comme une moins que rien.

S’ajoutait à cela que, durant toutes ces années de souffrance, il m’était impossible de trouver un petit copain. Soit je ne plaisais à personne, sois le garçon en question n’arrivait pas à la cheville de mon grand frère. Si donc je n’arrivais pas à trouver quelqu’un, c’est que je devais avoir un sérieux problème. Bien que consciente de cette difficulté, je ne me formalisais pas trop sur ce sujet, car d’autres problématiques s’imposaient, comme encore et toujours essayer d’attirer l’attention de mon grand frère. Savoir si j’étais grosse ou non n’était pas encore un sujet d’actualité́. Je faisais un peu de sport, mais sans plus.

Une fois l’école obligatoire passée, j’ai enfin pu me libérer de cette prison et entrer dans la vie active. L’apprentissage de coiffeuse me semblait être la meilleure stratégie : cela me permettait de soutenir ma maman financièrement, et je pensais y développer des talents de coiffure qui sauraient impressionner mon frère. Mais ce métier prenant ne me laissait pas beaucoup de répit, d’autant plus que dans ce domaine-là aussi, je voulais me rendre indispensable. C’est suite à plusieurs critiques de clientes sur mon poids et mon apparence que j’ai décidé́ de commencer un régime afin de perdre « un peu » de mes rondeurs. En travaillant toute la journée devant les miroirs, mon image est devenue de plus en plus importante à mes yeux. Je me suis aperçue que probablement les clientes avaient raison et que j’étais vraiment trop grosse, et donc pas jolie et qu’il fallait faire quelque chose. Il y avait également ma collègue, avec qui je m’entendais très bien et qui était très mince malgré́ la quantité́ de nourriture qu’elle ingérait. Mon regard sur elle a alors subitement changé et je ne voyais plus en elle que cette minceur, et j’enviais son corps, je voulais absolument lui ressembler. Mon régime a alors démarré́ de façon drastique ! J’ai commencé́́ à enlever de mon alimentation tous les sucres, puis les graisses. Les compliments sur ma perte de poids furent un succès ! Je maitrisais mon corps contrairement à d’autres femmes. Les gens me complimentaient, c’était fantastique ! Fière de cette réussite, j’ai fini par enlever également les féculents. Il s’en est suivi une perte de poids fulgurante. J’en étais arrivée à peser 38 kilos pour 1m60. Plus les compliments étaient nombreux, plus j’étais contente de moi et de cette performance du contrôle de la nourriture et de ma faim. Dans ce milieu de l’esthétique, l’apparence peut compter énormément. Comme je le dis bien souvent je ne veux pas ressembler à rien ! Il faut sans cesse soigner son image car les critiques fusent. J’entendais quotidiennement des clientes se plaindre de leurs kilos en trop, kilos qu’elles souhaitaient perdre. En même temps, elles disaient qu’elles n’arrivaient pas à tenir un régime pendant plus d’un mois, ou qu’une fois le régime terminé, elles reprenaient les kilos perdus, voire quelques kilos supplémentaires. Quelle lutte pour ces femmes, que je trouvais pourtant si belles. Elles m’avaient en admiration car j’avais perdu mes cinq kilos en trop et même beaucoup plus ! Avant que je ne ressemble à un squelette, je pouvais leurs donner tout un tas de petits conseils pour les aider dans leurs régimes. Enfin je me sentais exister. Plus je disparaissais, plus mon estime de ma personne grandissait. Enfin je me sentais être quelqu’un dans ce monde, j’avais l’impression de sortir de ma coquille, j’existais aux yeux de ces gens !

Le seul hic, c’est que je n’arrivais plus à m’arrêter dans ma course folle à la perte de poids, et il n’y avait pas de freins. Je ne voulais décevoir personne, et si je remangeais normalement, j’allais forcément reprendre du poids et je ne voulais pas vivre cet échec. Plus les gens me disaient que maintenant, il fallait que j’arrête de perdre du poids, plus je m’enfermais dans le chemin inverse. Tous les miroirs me renvoyaient l’image d’une personne avec des bourrelets et des rondeurs qu’il fallait combattre. Je pesais alors 36 kilos. Dans ma tête un cycle infernal avait commencé́. Toutes les femmes minces que je croisais suscitaient en moi jalousie et envie, car je me sentais toujours trop grosse. A ce moment-là̀ j’ai vécu le phénomène biologique qui fait que lorsque l’on s’alimente mal ou que l’on s’affame, le cerveau se met en état d’alerte et une dépression profonde s’installe et prend le dessus, accompagnée d’angoisses. Je devais lutter constamment contre la faim. Oui, j’ai eu faim. Faim d’une faim qui me faisait saliver devant une simple miette de pain sur une table. Il m’est également arrivé bien souvent de cacher du pain comme provision pour que personne ne le touche, tout en sachant que je n’allais pas y toucher moi-même. Cela me rassurait de savoir qu’il était là. Tout cela était tellement insupportable qu’une idée a germé parfois, de manger en cachette de la nourriture trouvée dans la poubelle, pour finir, par culpabilité́, de me faire vomir. Je pensais avoir le contrôle sur ma faim, mais aujourd’hui je me rends compte que c’est ma faim qui me contrôlait ! Les conséquences de mon attitude ont été́ désastreuses dans beaucoup de domaines, dont ma relation avec mes proches, mon métier (cela m’a valu une hospitalisation.) Cela affectait mon humeur de façon spectaculaire. Je passais des rires aux larmes en un claquement de doigts ; je piquais des crises de colère pour tout et pour rien. Je passais de la joie à une profonde mélancolie en un rien de temps. Dans ma famille, cela a notamment affecté mes frères. Moi qui cherchais tant à plaire, je faisais fuir mon grand frère qui ne savait pas comment réagir face à la personne que j’étais devenue.

J’ai fini par décider de me « prendre en main » si je puis dire. Après un mois d’hospitalisation stricte, et avec toute la volonté́ qui était la mienne à ce moment-là̀, du haut de mes 34 kilos (j’étais descendu jusqu’à 32) j’ai quitté́ l’hôpital contre avis médical. Avec le peu de force qui me restait, j’ai trouvé́ du travail au restaurant Manora, à Lausanne. J’avais alors cette rage de m’en sortir. Pour cela, je voulais combattre le mal par le mal est affronter la nourriture. J’ai fini par en faire mon métier, et je suis aujourd’hui cuisinière. Durant plusieurs années après cet épisode, je n’ai cessé́ de chuter et de me relever dans cette anorexie. Dès que le sentiment d’abandon et donc d’insécurité́ se faisait sentir, je cessais de me nourrir et je reprenais avec violence la seule chose que je pouvais contrôler : mon corps et la nourriture. Cela avait le pouvoir de me rassurer. J’avais l’impression de reprendre le contrôle. Aujourd’hui encore, je me sens misérable et ennuyeuse par rapport aux autres. Je pense que réussir à faire quelque chose que peu de femmes arrivent à faire, gérer mon poids, me rendait plus confiante et rassurait l’enfant qui était en moi.

Mais le fond du problème est : qui suis-je vraiment ? Je suis comme une éponge qui absorbe tout ce qu’elle entend, qui prend en compte tout ce que les gens pensent, et qui se laisse encore ronger par les images que la société́ renvoie de moi alors que je ne suis pas la femme parfaite à laquelle je devrais ressembler selon elle. Je pense que je ne sais pas qui je suis, que je me suis perdue en route, que j’ai laissé́ les circonstances et les évènements faire de moi une marionnette. Je pense également sincèrement que si, il y a quatre ans, Dieu ne m’avait pas tendu la main, j’aurais pris la décision de mettre fin à mes jours. Mais ma rencontre avec Dieu a été́ le début du vrai combat ! Aujourd’hui, Jésus est à mes côtés. Bien sûr, je lutte encore contre ces troubles alimentaires, mais je travaille pour comprendre où se cache le problème de fond et surtout, j’apprends à trouver ma valeur dans les yeux de Dieu, et non dans celui de mon frère et d’autres gens ! Je dois comprendre qui est Dieu pour trouver qui je suis, et quelle femme il veut que je devienne. Non pour plaire aux hommes mais à mon Dieu, mon Sauveur. J’ai trop longtemps nourri cette idole, ces peurs, mon insécurité́. Pour elles, je me suis laissé mourir de faim. Maintenant, avec l’aide de mon Sauveur et de toutes les armes et les forces qu’il me donne, c’est elles que je vais laisser mourir de faim pour moi, me nourrir de mon Dieu et réapprendre à manger sans crainte. Jésus a écrasé́ le diable à la croix, et il a fait de même avec tous ces mensonges qui résonnent dans ma tête. Qu’au nom de Jésus ces mensonges cessent et que la Vérité́ règne.

J’aurai probablement à lutter toute ma vie ici-bas contre ces mensonges. Ce sera, comme pour Paul, mon écharde dans ma chair. Qu’importe, si ce combat avec Jésus à mes côtés rend témoignage de ma foi en Dieu et le glorifie. Car je sais que sans Christ, je n’aurais plus la force de me relever et de lutter. Et je sais qu’auprès de lui je suis une femme de valeur puisqu’il est venu me chercher dans ma misère la plus profonde. Il faut maintenant marcher dans cette Victoire pour me l’approprier, un pas après l’autre.

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